Ma pépinière, ma pépite.


J’ai connu un homme. J'ai connu cet homme que personne ne comprenait, seulement moi. Moi je le comprenais comme personne. En tout cas, c’est ce qu’il disait et j’aimais le croire alors d'accord, je prenais ça, comme ça, dans la gueule, dans le cœur.
Il parlait de la vie, il la vivait, il riait, il dansait et n’avait pas vraiment besoin de boire pour être soul. J’aimais l’indécision, ou le manque de précision avec lequel il avançait dans la vie. De loin, on aurait pu croire qu’il titubait ; en vrai,en se rapprochant, on comprenait qu’il s’arrêtait sur tout et tous, papillonnait, bifurquait, revenait, hésitait, tournait, repartait.

L’air de rien, tous ces mouvements indécis mis bouts à bouts, ça donnait quelque chose de tout à fait respectable ; et, je dis « respectable » pas seulement en tenant compte de mon unique point de vue, tout le monde était d’accord pour « respectable », même en connaissance de la vraie définition du dictionnaire écrit par des gens très … respectés.
Tous disaient « respectable » y compris ceux qui n’y comprenaient rien. A savoir, la terre entière à part moi. En fait, ils disaient comme moi, ils pensaient comme moi, au sujet de cet homme, parce qu’ils avaient compris que j’étais la seule à savoir.
A avoir compris et accepté qu’il voulait seulement savoir ce que ça faisait d’être libre.

Et puis, c’est toujours comme ça... les histoires jolies mais pas définies, trop floues, la main du sort les juge trop…marginales, alors elle les met à l’épreuve.
Et puis, c’est toujours comme ça... les gens un peu flous, ivres de nature et loin du monde, ses tours et ses 24 heures, ils ne prennent jamais les avertissements de la main du sort au sérieux, ils continuent. Comme si de rien. N’été. C’est des âmes de soleil, de chaleur, ils fleurissent en nous et les graines sont inestimables. Ca pousse dans tous les sens, faut faire de la place pour les nouveaux bourgeons et décider des mauvaises herbes à déraciner et jeter par dessus l’épaule.
Il fait de nous son jardin secret, on est suspendus. Babylone et Paris sont ses couffins, il y dort, les joues roses et le souffle court, pendant qu’on veille sur la tranquillité de son futur. Plus que tout, là, on le réalise: on veut qu’il y arrive.

A quoi ?

Mais, enfin, à tout!

Parce que lui, il peut Tout. Il a tout, dedans ; peut-être est ce pour cela qu’il n’est pas pressé.

Alors la main du sort, hargneuse, véxée aussi de n’avoir pas été prise au sérieux, revient et rase tout.
La chimio des champs de blé dans lesquels on devait tous courir, c’était prévu, on avait dessiné les plans des maisons : rasé. Elle a séché les vignes, mis feu aux pins, arraché les boutures, écrasé le gazon. Y'a plus rien, plus rien. Queud’. Peanuts.

Qualques cacahuètes plus tard, l’apéritif aidant, on est capables de ne plus utiliser de métaphores à la con et de dire dans un élan pulmonaire héroïque « il est mort ». Les autres nous regardent tout rond, à croire qu'on n'a pas le droit de le dire, pourtant oui, il est mort. Je le répète.

Et c’est quand on le prononce qu’il revit, revient, la corolle s'ouvre, les pétales frétillent, les pistils bandent, les pousses verdissent et les racines débordent.


Personne ne le voit mais nous, on le sait, il a fait de nous un terrain fertile alors qu’on se sentait comme une zep depuis qu’il nous avait quittée. Il nous a jeté un sort. Il nous a condamné à savoir que personne ne nous aimera avec autant de déraison, jamais.


Il ne se préoccupait que de moi, tout en n'étant qu'à lui.
Il se fichait pas mal de la mode, des expositions où il fallait aller, même les droits de l’homme, ça lui passait au-dessus, y avait que moi, moi dans son sourire immense et désordonné, rien d'autre que moi.
Comme un chat qui n’a qu’un seul maître sous ses airs de ne pas y toucher.
Son ronron entre mes seins manque à toute ma vie.

-maispastrop-

On n'a pas rendez-vous

Y'a des gens qu'on connaîtra jamais vraiment.

Oui, ça, y'en a même un sacré paquet, mais, je parle là de ceux qu'on pourrait appronfondir, qui sont juste à côté, à portée de coeur, et pourtant, non; c'est comme si le temps manquait pour s'attarder sur eux alors que le matin même on tournait en rond d'ennui. A chaque fois qu'on les croise, il y a des atomes qui crochent, des points qui communient, et quand même le temps qui passe; le temps qu'on n'a pas. C'est pas n'importe qui, ces gens, c'est évident que nos cafés du dimanche ou nos conversations téléphoniques nocturnes couleraient, faciles.

Je repense à ces gens là, je ne peux les ranger ni dans les remords ni dans les regrets, ils sont dans le néant spacio-temporel qui remplit les trous de gruyères de nos agendas, et, en fin de compte, en toute fin, ils comptent. Et pourtant.

Parfois, on n'a même pas leurs numéros pour les joindre dans leurs téléphones, et si on les avait on n'aurait peut-être rien à leur dire; on sait plus trop ce qu'ils font dans la vie, quel âge ils ont, et quand est ce qu'on les a rencontrés déjà.

J'aime bien ces gens-là.

Y'a une légèreté plombante qui me ravit, quelque chose qui, quand on s'y penche, nous mélancolise sur une histoire qu'on n'a pas vécue. Une chanson pas finie.
On aurait pu s'aimer très fort, vous croyez pas? On aurait pu prendre une belle voiture pour enfourcher une nationale et partir en choisissant nos destinations à l'aveuglette. On aurait pu changer le monde, notre monde, toi le mien, moi le tien; et on ne le fait pas. Et on ne le fera surement jamais.

Et, comme disait quelqu'un qui a changé ma vie quand je changeais la sienne, la vie elle est comme elle est. Et puis c'est tout.
Et puis c'est bien.

-maispastrop-

Mi bémol mi dièse et complétement las.

Il était là depuis plusieurs jours et je ne l'avais pas vu.

Il a fallu que, fourrée dans mon sac les pieds hésitants, je trébuche sur lui pour le regarder dans les yeux, voir qu'il était là puisqu'il plantait ses pupilles dans les miennes.

C'est toi. C'est vraiment toi. J'ai l'impression de divaguer. Ca peut pas être toi.

Ce regard me parle et sa bouche dit quelque chose qui me touche: C'est toi, hein, c'est bien toi?

J'avais souvent rendez vous sous la statue d'Odéon, je passais devant lui, on se regardait;
c'était rien qu'un voisin finalement, on parle jamais vraiment aux voisins, on les salue, c'est l'habitude, un petit hochement de tête et c'est marre, on parle jamais vraiment aux voisins sauf quand on peut parler à personne d'autre alors on leur parle trop. On parle jamais vraiment aux voisins mais lui et moi quand on s'est parlés, la terre a arrêté de tourner, je vous le jure, y'a eu un frein d'atmosphère, un ralentissement d'air tout le monde retenait ma respiration et tout était en suspension pendant que nos mots gambadaient au milieu de tout ça. Nos têtes faisaient le tour du monde.

Il jouait du piano sur un Hansen à queue ouvert où tout vibrait et moi avec.
C'est ça qu'il faisait. Et ce jour là, on s'est parlés, en vrai, avec des mots, parce qu'on était tous les deux tristes au même moment je crois. Y'avait un petit bout de nous tout prêt à accueillir l'autre, alors bienvenue, fais comme chez moi. Il m'a invitée sur son tabouret, mes mains ont mimé les siennes, je lui ai dit "ça fait 5 ans que j'ai pas touché un piano, j'y arrive plus" pendant que nos 20 doigts faisaient des merveilles symphoniques.

Les gens ont applaudi. Avec leurs mains ils faisaient des merveilles symphoniques eux aussi.
Je l'ai regardé et je me suis dit que, voilà, c'est lui que j'aurais aimé avoir comme oncle ou comme parrain. Si ça se trouve, je l'ai dit à voix haute.

Il a pas fermé son piano mais il a pris son tabouret sous son bras gauche et moi sous son bras droit, il avait l'air décidé et même s'il ne m'avait pas dit où on allait je me doutais que ce serait au Old Navy, tout en naufrage qu'on était.

C'est toi. C'est vraiment toi. J'ai l'impression de divaguer. Ca peut pas être toi.

Avec la collecte du soir, il nous a arrosé d'alcools forts, francs, directs, et on n'y est pas allés par quatre chemin parce qu'au bout d'un moment, on n'en voyait qu'un seul, et encore, il semblait flou voire double.

Je veux que ça, rencontrer des gens comme toi, des gens qui, à la moitié de leurs vies ont déjà des siècles derrière eux, et qui en plus, vont mourir trop vite. Je veux que ça mais je suis jamais prête, je suis toujours trop vulnérable. Quand tu me racontes ta fille disparue, ton piano cassé par des voyous, ta femme partie avec un riche, mes yeux se remplissent, mes joues ont soif et je suis obligée de regarder ailleurs alors que, toi et moi, faut qu'on se regarde dans les pupilles, derrière, tout au fond.

Le patron s'est assis avec nous, et dans le genre, il en avait des tristesses à raconter. Après, après je sais plus. Après c'est flou. Après j'ai dit que je rentrais et tu m'as dit de venir faire un 4 mains demain. Après, demain, j'avais rendez-vous sous la statue d'Odéon et t'étais pas là parce que des voyous avaient cassé le piano que t'avais laissé pour aller parler de tempête avec moi.

Mon rendez vous m'a demandé pourquoi j'étais ailleurs.
J'ai dit que c'était parce que j'étais pas là, je trouvais ça censé comme réponse.

Il a fallu que, fourrée dans mon sac les pieds hésitants, je trébuche sur lui pour le regarder dans les yeux, voir qu'il était là puisqu'il plantait ses pupilles dans les miennes. C'est toi. C'est moi.
C'est pas possible que ce soit tes yeux qui se mouillent, hé ho, normalement c'est moi qui fait ça, tu me voles la vedette là, je te vois venir.

Je m'assieds à côté de toi sur le tissu que tu as installé sur le trottoir, j'allume ma cigarette avec ton butagaz, je t'en propose une, ton compère a trop bu et il crie, il insulte le monde entier et peut-être qu'il a raison, tu caches tes vêtements élimés, tes ongles noircis, tu renifles, tu t'es pas rasé depuis la nuit des temps, lavé n'en parlons pas. Tu me dis que j'ai pas changé.

Et la preuve, mes yeux se remplissent, encore.

-maispastrop-



A la bonne heure

C'est triste à dire, mais parfois, la joie ça tient à un dixième de sensation.

Quelque chose qui passe, qu'on croit attraper et qui déjà nous échappe, avant même qu'on sache ce que c'est, où, pourquoi et comment le raconter. Parce qu'y a pas de mots pour certaines sensations.
Est ce que tout le monde cherche vraiment le bonheur?

Il parait qu'il vient vers ceux qui y croient très fort.

Moi, je l'ai rencontré, souvent, au coin d'une rue à l'improviste et on avait plein de choses à se dire: je lui faisais pas mal de reproches, le grondant d'être trop retardataire ou trop exclusif ou trop évaporé ou intouchable. J'avais l'impression de parler à une femme fatale. Une de celles qu'on n'a jamais vraiment.
En femme fatale il me répondait par un sourire et je crois même qu'il passait sa main sur ma joue, en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille.

A chaque fois, à chaque fois que j'ai été incroyablement heureuse, j'ai mis un peu de mon bonheur dans une boite que j'ouvre régulièrement avec friandise. Ma boîte est comblée, ça, pour sur. Ma boîte étincelle. Ma boîte m'emmerde.
Au coin de la rue, aussi, je lui dit que, bon, c'est quoi cette manie de venir et de partir avant même que... et puis de revenir alors que... c'est quoi cette manie, bon sang? Cette fois, c'est ma main qu'il prend de la sienne, et qu'il met sur sa joue; la manière dont la forme de ma paume se moule à celle de sa pommette m'émerveille et comme il voit mon émerveillement, il sait que j'ai compris. Donnant donnant.

Si le bonheur me rend heureuse, je dois aussi rendre heureux mon bonheur. On n'a rien sans rien, hein?

Mais quand même, je lui dis -parce que je suis casse pieds- quand même, comment tu décides où aller, qui a tes faveurs, pourquoi lui plutôt qu'elle. Pourquoi moi?
Je viens vers ceux qui croient très fort en moi, qu'il me répond le bougre.
Je lui rétorque qu'il est rien qu'un vulgaire dicton à la con.
Il lance que tout est un dicton, ou espère le devenir et qu'il est pas là pour changer tout ça, simplement pour le rendre plus coloré.

Alors, quand on le croise, le bonheur a toujours le dernier mot. Pas parce qu'on n'a rien à répondre, non, on aurait un paquet de rhétorique à lui servir, mais ce qu'il dit sonne tellement agréablement à l'oreille que c'est sur sa phrase qu'on a envie de s'endormir, pas sur la nôtre.

-maispastrop-

Péages et contraventions

Quand ça va vraiment bien pour la plupart des gens,

ça va certainement très mal pour d'autres. Un petit lot. Caché dans le coin, au piquet, qui attend que la tempête se calme, la tête baissée, que le vent tourne, qui espère que le soleil ne se lève pas toujours du même côté tout en sachant pertinemment qu'il pleut toujours sur les mouillés.
Alors quand ils rentrent trop tôt pendant que tout le monde part pour danser, ils accrochent leurs vestes trempées sur des cintres mous qui déforment les épaules du tissu; et quand ils les revêtent, le matin, essayant d'y croire pour aujourd'hui au moins, ils croisent le miroir. Ils ont l'air piteux, et parce qu'ils ont l'air piteux, ils font pitié, et parce qu'il font pitié, on les oublie.

On les aimait, pourtant, quand ils riaient et faisaient rire, leur compagnie était souvent qualifiée d'indispensable et c'était avec moult bravos et bras grands ouverts qu'on accueillait l'arrivée de ceux qui, on le savait, allaient donner un ton, un charme, une force à ces prochaines heures.

Et puis le bonheur.

Le bonheur fasciste. Le bonheur prison. Le bonheur isoloir, isolant, camisole. Le bonheur mauvais.
Vous restez sur le bas-côté, et alors? S'était-on jamais promis qu'on resterait unis, coute que coute, quand une voiture s'arrêterait?
Faire du stop avec toi, c'était bien, oui, mais c'était rien de plus que du stop; et maintenant, j'avance. J'avance vite et fort vers des murs et des désillusions et je ne te compte pas parmi les passagers, c'est comme ça. Je veux pas que tu me dises la vérité. Je veux pas que tu saches qui je suis. Je ne veux plus me voir dans tes yeux.

L'amitié, dans certaines bouches, ça sonne comme une mode. Quelque chose qui serait d'actualité un jour, que tout le monde voudrait quitte à payer les yeux de la tête de la peau des fesses et qui, le lendemain, ne représenterait rien de plus, rien de mieux, qu'une chemise qu'on ne met plus parce que tout le monde l'a mise et tout le monde en a changé.
L'amitié serait donc consommable, périssable comme des fleurs, comme des bonbons même.
A consommer avant: voir la date ci-dessous.
Comme moi, ma peau, mes os et mon envie.
A consommer au plus vite: avant demain.

Mais.

"Mais" est souvent mon allié, mon meilleur ami, celui qui sait tout "mais" oppose à cette grande vérité quelques exceptions de la vie que je vis.
Mais, peut-être ai-je su m'entourer finalement de chouettes surprises en paquet cadeau. De poupées russes qui réservent étonnement, déception, retrouvailles, relans, demi-tour, réminiscence, régurgitations, symbiose et complicité. Et même qu'on sait pas quand ça s'arrête, qu'elle est où, la toute petite poupée de la toute fin, qu'est ce qu'elle nous réserve; mais qu'on y va quand même et, la plupart du temps, main dans la main.
Mais amis. Mes amis, c'est comme la famille que je me serais choisie: un comme ça, une comme çi, eux par là, toi tout près. Et on rigole pas avec la famille.
Mais peut-être ai-je su m'entourer, finalement, de gens qui avaient compris cette droiture, cette implacable fidélité et qui, soyons fous, la véhiculaient eux-mêmes, avant qu'on s'aime, eux et moi.

C'est bien la raison pour laquelle quand on réalise qu'on a délaissé un de ceux-là pour une autoroute propre, droite, réconfortante puis infranchissable parce qu'en travaux, on revient à la jolie nationale sinueuse, risquée et imprévisible mais fiable. Là. Droite dans ses bottes. Toujours prête.
C'est aussi la raison pour laquelle, quand on réalise qu'on a délaissé notre nationale et qu'elle s'est abîmée, cabossée, habillée de vestes déformées, on voudrait lui construire un tunnel tout droit vers le paradis pour se faire pardonner.
Parce qu' on trouvait qu'elle avait l'air piteuse et qu'elle nous faisait pitié et qu'on l'avait oubliée; et pendant qu'on l'oubliait, elle touchait à quelque chose d'indéfinissable, une pureté, un retour à elle qui la rend.... Même dans l'orage, elle resplendit, regardez, ça saute aux yeux, non? Toute la pluie tombe à pic sur toi. De ta tristesse, tu as crée une force qui te rend.... Qui nous donne des envies d'enfourcher une superbe moto au milieu de tous tes nids de poule, ma poule.

-maispastrop-

Les stigmates de la myopie

C'est presque de la schyzophrénie.
Je ne dors pas, mais je ne suis pas fatiguée. La période est très creuse, mon moral ressemble à une carte météorologique et pourtant...
Ce ne sont pas mes yeux qui sont lourds, c'est ma vue. Ce que je vois pèse une tonne, et moi, je persévère, je continue de me sentir légère et virevoltante.

-maispastrop-

Carrefour et cul de sac

S’il est incontournable, il est pourtant contorsionné et en sueur dans mon lit une place et demie.
On ne peut pas le rater, ça non, il est partout à la fois et donne l’impression d’être plusieurs, au grand plaisir de mes sens mieux qu’éveillés.
J’ai ce petit jeu avec moi-même ; après une action, une parole ou un imprévu, après une expérience qui vaille la peine et quelle qu'elle soit, j’attrape le livre ou le magazine le plus proche, et, à l’aveuglette, je pointe mon index. Le mot sur lequel il se pose sera LE mot de la situation, c’est décidé. Je me réveille d’une sieste bien méritée, je balance mon bras engourdi jusqu’au tiroir à roulettes sous mon lit, il regorge de tous les journaux que je n’ai pas encore lus et pas osé jeter par trop grand respect des arbres. Supplément Vogue « spécial beauté d’été », mon doigt se fixe, précis, il fait sombre et c’est en plissant les yeux que je découvre ce joli mot : « Incontournable ». Lui-même entouré de « élément » et « adolescent », c’était moins une. Comment je me serais dépatouillée moi avec « élément » ?
Mais c’est incontournable et donc, oui, inévitable.
Si je ne peux le contourner, c’est parce qu’il est en travers de mon chemin, bien au milieu, les bras grands ouverts. Mais peut-être pourrais-je détourner mon chemin alors, vous direz vous. Me direz-vous.
Non plus. Si tous les chemins mènent là où on sait, on oublie souvent de préciser par où ils passent. Et c’est par lui. Qu ‘on trébuche ou marque un arrêt volontaire, on ne peut faire autrement que de se balader avec lui sur ces chemins sinueux et vicieux comme des serpents d’eau.
Alors ensuite vient le moment décisif du choix. Ou le moment du choix décisif. Incisif. Partout dans la peau, ça fait des petites coupures qu’on se plait à titiller du bout de la langue et à qui on ne laisse jamais le temps de complètement cicatriser.
Vais-je me perdre un peu plus loin dans le bois joli, bras dessus bras dessous ? Ou remonter sur ma bécane et tailler la route droite qui se dessine au milieu de deux champs de seigle ?
Je ne raffole pas des décisions, et comme choisir c’est exclure, je prends le parti facile des faibles, refusant obstinément qu’une des deux possibilités se retrouve évincée, boudée et triste. Les élèves punis au piquet, les yeux plantés dans le coin du mur, ils ont toujours eu toute ma tendresse.
Je garde tout et c’est gratuit. Ça ne m’aide pas à ordonner ma tête déjà bien bazardée, c’est vrai, mais ça m’empêche de m’empêcher.

Tailler la route droite en sinuant, moi dessus bras dessous, lui par là ou ailleurs, rattraper les enfants qui courent dans les champs de pavot, construire une chaumière a la frontière du bois joli et de la rivière où plus aucun serpent n’osera se pointer devant tant de grâce. Et, enfin, se réveiller lundi matin, loin de l'empeureur, de sa femme, mais miroir du petit prince, à Rome, tout en haut du Palazzo Corsini pour jeter un œil bienveillant sur les marathon man des milliards de chemins boueux et fleuris qui arrivent après nous et s’arrêtent, essoufflés, éblouis presque, convaincus de quelque chose que je ne veux pas savoir.

-maispastrop-

Quand on prend l'avion, le pays qu'on quitte continue de vivre. (et ça vaut dans les deux sens)

C'était sur un coup de tête.
Pas un coup de tête à une autre tête pour casser le nez d'un voyou qui voudrait voler mon sac, non, un coup de tête de moi toute seule dans le vide, dans l'air, face à personne ni rien sinon l'à venir. Ou à moi-même. Un coup d'accélérateur aussi.

Parce que je travaille, j'ai droit à des congés payés.
Congés. Congés. Congés.
Ok, je répète le mot dans ma tête, et puis à voix haute, et puis à la Antoine Doinel, devant mon miroir qu'il faut absolument que je pense à nettoyer -à croire que je me lave les dents en faisant des claquettes et en chantant: y'a plein de petites éclaboussures blanches de dentifrice agglutinées dessus-.

Mais, ça ne me dit rien, "congés", ça n'évoque pas d'image, de souvenirs, d'espoir, ça ne fait que m'embourber. Congés de quoi, de qui et puis... même si je trouvais la réponse, comment prendre congé de ces réponses?
Devant moi se présente une semaine de sept jours, du début à la fin, j'y échapperai pas, avec le jour de la lune le lundi et celui du seigneur le dimanche, en passant par le vendredi du poisson et le mercredi de ceux qui n'osent pas dire "merde"; une semaine de sept jours qui va demander à être comblée. De congés donc. Et puisqu'on me les paie, je ne peux décemment pas refuser.

Je suis là comme ça, un coude sur la table, la main qui supporte ma joue, les doigts qui pianotent leurs questionnaires sur mon visage et ma jambe qui frétille d'impatience dans l'attente d'une répartie valable. Oui, nous sommes en vacances, mon corps, ma tête et moi; mais , sans mauvais jeu de mots, nous ne sommes pas vacants pour autant, on est tout à fait occupés et remplis et limite débordants. Paris m'inspire un nombre de démarches administratives que je ne peux même pas compter sur tous mes doigts. Et pourtant, j'en ai dix.

Je sais. Je sais, normalement, les gens normaux, ils attendent le jour J de leurs congés payés, ils attendent que ça. Ils zyeutent l'horloge qui, bien sur, pour marquer le coup, s'attarde un peu entre les secondes. Ils frétillent, trépignent et bondissent tout à coup pour se ruer dans un métro qui les déposera à la gare promise vers une terre promue. Plus rien n'a d'importance, ils sont en VACANCES.

"Qu'est ce qu'on va faire de nous" dis-je à ma jambe impatiente, ma main qui pianote et ma tête embrumée, qu'est ce qu'on va faire de nous?
C'est quand je ne sais plus quoi faire que je sollicite le reste de moi, confiante, pour qu'ils répondent avec des gestes quand mon cortex peine à fabriquer des idées; et il se trouve que, quelques fois, ça paie. Ca paie pas mes congés mais ça propose tout de même d'ordonner à ma main de surveiller la météo à venir pour ces interminables jours prochains.
Ca hésite entre le gris et le blanc, les minimales sont minimes et les maximales, lilliputiennes.
Non pas que j'accorde beaucoup d'importance au temps, mais tant qu'à l'avoir pour compagnon, autant qu'il soit de bonne humeur.
J'élargis ma recherche au reste de mon pays. Mon pays c'est la France. Bon.
Je ne vais pas m'étaler sur le problème du réchauffement de la planète là tout de suite, mais, sur le coup, j'y ai pensé beaucoup, ça m'a assombrie davantage encore; j'allais finir par ressembler au cumulonimbus du lendemain.
Comme il n'y a pas de limites avec ce truc, internet, je ne me suis pas gênée, j'ai demandé si en Italie par exemple, le soleil, cette star tant convoitée, daignait se pointer.
De frontières en frontières, je me suis retrouvée à demander la météo de pays aux noms improbables et très chantants, presque pour me rassurer, pour être sûre que, quelque part, au mois de juin, des gens mettaient des lunettes de soleil dans leurs sacs et pas des parapluies.
Sénégal, minimale: 18°, maximale: 34°, précipitations: 0 mm, lever du soleil: 06h40
, coucher du soleil: 19h40.

Ca m'a fait l'effet d'un coup de boule.

Aucune précipitation: parfait pour quelqu'un qui veut prendre son temps.
Un lever du soleil à l'heure à laquelle j'ai trop tendance à me coucher.
Et un coucher du soleil... inversement....bref.
Pourquoi ne pas aller voir si la rose frétille à 6h40 sous 18° tandis qu'aucune pluie ne vient troubler la caresse de l'astre sur ma peau parisienne qui se met au vert?

Subitement, le mot "congés" prend forme.

Oui mais.

Il y a toujours un "mais" et celui çi est de taille: il coute.
Pour aller tâter l'eau de Dakar, on me demandera de sortir de l'argent que je n'ai pas, j'en suis sure, c'est toujours le même refrain, on n'a rien sans rien, on connait la chanson, le lundi au soleil, c'est une chose qu'on ne vivra jamais et compagnie.

Oui mais.

Quand un "mais" rencontre un autre "mais", ça équivaut à rien du tout, ça s'annule, un peu comme en maths je crois. (Ouhla, je ne suis pas sure du tout du tout de ce que j'avance).
On pourrait effacer les 5 dernières lignes, somme toute.

Oui mais, donc, je tombe, aïe, sur une proposition absolument indécente.
Proposition que j'accepte en fille facile, je clique sur "allez hop".
Bam, j'ai un billet. Zou,je fais mon balluchon. Tac tac, je fonce à Orly Sud. Couic, j'oublie de prévenir les gens.

J'oublie pas vraiment, disons que j'omets. Sauf celle qui m'a mise au monde, parce qu'elle m'a mise au monde elle a le droit de savoir toujours où je me situe sur le monde dans lequel elle m'a mise. Bon.

Je ne vais pas dormir, non, parce que le départ a beaucoup plus d'impact quand on le savoure depuis 6 heures; rien à voir avec le lever hagard, le café avalé à gauche, la cigarette qui passe mal à droite, le rer qui va dans quel sens bordel. Non non non.
A 6h30, je suis prête, sur mon perron, l'oeil vif, limite malicieux, le passeport frétillant, Paris déjà jalouse. Hé oui ma vieille, là où je vais, dans dix minutes il fait jour et pas qu'un peu.

N'empêche, même sous un ciel bougon et aussi matinal, t'as une de ces gueule... tu sais comme personne jouer avec facétie sur les façades d'Hausmann, flirter entre le lugubre et le luminescent; l'eau balancée par les éboueurs scintille sous la fin de vie des réverbères, je me dis c'est pas possible, tu triches; au détour d'un feu, tu nous attrapes parce que ton avenue offre une perspective parfaite sur le ciel du mauvais temps à venir. Cherche pas, tu me retiendras pas. Cherche pas, tu pourrais me retenir. Me cherche pas. Laisse moi partir.

Qu'est ce que c'est que tout ce monde qui court dans les correspondances? Dites moi pas que vous allez travailler, là, sans déconner?
Pardon.
Je dis ça la tête baissée.
Pourtant j'ai pas honte.
Mais j'avoue que la dernière fois que j'ai pris le métro à cette heure çi, c'était pour rentrer d'un endroit d'où je venais alors que j'y avais festoyé et que je rentrais pour dormir, oui bon, voilà, c'est dit. Vous, vous partiez travailler. Vous veniez de l'endroit où vous dormiez pour aller pas festoyer du tout. Souvent, je vous croisais le vendredi et pour vous c'était déjà samedi. Souvent, j'étais pas absolument nette. Et vous, impec. Vous me faisiez mal aux yeux tellement vous étiez resplendissants. Je préférais même les plonger dans ceux de mon semblable pour la peine, que j'avais même pas.

Et aujourd'hui. Tout ce que j'ai bu, c'est 4 cafés pour tenir la blanche nuit, je pars pour simplement partir avec cette étrange et pourquoi pas agréable impression de ne venir de nulle part pour aller n'importe où, si le vent me mène là où vont les proverbes, ce sera déjà pas mal.
Vos cernes. J'ai les mêmes.
Dans deux heures, je m'envoie en l'air les chouchouter via une compagnie toute aérienne. Je crâne pas. Mais quand même, vous tous, là, vous donnez un poids conséquent à une simple escapade.
Merci.

Il fait toujours beau au-dessus des nuages, à 300 mètres d'altitude, on est tous égaux. Lui aussi, ses oreilles se bouchent quand on décolle; toi, je te vois bien t'accrocher l'air de rien quand on passe un trou d'air. Nous sommes si peu de choses. Si peu de choses présurisables.

J'ai prévenu personne. Est ce que je vais manquer à quelqu'un. J'ai éteint le portable. Et ce qu'il frétillera comme une cocotte minute quand je le rallumerai.
Se poser ces questions là, c'est refuser de partir complètement.
"Mademoiselle, il faut relever votre tablette, éteindre votre téléphone et attacher votre ceinture s'il vous plaît".
...
Ne pas écrire,
ne pas être joignable,
me protéger d'une éventuelle mort subite subie.

Je suis pas sure d'être prête pour ça, vous savez, j'ai peur dans l'avion et je me fiche absolument de savoir où sont les gilets de sauvetage, j'y crois pas une seconde, c'est fait pour rassurer pas pour sauver, vous le savez aussi. En plus, j'ai pris l'habitude bizarre de serrer la main de la personne qui m'accompagne, à l'atterrissage, pile poil au moment où les roues touchent la piste, on se serre la main; faut que ce soit vraiment au même moment, sans se regarder parce que c'est déjà assez émouvant comme ça, alors à qui je vais serrer la main, moi.

Vous êtes là dans votre uniforme mal taillé, franchement vous êtes pas à votre avantage, vous me parlez technique, je vous réponds sentiments, vous faites votre boulot, je fuis le mien il parait. On n'arrête pas de se rater nous tous.

Mais il fait toujours beau à 300 mètres d'altitude et même si je sais qu'on perdra la course avec le soleil du lundi, ça me ravit de faire un bout de chemin à côté de lui, presque à sa vitesse.

Subitement, le mot "congé" prend fond.

Les aéroports, les départs en général, certaines chansons, quelques livres, deux trois souvenirs... on se rappelle ce qu'on est vraiment et on se demande, alors, pourquoi les gens qui disent nous aimer nous aiment. Là où je vais, d'autres sont allés, mais pour moi c'est la première fois et c'est tout ce qui compte, c'est donc la toute première fois. Pour vous que j'aime, pour vous qui m'aimez peut-être, pour cette hôtesse, pour ce soleil rapide comme la lumière, c'est la première fois.
Et la première fois, c'est sacré, toujours. Je ne laisserai personne dire le contraire.
Jamais.


(......... ici il se passe que, bouleversée par autant de reflexions et de cafés, je m'endors)

(......... ici, il se passe que, entourée de connasses à mioches, je me réveille)

Il paraît qu'on aborde la descente vers l'atterrissage et je me surprends à penser que ce n'était donc pas pour toujours, ce moment de tout remettre en question et en réponse, d'avoir peur d'avant et de penser à l'après; pourtant ça aurait pu continuer, j'avais encore plein de choses à dire mais la vie reprend, la vraie qui fait sortir le passeport et se remémorer l'horaire du bus qu'on doit prendre pour être sure de dormir dans un lit ce soir.
Ce soir?
Je croyais qu'on était le matin, ou hier, et on est déjà ce soir? Alors penser ferait se coucher le soleil en avance? Chouette. Ou zut. Ca dépend.
Les hublots que les passagers découvrent des stores tirés pour dormir à midi proposent une vue alléchante: l'eau; l'eau qui s'en fout pas mal de tout ça. L'eau qui est là, toujours, l'eau qui vaque et qui mouille comme dirait l'autre.
On nous dit la température et l'heure locale pendant que les voisins remettent leurs chaussures et baillent, pâteux. Non, c'est pas le soir. Il est presque encore trop tôt d'ailleurs, le temps de vie que j'ai gagné, je crains fort de le perdre en errance touristique.
Je ne sais absolument pas où je vais ni ce que je vais faire. Pour l'instant, je suis juste remplie de la flatterie que le soleil m'a faite, en m'attendant pour se coucher, son élégance me bouleverse et j'ai hâte de défaire ma ceinture pour m'en aller l'étreindre.

Personne ne m'attend à l'arrivée. Je suis vraiment partie.


-maispastrop-

Fluctuat nec mergitur


Je ne vivrai jamais

le bonheur béat de découvrir cette ville, j’envie le touriste qui pose pour la 1ère fois le pied sur le sol de ma capitale amie.
Je la connais trop, je l’ai dans le sang, elle circule à toute bringue et donne le tournis à mes nuits. Elle m’accompagne, dans les ruelles poisseuses et sous les réverbères romantiques, d'une rive à l'autre, par des ponts cinématographiques; elle est là, toujours, fidèle comme mon ombre. Ma main dans la sienne, tout est possible.
Paris, ville lumière, puisque nous y sommes tous des génies.

-maispastrop-

En noir et blanc

Pardon, tout d’abord.
Je m’excuse. Et puis, c’est déjà trop grossier ; je ne m’excuse pas moi-même toute seule, ce serait trop facile. Je te prie, à genoux s’il le faut, de m’excuser pour cette lâcheté. Latente. Fourbe. Ma lâcheté de serpent d’eau. Et leurs langues de vipères. J’ai laissé beaucoup d’entre eux salir ta réputation déjà bien esquintée. Parce que j’étais fatiguée, ou simplement ailleurs. Parce qu’ils étaient trop nombreux ou simplement trop cons.
J’aurais du crier, contester, argumenter, me battre, pourquoi pas ; sauver ça. Nettoyer leur crasse quitte à faire table rase. Et me retrouver seule absolument, d’autant plus proche de toi.
J’ai pensé que tu pourrais te débrouiller, te défendre et leur montrer qu’ils avaient tort ; j’ai fait confiance à ton image et à ta renommée qui s’étalent au-delà du visible, et brillent, comme on dit, par-delà les frontières de classes sociales et asociales.
Et puis, tu t’en fous certainement, tu flottes, ailleurs. Là où tu es, y a rien au-dessus. Souvent c’est à toi que je pense quand je monte sur mon toit, faire bronzette et causette avec des petits bouts de toi.
Je crois frôler tes petons, à portée de mes mains, ça me lance d’un frisson qui aime s’attarder aux creux de mes genoux.
Tout peut bien s’écrouler.
Comme à l’écoute d’une musique sublime et dite universelle, je sens partout la force de la beauté, son pouvoir absolu, quelque peu inquiétant, maître de tout. Tu es en chacun de nous et dans le fond des bouteilles, dans les restes d’un repas de fête, dans les ruelles obscures, dans leurs réverbères cassés et entre chaque pistil de chaque marguerite. Et entre chaque cil artificiel collé pour plaire aux ploucs, enlevés à la hâte. T’es là, juste là, regarde.

Tu cours nue, hagarde, ivre peut-être, sur les autoroutes. Tu erres, véhiculant la folie de la solitude entre les voitures trop peu remplies. Certains t’ont aperçue, ont voulu t’attraper, t’ont frôlée ; risquant leurs vies. C’est pas qu’une métaphore de pacotille. Du Boutan à Varsovie, on connaît ton nom. Tout le monde l’a prononcé une fois au moins. (J’aimerais confectionner un boîtier magique qui comptabiliserait chaque nouvelle fois où on parle de toi .)
Un ami m’appelle, me sort de ma rêverie, me dit « ce soir, y a un théma Arte sur Marilyn ».
Et de une.

Y a que pour toi que j’utilise les grands mots, le vocabulaire définitif, les jamais et toujours. Pour toi, je veux, j’ai pas peur, j’y crois vraiment dans mon intestin, et les courbatures de mes nuits passées à essayer d’atteindre la douceur de ta peau mélangée à la violence de ta force et à ton inimitable fragilité.

-maispastrop-

La Ville Trou

Ici, Paris.

Ca a l’air d’une grande foire aux fous, surtout quand on rentre de Trouville.
Trouville sur Mer, j'entends. Ca a son importance.
Dès le quai de la gare, on n'a pas le temps de dire "ouf".... d'ailleurs, personne ne dit plus "ouf" en sortant du train mais "où est ce que j'ai mis ce satané paquet de cigarettes?"
Dès le quai de la gare, on n'a pas le temps de dire "où est ce que j'ai mis ce satané paquet de cigarettes?" qu'il y a déjà des gens vraiment partout, presque sur nos pieds, peu d'espace de trottoir disponible, une agitation salariale, syndicale, républicaine, post-punk dans le fond à droite et une tension sexuelle palpable, en opposition avec ces dernières 48 heures de promenades sur les marchés aux poissons, de thés trop chauds bus au ralenti vue sur la mer qui monte et descend pendant qu'on se fiche que le temps passe parce qu'on n'a pas d'urgence, de baignades timides mais courageuses, emportés par la houle et pas du tout la foule.

Paris donc, bonjour, bonjour le bordel.

Mais le métro schmoute admirablement bien, je le respire à pleins poumons et je jubile devant les insultes que s’échangent mécaniquement les passagers, mes semblables. Certains d'entre eux s'attardent, jaloux, sur les tâches de rousseur que le soleil a préféré dessiner sur mon nez plutôt que sur le leur. Ca ne me dérange pas, regardez moi de haut en bas de long en comme vous voudrez, divergeant pourquoi pas, peu m'importe. La carapace réapparaît tout de suite, dans cette ville; elle est fournie avec le billet, une sorte d'assurance. Allez-y, ça glisse.

Quel dommage que tout cela se termine dans un arrondissement quelconque, le XIIIe pour ne pas le citer, côté avenues et portes à veau l’eau. Quel dommage que cette débandade s’éternise dans un appartement, le mien, le premier et le dernier à m’infliger un rez-de-chaussée et aucune vue possible sur les bousculades de l’après-midi et les solitaires de la nuit. C'est décidé, la prochaine fois, j'habiterai en haut de l'immeuble, là où y'a rien au dessus et vous tout en dessous.
Quand j’éteins, que je me couche, je suis entourée d’une grande brume impénétrable de silence ; Toute forme de vie aurait disparu que ce ne serait pas plus calme. Pour mon salut, les ras du sol de la ville ont le grand privilège de recevoir les frissons des trains de cargaisons du métro, rares mais costauds; ils me rappellent qu'il y a âme qui vive, quelque part, même si elle s'ennuie mortellement.
Heureusement, j’ai choisi un train du soir et l’émotion suscitée par les retrouvailles avec la capitale m’a suffisamment épuisée pour qu’à peine arrivée, je m’écroule et, sitôt après, m’endorme.
Un brouhaha me sort de mon sommeil, mon cher sommeil, mon sommeil chéri, on m'arrache à toi via du boucan de ménage que le concierge fait dans la cour. Sans me faire la cour, bien au contraire. Merde, ses étrennes, il peut se les mettre où je pense, bien qu'à cette heure matinale, j'aie du mal à penser à quoique ce soit, vous voyez ce que je veux dire.
Ca y est, tout revient. J'avais pourtant oublié tout et tout le monde ces derniers jours, les priorités parisiennes ne pesaient plus rien face à celles de la Normandie, je pensais "mer", "poissons", "sable", "crevettes" et "iode" de tout mon coeur. Mais tout revient. Tout revient toujours.

Tout ce dont je me suis remplie, tout cet air pur qui recouvrait, balayait même, la crasse de la ville....tout disparaît au premier claquement de doigts de la capitale, ça fait ça avec l'amour de notre vie, on obéit, on est là tout de suite disponible comme avant, à l'heure au rendez-vous, au garde à vous.

Le son du hall semble ne m'avoir jamais quittée, on dirait qu'il est payé pour faire s'enchaîner mes pensées sur des choses autrement moins balnéaires. Ca y est, tout revient et moi avec.

Moi et cette idée, audacieuse, d'essayer un jour de vivre sans lendemain. Demain, je ferai celle qui n'a pas d'obligation, demain, je traînerai dans le quartier en ne prenant que les rues que je n'ai jamais empruntées, en m'arrêtant partout, en parlant à tout le monde. Et, quand l'occasion se présentera, je l'attraperai pour faire de cette journée un moment incroyable, différent, inoubliable. Un de ces moments qui requinque. Une bouffée d'air pur, une grande respiration au bord de la mer un peu agitée. Demain, je repartirai à la Gare en direction de Trouville et quand le controleur me demandera si j'ai un billet de retour, je sourirai sans rien dire; consciente que la bonne réponse aurait du être "surtout pas " et que la vraie réponse sera "oui, en seconde, avec un changement à Lisieux".


-maispastrop-

Je voulais prendre un taxi,


je voulais vraiment, impossible de m'imaginer marcher les 15 prochaines minutes pour tomber sur des balourds en rut tout en me faisant des ampoules. Ca tombait bien, y'avait pile poil un chauffeur disponible. Il était accompagné: à sa droite, il y avait une amie. Ils m'ont raconté qu'elle terminait au moment où il commençait, tout ça au même endroit et que donc, ils avaient pris l'habitude de passer sa première heure à lui et sa dernière à elle, dans la voiture, à s'échanger leur commentaires composés de la journée passée et à venir.
Ca m'a renvoyée un tas d'années en avant et au moment précis où je me remémorais mes après-midi au café avec mes collègues de lycée, la fille à la place du mort m'a offert une photo: une photo de mariage, une vraie d'époque, un noir et sépia blanc sale, une mariée engoncée, une famille à dot, un sourire de circonstance. On sent presque l'odeur du voile et du buffet, naphtaline.

J'ai des amis d'enfance, j'en ai quelques uns, juste ce qu'il faut.
Si je me penche sur la question, et allons-y, j'ai pas peur du vide, alors je peux jurer - sur la tête de ma mère que j'aime par dessus tout- que mes amis d'enfance, je les aime par dessus tout, presque autant que ma mère.
Ils ont un gout et une odeur, quand je les retrouve, c'est moi que j'arrête de perdre; les mots coulent, les gestes sont évidents, les choses retrouvent leur place, y'a ma main sur son épaule, leur regard dans mon passé, ta mimique que j'ai calquée et l'évidence est évidente. Pire qu'à demi-mot on se comprend: dans le silence, nous nous parlons.

Alors, pourquoi est ce que je n'arrive plus à avoir le quotidien d'avant avec vous. A l'époque, nos rendez-vous étaient réguliers comme un métronome, on n'avait même pas rendez-vous, en réalité, on était là, c'était comme ça. Dans les pattes les uns des autres, à se croche-patter joyeusement. Evident, encore une fois.
Alors, pourquoi?
Aujourd'hui, vous êtes où? Et moi, moi je suis loin comment de votre vie, de vos habitudes, de vos réflexes?

Vous inquiétez pas: je m'inquiète pas, parce que je sais depuis le dedans de mes tripes que ça ne bougera pas, qu'on pourra toujours, même après dix ans de disette, s'assoir côte à côte au café, regarder les gens passer et penser les mêmes choses, au même moment, se regarder furtivement et savoir que l'autre sait. L'économie de mots et la profusion de sensations, ça a toujours été comme ça dans nos grands moments.

Donc, je ne m'inquiète pas, simplement, je m'interroge. C'est même plutôt vous qui semblez soucieux. Je sais, je sais, j'ai oublié de répondre aux appels, j'ai dit que je venais à l'anniversaire et j'ai envoyé un message d'excuse le lendemain, j'ai rien proposé pendant des mois, j'étais pas là parce que j'étais ailleurs. Vous avez deviné. J'ai rencontré d'autres personnes. Vous avez compris. Des personnes que j'ai aimées très vite, pas comme vous que j'ai mis du temps à accepter. Je les aime encore mais la fulgurance de notre intimité, à laquelle j'ai cru, vraiment, viscéralement, s'est trouvée confrontée à la vraie vie tout à coup. Et j'ai compris qu'il manquait quelque chose à notre soit disant complicité de 10 ans d'amitié: 9 ans 1/2 .

Est ce que c'est ça que j'aime chez eux: qu'ils ne me connaissent pas en étant persuadés du contraire, les laisser faire et jouer à quelqu'un d'autre?
Est ce que c'est ça qui me pèse avec vous: que vous me connaissiez par coeur, et que par le coeur, vous m'aimiez sans que j'aie à vous séduire?

J'ai pas beaucoup de famille, vous êtes celle que je me suis choisie et par là même, il n'y a pas un jour qui ne se passe sans que je ne pense à vous, et, plus précisément, à votre bonheur.

C'est peut-être ça la différence. Avec les autres, j'ai besoin de partager le bonheur.
Avec vous, il me suffit de savoir que vous le vivez.
Mais aujourd'hui, devant cette photo, j'ai envie d'arrêter de m'accommoder de nos milliards de souvenirs et d'en construire d'autres, convaincue que je vous découvrirai encore, que j'aurai tort en croyant tout pouvoir prévoir, que vous serez, encore une fois, digne d'une famille recomposée, celle qui part dans tous les sens mais arrive toujours à la même destination: l'évidence d'être ensemble.


-maispastrop-

Nicolas et Pimprenelle

Une nuit agitée s'il en est.

Des rêves, par millions, des rêves qui se mélangent à la vie, des rêves dont on sort en ne sachant plus ce qui est vrai ce qui ne l'est pas, étant nous-même un mélange des deux; des rêves dont on s'extirpe, tant bien que mal, en étant obligée d'admettre que cette personne compte, que cette histoire influe, que ces sentiments existent. La preuve, on en est encore toute habitée.

Des rêves réveillée, des rêves qui réveillent.

"Haaaaaaaaa", je n'ai jamais respiré aussi fort, aussi profond, pour me sauver d'une apnée contrite. Comme dans les mauvais films, je me réveille moite, hirsute, inquiète, le geste hagard pour toucher quelque chose de réel, me raccrocher à de la matière tout en m'attendant à trouver du sang sur mon front ou un homme dans mon lit.
J'ai rêvé de toi. Mais, j'ai rêvé de toi comme si c'était vrai, t'étais pareil, y'avait ton odeur, notre complicité, tu portais nos souvenirs; c'était juste là.

Ca m'était jamais arrivée, de me réveiller en larmes. Je ne l'ai pas remarqué tout de suite, je pleurais et c'était normal, et puis, quand mes yeux se sont faits à l'obscurité et ont commencé à discerner les objets, la forme de la pièce, le vide du lit, ma tête a percuté que tout ça, c'était pour de faux et c'est précisément là que j'ai senti les larmes sur ma peau.

Ridicule, je me suis dit. C'est ridicule.

Quand même, j'ai pleuré encore un peu. Pas grand chose, juste ce qu'il fallait pour ne pas nier, pas faire semblant, accepter que, dis donc, y s'en passe des choses là haut que je préférerais mettre à la trappe.
Qu'elles viennent, bienvenue, faites comme chez vous, même pas peur.

Enfin bon, toute accueillante que je suis, je ne m'en trouve pas moins déconcertée, assise un peu, allongée aussi, les muscles fatigués, remplie du silence de la nuit à ne plus jamais retrouver le sommeil et me refaire le film, non sans un certain plaisir. Je revis les scènes alors que déjà elles s'effacent, je pense à les écrire et puis, non, me lever, trouver un stylo, du papier, tout serait déjà parti; alors je reste dans cet entre-deux douillet et quand tout s'est évaporé, j'essaie de ressombrer et de continuer l'histoire. Reprendre là où je me suis réveillée, pile là, pour changer la fin. Ne pas rester sur une malheureuse dernière bouchée moins bonne que les autres, recouvrir de dessert.
Evidemment que non, ça ne vient pas. Je gigote dans les draps, m'agace, essaie de respirer calmement, me rassied, bois de l'eau, regarde l'heure qui me nargue. Trop tard ou trop tôt.
Des idées absolument ennuyantes arrivent, est ce que j'ai payé edf, faudrait que je fasse une lessive, mon banquier me fait peur.
Bon.

Autant l'admettre tout de suite et ne pas dépenser le peu d'énergie qu'il reste à se battre inutilement, je déclare forfait, voilà, ok, cette journée va être merdique.

J'ai envie d'appeler ceux qui étaient dans mon rêve. Leur dire.
Ils ne comprendraient pas.

Il paraît qu'on est tous les personnages de nos rêves, le méchant, le gentil, le type à l'arrière plan, la vieille prof de CP qui sort de nulle part, c'est nous.

Je te ressemble beaucoup alors.
Ou l'inverse.
Trop surement.

Allons marcher et regarder les réverbères s'éteindre avec le petit jour.



-maispastrop-