A la nuit comme à l'usine

Allô Paris, quelle heure est-il, je m’éveille.

J’étais déjà là, mais j’écoutais pas ce que vous disiez, mes chers collègues, je dormais les yeux ouverts parce qu’il me semblait que j’avais déjà entendu tout ça quelque part, de nombreuses fois, de trop nombreuses fois.
Et pourtant, voilà, ce soir, je remets ça.
Assise au milieu d’un salon décoré de manière à ce que chacun comprenne qu’on est ici chez quelqu’un de bien, quelqu’un comme il faut, quelqu’un à la mode de chez nous, un semblable. Assise là, à côté de vous, je retrouve ma sociabilité à mesure que mon verre se vide.
Et que le vôtre se remplit.
Ce soir, c’est la vodka champagne ou rien qui me sauvera.
Hier, c’était toi, ma douce et tendre, mon amie de partout, qui titillait mon sens de l’humour et ma répartie, alors à ton contact, le moteur s’était rallumé.
Ce soir, tu n’es pas là et je devrais être ailleurs, au fond d’un lit avec une tisane purifiante qui laverait tout ce merdier à l’intérieur. Mais d’autres ont proposé de recommencer, de chaussser les talons, de pschitter le parfum et d’aller s’érailler la voix à force de crier par-dessus la musique et l’incroyable solitude des foules qui dansent sur les mêmes rythmes.
« On se retrouve à quelle heure ? »
Nous sommes nous seulement quittés ? J’ai la sensation étrange de m’être couchée pour me réveiller avec des appels qui offrent déjà des idées de soirées à vau l’eau. Est ce que je vais vraiment faire le 3/8 de la fête ? EST CE QUE JE VAIS VRAIMENT FAIRE CA ?
Mmmmh, ça a l’air parti pour.

Mon corps a pris de mauvaises habitudes, faut que je vous dise.
Celles-là de ne jamais plus dormir quand il fait nuit noire, de manger au petit matin après avoir beaucoup bu et de jouer à « embrassez qui vous voulez » après avoir pas mal batifolé.
Passées 5 heures, j’ai 5 ans, mon cynisme est allé se coucher et je deviens un bisounours ambulant, vaquant de gens trop supers en gens méga cool, qui ont sûrement des prénoms mais comme ma mémoire rentre au même moment que mon cynisme, me voilà forcée de les appeler « chérichoubidoujet’aime » ou « hé toi là, rends- moi mon verre illico».

Mes semaines sont schizophrènes : la première et la seconde partie se vouent une guerre sans noms, chacune persuadée d’avoir raison et investie de la mission impossible de ramener l’autre dans le bon camp. Le groupe du dimanche au jeudi midi, petit col Claudine et socquettes à dentelle, appréhende les douze coups du 4° jour de la semaine. Et il a raison. Arrive alors le groupe intraitable, du mi-jeudi au dimanche, qui malmène tout sur son passage, à grand renfort de somnambulisme et d’insolence.

Debout au milieu de confrères, la file d’attente ne dure pas, à peine arrivés, la foule s’ouvre devant l’accueil qui nous est réservé :
« Allez-y, rentrez, vous êtes combien ? laissez-passer » qui provoque une jalousie palpable.
Mouais.
Bon.
En bas, j’aperçois des têtes connues penchées vers d’autres, moins connues, certaines déjà boursouflées du regard vitreux que provoquent les cocktails d’avance qu’ils ont sur nous.
Attendez-moi, j’arrive.
Ce soir, je suis perfectionniste, je vide mes réserves complètement, je m’épuise, c’est décidé.
Les jours se mélangent et je ne sais plus trop où je t’ai rencontré et pourquoi tu m’offres encore un verre, est ce que je t’ai déjà raconté cette histoire ?, j’ai envie de danser, t’es pas si mal en fait, cette fille est folle, je l’adore, y’a trop de queue aux toilettes, comment ça, t’as perdu tes clés ?, tu devineras jamais à quelle heure je me suis couchée hier, on va fumer une cigarette ?
On se disperse. Je vous perds.
Ce soir, la vodka champagne a eu ma peau, et la vôtre aussi on dirait bien. Mais je ne suis pas fatiguée. Pas fatiguée du tout.
L’envie de bout de la nuit se mélange à la soif de mourir plus vite. Ce cocktail détonnant a des résultats peu fréquentables. Et-je-m’en-fous.

Ah, tu veux m’embrasser ?
Je t’attrape le menton, tu es un chouia trop petit mais tu me fais rire, c’est important ça, tu me fais rire, j’observe ton regard, il est encore assez vif, ok, pose ta bouche sur la mienne, pour voir.
Ok.
Re-pose ta bouche sur la mienne.
Ok.
Repose ta bouche sur la mienne.
Ok.
Laisse-moi tranquille maintenant.


Seule, je croise les doigts pour ne pas tomber sur un chauffeur qui croira voir en moi une idiote qu’on peut berner par des routes à rallonge et un compteur qui s’emballe, avec qui il faudra hausser le ton au moment où on veut juste un peu de silence.
Une femme. Elle sourit. Ma destination lui convient. Elle accepte même de démarrer un peu vite pour que je puisse éviter le mignon de tout à l’heure qui ne veut pas que je parte.

C’est sa dernière course. La der des der, elle rend son tablier, elle a économisé assez pour partir monter son petit bar dans son pays, la Martinique. Elle me raconte ça pendant que je compte les pièces de 1€ qui traînent un peu partout, inquiète de ne pas avoir assez pour aller jusqu’aux grilles de mon château.
On s’arrête, comme j’ai assez, je souffle et lui pose des questions idiotes mais auxquelles elle répond avec folklore.
Il va bientôt faire complètement jour alors je lui demande l’heure et tout de suite après je l’interromps « nan nan, en fait, laissez tomber, j’ai pas envie de savoir ».

Je sais pas, il se passe un truc dans le rétroviseur, nos yeux rient ensemble, le temps n’est plus trop pressé. Elle se gare et éteint le moteur pendant qu’on parle de choses capitales comme la vie, la mort, les couloirs de bus, et, dans un élan tout à fait adorable, elle lance : « bon voilà, j’ai terminé, je ne suis plus taxi, on va prendre un café ? »
Parfois, les évènements ne sont pas si inattendus, on sentait que ça se tramait et pourtant, ça nous fait un effet bœuf quand ils arrivent. Je baisse les yeux pour dire « avec plaisir » parce qu’ils se mouillent de la beauté des choses.

Au café, Roseanne avait un appétit d’ogre. On a fait ouvrir la cuisine un peu plus tôt parce qu’après les croissants, on a eu envie de s’envoyer de la viande très rouge. On avait parlé rumsteck en chemin, ça nous avait mis l’eau à la bouche.
Roseanne a trimballé des bouts de vies et entendu des bribes de conversations qui m’apparaissent comme un trésor. Elle comprend, oui, bien sûr, elle comprend. Mais elle est déjà ailleurs.
Son billet brille d’impatience dans la pochette Nouvelles Frontières.
Le patron nous écoute et nous demande depuis combien de temps on se connaît. Tiens, c’est vrai ça, depuis combien de temps on se connaît, Roseanne, hein ?
Parce qu’on répond en sourire, il nous invite, pas d’addition, non non, n’insistez pas, et ça commence à faire beaucoup de gentillesse pour une heure si matinale.
En sortant, Roseanne me donne son adresse au soleil et pose sa main sur ma joue. C’est tellement ergonomique qu’elle devrait pas avoir le droit de l’enlever, jamais.
Elle dit que je suis une de ses plus belles rencontres. Je dis qu’elle devrait pas avoir le droit d’enlever sa main, jamais.
Quand l’avion décollera, je serai installée devant un écran, à tenter de reconstituer la complicité éphémère qui nous a unies et m’a accompagnée jusqu’au réveil. Je lui ai promis d’écrire ça, ce moment suspendu.
Bien sûr, je n’irai jamais la voir, mais je sais qu’elle pensera à moi, parfois.


-maispastrop-

Polyphonie

Nous sommes plusieurs dans ma tête,

ils sont nombreux, et, pour mon plus grand plaisir, la plupart ne s’entendent pas. Ils se chamaillent, elles se crêpent le chignon, nous nous insultons vaillamment.
La peste jette son dévolu sur l’écolo, qui, elle-même, méprise la pétasse qui refait ses ongles.
Ca fait que bien souvent, ça tremble et le vernis dérape. La bavure met tout le monde d’accord et leur fait pousser un « rhoooo » général d’exaspération.
La dépensière crache sur la fauchée qui ne manque jamais une occasion de lui servir son plus beau croc en jambes.
(Rien à voir mais ça me donne envie de croque-monsieur.)
(C’est la goinfre qui a écrit ça)

Il y a quelques hommes aussi, qui se manifestent essentiellement la nuit, au moment de passer la commande au barman. Je les soupçonne de vouloir fermer le clapet des autres en les assommant de vodka, de rhum et de divers alcools blancs.

Tout ce petit monde, ça fait un de ces boucans… J’ai l’impression qu’on l’entend, dehors, qu’il déborde dans les oreilles curieuses des murs et des collègues d’open-space. Je fuis les endroits silencieux pour un petit moment parce que tout ce qu’il se passe là-haut, ça ne regarde que moi, finalement. C’est pas comme si, par exemple, j’écrivais tout ça noir sur blanc histoire que n’importe qui soit au courant.

Ca sonne dans mon cortex.
L’infirmière arrive, c’est l’heure des piqûres, bien le bonsoir.
(à moins qu’il ne soit seulement 16h)

-maispastrop-

Première L

Mon dernier conseil de classe reste un souvenir assez vif.

Ca faisait quelques mois que les instituteurs, ils l'avaient mauvaise, ils nous supportaient plus, Raphaelle et moi.
C'était mon acolyte chérie. On faisait quasi tout ensemble, surtout les bêtises. Les bulletins ne relevaient plus nos heures d'absence mais nos heures de présence, c’était maigrichon et les commentaires étaient d'une clarté sans nom, ils ne prenaient d'ailleurs plus la peine de faire des phrases.
Ils avaient dû se passer le mot et avoir pris la sage décision de s’amuser un peu, à leur tour.
Y a pas de raison que ce soit toujours les mêmes.

Alors le prof d'anglais avait rempli la case d'un :
"who is Manon Troppo?"

La prof d'espagnol:
"..."

Le prof de Math -qui m'aimait bien en fait-:
"La tête à Toto" (que j'avais adoré)

La prof de français -la seule à m'avoir toujours défendue- :
"Cette Ophélie là ne se noiera pas et nous décrochera un prix littéraire dans les 5 ans" (j'avais embrassé le papier) (sauf que tiens, j'y pense, 5 ans ont passé, merde)

La prof de sport:
"Si passer son temps à fumer de la drogue sur les bancs du jardinet était un sport, Mlle Troppo remporterait la meilleure note"
(Ca m'avait fait un peu de peine, pas pour moi, pour elle, je sentais bien qu'elle avait tenté de faire de l’esprit, d'être piquante, détachée, qu’elle voulait se la jouer façon prof de français et c'était simplement... mauvais).

La prof de bio:
"Je n'ai rien à dire au sujet de cette élève, je ne l'ai jamais vue"
(qui m'avait fait bien rire parce qu'en effet, moi non plus, je ne l'avais jamais vue, et pour cause, elle venait jamais fumer de pétard sur les bancs du jardinet ou refaire le monde dans le café en face, la conne)

Le prof de théâtre: "Théâtrale". (Très bon ça, alors que je l'avais planté 1 mois avant la représentation)

On est allées au conseil de classe, Raphaelle et moi, en se demandant si on n'allait pas au bûcher. Mais, vaniteuses, on s'en fichait pas mal ; juste après, on avait prévu d'aller sur la péniche de ses parents et d'organiser une nouba de tous les diables, donc on était un peu pressées d'en finir avec ces vieux schnocks et toute cette mascarade.
Eux devaient trépigner à l’idée de pouvoir enfin nous cracher leur vermine, nous dire tout le futur qu’il ne nous prédisaient pas, nous imaginer junkies, paumées, seules à crever.
Je ne sais pas qui de nous ou d’eux étaient les plus impatients, mais je me souviens bien que quand je suis rentrée dans l’arène, j’ai eu la conviction profonde que César était de mon côté et que je n’allais faire qu’une bouchée de cette meute de loups séniles. C'était une adrénaline complice qui montait depuis le bas-ventre.

Moi, je n'ai rien dit de tout mon conseil. Je réfléchissais au terme « conseil de classe », jugeant qu’on n’y donnait jamais aucun conseils, justement. Je trouvais les petites peaux autour de mes ongles absolument passionnantes, et la vue par la fenêtre aussi, j’ai même attrapé le regard d’un voisin, au 2° étage en face, qui devait surveiller le défilés de cancres depuis le matin et se rappeler ses jeunes années. On s’est souri d’une façon qui m’a rendue triste sans que je comprenne vraiment pourquoi.
Les juges me posaient des questions de gardiens de la paix et je répondais par un vague haussement d'épaules.
Je leur ai finalement confessé qu'ils en savait manifestement bien plus que moi sur moi, que je ne pouvais décemment pas prétendre leur en apprendre davantage et que pour toutes informations supplémentaires, ils n'avaient qu'à demander à Me Lancereau (la prof de français). Je mettais la dite Lancereau dans une position inconfortable, mais elle aimait prendre des risques, c’était une prof de français, tout simplement.

Ils ont fini par me demander ce que je voulais faire dans la vie.
J'ai répondu "la vie"
La prof de sport a pesté dans sa barbe. Et ça n’est pas une manière de parler, quand je dis « barbe », c’est « barbe ».
Lancereau a ri.
Le prof de maths, pragmatique, a rajouté "qu'est ce que vous voulez faire dans la vie "qui rapporte de l'argent"?"
J'ai fait "Aaaaaaah! Alors, et bien …chef d'orchestre!"
Je sais pas pourquoi. Surement parce que j'avais l'impression de les mener à la baguette.
Sous les applaudissements, ou les tomates, je sais plus, je suis sortie et leur ai servi mon plus joli sourire, en m'attardant sur Lancereau que j'ai eu l'impression d'aimer plus fort que n'importe qui à ce moment précis.

Raphaelle, assise dans le hall, avait applaudi ma prestation.
Les vitres étaient floues, on ne pouvait pas vraiment voir les expressions consternées sur leurs visages, mais on entendait tout, et mon clin d’œil en sortant l’a fait frissonner. Elle me l’a dit, plus tard, sur la péniche, dans un élan d’amitié alcoolisé.

Elle était après moi dans l'alphabet, on avait un peu de temps pour manigancer.

A son tour, à la question "qu'est ce que vous voulez faire dans la vie", elle avait répondu sottement. Elle avait la réputation de coucher avec un peu tout le monde -et finalement c'était pas faux, mais uniquement avec des gens très brillants, et, c’est vrai, ils étaient nombreux- alors elle a dit "l'Amour".
Lancereau jubilait comme un cochon dans le fumier.
La proviseure commençait à en avoir marre, ses joues s’empourpraient. Comme elle était rousse, ça lui allait diablement mal.
Le prof de maths: "c'est vrai que ça peut rapporter pas mal d'argent"
Pas bête le con.
Mais Raphaelle : « Ah, non, pour gagner de l'argent, alors, je voudrais être un orchestre à moi toute seule » et puis elle avait hôché la tête d’une manière qui disait « oui, oui, exactement, et j’y arriverai, même que. ».

Devant la salle, on avait mis LE trublion du lycée- pâle copie de Kurt C.- et on l'avait fourni en cymbales –chipées en salle de musique-. Il était prévu qu'au mot "Orchestre", il frappe trois coups. Qu'est ce que ça pouvait lui faire, il savait déjà qu'il était renvoyé.

On avait tout prévu.
On était ravies.
Ravies ravies ravies.
Après on a fait notre petite party, sur la péniche.
Quelqu'un est tombé dans la Seine.
Raphaelle a couché avec un des pompiers.

Le résultat c’est que la proviseure nous a offert un avertissement chacune, à cause de la blague de l’orchestre et du chef qu’elle n’avait pas tellement digérée, et les profs, eux, s'étaient accordés à dire que j'avais le niveau pour passer en classe supérieure, oui, mais qu'à titre d'exemple, ils ne pouvaient pas me garder chez eux sans me faire redoubler, non. Que tous les autres élèves allaient se dire qu’on pouvait passer l’année à ne rien faire sans être pénalisé et ils m'invitaient donc à aller user mes fonds de culottes et mes culs de joints ailleurs.
L'année suivante, j'étais en internat.

J'ai moins fait la maligne quand j'ai vu les grilles du pensionnat et la taille des chambres.
L'avantage, c'est qu'il n'y avait pas de conseils de classes là bas.
Des têtes à têtes uniquement.

Qu'est ce que j'ai pris, fichtre.

Je ne sais pas du tout ce qu'est devenue Raphaelle.
Lancereau est morte il y a deux ans. Elle buvait trop. Je ne suis pas allée aux funérailles parce que j’ai oublié ou bien peut-être parce que j'aurais pleuré toutes les larmes de mon corps et que c'est un programme qui me fait rarement envie. Mais quand je passe devant un bar et que je vois un ivrogne déclamer du Camus, j’ai le cœur qui pique, ça tambourine et vite, vite, faut que je pense à autre chose. Alors je me mords la langue et les larmes retournent de là où elles viennent.

Sauf, là, tout de suite : elles mouillent mes genoux et coulent partout.
Ma langue, vite.
Oh et puis non.


-maispastrop-

Sales gosses

C'est l'heure

J’attends au comptoir tout en me demandant depuis combien de temps je n’ai pas été en avance à un rendez-vous. Assez vite, j’en arrive à la conclusion que c’est pas la peine de réfléchir trop longtemps, puisque c’est la première fois que je ne suis pas en retard à un rendez-vous. C’est sûrement la raison pour laquelle je réponds « jamais » à la question du serveur. Il écarquille ses yeux fatigués, cherchant quel genre de cocktail se fait surnommer « Jamais » quand je lui explique :
- Nan, excusez-moi, je disais « Jamais » parce que vous m’avez prise quand j’étais dans ma tête, au milieu d’une phrase que je formais là-dedans (je toque sur une de mes tempes), je me demandais si j’avais déjà été en avance à un rendez-vous, et je me répondais « jamais » quand vous m’avez demandé ce que je voulais boire, du coup j’ai mélangé tout ça…heu, vous voyez ?
- Vous avez donc rendez-vous.
- On a tous rendez-vous un jour ou l’autre, non ?
Il écarquille encore ses yeux déjà mal-en-point. /Quels cernes, il a, le pauvre. L’hôtellerie, quelle saloperie./
Faut que j’arrête de faire des grandes phrases en croyant qu’on y trouvera toute l’ironie que j’y mets. On ne la trouve pas, manifestement.
On va encore me prendre pour une romantique poétique un peu névrosée.
On va encore me prendre pour ce que je suis au moment précis où je ne le suis pas. Les choses tombent mal, ces derniers temps. Je me décide à interrompre ce ni queue ni tête.
- Une vodka sur les cailloux s’il vous plait.
Il ne peut pas écarquiller tout ça davantage, j’ai même un peu peur que les globes sortent des orbites, à force, et roulent sur le comptoir.
- Sur les cailloux, on the rocks, quoi. Vous saisissez ?
- Ah, comme en français ?
- Bon, le moins qu’on puisse dire c’est que vous et moi, ça commence pas fort, hein. Mettez-moi une vodka glaçons et on n’en parle plus.

Pendant cette éternité d’incompréhension, une gamine, une mioche pleine d’avenir, a trouvé le temps de vider mon sac par terre. Sa mère ne s’est rendue compte de rien, trop occupée, accrochée au téléphone, à savoir si son interlocuteur captait ; parce qu’elle, oui, ah non, attends, plus maintenant, ah ça y est…
Je me baisse à son niveau pendant qu’elle trifouille les pages sacrées de mon moleskine chéri, et je dis, avec un sourire que je veux tendre : « bah alors ? t’es une coquine toi ? bon, tu vas m’aider à tout ranger maintenant hein ? ». Je lui frotterais presque le crâne tellement je m’y crois.
Elle répond « nan » avec la voix la plus exaspérante que j’aie jamais entendue. Et elle tire la langue parce qu’elle n’est pas à un cliché près.
Je sens Cruella circuler dans mon sang à vive allure et commander à mon bras droit de filer une rouste olympique à cette morveuse, mais je sais aussi que le peuple me scalperait sur le champ si j’osais lever la main sur l’angelot.
Tant pis, je lui mets la raclée et j’attends, non sans une certaine impatience, que le choc se transforme en rictus, et que le rictus se transforme en soubresauts geignards.
Ah oui, non, pardon, je mens effrontément, la vérité c’est que je prends une gorgée de Bison bien fraîche et que j’inspire histoire de décontracter tous mes poumons, qui ne sont que deux, tout en maudissant la bienséance.

Je rassemble mes affaires, poussant son bras potelé que je trouve, malgré moi, appétissant, et je lui crache sans même la regarder « Tu as fait quelque chose qu’une fille intelligente et respectable n’aurait pas fait. Peut-être que tu es bête, je ne veux pas le savoir. Quoi qu’il en soit, je suis désolée de te dire que pour ce genre d’attitude, la punition est simple : ce soir, dans ton lit, attends toi à voir débarquer un loup, un monstre, un vampire et tous leurs copains, et ils te mangeront. Et avant, ils auront mangé ta maman, bien sûr. Et même qu’ils auront volé tes bonbons et tes… T’aimes bien les crayons de couleur ?»
Un mini oui sort de sa mini bouche.
-Ben ils auront cassé tes crayons aussi. (Na)

Ok. Du calme.
Je ne sais pas quel âge elle a, 6 ans peut-être. Et moi ?
J’ai un peu honte. Je rougis.

Silence.
Un couple rit, apparemment complice.
Une vieille peau grimace, indéniablement outrée.
J’aime pas beaucoup l’humanité aujourd’hui.
La petite retient sa respiration, on dirait qu’elle n’ose plus bouger ni vivre de peur de m’entendre encore prédire un futur pas très jojo.
« E- -u-e -oi », je dis.
Elle n’ose toujours pas dire un mot mais je vois dans ses yeux qu’elle n’a pas compris le sens du bruit que je viens de lui adresser et c’est somme toute assez logique vu que j’ai parlé en oubliant les consonnes. La fierté, ça fait souvent ça.
« Excuse-moi » je répète.

Elle déguerpit pendant que je referme le Moleskine sur lequel j’aperçois le mot « tendresse ».
Mon rendez-vous arrive pendant que je décide d’incarner le mot « tendresse » pour les années à venir, trop honteuse du coup de sang que je viens d’avoir.

L’heure qui suit, je regarde mon interlocuteur dans les yeux mais c’est pour me mieux me concentrer sur ce que je pense et, franchement, je ne sais absolument pas ce qu’il me racontait.
Pendant que sa bouche faisait « blabla tu vois blabla la conjoncture », je me demandais si dans son lit, l’affreuse mignonne allait trembler en attendant les méchants. Et si elle aurait, au préalable, essayé de trouver une cachette pour ses crayons. Elle demanderait sûrement à sa mère de dormir avec elle, je le ferais aussi si j’étais persuadée qu’elle serait mangée dans la nuit.
Je décidai de revenir le lendemain, à la même heure, pour me racheter, M. le curé.
Mais les furies n’étaient pas là.

Alors j’ai offert ma pochette-surprise à un adorable garnement, un truc d’un mètre 20 qui gambadait entre les tables en se prenant les pieds dans les lacets tout en demandant à n’importe qui si une baleine pouvait « véritablement » manger un bateau. Il insistait sur le mot « véritablement » parce qu’il l’avait sans doute appris le jour même.
D’après moi, ce beignet au chocolat n’était pas à l’abri de percer sur grand écran, dans les dix années à venir.
J’ai une nette préférence pour les enfants quand ils sont des garçons, pas la peine d’essayer de le cacher plus longtemps.
Il a attrapé la pochette comme si elle lui était due et même ça, ça m’a attendrie. A son âge, moi, je manipulais précautionneusement les emballages et le bolduc que je cachais ensuite dans des boîtes ultra-secrètes, grâce à l’idée géniale de me mettre sur les pointes de pieds et d’accéder au deuxième niveau d’une étagère, donc très très haut.
Elles me redonnaient du courage pour affronter la dure réalité de l’école maternelle. Lui, il déballait tout ce bazar avec impatience et rudesse. C’était chouette de le regarder faire.
Et une fois le butin dévoilé, il a sauté à toute berzingue sur mes joues qui n’attendaient que ça. C’était l’amour fou.

En repartant, j’ai fait le vœu que ce petiot rencontre l’affreuse de la veille, qu’ils tombent amoureux, et qu’ils partent sauver les singes en voie de disparition en Malaisie.

A peu de choses près, je croyais en l’avenir.


-maispastrop-

En pâmoison

L'époque à laquelle j'aurais voulu m'évanouir

Je n'arrive pas, je ne sais pas me restreindre à un seul et unique choix, et comme choisir c'est exclure, au restaurant j'évite toute la farandole des hésitations. « Je prendrai les deux plats du jour s'il vous plaît. Et s'il ne vous plaît pas. »

Entre Corpus Christi et Albuquerque, mon coeur balance et carambole.
Je ne pars plus.
Et puis j'ai bien trop de choses à tarabiscoter ici-bas à Paris.
Tout changer, par exemple.

Si j'avais pu, si on m'avait posé la question, j'aurais pris une décision pour une fois, et une malicieuse. J'aurais choisi de ne pas atterrir à cette époque. Aéroporc.
La goujaterie du hasard veut qu'on m'ait déposée n'importe où et n'importe quand. Parce que, pardon, mais c'est fichtrement désordonné tout autour et partout voire tout le monde. Et puis, surtout, après l'amour, il est d'augure de fumer une cigarette ; après une dispute, de claquer la porte ; après un choc, d'avancer son rendez-vous chez Monsieur notre psychanalyste.
Alors que, pour de bon, tout ce que je voudrais moi, c'est m'évanouir. Sentir la chamade de mon coeur et comme de la vitesse dans mes veines, rougir un petit peu, porter une main gantée à mon front pâlichon et, polissonne, prendre soin de disposer ma robe correctement avant de défaillir. Je tomberais au ralenti, la soie crisse et non pas les pneus. Autour de moi, un attroupement se forme gentiment. Des badauds, des pantois, des pimbêches évidemment, et le responsable, mufle de mon coeur, qui profite de l'embouteillage pour s'éclipser.

On me réveille grâce à quelques gouttes d'ammoniaque. Les couleurs reviennent sur mes pommettes. La vie reprend son cours de philo de pacotille, et je me jure de ne plus m'amouracher de types en toc.
Le voilà le dilemme : s'évanouir aujourd'hui ? Où, pourquoi et comment ? Nous sommes trop résistants et peu impressionnables. Du moins, nous voudrions le faire croire.
J'aurais voulu la jouer la comédie romantique, et jurer « toujours » et « jamais » dans la même phrase.
Balbutier quelques mots d'amour et bredouiller ou bégayer, peut-être, face à ses compliments. Susurrer deux-trois promesses, brinquebaler mes valises de Vienne à Bruges, de Bruges à Venise, puis babiller devant la chair de ma chair. La Place d'Italie ne suffit plus, les trottoirs sont des marécages et le métro, une mangrove impitoyable. La vue qu'on m'offre n'exalte aucunement mes rêves de grandeur et de grandiose ; les murs se resserrent, je rétrécis et bientôt je suffoque ; je hoquette même de fureur et me voilà ridicule. Au sens sale du terme. J'aurais voulu que l'époque des grandes robes et des faux culs n'en finisse plus.

Les faux culs sont toujours là, objecterez-vous.
Oui, dame, soit, mais pas cousus à mes hanches, simplement pendus au fil de mon téléphone.


En période de crise et de marasme, je farfouille dans mes vies antérieures avec l'espoir de me requinquer pour repartir d'un bon pied bon oeil dans les années 00, mais aucun souvenir n'est assez vivace pour y replonger. Pourtant, comme je m'y baignerais avec délectation. Quelques brasses dans les années folles, un petit fox-trot ; deux bonnes longueurs pendant la Révolution, ma soif de sang rassasiée ; plusieurs papillons à Versailles pendant la Régence « où l'on fit tout excepté pénitence ».
Et partout, m'évanouir. Toujours mieux, toujours plus. Davantage en aventures, j'aurais transmis mon savoir et exercé mon pouvoir. L'évanouissement serait aujourd'hui un art, raffiné et délicat, enseigné dans des écoles de poudre et de taffetas.
Tant pis.

Au diable les bonnes manières. Je m'insurge et, dès demain, je délaisse les insultes et les doigts d'honneur, pour enfin me consacrer à la douce chute de mes illusions dans vos caniveaux.
Voudriez-vous bien jouer le jeu s'il vous plaît ?
Et s'il ne vous plaît pas, je tombe quand même à vos genoux. Regardez, je râle et gémis. Mon jean crisse et freine toute circulation. Je porte une main manucurée à mon front, et espiègle, vous tire le clin d'oeil avant l'impact de mon crâne sur le bitume. Je vous maudis d'avoir bafoué l'honneur d'une femme, d'une mère, d'une pute, de Marilyn Monroe. Et si l'ammoniaque se fait rare, un peu d'eau écarlate fera l'affaire.

-maispastrop-

Artère et ventricule

En haut au fond du couloir à gauche

-Qu'est ce qu'il t'es arrivé aujourd'hui à l'école?
-J'ai eu une tachicardie d'amour.
-......... C'est à dire?
-Ben, c'est à dire:mon coeur est allé très vite à la vue de l'être aimé.
-...
-Joachim il s'apelle.
-.....
-Rien que de le dire, ça me rend tout chose.


Joachim, qu'est ce qu'il est devenu, lui, on se le demande. Encore un type lâché dans la nature que je ne reverrai jamais; il faudrait que beaucoup de dieux s'accordent, et puis quelques fées avec, pour que je retombe sur l'ancien tombeur de ces dames de l'école primaire.
Même pas sure d'en avoir vraiment envie, ça me ferait un effet miroir dont je doute un chouia; je ne suis pas complètement certaine que ce retour vers le passé me rassurerait sur le futur, puisqu'il faut être plus claire. Ca me rappellerait celle que j'étais, celle à qui aujourd'hui je mens un peu, et certains jours, dès le matin, avant le café. J'ai pas tenu toutes mes promesses vis à vis de cette gamine là, ça donne que j'ai pas hâte de la revoir avec sa moue et ses yeux réprobateurs.

La tachicardie d'amour, c'est quelque chose qui est resté. Depuis, je sais que ça s'écrit avec un "y": tachycardie. Comme si c'était pas assez compliqué comme ça, mettons y les lettres compte double pour brouiller les pistes. N'empêche, "y" ou pas, c'est resté. Ca me colle à la peau. Les amis de ma mère en ont fait ma signature, ils adorent, ils n'en peuvent plus, ils ressortent ça à n'importe quelle occasion, et, souvent mal à propos.
Et c'est le problème, ça fait un bail que ça a pas battu la chamade la-dedans. Si on compte pas la peur, parce que la peur ça fait la valse, si on compte pas le trop plein de cigarettes, qui fait le tango, qu'est ce qu'il reste?
Un jour je me suis dit, ok, faut y aller.
Je lui ai parlé, à mon coeur. Finalement, c'est le mien, on a quand même le droit de communiquer un peu entre nous-même. Je dis ça parce que je vous vois venir "elle parle à son coeur, ah bah d'accord". Oui, ben, oui. Pourquoi pas. On fait ce qu'on peut; et comme on peut.

Il a été assez réceptif, je m'attendais à plus de complications, je pensais "quand même c'est le coeur, un peu comme le roi, va falloir faire tout un char, il va se faire désirer", mais non, il était là, ouvert, à vif. Je crois même que si je m'aventurais à dire qu'il n'attendait que ça, je serais assez proche de la vérité. Mais je ne m'y aventure pas, parce que c'est pas le moment. J'ai la flemme de prendre des risques.

Et bah tiens, qu'est ce qu'il me dit, mon coeur?
De prendre des risques
Justement.
Je lui réponds que je ne veux pas le malmener.
Il fait "?" avec sa tête, je comprends qu' il comprend pas.
Alors, je précise.
Je dis que c'est quand même lui que je sollicite tout le temps, pour les moindres faits et gestes que je fais et même ceux que je ne fais pas. Je lui dis que non mais oui, c'est insensé, même si je fais rien, que je suis dans mon lit et que je m'imagine faire quelque chose d'assez dingo, un truc fort quoi, ça m'émoustille, et lui, il court pareil, il doit suivre le rythme dans ma tête, et c'est dément. Bref, je m'emballe.
Il me répond que je m'emballe. Et que ça le fatigue.
Je m'excuse.
Il me dit de ne pas m'excuser et de prendre des risques. Qu'il est là pour ça.

Ca m'énerve un peu alors je rétorque : "on tourne en rond avec ton histoire de risque (oui, je tutoie mon coeur), je prends des risques et ça devient risqué et toi, tu vas suivre comment? on est une équipe, je veux pas la jouer solo"
Il sourit à l'envers, comme De Niro. Ca me déconcentre un peu d'ailleurs, je pense à tous les films de Scorsese que je n'ai pas vus.
Je sens que j'ai touché quelque chose de sensible, le coeur du sujet, son talon d'achille. Il fume une clope. Il boit un verre de Médoc et puis il prononce: "Je suivrai comme je pourrai, tant que je pourrai. Tu ne peux pas savoir jusqu'à quand, ni comment, c'est précisément le risque que tu dois prendre. Donne moi un ultimatum."

J'ai un challenge, avec mon coeur. Il veut en voir de toutes les couleurs et je veux le lui offrir son arc en ciel. Il le mérite. Enfin, je veux dire, je lui dois bien ça. Il bat trop fort, il peine à assurer les 6 étages mais il veut sa tachycardie avec un "i", celle de quand j'étais petite.
Alors je la lui donnerai.
Dans un beau paquet, même s'il est fait à la va vite, haletante, je prendrai le temps de mettre les jolis rubans que les petites filles aiment tant et qu'elles oublient, à cause du temps.


-maispastrop-

P à P

Je m'amourache trop vite.

Si je savais d’où me vient cette facilité à m’enticher d’un visage en quelques secondes…
Une vieille que je laisse passer parce qu’on m’a dit, plus jeune, que c’était la moindre des politesses, et qui me remercie d’un regard plus frais que le mien. Voilà. Je l’aime.
Un petit qui soutient mon regard, sur la banquette d’en face, et qui finit par éclater de rire dans une gamme de sons tout à fait communicatifs. Ca y est. Je suis amoureuse.
Dans la file d’attente pour visiter un énième appartement, un jeune homme, une allure, une manière d’incliner la tête, une mèche de cheveux qui tombe sus ses yeux. Ca recommence.

Vu le monde agglutiné dans l’escalier, on était amenés à respirer le même air un bon bout de temps. La queue leu leu commençait au 1° étage jusqu’au 4°, faite d’une moyenne d’une personne par marche et d’une moyenne de 30 marches par étages. En gros, ça faisait beaucoup.
L’agent immobilier, pardon, le fils de pute, je veux dire, nous faisant rentrer au compte-gouttes, on montait 2 marches toutes les 15 minutes. Ma tête, une infime partie de ma tête, a vite fait de calculer, d’après l’espace qui nous séparait, combien de temps il nous restait, à lui et moi, pour nous observer à la dérobée et nous laisser nous déshabiller avec l’air de ceux qui ne mangent pas de ce pain-là.
Le reste de ma tête n’en foutait pas une. Il y avait 4 marches d’écart entre nous. Un truc non identifié qui ressemblait vaguement à un être humain de sexe masculin et une jeune fille. Sa jeune fille.
Elle a remarqué qu’on s’était remarqués, j’ai bien compris que ça ne la remplissait pas de joie et qu’elle essayait d’obstruer la vue entre nous, de boucher son horizon de moi et le mien de lui. Elle faisait ça plutôt discrètement, avec l’élégance des femmes résignées. En vain.
Elle était incroyable, sa jeune fille, d’une beauté fracassante : très brune avec des reflets roux vénitiens au bout de quelques mèches restées en été, dans le sel de la mer ; une bouche naturellement foncée et ourlée qui évoquait des images pas très catholiques ; des yeux aussi, deux, noirs comme tout, et un port de tête plutôt princier. La colonne droite, les mains fines et les jambes légères mais fermes.
Le bougre avait donc bon goût, voilà qui donnait de l’importance, de l’impact, aux œillades qu’il lançait en œillets.
Je les recevais d’abord par petits morceaux, avec une vague culpabilité mélangée à ce qu’on pourrait appeler de la solidarité féminine et qui me poussaient à vouloir couper court, face à la détresse que m’inspiraient le dos droit et digne de sa mie, ma collègue, ma sœur, ma semblable.
C’est ça, ouais…

Les gens n’en finissaient plus de se plaindre., chacun y allait de son petit gloussement et, à chaque avancée, c’était l’explosion de joie, on aurait cru à une troupe d’affamés qui voyait arriver un buffet de Marco Ferreri. Ca se détendait. Je crois même en avoir vu applaudir ou taper un petit pas de claquettes.
Nous 3, on s’en foutait pas mal. On restait sobres, pourtant enivrés, nous deux, l’un de l’autre, et elle, étourdie, saoulée sûrement, par le manège qui valsait sans son consentement.
Ca commençait à devenir gênant.
Ca commençait à devenir délicieux.
Comme il me regardait de long en large, de A à Z, avec son regard de travers, je regardais ce qu’il regardait ; par lui, je me découvrais : mes jambes, ma jupe qui fripait un peu à l’endroit de mes hanches et de ma chute de reins. Le tissu et ses yeux semblaient être d’accord pour s’attarder par ici. Mes mains, que j’ai tout à coup jugées indignes et trop agitées par l’émotion, et que j’ai donc fourrées bien au fond de mes poches. Et mes yeux, qui passaient de moi, mes mains, mes hanches, à lui, ses mains, ses yeux, qui à ce moment fuyaient sur une autre partie de moi ou qui allaient parfois se cacher par terre, dans un coin, plus vraiment cap’ de soutenir le regard.

Elle lui a pris le bras et il lui a souri. Mais pas comme à une femme à qui on veut offrir des robes hors de prix, proposer de partir à l’improviste sur l’autoroute, enlever les robes sans plus se soucier du prix qu’elles ont couté, servir les croissants et rester au lit.
Le genre de sourire qu’on sert, sans trop y penser, à une vieille amie qu’on souhaiterait moins triste sans se sentir concerné par son bonheur.

Ca me donne envie de pleurer à sa place. Non vraiment, je n’ai pas envie de savoir comment ça pourrait finir et de toute façon, je n’aurai pas cet appartement.
On dégage.
Mon désistement fait des heureux et un malheureux, que j’aperçois dans un dernier coup d’œil avant que la courbe de l’escalier ne le cache, et qui semble sur le point de dire quelque chose que je ne veux surtout pas entendre.



-maispastrop-

Lundi, 8h50, une semaine à l'horizon

Ce matin encore, le jour s’est levé. Si, si.

A croire qu’il ne se lassera jamais.
Un œil ouvert qui regarde l’heure, l’autre qui regarde le jour, et aucun des deux n’est franchement satisfait.
Ce matin encore, paraît qu’il faut que je me lève.
Pourtant, je prends dix bonnes minutes à traîner entre le sommeil et la vraie vie, plus emmitouflée que jamais dans ma meilleure amie la couette, à me demander qui a eu cette idée révoltante d’inventer la fonction « snooze » des réveils matin. Ou des réveils midi, peu importe. S’il me tombe sous la main, lui…
Plus possible, la fameuse panne d’oreiller, non, puisqu’il beugle, l’engin, jusqu’à ce que je cède et sorte un pied timide sur le sol toujours trop froid. J’éteins les infos parce que je ne suis pas du tout impatiente de savoir combien de gens sont morts depuis hier et je reste assise encore quelques temps sur un matelas qui ne veut pas me laisser partir.
Oui, mon matelas m’aime.

Il y a là un cap à passer, comme on dit. Un cap vicieux, vraiment, où ma tête, pourtant encore endormie, réussit à produire un nombre incroyable de raisons de rester au lit et alors, plus rien n’a d’importance : « 10 minutes de plus, ça va pas changer la face du monde », « de toutes façons, je resterai un peu plus tard ce soir », « j’ai qu’à dire que j’ai une migraine ophtalmique », « ils sont tous bien plus glandeurs que moi », « ce boulot ne sauve aucun nécessiteux ou aucune espèce en voie de disparition » ou carrément « rien à foutre, je démissionne ! ».
C’est finalement ça qui me réveille, Mr Snooze peut aller se rhabiller, il n’y a pas plus efficace que de réaliser qu’on est à deux doigts de devenir fou dans l’unique but de s’accorder dix petites minutes de plus de sommeil.
Soit.
Allons-y.
La dernière 1/2 heure ne m’a pas servi à dormir mais m’a beaucoup aidée à être en retard, merci bien. Voilà qu’après le coma matinal vient l’adrénaline salariale.
Pendant que mon bras droit mène le café à ma bouche, ma main gauche essaie de disperser équitablement quelques grammes de mascara sur mes yeux. Preuve que je dors encore, en bonne droitière, je devrais inverser les rôles.
Ma tête chaperonne tout ça, mi-figue mi-raisin, et anticipe sur les clés que ses yeux entrevoient, là, et qu’il ne faut pas oublier de glisser dans la poche.

Ca y est, la porte est claquée, l’ascenseur s’ouvre sur le facteur, toujours aussi souriant –mais comment fait-il, diantre ?- qui propose, comme d’habitude, de me donner mes paperasses de la main à la main. Comme hier et avant-hier, la bouche s’essaie au premier sourire de politesse de la journée et prononce de la manière la plus compréhensible possible « non, c’est gentil, tan pis pour le courrier, pas le temps, à demain ».
Et puis, c’est vrai, les cartes postales d’amis à l’autre bout du monde ou les factures à 3 chiffres, mieux vaut les lire le soir si on ne veut pas finir de s’achever définitivement le peu de motivation qu’il restait. Sans parler des lettres d’amour qui, soit dit en passant, donnent incroyablement envie de se remettre au lit. Allez savoir pourquoi.

Dehors vous êtes là, mes chers compatriotes, en route vers vos fiches de paie. Et vraiment, je m’attarde sur chacun de vous pour percer le mystère qui vous donne à vous une mine fraîche et dispose, quand moi, j’en suis encore à trébucher sur le trottoir, faire tomber les enfants qui passent et composer le numéro du patron sur ma carte Navigo pour lui dire que malgré ma migraine, j’ai réussi à avoir à un peu de retard.
Ou quelque chose dans le genre.

Pour toutes ces raisons, je vous le dis tout net, vous n’avez pas d’autres possibilités que de me laisser prendre une place assise, ma vieille. C’est comme ça et pas autrement. Vous, vous allez faire le marché pour nourrir petit Louis ce midi tandis que moi, je m’en vais chagriner pour votre retraite, alors ouste, je m’assieds et c’est tout. Vos larmes n’y pourront rien changer, regardez comme je dégaine mon livre sans aucun scrupule.

Chatelet, station maudite qui donne le tournis, accueille froidement d’autres travailleurs palots qui ont l’air de tenir à rentrer dans le wagon.
Mes yeux ont glissé sur lui comme sur un pan de mur de la station du métro, comme sur une pub qui proposerait un énième voyage ou un écran plat, avec la même habitude lassée. Et puis, sa banalité, son effrayante normalité ont retenu mon attention.

Cet homme sent la voiture de location, le neuf, le train dont les sièges viennent d’être installés. Ses cheveux sont de la même couleur que sa peau, difficile de savoir où commence l’un et où finit l’autre. Sa tenue est identique à toutes les tenues qu’on ne prend jamais la peine de décrire.
J’ai regardé chaque centimètre, sans me préoccuper de savoir si je le gênais ou non, avec mes yeux scanner ; j’ai analysé la moindre parcelle de peau apparente.
Ses mains, je m’y suis attardée.
Parce que ses ongles étaient parfaits, absolument : tous de la même longueur et propres comme s’ils sortaient du bain, aucune peau désordonnée, aucune rougeur, pas de petites blessures, rien, zéro vécu. Des mains qui venaient de naître et qui me sont apparues, d’un coup, exposées et vulnérables.
Comment les rendait-il aussi présentables ?
Il a bien fallu qu’on s’occupe d’elles, qu’on les chouchoute, qu’un ordre amène celle de droite à bichonner celle de gauche.
Alors j’ai imaginé cet homme, le plus fade du monde, s’installer sur un canapé nickel et poser sur la table basse brillante de propreté un kit d’accessoires de manucure.
Commençant par la main gauche, il pousse les cuticules, ramasse les petites peaux une par une et les jette dans un sac prévu à cet effet, il lime et lisse et tend l’objet au bout de son bras pour y poser un regard satisfait du travail bien fait. La courbe de l’ongle est aussi importante pour lui que les 20 minutes de sommeil pour moi, ce matin.
C’est là qu’il a pris vie, à mes yeux, qu’il est devenu quelqu’un, original, fou peut-être, au milieu des autres.
Et enfin, j’ai pu reprendre ma lecture et n’en avoir plus rien à foutre.

-maispastrop-

A mort les mourants !

Aujourd'hui, c'est le jour de la solidarité.

Solidarité "de quoi", j'ai tout de suite pensé; alors qu'il aurait été plus correct de me demander "envers qui?"
-"Les vieux" a répondu celui qui me donne un chèque à la fin du mois en échange des services bons et loyaux que je lui sers.
Les vieux, soit, les vieux; mais c'est quel âge, vieux? C'est quand on ne travaille plus et qu'on a une longue et douloureuse maladie? Quand la vie vit sans nous et que tout ce qu'il nous reste à compter c'est le nombre de médocs à s'envoyer pour que le coeur continue d'y croire?
Les vieux, donc.

Le principe est simple à pleurer:
des vieux, on en a perdu un petit paquet pendant la canicule de je ne sais plus quelle année. Je dis "on" alors que personnellement je n'ai perdu personne et que généralement, je ne suis pas patriotique pour un sou. Mais c'est comme ça qu'ils disent, "on a perdu beaucoup de vieux cet été là" avec la tête de celui qui est affligé, parce que bon, c'est affligeant. La France s'est appauvrie d'un nombre conséquent d'octogénaires.
La chaleur étouffante a révélé la solitude de la chambre noire, les vieillards crevaient de soif dans leurs coins pendant que les enfants emmenaient les petits enfants barboter sur les bords de Marne. Flic Flac.
La culpabilité, ah ça on sait faire. Judéo chrétien de mes deux.
Faisons passer le chapeau à la fin de la messe "pour la musique". Enfin, "pour les fidèles" ou un truc dans le genre, on connaît la chanson.

J'ai appris l'existence de cette réforme le jour où la réforme était appliquée. Et je l'ai pris un peu comme si on m'attrapait par le col et qu'on me lançait quelque part devant un mur, et que pile à ce moment là je me serais dit "ah, là, l'expression 'au pied du mur' prend tout sa forme".
Le temps pendant lequel je vais travailler avec autant de conscience et d'adresse que d'habitude ne me sera pas payé. Il ira dans la poche des mourants.
Comme on est incapables de leur donner de l'amour, autant leur donner du flouze, à la manière des parents dépassés et trop occupés qui acceptent d'acheter les choses les plus chères au rejeton qu'ils ne connaissent même plus.

D'accords, je dis, très bien, ok, soit, amen.

Seulement, si on m'avait demandé mon avis, -ce qu'on s'est bien gardé de faire- je n'aurais pas travaillé, j'aurais donné l'équivalent de ma journée de salaire aux nécessiteux de mon choix, et il se trouve que, merde, mon choix ne se porte pas sur les vieux. La journée aurait été fériée, c'est ça que j'aurais décidé et je parie que beaucoup seraient alors allés jusqu'aux maisons de retraites visiter mamie et écouter pour la x° fois l'histoire du mariage ou de la naissance.
Au lieu de ça je trime. Et je broie du mauvais café noir.


Le lendemain.

-Allo?
-Oui.... <- ici, on dit normalement ce qui définit la personne qu'on appelle, même s'il y a 90% de chances que ce soit bien elle, c'est comme ça, on s'en assure d'un "Oui, Jean?", "Oui, papa?", "Oui, chéri?", "Oui, Mr Tourlet?"
Au lieu de quoi, forte de mon refus à considérer cette femme comme ma grand-mère ou, pire, comme ma mamie, je passe directement à la suite:
-Allo?
-Oui (bref), c'est Manon.
- ... <- Ici, on sert normalement quelque chose comme "ça va?" ou "oh, comme ça me fait plaisir de t'entendre" ou encore "ma petite puce, je pensais justement à toi".
Oui, parce que les grand parents, quand on les appelle, ils pensent toujours justement à nous. A croire qu'ils n'ont que ça à faire. Ca et s'hydrater aussi.
Au lieu de quoi elle enchaîne directement sur la suite:
-Allo?
-Oui (bref), c'est Manon
-... (bref) Que se passe-t-il, tu veux quelque chose?

Très bien, on est sur la même longueur d'onde, on va pas se lancer des petits noms d'amour alors qu'on peut pas se voir, allons à l'essentiel. Oui, je veux quelque chose, je te veux quelque chose. Je t'en veux de quelques choses.
-Rends moi mon argent.
-... Quel argent? De quoi tu parles?
-L'argent des vieux, là, la solidarité tout ça, rends-le moi.
-Mais, enfin, Manon...
-Je veux le donner à quelqu'un d'autre. Tu n'en n'as pas besoin. Je veux pas te le donner à toi. Rends-le moi.

Je comprends maintenant qu'elle ne savait absolument pas de quoi je parlais. Son compte avec beaucoup de zéros ne lui avait pas permis de s'attarder sur ce virement du 8 mai de 50 €.
Elle m'a demandé la somme qu'elle me "devait" et où l'envoyer.
Le chèque est arrivé ce matin.
Sur le papier, son écriture, tremblante, comme si elle l'avait écrit sous la menace, après un choc, m'a rappelé qu'elle l'était, vieille. Seule aussi.
Oui mais elle, elle a la clim' dans son 90 m2 et une aide soignante qui lui apporte tout ce dont elle a besoin et le reste même, sur un plateau d'or. Merde, judéo-chrétienne ou pas, y' a pas de culpabilité qui vaille, là.

J'avais proposé de passer chez elle pour récupérer mon dû; elle a prétexté qu'elle n'avait pas le temps, alors que, précisément, le temps, c'est à peu près tout ce qu'elle a, peut-être plus pour très longtemps mais d'ici là, ses journées s'écoulent entre les choses qu'elles n'a pas a faire, les choses déjà faites par d'autres, et les mots croisés.
Si je tenais à lui rendre visite, c'était tout à fait intéressé. Je le confesse. Déjà que je passe pour une petite fille ingrate qui n'aime pas sa grand-mère et une citoyenne malpropre qui n'aime pas ses vieux, je ne suis pas à ça prêt. Intéressée donc, oui da.
Je voulais vérifier quelque chose dans son appartement, quelque chose qui m'avait marquée à l'époque de mes 10 ans où je m'ennuyais sur le canapé pendait qu'elle remplissait "horizontalement : répudiée de Napoléon"

Une photo, un portrait d'elle, un truc comme on n'en fait plus, un vrai cliché en noir et blanc, sourire guindé, avec la signature d'une écriture forcément italique du pauvre type condamné à éterniser des rictus en 3 par 4 et des 3/4 de fierté de jeune mariée. Le Tourte et Petititin des jeunes pucelles.
Je me rappelle m'être dit "le sépia vient de ceux qui ont regardé le noir et blanc vieillir".
Le sépia sonne doucement à mon oreille, comme un noir trop noir et un blanc trop fort qui auraient fait des concessions pour enfin s'entendre et offrir aux autres un tableau plus uniforme, plus chaleureux.

Cette femme-là est devenue absolument sombre, lugubre, éblouissante. D'une méchanceté qui fait mal derrière les yeux. Une migraine dont on ne se remet pas facilement.
Sur cette photo, le temps s'est arrêté sur la mère de mon père; elle a 25 ans à tout casser, et, en effet, elle casse tout. D'une beauté panoramique, elle remplit le cadre trop petit pour autant de lumière, de gauche à droite elle envahit l'espace d'un sourire mi-figue mi-catin, ses longs cils soulignent le regard de celle qui sait qu'elle plait. Une tranquillité assassine se dégage du cadre. Ca pique.

Là, sur le papier vieilli, elle le sait qu'elle n'aura jamais à abîmer ses mains en faisant la vaisselle, qu'elle mangera des plats qu'on lui aura cuisinés, les pieds sous la table, les jambes écartées. L'impassibilité bourgeoise. Le calme évident. Cette confiance insolente. Un charme fou.
Et il y a pourtant déjà tout ce qui la rend laide aujourd'hui. Le front attend la ride du mépris, la bouche est toute prête pour la moue médisante qu'elle revêt même pour dire des politesses. Les sourcils commencent leurs dessins meurtriers, ceux qui superviseront les regards condescendants qu'elle adressera à tout ce qui daigne vivre.

Cette photo restera pour moi le symbole du jour charnière: en sortant de chez le portraitiste, elle avait déjà mis le pied du mauvais côté du trottoir, elle était déjà et pour toujours la salope d'aujourd'hui, laissant derrière la gueule d'ange prometteuse.
Cette femme me fait froid dans le dos. J'aurais peut-être pu l'aimer, si j'avais été moins lucide, peut-être oui, avec cette tendresse aveugle et confiante qu'on offre la bouche en coeur à ceux du même sang.
L'amour filial, mon cul.
Quand elle mourra, ça sera toujours ça de moins à critiquer.


-maispastrop-

Quel jour sommes nous? Et d'ailleurs, qui sommes-nous aujourd'hui?

Vers midi, à Paris

La porte cochère, dans un claquement métallique, a fait sursauter ce qu’il me restait de réflexes.
Je suis dehors, je crois. Il fait froid, on dirait. J’ai envie de demander « qui êtes-vous ? » à tout le monde.
Je ne comprends pas trop ce qu’il se passe ; autour, ça gigote, il semble se tramer quelque chose de capital, les passants passent, tous avec le même affolement affolé et j’imagine que je devrais être au courant, m’inquiéter peut-être ; comme ça n’est pas tout à fait le cas, je me sens piteuse à cause de la charge de la société, mais je mets un point d’honneur à ce que ça ne se voie pas.
Je regarde ma montre pour me donner une contenance et me remettre dans le bain, mais je n’ai pas de montre. Ni de bain, tiens. Je décide de fumer une cigarette, du coup. Pour avoir un peu de contenu.
Non plus. Zut. Un sac aussi vide que ma tête.
Bon.

Je suis de celles qui suivent « l’actualité » mais je ne suis pas au courant de la raison pour laquelle la ville fait l’effervescente ce matin. Je ne sais pas. Et je devrais, oui, indéniablement. En toute honnêteté, j’ai un mot d’excuse, signé à la transpiration et aux baisers dans la nuque : je sors d’une nuit de plusieurs jours, voilà. Si on me posait la question, je répondrais que c’est passé trop vite. Tout ce qui passe trop vite mérite qu’on s’y attarde, qu’on prenne le temps.
Le temps, je l’ai pris.
Je l’ai volé même, hop-là.
Et puis, par malchance, ou par habitude, j’ai rallumé l’appareil qui sert à être joignable à n’importe quelle heure pour se dire n’importe quoi. Tout habitué qu’on est d’avoir nos contacts à portée d’appel à tout moment, il suffit de 12 heures de répondeur pour que les proches et la famille alertent les services secrets de notre étrange disparition.
J’aurais jamais du remettre cette fichue technologie en route, les messages croulent, le ton va crescendo, ça finit en pleurs et cris de désespoir ; l’idée de devoir rappeler tous ces gens qui m’aiment, les uns après les autres, pour leur annoncer que je suis toujours vivante me donne envie, en ordre chronologique, de :
- poser cet Ericsson sur un support costaud
- trouver un objet qui répondrait, par exemple, au nom de Marteau
- faire avec cet objet et cet Ericsson ce qui semble évident d’après ce que je viens de raconter si tant est que vous ayez un peu suivi
- enfin, retourner d’où je viens et je ne vous dirai pas où c’est, d’ailleurs.

Mais je ne pouvais plus faire comme si je ne savais pas et déjà la pression faisait son petit effet à la con, alors j’ai rangé mon portable et me suis rhabillée. Il a fallu que la vie normale me rattrape, que je ré-intégre les habitudes des honnêtes gens, ceux qui se nourrissent 3 fois par jour et ont pris un crédit sur 7 ans. Me voilà d’un coup d’un seul catapultée dans la rue, au milieu d’êtres humains qui ont voté pour quelqu’un en qui ils croyaient.
Autant dire des ovnis.
(Entre parenthèses, j’avais toujours autant envie de demander à n’importe quel zazou « qui êtes-vous ? ». Je le ferai, un jour)
Les journaux annonçaient « Trucmuche, notre nouveau président » pendant que j’essayais de savoir quel jour on était et où j’habitais.

« Notre président » ?
Parlez pour vous.
Mon président à moi dort encore, je le sais, le l’ai regardé rêver et ses yeux tintinnabulaient sous les songes bizarres que son inconscient ordonnait quand j’ai refermé la porte, en douceur, soucieuse de ne pas le sortir d’un repos de guerrier plus que mérité.

Mais , alors qu’elle aurait du s’arrêter sur mon bonheur, la vie continue ses petites affaires. Je m’aventure à demander mon chemin au bonhomme qui tient le kiosque alors qu’on sait tous que les bonshommes qui tiennent les kiosques ont en horreur les jeunes filles qui cherchent leur chemin. Je prends des risques, quoi. M’en fous, je suis intouchable, inébranlable, consolidée par une pause espace-temps au milieu du fourbi, une pause pendant laquelle j’ai vécu 6 petites morts et atteint le 7° ciel ou une énième vie de chat. Un truc fou, en somme. Ca fait que je suis toute prête à affronter les bougons dans son genre.
Je ne croyais pas sourire en posant la question, vraiment, je pourrais le jurer, j’ai demandé comment trouver ma rue sans étendre mes lèvres, de parts et d’autres. Pourtant, il me répond avec une extension de bouche. Son sourire me fait sourire. On a l’air fin. Avoir l’air fin nous fait sourire aussi. On a encore plus l’air fin, on sourit encore plus. Ca n’en finit plus.
Il me dit « vous prenez le première à gauche, ensuite vous longez le boulevard, et là, vous regrettez d’avoir refusé mon invitation à déjeuner. Du coup, vous remontez le boulevard en sens inverse, vous revenez et on va déjeuner ensemble pour que vous me racontiez ce qui peut rendre aussi heureux. »

Heu.
Je pense « heu ».

….

Ok.
Je dis « ok ».

-maispastrop-

La paume en deux

Je vais avoir une quatrième ligne de la main.

Après la ligne de vie, la ligne d'amour et celle de chance, j'accueille la ligne Marilyn Monroe.
Bienvenue!
Elle n'en avait pas, dans sa main gauche, sa paume était vierge complètement, lisse comme sa peau du cul et déconcertante pour les liseuses d'à venir.
Quoi de plus naturel que de me sacrifier pour lui en consacrer une.
Je ne pourrai plus non plus consulter Mesdames Irma et Soleil pour qu'elles m'annoncent les bonnes aventures qui m'attendent. Toutes ces lignes coupées par une cicatrice incruste et 6 points de couture.


J'irai de surprise en surprise.
Les médecins donnent dans" l'inflammation de la gaine palmaire au niveau du troisième espace" pendant qu'un interne nonchalant rentre dans ma chair pour enlever les petits bouts de fil qui reliaient un continent à l'autre.
Ca fait couic et un peu aie. En même temps, c'est ... presque agréable.
Les deux parties séparées, la chair encore à vif, le rose de l'intérieur et le blanc de mes joues, je décide de ne pas tourner de l'oeil cette fois. Je me concentre sur l'odeur de vieux, de médocs, de propre, sur les infirmières qui s'affairent à vaseliner tout ça et une autre bonne femme qui prolonge éternellement mon arrêt maladie.
Je ne suis pas malade, pourtant. Je suis même plutôt en forme, requinquée par un mois d'oisiveté totale, à flâner dans la ville quand tous les autres gagnent l'Argent, à lire quand ils mangent, à oublier de manger, à danser dans les sous-sols quand tout le monde dort, à dormir quand personne n'ose.

Je ne peux plus me permettre le double majeur, ce qui était souvent utile passé une certaine heure, quand les souris dégrisent et que les matous veulent de la chair fraîche alors qu'aucune de ces compagnies ne me tente.
Le geste était limpide, clair, sans équivoque.
Mais un chien armé jusqu'aux mâchoires a gardé un petit bout, un infime petit bout de nerf, dans sa gueule.
Ses potes ont du lui dire " t'as un peu de steak entre les dents, là " et il l'a sûrement craché, comme ça, avec le persil, dans le caniveau, avant son rendez vous galant.
C'est ce petit bout là qui peine à revenir.


La ligne Rotweiler en main j'ai plus peur de rien.
L'aventure commence au pied du doigt d'honneur.

-maispastrop-
Après le front, la main. Anatomie abîmée.

J'avais... je ne sais pas quel âge j'avais. Pourtant c'est bien, ça, de donner des infos de dates, de lieu ; les gens s'identifient il paraît.
Bon.
J'avais cet âge-là: celui auquel ce genre de choses ne nous bouleverse pas plus que ça.
C'était sur une nationale clichée qui devait nous mener vers un Sud évident, jusque là, tout était appétissant.
Et puis, au volant, il y avait mon géniteur, mon père, le sosie de Willem Dafoe. Mais il a son permis de toute façon. Tout ça n'a rien à voir avec le cinéma. Je dis ça pour vous situer le personnage physiquement, ce qui n'a aucun incidence sur les faits, sur l'incident en fait.
C'est pas pour en faire du 24 images par secondes.
Sinon que l'accident a eu lieu au ralenti dans ses yeux derrière ses lunettes.

Un couple un peu titubant pédalait tant bien que mal, je ne sais pas où ils comptaient aller à ce rythme, sûrement trouver une meule de foin où se chanter un beau roman et commencer une belle histoire, au bord du chemin. Qu'est ce que j'en sais.
Le fait est qu'ils avaient fêté ça à l'absinthe (au moins) et qu'ils roulaient comme des barriques. On se serait cru en Pologne.
Après c'est allé très vite.
(il faut toujours dire "après c'est allé très vite", ça met dans le feu de l'action et ça évite de narrer tous les petits détails irracontables)

Willem Dafoe a du freiner très fort et moi voler très loin: j'ai bondi de la banquette arrière jusqu'au pare brise, et comme je suis du genre fonceuse, j'ai traversé le pare brise tant qu'à faire, et j'ai atterri sur la ligne qui autorise à doubler.
Est ce qu'on a aussi le droit de s'y ouvrir le front et d'avoir du sang qui coule dans les yeux?

Ca vous fait une belle jambe.
Ca me fait une belle cicatrice.
Je dis "belle cicatrice" pour l'expression, parce qu'en vrai, c'est pas précisément joli.
Un amoureux du lycée croyait même que c'était une sorte de bouton bizarre. Mais c'était quand même mon amoureux, je tiens à le préciser pour ne pas trop me dévaloriser. Je suis pas là pour ça.



J'ai toujours écouté les yeux écarquillés les histoires d'accidents et de cicatrices que se racontaient mes amis autour d'un whisky et d'un bras de fer, dans les années 60, aux Etats-Unis, au Drive-in. Je me disais que, malheureusement, moi, je ne participerai jamais à ces surenchères de balafres et de bastons, que c'était du tout cuit, puisque tout ce que j'avais pour crâner, c'était un peu de peau lisse qui voulait pas bronzer sur le front, alors bon, je la ramenais pas trop.

Et puis, la main de dieu a décidé que je pourrai jouer dans la cour des grands et des costauds.
Parfait pour moi, avec mon mètre 64.

Dans une impasse de Paris, j'ai vu un chien genre molosse colossal: le muscle saillant, l'oeil vif, les dents aiguisées qui clinquent, et un rictus qui disait qu'il était pas là pour plaisanter. Mais j'ai grandi avec deux Rotweilers, Maxim's et Fouquet's, ils étaient conciliants comme des Yorkshires, c'était la belle vie, on se roulait dans l'herbe. (Ca aussi c'est une expression pour vous communiquer le niveau d'intimité qu'on avait atteint). Ca m'a habituée à une tendresse canine que je considérais manifestement comme acquise.


Je le vois, je le veux, je l'approche, je lui sers du 'pstt pstt', du petit bruit réservé aux animaux de compagnie, ce qui l'a manifestement contrarié. Et pour cause, lui, c'était pas un animal de compagnie, c'était une arme de défense. Chargée.
Oui, vous savez, ces chiens élevés dans des cages, qu'on affame et à qui on casse la gueule jusqu'à ce qu'ils comprennent que tout ce qui ressemble à un truc avec deux jambes et deux bras mérite l'attaque. Et là, quand on est certain qu'ils ont compris, "champagne", on leur donne une mini saucisse cocktail pour fêter ça.
Voilà, lui, exactement, je l'ai abordé tout sourire, la bouche en coeur, sur mes 7 centimètres de talons, parce que deux verres d'alcool blanc m'ont fait oublier qu'en 2007, on éduquait des animaux pour se protéger des gens, contrairement au moyen âge. Où c'était l'inverse.
Je ne dis pas ça pour prouver que j'ai des connaissances en histoire, je dis ça parce que, vraiment ça me choque, au fond. Et que j'ai assez de connaissances pour les étaler sans me sentir exhibo. (Sauf en histoire, justement)

Alors il a fait son boulot.
Et encore, il n'a pas poussé trop loin. J'entends par là qu'il aurait pu se servir mon bras en entier -qui est assez appétissant soit dit en passant- et ne pas s'arrêter à un simple coup de croc dans la paume, là où on demande de déposer l'aumone.
Merci mon bon monsieur, je n'en attendais pas tant de cette quête-là.
Forte de l'alcool et de mes principes moyen-ageux, je minimise l'affaire. "C'est rien du tout" je me dis. "Ca va passer" je me répète.
Mais mauviette comme pas deux, dès que je vois la plaie et le rouge de l'intérieur de moi à vif, mes yeux tournent, ma peau blanchit, mon souffle court et mon corps tombe.
Peut-être que des gens me rattrapent. Peut-être pas. Pendant ces 10 secondes qui durent une vie, j'ai rêvé de gens souriants, de chiens édentés et de mains gantées à gogo; l'évanouissement, c'est ce qui m'a donné envie d'essayer l'opium. C'est assez intéressant.
En fait, c'est complètement génial pour être honnête.
Voilà pourquoi, au réveil, j'ai voulu remettre ça ; une deuxième tournée pour la petite dame.
C'est moi qui offre. (qui d'autre?)

Là, tout est allé très vite.
Enfin, vous savez.
L'ami qui nous met le bras sur l'épaule et hèle un taxi avec la main qui lui reste.
L'hôpital qui s'obstine à éclairer sa salle d'attente comme si on était station Montparnasse.
L'interne qui décide qu'il faut passer au bloc opératoire.
L'infirmier qui fait la liste de tout ce que vous possédez, et moi qui pense "bah, pas grand-chose, mais au moins un ami endurant qui supporte toute cette mascarade". Il l'a pas noté sur le papier, ça, il a écrit "2 chaussures", "une jupe", "un parapluie" tout ça, mais il pas spécifié "un ami génial".


Et puis, ensuite, tout est passé très lentement.
L'aiguille nécessaire à la transfusion a pris son temps pour percer ma peau et atteindre la veine, ma vie a défilé alors c'est que ça a duré au moins 25 ans. Ce qui est assez long pour une simple transfusion, en 2007 à Paris. Je dis ça alors que je n'ai aucune connaissance du monde médical, mais je crois que j'ai raison quand même. Si ça prenait autant de temps à chaque fois, on le saurait, je parie qu'il y aurait des manifs et que ça ferait le 20h.
C'était dégoûtant tout ce rouge, tout ce moi, j'aurais pu, mais non, plus question de m'évanouir. Le décor n'était plus propice.

Bloc opératoire.
Electro minimale cardiogramme baile funk.
Anesthésie.
Rock 'n roll.
Opération.
Morphine.
Velvet Underground.
Infirmiers.
Girls Just Wanna Have fun.

A la fin de l'été, on me déclare inapte au travail.
Il y a écrit "30 jours" sur l'arrêt maladie. Depuis que j'ai commencé à gagner de l'argent, je n'ai jamais arrêté de travailler aussi longtemps. Depuis que j'ai gagné de l'argent, je n'ai jamais voulu en gagner moins. Mais le médecin interne l'a dit sur un ton qui interdisait toute objection, et puis dans l'état où j'étais, mes arguments sonnaient comme des babillages "argh humpf mais pfouh".
Comme un bébé, ils m'ont brancardée jusqu'à mon lit. Ils ont vérifié que je n'avais pas froid et ils m'ont bordée, ils ont assaisonné le tout de blagues censées me redonner le sourire. Peut-être était-ce la morphine, quoi qu'il en soit, mes yeux se sont mouillés de se rappeler que la dernière fois qu'on avait rabattu la couette sous mes pieds, c'était des mains de l'homme de ma vie, et que cette vie ayant dérapé, l'homme avait glissé avec.
Les brancardiers ont un peu pleuré avec moi, je voyais que le blanc qui entourait la noisette de leurs pupilles s'embourbait, les vaisseaux devenaient pourpres, ça m'émouvait encore plus. Et puis, que je sois émue de leur émotion, ça les chamboulait, bref, ça n'en finissait plus. On n'était pas vraiment tristes, vous savez des fois on pleure de la tristesse d'avant alors qu'aujourd'hui, ça peut aller et que si on devait remplir un questionnaire en toute honnêteté, à la question "êtes-vous triste", on hésiterait pas longtemps entre:
-non
-pas trop
-pourquoi pas
- jamais de la vie
et
- pourquoi faire ?
On cocherait "ne se prononce pas" comme tout le monde.
Preuve qu'on est vachement heureux.
On se lavait simplement ensemble de la crasse accumulée chacun de notre bas côté.
Je leur ai dit qu'ils étaient profondément bons, bons comme du bon pain, (ça m'a donné faim de dire ça) parce qu'ils devaient en voir de toutes les couleurs, des bien pires que moi, et qu'ils s'attendrissaient quand même sur mon cas. Mon tout petit cas d'un mètre 64.
J'ai même prononcé "des vertes et des pas pures", ce qui les a fait sourire au milieu des larmes rondes et dessinées au scalpel. C'est d'ailleurs assez mémorable de voir des brancardiers sourire alors qu'ils pleurent alors qu'on ne sait pas pourquoi ils pleurent et qu'on ne comprend pas qu'on arrive à les faire sourire dans tout ce bordel.

Les brancardiers sont les sauveurs de l'humanité.
C'est ce sur quoi je me suis endormie.
Parfois je me réveillais. Mon corps me réveillait parce que mon bras anesthésié tombait et ça me faisait un choc, je sursautais : "qui est ce quoi pourquoi diantalvic comment où morphine" alors que c'était rien qu’une partie de moi. Je ramenais le membre étranger vers mon coeur, finalement, il faisait partie de moi, il avait droit à sa part de tendresse. On essayait de dormir ensemble, en bonne intelligence. Mais la vérité c'est qu'il m'a pourri ma nuit d'hospitalisation. Aujourd'hui, je ne lui en veux plus, nous nous sommes réconciliés pour la bonne raison qu'il m'est d'une utilité incomparable et que je ne peux pas lui en vouloir longtemps, à cause de ça.

Quand je me suis réveillée à 8 heures du matin, la première chose à laquelle j'ai pensé, c'est que, Wouhou, ça faisait un bail que je ne m'étais pas éveillée aussi tôt spontanément. Je veux dire, avant midi, sans réveil, ça vous arrive souvent ?
Et puis, j'ai compris que c'était pas une nouvelle vie, pas comme si ce séjour à l'hopital avait fait de moi une matinale, non, que c'était juste à cause de la douleur et de mon bras qui se remettait à vivre, tout ça. C'était juste mon corps, pas ma tête.
Du coup, vu que le petit-déjeuner était super petit, je me suis sentie déprimée. Dans ma tête.
Mais vraiment schlass quoi.
Je savais très bien que j’ avais pas le droit de sortir et encore moins de fumer des cigarettes, ça tombait assez mal parce que c'était les deux choses qui me faisaient le plus envie. Dans mon corps.
C'est ce que j'ai fait.
Je me débrouille toujours bien -trop bien je trouve- pour les interdits.
J'ai évité l'accueil en rampant. Je me disais "qu'est ce que je ferais pas pour un clope" et ça me rendait presque fière alors que j'étais entourée de médecins. Et que si ces types là pouvaient lire dans ma tête, clairement, ils m'auraient enfermée pour "cancer volontaire et mérité". Pfff, même ça, ça me faisait rire.
Je suis sortie, dehors il faisait un jour que j'avais pas vu depuis un bail: un jour rempli de gens pressés mais habitués, dont les mollets lancent spontanément le rythme élevé, de cafés qui ouvrent et de rues qui se font une beauté. Je croyais que Paris, c'était des gens qui avaient le temps de le perdre, des bars qui ferment trop tôt et des rues qu'on salit trop fort. Je voyais la ville comme je la ratais toujours à une heure près: entre 6 et 7 heures, la planète change de costume et de personnages. Dans les coulisses, je buvais du petit lait.
J'ai demandé une cigarette à un type qui passait là, entre 6 et 7, je lui ai demandé comme s'il était évident qu'il allait me la donner, sans le regarder, comme si on avait passé la soirée ensemble et qu'on n’était pas à ça près. Il me l'a donnée sans broncher, a même tendu son zippo, là. C'était plutôt gentil, mais il fallait absolument que ce soit mes deux mains qui soient les maîtresses de la situation: allumée par une autre, la blonde américaine aurait été moins bonne.
Et c'est une phrase qui vaut aussi en boite de nuit.
Ca explique que j'ai repoussé son poignet, toujours sans lui regarder le coin de la gueule, toujours en en ayant rien à clamper; il comptait vraiment pas dans le déroulement de l'histoire, et j'ai tourné la pierre avec ma patte folle en écoutant le gaz chanter. C'était presque le mois d'aout.
Je ne reviendrai pas sur la sensation du goudron qui salit sensuellement l'intérieur, mais je dirais juste que je revenais à la vie: je suis toujours là. Pourtant on me lançait des regards de biais, voire frontaux. Qu'est ce que c'est que cette fille en mini-jupe, le bras ballant, la main bandée, les yeux coulants, les talons perchés, assise sur un poteau de Lariboisière?

Je me moque in-cro-ya-ble-ment de ce que vous pouvez ou voulez ou tentez de penser.
C'est fou comme votre regard coule sur moi, et en douceur même, parce que tout ce qui compte c'est la nicotine dans mon sang, le plaisir de voir la vie vivre et , bientôt, l’ardeur que je mettrai à raconter mon épopée à mes gros bras d'amis quand je serai remise sur pieds.

-maispastrop-
*sur le papier*

Je ne parle presque plus jamais de vous.
Vous tous, les gens, partout tout le temps. On peut pourtant pas vous rater, les pigeons, à côté, c’est de la rigolade.
Avant (avant quoi ?), je parlais de vous, je parlais à vous, beaucoup. C’était comme qui dirait essentiel, au niveau du quotidien, je veux dire.
Pour pas oublier, j’écrivais. Ce que je pensais, ce que je constatais, ce que je maudissais aussi, enfin, surtout. Ce que je maudissais par-dessus tout.
Alors -et je ne sais pas pourquoi- je vous ai délaissés ; vous êtes toujours là, mais moi un peu moins j’imagine.
Est ce que vous ne seriez pas les mêmes, à chaque fois ? avec d’autres costumes, d’autres passés, d’autres tirades, mais nés de la même plume, du même autour cynique. C’est pas vous la source intarissable, faut croire ; vous m’avez … lassée.
Les garçons sont tous les mêmes, on confond toutes les filles, un garçon et une fille ressemblent à n’importe quel garçon avec n’importe quelle fille.

C’est pas vrai.
Bien sur que c’est pas vrai.
C’est même, osons le dire, archi-faux.
Mais c’est bien ce que vous vous obstinez à vouloir faire croire. Alors un peu fatiguée de creuser vos clones de carapaces, je vous laisse croire que je crois, en effet, à votre identité unique, et je restreins mon cercle de feu à ceux qui ne confondent pas le jeu et la comédie.
Je continue de vous observer, je suis là, mais avec moins d’émoi, parce que je ne vous autorise plus à me bouleverser, et ainsi, je ne vous accorde aucune priorité sur le papier. Je continue de me fondre, avec vous, de fréquenter les lieux publics, ces copies conformes des lieux privés, qu’on leur préfère pourtant pour se regrouper, entre semblables, sans se fréquenter, sans se confronter.
C’est étrange cette manie de nous coller les uns aux autres et d’agir là comme si on était complètement seul.

« besoin que vous soyez pas loin mais me faites pas chier »

J’allais dans les cafés pour raconter les cafés, les clients de cafés, les serveurs de café, les cafés des cafés. Le raconter à qui, je m’en foutais pas mal. Mes promenades prenaient une tonalité particulière quand, tout à coup, je m’imaginais vous les dépeindre.

Vous n’êtes plus mon sujet. Je vais dans les cafés, toujours, oui, cet amour-là est intact, mais c’est plus pour parler de vous que j’use mes culottes sur le rotin en plastique au milieu des volutes bientôt interdites. Et c’est pourtant toujours l’endroit idéal, ces cafés, parce qu’en effet, vous y êtes et, chez moi, vous n’êtes pas là. L’envie d’écrire non plus.
Rendez-la moi maintenant qu’elle ne vous appartient plus. C’était un prêt.

Et puis, ho, ça va hein, moi aussi j’ai remarqué que ça fait quasiment une page ou 1893 caractères que je parle du fait que je ne parle plus du vous et que, par là même, je parle de vous.
Merci du scoop.
Bravo.

Les vieux peut-être. Continuent de me… donner envie de… les regarder encore. J’aime bien les vieux. Même les vieux cons. J’aime qu’ils soient vieux. J’aime qu’ils ne fassent plus semblant, parce qu’ils s’en contrefoutent, au fond. J’aime qu’ils aient de nombreuses heures de vol derrière eux et beaucoup de voyages à raconter, qu’ils aient connu de leurs yeux vu des époques mortes dont nous sommes, nous, bizarrement nostalgiques, incapables de reconstruire une nouvelle époque digne de ce nom. Ou indigne même, qu’importe.
J’aime qu’ils contiennent du temps mélangé à des médicaments contre le temps, et qui, pour le perdre chaque jour un peu plus, en connaissent la valeur.
Qu’ils sachent. Et qu’ils se taisent.
J’aime l’idée qu’ils voient en moi, pourtant persuadée d’être unique, une autre peut-être déjà morte. J’aime l’idée qu’ils s’en foutent. Et qu’ils se taisent.

Fermez un peu vos gueules.

-maispastrop-

Un peu de silence*


C'est drôle, je.
J'ai plus de mots pour.
Parfois, ça fait.
Comme si tout.
Et pourtant ça.
Rhooo.
C'est nul, y a pas la possibilité de barrer. Rayer ce qu'on a écrit.
Pas l'effacer, non, le laisser visible, lisible, parce qu'on le pense tout de même, mais on ne trouve pas que ça mérite une mise en forme en bonne et due forme. Alors le rayer, ce serait vraiment pile poil ce qu'on ressent. J'aimerais écrire un livre avec des ratures. Je le ferai, un jour. (Une nuit plutôt). Des rectifications, des anotations personnelles en marge, des pages déchirées, voire même des notes, sur 20, à la manière d'un professeur.Un professeur sans pitié, moi même face à la pimbêche qui écrit. Et puis des alinéas entiers rayés. Et même, d'autres en italique, parce que je les aurais volé à un auteur inconnu et que ça ne me gênerait pas de les faire miens. Pas le moins du monde. Et puis quelques adjectifs en gras. Très gras.




Dégoulinants. Obscènes.



Formidables.

Mais peut-être que, quand on n'a plus rien à dire, on est vraiment nus, là, à poil. Beaucoup trop à dire, en fait, et simplement pas de mots qui collent. Le langage des sensations bien plus que celui des signes, voilà ce dont j'aurais besoin, la plupart des lundi de l'année après 23h.
Si je disais une odeur, une fleur, un film, un bout de gazon d'un pays qui n'existe peut-être même plus, comprendrais tu, hein? Si j'écrivais en portrait chinois, me répondrais tu en cadavre exquis?
J'adorerais.
Et j'ai failli ne pas mettre de S.
A "adorerais".
Comme si c'était du futur, une promesse, et certainement de la science fiction.

Rayé rayé rayé tout ce paragraphe, mais lisible.
Brouillon.
Souillon.
A nettoyer.



-maispastrop-

Le début, c'est toujours en premier

Embarquement

Ca y est, bonsoir, j'arrive, avec le retard qui me caractérise, dans ce monde étrange et un peu bazar, des blogs. Blog. Ca c'est un mot qu'il est rigolo, à dire. Dites-le, avec la langue.
Comme le bruit que ferait une larme de Tex Avery. Blog blog blog.
C'est pour quoi faire?
Parler de moi, de vous, de rien?
Remplir encore un peu temps? Tuer quelques pâles nuits ? Eveiller la curiosité de ceux qui ne me connaissent pas? Le doute, chez ceux qui me connaissent?

Hé, mais aucune idée, en fait.
C'est comme ça, quoi. Comme la première cigarette du collège. Et pas du tout pour faire comme tout le monde, ça, qu'est ce qu'on s'en balance, mais tout bêtement, "pour voir".
Voyons voir, en somme.

-maispastrop-

Raz de marée

On reprend tout à zéro.
Parce que je n'ai pas alimenté mon blog, il a crevé la faim pour finalement disparaitre.
Mon blog est mort? Vive mon blog.
Au moment de choisir mon tout neuf tout beau URL, j'ai failli (je dis bien "failli", Adrien) opté pour pour www.jaiplusmonmotdepasse.blogspot.com
Mais, quitte à tout reprendre depuis le début, autant ne pas annoncer la couleur tout de suite et laisser les gens découvrir mes palettes au fur et à mesure.
On joue le jeu, malgré la déception.

Alors, non, je ne me laisse pas abattre, et forte d'une envie d'écrire chaque jour, tous les jours, je reprends du poil de la bête et défie la technologie de mes deux. Monde dans lequel, manifestement, le temps, l'assiduité et la fidélité comptent aussi.

Soit.

Compteur(s) à 0
et,
h
o
p,
l
à
.

-maispastrop-