Rosa, rosa, rosam ; rosae, rosae, rosas...

Les vacances scolaires arrivent,
je me replonge donc logiquement dans l’ambiance estudiantine. Agenda, devoirs et mercredi après-midi aérés seront, cet été encore, mes meilleurs ennemis.
Non pas que je veuille faire absolument mon originale à l’encontre de la norme et des calendriers communément adoptés, mais j’ai toujours été archi d’accord avec Michmich’: «Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de nous», ah ça oui; et, dans le même ordre d’idée, j’ajoute: Quand plus personne n’en fout une, j’ai comme envie de me secouer les puces.
Voilà, j’ai des devoirs qui m’attendent.



Au delà de l'incommensurable effort que ça va me demander niveau paperasse et relations familiales -pour ne citer que les taches les plus sexy- il va me falloir user de subterfuges, aussi, pour me coller à mes exercices. 
Des exercices donc, non pas de gymnastique, quelle idée! mais d’écriture. 
Ah, vous pouvez rire autant qu’il vous plaira. Il me plaira aussi que vous riiez, j’aime ça, que les gens se la fendent. N’empêche, y’a pas à chipoter, les exercices, ça fait son homme. Quand je faisais du piano, je la voyais, la différence, après 2h30 passées à refaire une trille infernale qui tirait sur les ligaments de la main. Et je vous raconte pas pour la danse. Pointes, pointes, un coupé pour soit disant respirer, et pointes encore, et toujours, pointes-pointes-pointes. Tant qu’on n'a pas saigné des pieds, tant qu’on n’a pas le poignet en steak tartare, tant qu’on ne connaît pas toutes les conjonctions de coordination...on n’y est pas, on n’y sera jamais.





Des exercices, disais-je. Pour m’aventurer dans ces couloirs de ma tête où j’ai la flemme de me rendre spontanément; pour m’y égarer, si le plan fonctionne; pour, surtout, sauver des muscles à la limite de l’atrophie. -Déjà qu’un muscle qui se nécrose c’est pas beau à voir,  imaginez donc ça, dans le décor du cerveau, qui en soi n’est pas de nature à émoustiller les sens: c’est la cata.- Trouver un second souffle, enfin. Et repartir de plus belle, courbatue mais vaillante.
Y’a pas que les chevaliers qui font des exploits, attends. Et, je mets ma main à couper que nombre d’explorateurs connaissaient mieux certaines îles que leur propre lobe temporal.





Si je mets «ma main à couper» là, c’est notamment parce que les explorateurs dignes de ce nom sont morts, aujourd’hui, et qu’ils ne pourront donc pas me contredire. Et que je n’ai aucune envie de me passer de ma main. Ma main me sera utile. Pour la danse, pour le piano, pour l’écriture, pour la masturbation. De moi, des autres. J’y tiens. Un peu comme à la prunelle de mes yeux. Elle a d’ailleurs servi à l’instant même à expliquer combien elle me servirait encore.

Je le ferai seule, cet exercice, il paraît. 
Alors que, d’habitude, on s’appelle entre copinous pour les rédactions, on se retrouve au café pour les exposés et on fait appel à des coachs, à ce qu’il paraît, pour surveiller notre rythme cardiaque et nous motiver pendant les abdos-fessiers. Seule, c’est moins facile d’être assidue. Bontempi.
Et c’est pas faute d’avoir proposé l'entraînement à 2,3 connaissances, mais il semblerait que plus personne, ici bas, n’ait envie de s’émoustiller le cortex. Ca remet à plus tard. Ca préfère l’entertainment à l'entraînement. Moi la première, hein. Mais, ça suffit cette hâte consacrée à ne rien-faire, et puis freiner des 4 fers, ensuite, quand il s’agit de se sortir ce qu’on sait de là où on pense.

Des exercices, dans ma vie, j’en ai pas fait beaucoup, j’ai même consacré le plus clair de ma scolarité à les éviter. Mais, y’en avait un qui avait trouvé grâce à mes yeux, et dont je m’étais même inspirée: tomber sur 3 mots dans le dictionnaire et, au mieux: en faire un sujet, au pire: les caser dans un texte sans grand rapport.
Une fois dans ma vie, j’y avais joué avec un ami, dans un bar. A cet exercice. J’me rappelle: c’était jadis. Il m’arrivait de me rendre en cours, et un de ces jours inhabituels, confite dans mot pot d’ennui, j’avais confié mon envie de jouer avec les mots à un collègue d’avant-dernier rang. Ca l’avait motivé et pas qu’un peu. On aurait dit que je lui avais proposé, je sais pas, un tour de l’argentine en moto et que j’avais à disposition ET la moto ET les billets d’avion ET des contacts là-bas, ET des très gros seins. On avait 18 ans, je précise. Si l’expression «sauter au plafond» devait prendre forme humaine, il en aurait été la pure incarnation. Il en aurait eu des bosses en haut de la tête.




-Oui, mais oui, quelle riche idée, c’est génial, GE-NIAL.
-Non mais, t’emballe pas, c’est un truc basique, genre ateliers d’écriture et écrivains à la petite semaine.
-Mais GENIAL. On n’est ni l’un ni l’autre, tu vois?
-Ben. Oui, je vois oui.
-Et qu’est ce qu’on est?
-...Chais pas. Des cancres?

Comme si elle avait été branchée sur mouchard, la prof de je sais plus quoi, -une sorte de matière hybride qui ne m’a jamais servie depuis- quelque chose comme «les maths» je crois, à moins que ce ne soit «les mathématiques»? Bref, nous l’appellerons la digne représentante du Ministère de l’Education Nationale, avait pas moult apprécié notre conversation sans grand rapport avec les examens. Elle avait pesté à notre égard et nous avait qualifiés, sinon traités, de «vauriens».

-... Bon, ben... Des vauriens alors, manifestement.

J’ai toujours éprouvé, depuis, un plaisir à chuchoter, même si je reste convaincue que les «S», les «CH» et les rires sous capes se remarquent davantage dès lors qu’on veut les étouffer.

-Tatata, on n’est pas des vauriens, et on va le prouver !
-A qui?
-A tout le monde, pardi!
-Genre tu dis «pardi».

Rire étouffé-bruyant / regard assassin de la prof inutile / avertissement qui frétille.

-Chut, ris pas. Si je dis «pardi» c’est parce qu’on est dans le délire «mot chelou à caser dans un texte».

Là, ça faisait beaucoup de «CH» et de «S». Comme il ne parlait qu’avec le souffle, sa voix intervenait accidentellement ça et là, son chuchotement devenait hilarant, d’une manière déraisonnablement perturbante. Et, pour un prof comme cette Jesaisplusqui, prendre le risque de perdre le peu d’élèves concentrés qu’elle avait à cause de 2 cancres slash vauriens irrécupérables qui ont, de surcroît, le culot de prétendre faire l’effort de ne déranger personne, c’était trop. Trop c’est trop, c’est le genre de phrases qu’elle pouvait se dire, "Trop c’est trop".

-Machine, machin, vous sortez. Bureau du proviseur. Vous lui expliquez la situation et vous revenez avec un mot de sa sanction.
-...
-...

On faisait moins les malins.

-Ca fait moins les malins, là hein.

Au moins un point sur lequel on était d’accord.

-C’est exactement ce que je me disais.
-Eh bien parfait: au moins un point sur lequel nous sommes d’accord.
-Ca aussi, je me le disais ! Ca nous fait deux points ! Dingue ! Si ça se trouve on va finir par devenir potes à force d’être toujours d’accord !
-Votre carnet de correspondance. Maintenant. Cette insolence va vous coûter cher.
-J’ai été insolente?
-Vous continuez?
-Je continue?
-Dehors!

Non mais. J’en revenais pas. Qu’est ce que quoi. J’avais à peu près rien fait, faut pas déconner, des élèves qui chuchotent, y’a que ça, mais des élèves qui disent à voix haute , devant les camarades, qu’ils pourraient presque s’entendre avec la prof pouilleuse du lycée... y’en a un peu moins. Merde quoi. J’ai pas dit «merde quoi» à voix haute, mais, c’était tout comme.

«Comment elle me juge trop pas à ma juste valeur, putain.» que je disais, sans chuchoter, à mon acolyte.

-Vous dîtes?
-Je dis que : vous ne me jugez pas à ma juste valeur. C’est ça que je dis. Putain aussi. Merde quoi, d’ailleurs.
-Sortez.
-Vous savez que j’ai dit, y’a de ça 3, peut-être 4 minutes, -je sais pas, c’est vous l’adulte qui surveillez tout- que si ça se trouve «on pourrait même devenir potes» ?
-Je le sais, raison pour laquelle vous allez immédiatement me donner votre carnet de correspondance et sortir de cette pièce.
-Vous savez qu’en disant ça, j’ai pris un risque.
-L’exclusion, en effet.
-Vous ne croyez pas si bien dire: déclarer à un bouffon qu’on a peut-être des atomes crochus, c’est le risque de ne plus avoir d’amis. Je vous ai dit, à vous, qui êtes l’incarnation même de la prof bouffonne, que si ça se trouve, on pourrait être amies. A ce moment même, les petits péteux que vous voyez aux 4° et 5° rangs parce qu’ils n’ont ni les couilles d’être premiers de la classe ni le culot de faire la connerie que je fais en ce moment... ces péteux là, ils se sont dit «han, la honte» en m’entendant. Et, je le savais, en vous le disant. Qu’ils diraient de moi Han-La-Honte. Ce qui, je suis désolée de vous l’apprendre, est dramatique, à mon âge.
-Sortez ou j’appelle le conseiller qui s’en chargera lui-même.
-Comment vous comprenez trop rien à rien, ca m’fait pitié. Si vous êtes un si mauvais prof, je devrais avoir le droit d’être un mauvais élève aussi. Y’a pas de raison.

Acolyte, qui me surprenait toujours pas sa fraîcheur et sa spontanéité, avait objecté:

-Si, quand même, on peut pas dire: elle touche sa bille en maths.

Ok, on était donc en cours de maths.
Je jugeais opportun de ranger mes livres d'histoire tiret géo avant de dire le reste des tréfonds de ma pensée.

-Ok, vous y comprenez quelque chose en maths, super, mais si vous comprenez rien à ceux à qui vous devez les expliquer... Ce serait-i-pas ce qu’on appelle «un putain de prof raté»?
-Comment osez-vous?
Elle devenait rouge, principalement sur le cou. Je suis pas experte, mais je suis sûre que c’était pas un signe de bonheur.
-Et vous? Comment osez-vous faire de moi une potentielle allergique à tout ce qui est angles droits, sinus, et.... bon, tout le reste là. C’est pas pro. C’est pas pro. Je le dis deux fois même. Moi je suis pas payée pour la sanction que je vais avoir. Et vous, vous êtes payée pour celle que vous n’aurez pas.

Elle n’avait pas eu besoin de rajouter quoique ce soit. J’allais pour sortir, ok, j’y allais, c’est bon, oui ok. Acolyte, derrière, avait la tête de celui qui est fier tout en s’excusant. Ca fait une mimique bizarre, autant vous le dire, distordue. Comme si son côté droit se battait avec son côté gauche, comme si ces deux côtés étaient ravis de se battre, comme si c’était bizarre quoi, comme je disais.
Je le savais, la tête qu’il avait, je l’avais attendu à la porte, le temps qu’il arrive, au moins pour la claquer derrière lui. J’étais sûre qu’il n’y penserait même pas.
Enfin, bon. Beaucoup d’émotions quoi. On partait dans les couloirs, sans bousculades, pour une fois, sans rien du tout d’ailleurs, on avait même pris le temps de constater la qualité du plancher et aussi l’odeur près de la cantine, et des toilettes, dont on savait déjà qu’elle nous manquerait plus tard. C’est pas sexy, mais c’est comme ça. Elle nous manquerait, un jour, sans qu’on arrive même à la définir. On était ok sur ce genre d’émotions, sans se le dire, c’est vous dire combien on était connectés niveau amitié, Acolyte et moi.



Absolument convaincue que l’injustice régnait sur le monde comme Lafontaine sur les fables, je partais avec Acolyte, sachant, sans avoir à le lui demander, qu’il comptait lui aussi éviter la case «bureau du proviseur» pour se rendre directement à l’étape «pmu d’en face».
J’espérais simplement que le jeu qui nous attendait n'allait pas nous faire pas tomber sur le mot «école» ou «justice» ou «adulte». Ah oui et «jeune adolescente inculte» aussi.
Mais, en grande intellectuelle que j’étais, je me faisais remarquer à moi-même que ça n'existait pas «jeune adolescente inculte» dans le dictionnaire.
Et je commençais à le regretter, rapport au fait que, du coup, personne ne nous comprendrait jamais et qu’on serait amenés à vivre toujours incompris, nous, les jeunes adolescents incultes. C’était sur, je me disais, les adultes et nous, on avait de longues années de guerre à l’horizon. Au moins, ça nous faisait un horizon. J’me disais tout ça.
Quand, pile poil, Acolyte me lança son coude dans les côtes. A 99% persuadée qu’il n’était pas mal intentionné, je grimaçais, soit, mais sans l’insulter.

-ON A PAS D’OUTIL DE TRAVAIL !

Il avait crié de tous ses poumons.
Je me souvenais d’un vague pétard, fumé 2 heures plus tôt mais je le pensais pas si tapette sur le shit. Me concernant, tout ça était de l’histoire ancienne, peut-être restait-il des preuves de mon attitude de délinquante droguée asociale dans mon sang, mais dans mon exaltation, que nenni. J’en aurais d’ailleurs bien fumé un nouveau.

-Mec, t’es encore fraca? T’as refumé? Sans moi?
-ON A PAS DE DI-CTI-ONNAI-RE !

Merde. On avait pas de dictionnaire.

Au PMU habituel, on a essayé de dégoter deux ou trois magazines, assez de texte, de signes, d’imprimés, de polices Arial ou whatever, pour pointer l’index au pif et choisir les 3 mots tant espérés. Tout ce qu’on avait trouvé, c’était des grilles de paris de courses; et encore, même pas vierges, mais jetées sur le sol, inutiles, perdantes.
Or «mise», «tiercé» et «cochez» réduisaient l’inspiration de beaucoup. Je crois même qu’un de nous deux avait dit que «c’était pas notre dada». Blague générationnelle quoi. Dont personne ne peut vraiment être fier. Raison pour laquelle je préférerais mourir plutôt que d’avouer que c’était de moi. Bon. André, notre André chéri, ne savait plus comment rendre nos cafés plus gratuits que d’habitude, tout désolé qu’il était de ne pas être utile.
On avait 4 cafés, 4 grilles de PMU, et pas mal de rien d’autre. On se sentait comme des manchots à une partie de poker.

-C’est là que je pourrais dire de toi que t’es mon compagnon d’infortune. Tu trouves pas?

Il trouvait pas trop-trop, apparemment.
Alors j’avais fait comme d’hab’, comme ce qu’on faisait toujours, j’avais commencé à faire le tour de ma main sur le set de table avec un stylo bille. Le tour de ma main gauche, avec ma main droite. Un bic noir. Je le précise parce que, d’une: ma main droite est celle dont j’ai déjà dit que je ne pourrai jamais me passer et que, que vous le vouliez ou non, je viens encore de le prouver d’une façon qui n’accepte pas de contradicteur: elle faisait le tour de ma main gauche, ok? Faut pas déconner. On se passe pas de ce genre d’outil de nos jours. De deux, parce que, je suis une fille, et, même si ça me désole de répondre aux critères des magazines, il s’avère que, oui, de temps à autres, je dis ouvertement qu’il y a des choses que je n’aime pas chez moi. Pas pour m’entendre dire que j’ai tort, non, là, je serais vraiment ce que j’appelle une sous-femme. Moi, c’était sans raison, finalement. Ce qui est encore plus stupide que ce qui amène les sous-femmes à s’exprimer. Là, j’allais dire que je n’aimais pas le contour, la silhouette, l’allure de ma main gauche. J’allais dire que je la trouvais mal roulée. Je dis ça parce que, ce qui est intéressant, c’est que, ma main gauche, c’est précisément celle que j’utilise le moins. Enfin, je l’utilise pour le piano, ok, pour l’écriture, et encore, pour la danse, quoi que. Pas pour la masturbation, ça c’est sur. Ni pour la cuisine, ou, je sais pas... le maquillage. Par exemple, pendant que je me maquille, pendant que je cuisine, pendant que... mettons, je sais pas, je lave les vitres... Ok, donc : pendant que je suis une putain de femme au foyer des années 50 aux Etats unis, et bien, pendant tout ce temps là, c’est ma main droite qui bosse. Ouais, ma main droite, c’est un peu l’homme de la maison. Ma main gauche, pendant ce temps, il semblerait qu’elle trouve passionnant de traîner le long de mon corps, ou de s’appuyer ça et là. Sans que ça n’ait vraiment d'intérêt ces «ça» et «là». Ni que ça serve à quoi que ce soit de «s’appuyer». M’enfin, les femmes, vous savez... On comprend jamais trop.
Donc, bon, tout ça pour dire que ma main gauche était la plus fine des deux puisque la moins utilisée. Les phalanges étaient plutôt esthétiques, la courbe des muscles: discrète, mais présente. Les ongles, vernis: et pas trop écaillés.  Mais quand bien même, là, à 9h45, alors qu’on jouait soit disant notre avenir, qu’on avait bu trop de café, qu’on avait plus de pétard, qu’on avait pas de dictionnaire et que tout ça,  je disais à Acolyte que je trouvais que j’étais grosse. Que je trouvais que Beurk.

-Beurk, comment chuis grosse! Haaan! T’as vu?
-Quoi?
-Regarde cette main!

Je tendais le set de table imprimé de l’erreur que dieu-maman-génétique avaient faite.

-Quel rapport avec le cul? avait-il dit en repoussant le set.
-Quoi? Le cul? Quel rapport en effet, je te le demande.
-Regarde.

Il avait sorti une photo de sa p.e.t.i.t.e.c.o.p.i.n.e. de son p.o.r.t.e.f.e.u.i.l.l.e.
Malgré le fait que je voulais en savoir plus sur ma grosseur des mains et son histoire de cul, je ne pouvais m’empêcher de pouffer rapport à la photo dans le larfeuille, merde, quoi, ho.

-Tu t’es cru aux States?
-Quoi?
-Mec! T’as la photo de ta meuf dans ton portefeuille! Allô?

Là, je le regardais fort fort fort avec mes yeux grands grands grands ouverts ouverts verts.

-Non mais, c’est pour te montrer, ce qui est gros, ce qui ne l’est pas, tout ça. ... Me Mets pas mal à l’aise comme ça.

Et voilà qu’il rangeait la photo dans son portefeuille. Again.

-Je disais donc: TU T’ES CRU AUX STATES?
-ELLE s’y est crue, oui.

Bon alors je prenais le portefeuille, sortais la photo, avec ma main droite, hein, celle qui fait tout bien et qu’est pas si moche et je regardais, mais pour le coup, de mes 2 yeux, la donzelle.

«Sexy lady» j’aurais du dire. J’entends: si j’avais été une bonne amie, avec une anatomie normale et deux mains équilibrées. Au lieu de quoi j’ai dit «Wahou, mais...»
Il faut savoir que ces trois points de suspensions ont duré bien plus de temps qu’il n’en faut pour les lire. Pour preuve, pour lire trois points de suspension, il faut quelque chose comme, je sais pas, je vais pas faire appel à un spécialiste mais.
Il y’a des spécialistes pour ça? Disons un centième de seconde. Mes 3 points de suspension du dessus avaient duré comme les 3 minutes qu'il avait mises à oser me montrer la photo. Ce que je réalisais trop tard. Je réalisais ça ET le fait que la vie soit pas cool. Parce que si j’avais réalisé avant qu’il avait mis autant de temps à me montrer la photo, j’aurais sûrement même pas parlé de mes mains, j’veux dire, ou alors, quand il m’aurait montré la photo, j’aurais senti tout ce que ça impliquait pour lui et j’aurais tenté un saut au plafond comme il savait si bien le faire, pour lui montrer, que, wahou, la vue de sa donzelle me remplissait de joie, que, mec, avec une plante pareille sur la terre, l’humanité n’avait plus aucun souci à se faire, j’aurais même peut-être dit, en mentant sûrement, mais pour lui faire plaisir, que je comprenais, maintenant, pourquoi il la gardait dans son protefeuille comme un américain.

Acolyte, là,  me sort de ma tête:

-Wahou, mais quoi?
-Ben, wahou, mais, mec, vous devez être nombreux pour vous occuper de son cas, hein, non?

Ah, là, tout de suite, en le disant, pile poil, à peine j’avais terminé ma phrase que je savais. Comme on dit en maths: hésitation+sarcasme=pas bien.

-T’es assez nulle quand tu veux être une amie, tu sais. Elle a un gros cul ok, mais je montrais ça pour t'expliquer que ta main était parfaite, qu'elle allait avec le reste et que même si tu te trouvais grosse, -ce qui est insultant pour pas mal de jeunes qui vivent dans des pays en voie de développement- y'aurait toujours quelqu'un pour trouver ça beau, et je te le prouvais en te montrant que j'aimais une fille aux formes gargantuesques.

Et voilà qu'il rangeait à nouveau la photo dans le portefeuille.

-Non mais, attends, ce que je veux dire c’est que...

Bon, là, Acolyte avait utilisé sa main gauche pour la mettre sur ma main droite Peut-etre parce qu’il voulait que ma main droite à moi ne fasse rien et que la sienne puisse faire ça:

-Je me suis pas cru aux States, Baby. (Acolyte est drôle); j’ai aussi une photo de toi dans mon portefeuille.

Ma main tremblait un peu sous la sienne. Tout ça parce que j’ai une tendance à me laisser envahir par l’émotion, ce qui est très mal pour quelqu’un qui ne croit en rien, je sais, je bosse dessus.
Il sortait la photo.

-Quoi? Mais d’où t’as cette photo! Rends la moi.

Il la tenait à distance, comme dans les films, quand y’a justement un mec qui a une photo qu’une fille ne veut pas qu’il aie et que la fille veut la récupérer et que la nauture a fait les choses de telle sorte que les mecs sont assez grands pour tenir les photos qu’on veut récupérer sous notre nez mais hors de portée. Grand = 1m82, pour info.

-Arrête ça tout de suite.
-Ca fait moins la malineuh.
-Ca parle comme une prof de matheuuuuu.
-Ca te rendra pas ta photo-heu.
-Super. André?

André arrive toujours comme s’il attendait, là, juste derrière, qu’on l’appelle. A peine on a fini de prononcer le «dré» d’André que le mec dit:

-Oui mon abricot?

André donne des noms de fruits aux clients qu’il aime bien.

-(Soupir)
-Qu’est ce que tu veux mon abricot, un jus de fruit?
-Bwarf, on n’a pas d’argent, on est des nuls, c’est nul, chuis désolée.

André avait compris ce que je voulais vraiment de lui et il avait attrapé la photo qu’Acolyte tenait encore derrière son dos, me l’avait donnée et m’avait dit:

-4 café ou 6, un jus de fruit ou 2, tu sais... Abricot... Ca changera pas la face du monde.

André était généreux.
En prenant la photo, je le regardai, fier de son petit tour de passe-passe et lui demandai:
-Parce qu’il y a quelque chose qui changera la face du monde, tu crois, un jour?
-A part toi, non, rien, ça c’est sûr.
Et il était reparti près du percolateur.
Pfioulala, André était généreux, à tendance «petits noms» et papa en herbe de surcroît.
Ca faisait beaucoup pour un seul homme, et ça me faisait beaucoup d’effet à moi, la moitié d'une femme.

Acolyte, qui sentait mon enthousiasme baisser à vue d’oeil, avait décidé d’outre passer les règles, d’inventer notre propre loi: il déciderait des mots, j’écrirai. Soit. Pourquoi pas. Allons-y.
Entre-temps, on avait fumé le pétard dont j’avais eu envie plus haut et, alors, j’étais à peu près cap de tout faire. Ou alors non, j’étais à peu près cap d’en n’avoir rien à foutre de rien. Un truc dans ce genre là, quoi.

-Mais tu me fais pas le coup de mots comme «pardi» hein.
-Ben, je fais tous les coups que je veux.
-Non mais «pardi», «sapristi», «mazette» et «damoiseau», ça va nous faire un conte de château, c’est chiant.
-Bon, Albuquerque.
-Non, alors, je t’arrête tout de suite, excuse moi, mais puisqu’on va se la jouer vocabulaire, autant te le dire tout de suite, on dit «abdique» dans la vie et pas ... «albriqueque» ou je sais trop ce que tu viens de prononcer.
-Al-bu-quer-que.
-Ah. Ok. Ben. Heu. C’est pas un mot.
-Tatata, mot, nom propre, adjectif, peu importe. Albuquerque, j'te dis!

Je notais «Albuquerque», me voyant déjà faire circuler un personnage sombre et solitaire à la frontière de l’Uruguay et...

-C’est bien en Uruguay, Albuquerque, hein?
-Tu sais quel cours va commencer, là?
-Elle dit qu’elle voit pas le rapport avec sa question.
-Le cours d’Histoire géo.

Pffff, il avait oublié de dire «tiret» entre Histoire et Géo, l’inculte.

-Ok, et?
-Et, puisque tu ne vas pas y aller, tu ne sauras jamais où se trouve Albuquerque.
-Non mais attends... je sais très bien où est Albuquerque, c’est pas en Uruguay, je disais ça comme ça, c’est, ... t’sais, pas loin de...
-"Polissonne".
-Si tu veux m'entendre dire que Polissonne est un pays, un de ceux qui auraient une frontière commune avec le Nouveau Mexique et le désert de Chihuahua, tu oublies que le pétard me redonne la mémoire ET l’envie de te taquiner, raison pour laquelle, pendant que tu réalises que, oui, Albuquerque est bien au Nouveau Mexique à côté, tout près du désert de Chihuahua, et que tu te demandes comment ça m’est revenu, et bien, pendant tout ce temps, je vais me contenter de te chatouiller là où je sais que c’est tellement insupportable pour toi que tu peux te pisser dessus. Mais je vois que tu es encore en train de comprendre ma phrase quand tu devrais déjà t’enfuir, donc, d’une: le pétard ne fait pas le même effet à tout le monde, de deux: donne moi ta côte.

Le con avait soulevé son tshirt. Comme un gros con. Le con. J’te jure. Les garçons, parfois, ça me fait pitié.

-Ca te dérange pas si je te traite d’attardé pendant que je te chatouille, hein?

Pendant qu’Acolyte se tordait et rampait et enfin reprenait son souffle je disais:

-Polissonne, donc? je vous vraiment pas ce que ça veut pouvoir dire.

Je la fermais et notais «polissonne». En voyant Albuquerque et Polissonne côte à côte, j'ai eu l’impression qu’il choisissait ses mots d’après un critère phonétique, l’idée n’était pas pour me déplaire.

-"Ammoniaque", "Mangrove".

Qu’est ce que quelqu’un irait faire au Nouveau Mexique pour sniffer de l’ammoniaque et sauver la mangrove? Tomber amoureux d’une polissonne? Ca s’annonçait pas super-super cohérent tout ça.

-"Farandole».
-Bon, ça fait pas 3 mais 5 là. On arrête.

A vrai dire, Farandole me sauvait. Tout ce monde là allait bien s’entendre, c’était outre-décidé.

J’ai fait mon exercice dès que j'ai pu en me disant que, voilà, il suffisait de concerner un élève pour le voir se passionner et obéir, que c'était tout de même pas sorcier, nom de nom. J'avais même cherché d'autres mots qui sonnaient joliment. J'étais dedans, en somme. Le lendemain, il était sur son bureau. Un bureau qui ressemblait étrangement à un top case de scooter. La semaine d'après, je l'avais adressé à mon proviseur et ma prof de cette matière hybride dont j'ai déjà oublié le nom, pour les remercier de m'avoir donné 3 jours pour m'amuser. Ma prof de Français était dans le coup, bien sûr, les profs de Français ont toujours été dans mes coups. L'exercice, il vaut ce qu’il vaut, il a, quoiqu’on en dise, le mérite d’exister.

Il est là, d'ailleurs:
http://beaucoupbeaucoup.blogspot.com/2008/03/en-pmoison.html


L'énergie que ça m'avait donné, ce petit jeu à la noix, l'envie d'être à la hauteur du challenge et le plaisir de jouer avec des consonances et des sens que ça m'avait procuré, c'est autant de raisons pour que je m'y colle à nouveau. Ben, oui, les exercices dont je parlais. Et aujourd'hui, grande bourgeoise que je suis, j’ai un dictionnaire, que je peux feuilleter, et qui décidera donc que les mots clés seront:
(inquiète mais impatiente, je prends un dictionnaire, je pointe, et j’arrive)


Supsense et roulements de tambour, merci de votre intervention, je n'ai plus besoin de vous pour rendre le verdict.
-"Egérie"
-"Coupable"
et
-"Liaison"
seront les héros de ma composition.
Et que ça saute.


-maispastrop-


(et pour ceux qui douteraient de ma franchise et qui me voient déjà décider des mots sans aucun dictionnaire, je suis au regret de vous annoncer que vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusque là, et que d'ailleurs: J'AI UNE PREUVE vidéo. hé ouais. j'ai assez triché dans ma vie pour m'attendre à ce qu'on ne croie plus alors j'anticipe. et bim.)