Par la fenêtre
Au milieu de nulle part, je serais mieux n’importe où.
La journée a commencé comme toutes les autres, par le lever du soleil et mon corps qui refusait d’y croire ; encore un miracle, encore un tour de la terre, encore 24 heures à venir, encore une couette chaude de moi qui me propose de prendre mon temps pendant que tous s’affairent et usent leurs semelles sur les trottoirs encore mouillés des jets de la mairie de la ville. Je sens que ça s'active.
Une cité propre. Une capitale efficace. Un métro ponctuel. Des salariés dévoués. Des payes mirobolantes.
Quand je décide enfin de sortir un pied, puis l’autre, humer la température et émerger complètement, y’en a déjà qui déjeunent autour d’un débrief de la matinée et du dossier Dupont. Alors, pour m’excuser de mon hibernation pendant que tous, vous faites vivre le pays, - merci - je me dévoue - de rien - pour faire ce que le manque de temps vous empêche de faire : je regarde la ville.
Elle est là, fidèle, cracra et insolente.
La cour d’école me rappelle qu’il y a un âge auquel on crie à poumons ouverts quand la cloche sonne. A poumons salis, j’écris que ça me plait à crever. Je me souviens pas bien mais il me semble tout de même que, moi aussi, à la récré, je courrais comme une poule sans tête, je gueulais pour un rien, je vivais sans le savoir.
Il y a les camions remplis des légumes que j’achèterai tout à l’heure (parce qu’il faut en manger au moins une fois par jour) qui klaxonnent, et les piétons qui doigtdh’onneurent en retour.
Le chien du 210 a encore fait sur le trottoir, le patron du bazar menace encore de le faire piquer et la vielle folle (puisque c’est comme ça qu’il faut dire) s’en fout, elle chante Carmen. Si vous ne l’aimez pas, je l’aime.
Les effluves montent jusqu'à mon 6° étage, celles du chien, celles des pots d’échappement, celles des courgettes et celles de la solitude.
Quelle fraîcheur.
Cette ville m’enivre.
Tout a deux fois plus d’effet ici. Le réveil, la fatigue, la foule, la nuit, l’alcool. Parce que le cœur bat plus vite, alors le sang court plus fort et la vodka se presse pour draguer le cortex.
Grand bien m’en fasse.
Paris se met à mon diapason pendant que je lui donne le la. Elle et moi, c’est comme ça :
*Cul.
*Chemise.
Pour toujours, et pas comme quand on se le promet en amoureux transis dans le blanc des yeux alors que, en transit, la phrase à peine terminée on n’y croit déjà plus, on sait que ça périme, les grands sentiments ; non, pour toujours pour de vrai, je veux dire, je le sais, je le sens, elle, vous pourrez pas me l’enlever.
Toc.
Après que la rue m’ait rappelé à quel point certains trottoirs sont insurmontables et d’autres feux rouges éternels, je me sens… osons le dire, chanceuse. Je pourrais ne me vêtir que de ça, seulement ça, mon quadruple trèfle, mais tout le monde ne comprendrait pas. Et, c’est quand même essentiel de se faire comprendre si on veut un tant soit peu communiquer avec nos prochains. Je ne sais pas encore si c’est quelque chose de vraiment utile, communiquer, mais je crois pouvoir déjà dire que c’est mieux que de rester dans un trou auquel personne n’accède et de se prendre au jeu, se sentir génial, incompris, génialement incompris, alors que tout ce qu’il y a c’est qu’on a déconnecté. On a débranché la prise qui nous reliait à leurs volts.
Et être incompris d’absolument tout le monde quand on a des choses à dire à 6 milliards d'êtres humains, ça revient à (blanc)
J'ai tenu la porte à la voisine, j'ai dit bonjour à la boulangère, j'ai souri au propriétaire du lavomatic et j'ai pensé qu'on n'était certainement nombreux à faire les mêmes choses, au même moment. J'ai pensé qu'on était trop nombreux. Parce que je ne pourrai jamais tous vous rencontrer.
Ca m'a miné de penser ça.
Mais on m'a tenu la porte dans le métro, un jeune homme m'a souri et m'a laissé sa place et un gamin m'a regardé avec les yeux de l'amour.
Alors, ça va. Le temps passe comme ça, entre le oui et le non, je veille simplement à ce qu'il ne s'enlise pas dans le "mouais, bof".
Je mange pas tiède.
J'aime pas trop les 1/2 mesures.
-maispastrop-
La journée a commencé comme toutes les autres, par le lever du soleil et mon corps qui refusait d’y croire ; encore un miracle, encore un tour de la terre, encore 24 heures à venir, encore une couette chaude de moi qui me propose de prendre mon temps pendant que tous s’affairent et usent leurs semelles sur les trottoirs encore mouillés des jets de la mairie de la ville. Je sens que ça s'active.
Une cité propre. Une capitale efficace. Un métro ponctuel. Des salariés dévoués. Des payes mirobolantes.
Quand je décide enfin de sortir un pied, puis l’autre, humer la température et émerger complètement, y’en a déjà qui déjeunent autour d’un débrief de la matinée et du dossier Dupont. Alors, pour m’excuser de mon hibernation pendant que tous, vous faites vivre le pays, - merci - je me dévoue - de rien - pour faire ce que le manque de temps vous empêche de faire : je regarde la ville.
Elle est là, fidèle, cracra et insolente.
La cour d’école me rappelle qu’il y a un âge auquel on crie à poumons ouverts quand la cloche sonne. A poumons salis, j’écris que ça me plait à crever. Je me souviens pas bien mais il me semble tout de même que, moi aussi, à la récré, je courrais comme une poule sans tête, je gueulais pour un rien, je vivais sans le savoir.
Il y a les camions remplis des légumes que j’achèterai tout à l’heure (parce qu’il faut en manger au moins une fois par jour) qui klaxonnent, et les piétons qui doigtdh’onneurent en retour.
Le chien du 210 a encore fait sur le trottoir, le patron du bazar menace encore de le faire piquer et la vielle folle (puisque c’est comme ça qu’il faut dire) s’en fout, elle chante Carmen. Si vous ne l’aimez pas, je l’aime.
Les effluves montent jusqu'à mon 6° étage, celles du chien, celles des pots d’échappement, celles des courgettes et celles de la solitude.
Quelle fraîcheur.
Cette ville m’enivre.
Tout a deux fois plus d’effet ici. Le réveil, la fatigue, la foule, la nuit, l’alcool. Parce que le cœur bat plus vite, alors le sang court plus fort et la vodka se presse pour draguer le cortex.
Grand bien m’en fasse.
Paris se met à mon diapason pendant que je lui donne le la. Elle et moi, c’est comme ça :
*Cul.
*Chemise.
Pour toujours, et pas comme quand on se le promet en amoureux transis dans le blanc des yeux alors que, en transit, la phrase à peine terminée on n’y croit déjà plus, on sait que ça périme, les grands sentiments ; non, pour toujours pour de vrai, je veux dire, je le sais, je le sens, elle, vous pourrez pas me l’enlever.
Toc.
Après que la rue m’ait rappelé à quel point certains trottoirs sont insurmontables et d’autres feux rouges éternels, je me sens… osons le dire, chanceuse. Je pourrais ne me vêtir que de ça, seulement ça, mon quadruple trèfle, mais tout le monde ne comprendrait pas. Et, c’est quand même essentiel de se faire comprendre si on veut un tant soit peu communiquer avec nos prochains. Je ne sais pas encore si c’est quelque chose de vraiment utile, communiquer, mais je crois pouvoir déjà dire que c’est mieux que de rester dans un trou auquel personne n’accède et de se prendre au jeu, se sentir génial, incompris, génialement incompris, alors que tout ce qu’il y a c’est qu’on a déconnecté. On a débranché la prise qui nous reliait à leurs volts.
Et être incompris d’absolument tout le monde quand on a des choses à dire à 6 milliards d'êtres humains, ça revient à (blanc)
J'ai tenu la porte à la voisine, j'ai dit bonjour à la boulangère, j'ai souri au propriétaire du lavomatic et j'ai pensé qu'on n'était certainement nombreux à faire les mêmes choses, au même moment. J'ai pensé qu'on était trop nombreux. Parce que je ne pourrai jamais tous vous rencontrer.
Ca m'a miné de penser ça.
Mais on m'a tenu la porte dans le métro, un jeune homme m'a souri et m'a laissé sa place et un gamin m'a regardé avec les yeux de l'amour.
Alors, ça va. Le temps passe comme ça, entre le oui et le non, je veille simplement à ce qu'il ne s'enlise pas dans le "mouais, bof".
Je mange pas tiède.
J'aime pas trop les 1/2 mesures.
-maispastrop-
Wild Horses
Y'avait pas trop d'attente, malgré la réputation qui entourait cette exposition, malgré le soleil timide mais séduisant qui pointait sur le jardin du musée, malgré le jour du seigneur et les réductions - de 25 ans. Une dizaine de personnes, juste le temps de se dire tout ça.
Le boulevard Raspail, bon, c'est un endroit que j'ai jamais aimé. J'y ai habité pourtant, il a chaperonné des années dont le lointain souvenir me remplit encore de douceur et de légèreté; mais quand même, voilà, non. J'aimais pas sortir de mon cocon mignon tout plein et me retrouver sur une grosse avenue, large et bruyante aux immeubles administratifs, habitée par des voitures garées dans tous les sens, désertée par les gens. Il fallait s'armer de courage dès le premier pas posé sur le macadam.
C'était pas "mon" Paris à moi.
C'était un loupé, et, c'est pas grave, ça arrive. En y retournant, dimanche dernier, j'ai revu la jeune fille que j'étais et qui pestais contre tout ça.
Patti Smith prenait des photos. Patti Smith faisait des dessins. Patti Smith écrivait des lettres et vivait rue Campagne Première. Elle aimait Rimbaud. Elle avait un tee-shirt Rimbaud. Elle respirait aussi. Et elle faisait caca, si si.
On est tous les mêmes.
J'arrête pas de trouver des points communs entre moi et n'importe quel mortel, on a forcément des atomes crochus vous et moi, c'est comme ça. On n'est pas à l'abri de s'aimer un jour, même; je préfère vous le dire tout de suite.
J'aime Patti Smith, sans parler de Rimbaud, et aussi le type, là, qui recopie une des lettres exposées dans son carnet cracra; la gardienne qui lit Miller, je l'aime; Miller qui aimait Marilyn, c'est évident que je l'aime non?; et Marilyn que j'aime plus que moi-même, moi-même que quelqu'un aime surement, aussi, quelque part.
Le boulevard Raspail, bon, c'est un endroit que j'ai jamais aimé. J'y ai habité pourtant, il a chaperonné des années dont le lointain souvenir me remplit encore de douceur et de légèreté; mais quand même, voilà, non. J'aimais pas sortir de mon cocon mignon tout plein et me retrouver sur une grosse avenue, large et bruyante aux immeubles administratifs, habitée par des voitures garées dans tous les sens, désertée par les gens. Il fallait s'armer de courage dès le premier pas posé sur le macadam.
C'était pas "mon" Paris à moi.
C'était un loupé, et, c'est pas grave, ça arrive. En y retournant, dimanche dernier, j'ai revu la jeune fille que j'étais et qui pestais contre tout ça.
Patti Smith prenait des photos. Patti Smith faisait des dessins. Patti Smith écrivait des lettres et vivait rue Campagne Première. Elle aimait Rimbaud. Elle avait un tee-shirt Rimbaud. Elle respirait aussi. Et elle faisait caca, si si.
On est tous les mêmes.
J'arrête pas de trouver des points communs entre moi et n'importe quel mortel, on a forcément des atomes crochus vous et moi, c'est comme ça. On n'est pas à l'abri de s'aimer un jour, même; je préfère vous le dire tout de suite.
J'aime Patti Smith, sans parler de Rimbaud, et aussi le type, là, qui recopie une des lettres exposées dans son carnet cracra; la gardienne qui lit Miller, je l'aime; Miller qui aimait Marilyn, c'est évident que je l'aime non?; et Marilyn que j'aime plus que moi-même, moi-même que quelqu'un aime surement, aussi, quelque part.
(je viens de dire que je m'aimais là? Je sais plus je me suis perdue dans ma phrase.)
Il n'y avait rien d'extraordinaire parce que tout était très accessible: ni les dessins, ni les photos, ni les lettres ne nous clouaient par terre et c'était toute la beauté de la chose, on restait en l'air. Parce que sa musique était clouante, elle avait le droit d'être simple, presque banale dans d'autres domaines.
Mais elle avait le devoir de vivre dans ces autres domaines. Il fallait qu'elle photographie des statues et la tombe de Jean Paul et Simone. On avait besoin de savoir qu'elle envoyait des cartes à l'autre bout du monde pour raconter un film qui lui avait plu.
On est tous pareils.
Cartier avait exposé Lynch, dans le même ordre d'idée. Et, dans le même ordre d'idée, je m'étais sentie proche de David aussi. Ils exposent comme à la maison, nous invitent à nous sentir à l'aise et j'obéis, je me gêne pas pour mettre les pieds sur la table et écraser ma cigarette dans un truc qui répond peut-être au nom de "récipient" mais surement pas à celui de "cendrier"; preuve que je fais comme chez moi.
Piétiner, ça fatigue la plante des pieds. Dirigeons nous vers ces fauteuils clubs et ce canapé, là.
Voilà. Voilà. J'ai failli allumer une cigarette, tiens.
Mais elle avait le devoir de vivre dans ces autres domaines. Il fallait qu'elle photographie des statues et la tombe de Jean Paul et Simone. On avait besoin de savoir qu'elle envoyait des cartes à l'autre bout du monde pour raconter un film qui lui avait plu.
On est tous pareils.
Cartier avait exposé Lynch, dans le même ordre d'idée. Et, dans le même ordre d'idée, je m'étais sentie proche de David aussi. Ils exposent comme à la maison, nous invitent à nous sentir à l'aise et j'obéis, je me gêne pas pour mettre les pieds sur la table et écraser ma cigarette dans un truc qui répond peut-être au nom de "récipient" mais surement pas à celui de "cendrier"; preuve que je fais comme chez moi.
Piétiner, ça fatigue la plante des pieds. Dirigeons nous vers ces fauteuils clubs et ce canapé, là.
Voilà. Voilà. J'ai failli allumer une cigarette, tiens.
"Le centre de la grande salle ressemble à ma maison : très confortable et décontracté. Les visiteurs peuvent ici discuter, penser ou lire" nous dit M. Smith. *
Peuvent-ils aussi surprendre un regard à ras bord?
-> Un regard à ras bord, c'est des yeux qui laissent passer tout ce que la tête pense quand elle pense trop et qui dégouline sur quelqu'un qui n'a rien demandé.
Sa tête pensait trop, depuis trop longtemps, ses yeux crachaient tout ça, sur moi en l'occurrence, et, prise au dépourvu, je ne savais pas trop qu'en faire, ça m'encombrait, en somme.
Ce qui me dérangeait bien davantage, c'est que j'étais incapable de savoir si ce regard était à un homme ou à une femme : un corps recouvert d'un tee shirt et d'un jean trop large pour que les formes distinctives nous renseignent, une coupe de cheveux ni oui ni non, une allure cosmique, un regard insistant mais des mains fines. Vraiment, j'étais perdue.
Bien sur, l'exposition Patti Smith, fallait s'y attendre, on trouverait ici un regroupement d'androgynes et d'énergumènes, mais, elle, enfin lui, enfin bref ,"ça" n'est pas comme les autres.
"Ca" ne sait pas que c'est étrange. "Ca" me regarde comme si je savais.
Je ne sais rien. Plus "ça" me regarde, moins je sais.
Assise sur le cuir anglais, je m'interroge et j'ai l'impression que ma température corporelle monte à mesure que je ne trouve pas d'explication.
-"I fait chaud nan?" me dit ma mère.
Je me dis "C'est pas ma mère pour rien, elle."
-"Chais pas", je réponds.
Elle doit se dire "Pfff, c'est ma fille pour rien, elle".
Mais on se sourit quand même.
- Quand on voyageait, la femme qui m'a mise au monde et moi, on visitait les musées; on se disait, le matin, pendant le petit déjeuner au thé Earl Grey: "à quel musée on rend visite aujourd'hui?" (parce qu'on est des petites rigolotes) et on partait, prêtes à patauger entre le tableau, le car de touriste et notre soif d'en voir toujours plus. Souvent, le mal au pied nous poussait à dénicher le fameux coin canapé et on s'y installait entre les japonais, en s'échangeant nos impressions. J'avais en gros 40 ans de moins qu'elle, et ça à chaque fois, mais mes impressions valaient autant que les siennes; quand je parlais, à en croire son attention, ça valait vraiment quelque chose. Tout à la fin, elle me reprenait sur une broutille et m'envoyait retrouver une oeuvre.
Avec l'envie d'apprendre, avec l'excitation de revenir mieux renseignée, je partais comme un bon petit soldat à la recherche de "huile sur toile sans titre" de la salle 2.
Quand je revenais, pleine d'idées et de phrases déjà écrites dans ma tête, ma mère dormait. Toute droite, l'air de rien, elle dormait. N'importe qui aurait cru qu'elle réfléchissait. Ou un truc comme ça. Mais elle dormait, pour de bon, et je me disais toujours que j'étais persuadée que je ne rencontrerai jamais personne capable de dormir avec autant de subterfuge. Alors c'était elle que je regardais.
Elle devenait mon tableau préféré. Turner, Bacon, Otto Dix et Monet pouvaient bien aller se rhabiller, elle était là, vivante et pourtant figée, modèle idéale, prête à être encadrée, sans retouche. -
Les souvenirs, ça prend du temps, surtout ceux qu'on aime, et voilà que je me retourne vers elle et que déjà, elle illustre ma mémoire: elle dort, toute droite, figée, prête à être encadrée. Elle est les images de mon bouquin de ma tête. Pour faire comprendre ce que je dis avec mes mots dans ma pensée, elle le joue, le vit, le fait, là tout de suite. Si c'est pas une mère ça.
Alors, je la regarde et c'est comme avant, je pense toujours les mêmes choses, j'ai toujours l'impression que c'est elle le plus beau tableau et j'ai encore envie de la réveiller pour le lui dire tout en sachant que je ne le ferai pas parce que j'aime trop ce spectacle pour l'interrompre.
L'émotion, ça prend de la place, surtout celle de l'enfance. Alors ils partent, tous, comme dérangés par une présence intruse. C'est ça ouais, circulez, de l'air, y'a tout à voir mais ça vous regarde vraiment pas.
Sauf...... Sauf "ça", qui est encore là. Debout devant nous. "Ca" tient un petit carnet de croquis et un crayon, et, si je ne m'abuse, "ça" a tout l'air d'être en train de nous dessiner.
Comme je sors de ma rêverie à peu près en même temps que je découvre notre illustrateur, ça me coupe les jambes et me laisse sans voix alors je sèche; pourtant, la vraie moi aurait dit quelque chose, spontanément, une plaisanterie, assez moyenne surement, un mot que j'aurais regretté ensuite, mais un truc, un bruit, un lien de "ça" à moi.
Là, rien. Rien du tout. Néant. Ma bouche s'entrouvre mais y'a pas de son qui sort parce qu'il n'y a pas d'idée pour lui donner de direction, de directive, je me demande même si je ne suis pas devenue muette.
-Faites pas cette tête, "ça" me dit.
Après cette phrase, je fais une tête encore pire que celle que "ça" voulait pas que je fasse.
-Tiens donc, quelle tête? je rétorque à "ça"
Pendant que je donne une note à ma super géniale réplique (2/20), "ça" imite la tête en question, et la vraie moi ressurgit devant le comique incroyablement communicatif de sa grimace.
"Ca" rit aussi. Ca et "ça" me mettent en confiance, alors je me lève comme un seul homme et me penche vers le croquis que "ça" a fait.
Par dessus son épaule, je respire toutes les odeurs qui passent, j'essaie de déterminer le déodorant féminin, l'after shave masculin, je regarde la peau des joues, je scrute la potentielle barbe, j'espionne la peut-être pomme d'adam, j'attends d'apercevoir les poils du torse, dans l'embrasure du V du tee shirt.
"Ca" se retourne et me demande sans mots, avec un hochement de tête interrogateur, ce que j'en pense. Alors je regarde le papier.
"Ca" a dessiné la tête de ma mère sur un corps de jeune modèle, recouvert de gribouillages, entourée d'étudiants avec des têtes de stylos qui dessinent des partitions. A côté, il y a moi, mon corps est une guitare électrique et ma tête est une agglutination de mots, de phrases. Par dessus tout ça, en gros, le mot VIVRE.
Je remonte la tête vers "ça". Je souris pas. Je fais pas non plus de grimace. Je rien du tout. Je prends son stylo et encadre le V de "vivre" par des parenthèses. Ma mère va pas tarder à se réveiller, elle me retrouvera au café, où là où on peut fumer, on a l'habitude, alors je peux partir, alors je pars, et vite.
La gardienne lit toujours Miller, l'escalier me semble disproportionné, ma tête veut pas se retourner, les marches n'ont pas toutes la même taille, mais mon corps n'en fait qu'à sa tête et se retrourne. "Ca" s'est assis à côté de ma mère qui s'est réveillée (je vous l'avais dit) et ça discute. J'escalade les immenses marches, je sors, j'allume une cigarette, je remercie l'industrie du tabac, je trouve même le temps de me dire que tous les musées devraient avoir un jardin avec des bégonias et des pensées, et quand ma mère arrive, je sais qu'elle sait, mais je ne lui demande pas si c'était un homme ou une femme. "Ca" compte vraiment pas.
* livret explicatif de l'exposition "Une visite avec Patti Smith", rédigé par Pattounette elle-même.
-maispastrop-
Peuvent-ils aussi surprendre un regard à ras bord?
-> Un regard à ras bord, c'est des yeux qui laissent passer tout ce que la tête pense quand elle pense trop et qui dégouline sur quelqu'un qui n'a rien demandé.
Sa tête pensait trop, depuis trop longtemps, ses yeux crachaient tout ça, sur moi en l'occurrence, et, prise au dépourvu, je ne savais pas trop qu'en faire, ça m'encombrait, en somme.
Ce qui me dérangeait bien davantage, c'est que j'étais incapable de savoir si ce regard était à un homme ou à une femme : un corps recouvert d'un tee shirt et d'un jean trop large pour que les formes distinctives nous renseignent, une coupe de cheveux ni oui ni non, une allure cosmique, un regard insistant mais des mains fines. Vraiment, j'étais perdue.
Bien sur, l'exposition Patti Smith, fallait s'y attendre, on trouverait ici un regroupement d'androgynes et d'énergumènes, mais, elle, enfin lui, enfin bref ,"ça" n'est pas comme les autres.
"Ca" ne sait pas que c'est étrange. "Ca" me regarde comme si je savais.
Je ne sais rien. Plus "ça" me regarde, moins je sais.
Assise sur le cuir anglais, je m'interroge et j'ai l'impression que ma température corporelle monte à mesure que je ne trouve pas d'explication.
-"I fait chaud nan?" me dit ma mère.
Je me dis "C'est pas ma mère pour rien, elle."
-"Chais pas", je réponds.
Elle doit se dire "Pfff, c'est ma fille pour rien, elle".
Mais on se sourit quand même.
- Quand on voyageait, la femme qui m'a mise au monde et moi, on visitait les musées; on se disait, le matin, pendant le petit déjeuner au thé Earl Grey: "à quel musée on rend visite aujourd'hui?" (parce qu'on est des petites rigolotes) et on partait, prêtes à patauger entre le tableau, le car de touriste et notre soif d'en voir toujours plus. Souvent, le mal au pied nous poussait à dénicher le fameux coin canapé et on s'y installait entre les japonais, en s'échangeant nos impressions. J'avais en gros 40 ans de moins qu'elle, et ça à chaque fois, mais mes impressions valaient autant que les siennes; quand je parlais, à en croire son attention, ça valait vraiment quelque chose. Tout à la fin, elle me reprenait sur une broutille et m'envoyait retrouver une oeuvre.
Avec l'envie d'apprendre, avec l'excitation de revenir mieux renseignée, je partais comme un bon petit soldat à la recherche de "huile sur toile sans titre" de la salle 2.
Quand je revenais, pleine d'idées et de phrases déjà écrites dans ma tête, ma mère dormait. Toute droite, l'air de rien, elle dormait. N'importe qui aurait cru qu'elle réfléchissait. Ou un truc comme ça. Mais elle dormait, pour de bon, et je me disais toujours que j'étais persuadée que je ne rencontrerai jamais personne capable de dormir avec autant de subterfuge. Alors c'était elle que je regardais.
Elle devenait mon tableau préféré. Turner, Bacon, Otto Dix et Monet pouvaient bien aller se rhabiller, elle était là, vivante et pourtant figée, modèle idéale, prête à être encadrée, sans retouche. -
Les souvenirs, ça prend du temps, surtout ceux qu'on aime, et voilà que je me retourne vers elle et que déjà, elle illustre ma mémoire: elle dort, toute droite, figée, prête à être encadrée. Elle est les images de mon bouquin de ma tête. Pour faire comprendre ce que je dis avec mes mots dans ma pensée, elle le joue, le vit, le fait, là tout de suite. Si c'est pas une mère ça.
Alors, je la regarde et c'est comme avant, je pense toujours les mêmes choses, j'ai toujours l'impression que c'est elle le plus beau tableau et j'ai encore envie de la réveiller pour le lui dire tout en sachant que je ne le ferai pas parce que j'aime trop ce spectacle pour l'interrompre.
L'émotion, ça prend de la place, surtout celle de l'enfance. Alors ils partent, tous, comme dérangés par une présence intruse. C'est ça ouais, circulez, de l'air, y'a tout à voir mais ça vous regarde vraiment pas.
Sauf...... Sauf "ça", qui est encore là. Debout devant nous. "Ca" tient un petit carnet de croquis et un crayon, et, si je ne m'abuse, "ça" a tout l'air d'être en train de nous dessiner.
Comme je sors de ma rêverie à peu près en même temps que je découvre notre illustrateur, ça me coupe les jambes et me laisse sans voix alors je sèche; pourtant, la vraie moi aurait dit quelque chose, spontanément, une plaisanterie, assez moyenne surement, un mot que j'aurais regretté ensuite, mais un truc, un bruit, un lien de "ça" à moi.
Là, rien. Rien du tout. Néant. Ma bouche s'entrouvre mais y'a pas de son qui sort parce qu'il n'y a pas d'idée pour lui donner de direction, de directive, je me demande même si je ne suis pas devenue muette.
-Faites pas cette tête, "ça" me dit.
Après cette phrase, je fais une tête encore pire que celle que "ça" voulait pas que je fasse.
-Tiens donc, quelle tête? je rétorque à "ça"
Pendant que je donne une note à ma super géniale réplique (2/20), "ça" imite la tête en question, et la vraie moi ressurgit devant le comique incroyablement communicatif de sa grimace.
"Ca" rit aussi. Ca et "ça" me mettent en confiance, alors je me lève comme un seul homme et me penche vers le croquis que "ça" a fait.
Par dessus son épaule, je respire toutes les odeurs qui passent, j'essaie de déterminer le déodorant féminin, l'after shave masculin, je regarde la peau des joues, je scrute la potentielle barbe, j'espionne la peut-être pomme d'adam, j'attends d'apercevoir les poils du torse, dans l'embrasure du V du tee shirt.
"Ca" se retourne et me demande sans mots, avec un hochement de tête interrogateur, ce que j'en pense. Alors je regarde le papier.
"Ca" a dessiné la tête de ma mère sur un corps de jeune modèle, recouvert de gribouillages, entourée d'étudiants avec des têtes de stylos qui dessinent des partitions. A côté, il y a moi, mon corps est une guitare électrique et ma tête est une agglutination de mots, de phrases. Par dessus tout ça, en gros, le mot VIVRE.
Je remonte la tête vers "ça". Je souris pas. Je fais pas non plus de grimace. Je rien du tout. Je prends son stylo et encadre le V de "vivre" par des parenthèses. Ma mère va pas tarder à se réveiller, elle me retrouvera au café, où là où on peut fumer, on a l'habitude, alors je peux partir, alors je pars, et vite.
La gardienne lit toujours Miller, l'escalier me semble disproportionné, ma tête veut pas se retourner, les marches n'ont pas toutes la même taille, mais mon corps n'en fait qu'à sa tête et se retrourne. "Ca" s'est assis à côté de ma mère qui s'est réveillée (je vous l'avais dit) et ça discute. J'escalade les immenses marches, je sors, j'allume une cigarette, je remercie l'industrie du tabac, je trouve même le temps de me dire que tous les musées devraient avoir un jardin avec des bégonias et des pensées, et quand ma mère arrive, je sais qu'elle sait, mais je ne lui demande pas si c'était un homme ou une femme. "Ca" compte vraiment pas.
* livret explicatif de l'exposition "Une visite avec Patti Smith", rédigé par Pattounette elle-même.
-maispastrop-
Madame Cyclopède
J'écoute Pierre Desproges à tue-tête.
Il pouffe dans les enceintes.
Qu'est ce que ça peut bien me faire si ça empêche le mioche d'à côté de siester, il aura tout le temps de dormir quand il sera mort.
Si Pierre desproges avait vécu de mon vivant, je l'aurais épousé, et puis c'est tout.
-maispastrop-
Il pouffe dans les enceintes.
Qu'est ce que ça peut bien me faire si ça empêche le mioche d'à côté de siester, il aura tout le temps de dormir quand il sera mort.
Si Pierre desproges avait vécu de mon vivant, je l'aurais épousé, et puis c'est tout.
-maispastrop-
Miaou
Quand je fume 10 cigarettes en 5 heures dans ma chambre, est ce que ça nuit à la santé de ma chatte?
Bon, maintenant, elle est morte de toute façon, et pas à cause de mon tabagisme.
Mais je suis retombée sur cette phrase et j'ai décidé qu'elle méritait de sortir de mon moleskine, de faire un petit tour, de voir du pays.
Merci.
Au revoir.
-maispastrop-
Bon, maintenant, elle est morte de toute façon, et pas à cause de mon tabagisme.
Mais je suis retombée sur cette phrase et j'ai décidé qu'elle méritait de sortir de mon moleskine, de faire un petit tour, de voir du pays.
Merci.
Au revoir.
-maispastrop-
Vie à vie
Il habite en face de chez moi mais mes fenêtres ne donnent pas sur les siennes ; je dois jouer à la contorsionniste, penchée sur mon balcon, pour zyeuter sa chambre, allumée à toutes les heures du jour et de la nuit ; comme je suis forte en déductions, je me dis qu’il ne doit pas beaucoup dormir, à peine moins que moi.
Y’a l’écran de la télé qu’il ne regarde pas qui projette des ombres inquiétantes sur ses murs blancs, pendant qu’il fume à la rambarde, pendant que je me cache, de peur d’être prise en flagrant délit de voyeurisme nocturne.
Je fume alors en même temps que lui, ma cigarette a un meilleur goût.
Y’en a des pépées qui défilent dans son deux pièces parquet poutres cheminée, il ne se prive pas, c’est le moins qu’on puisse dire ; il va même chercher les croissants le matin, la boulangère en met toujours deux dans le petit sac, sans attendre sa commande. C’est là qu’on s’est croisés pour la première fois. On ne s’est pas croisés, en fait, on s’est rentrés dedans. Je passais le pas de la porte tout en farfouillant mon porte-monnaie dans l’espoir d’y trouver un peu de caillasse et il sortait, ,à reculons, en adressant des vœux pour la journée à venir à l’équipe de la boulangerie ; tout ça fait qu’on s’est rendus compte de l’existence de l’autre pile au moment où on regrettait l’existence de l’autre puisqu’il empiétait sur l’espace vital.
-Rho mais merde pouvez pas regardez où vous marchez ?
-Et vous, vous pouvez pas avancer à l’endroit comme tout le monde ?
Après nos critiques, ce sont nos regards qui se croisent. On est tout de suite moins agressifs, ça redescend aussi vite que c’est monté. Je réalise l’odeur de beurre dans les croissants et les grains de beauté qu’il a dans le cou.
On reste dans les yeux l’un de l’autre une bonne minute, ce qui fait 60 secondes, je le précise parce qu’en lisant « une minute », vous pourriez passer à côté de l’aspect cinématographique de la scène. Tandis que 60 secondes, c’est du lourd. Comptez donc, pour voir.
A quand remonte la dernière fois où vous avez regardé quelqu’un dans le blanc des yeux pendant autant de temps ?
Il fallait bien qu’un de nous deux parle, un jour ou l’autre, on n’allait pas rester comme ça éternellement, des clients finiraient par vouloir passer, j’allais bientôt avoir vraiment faim, bref.
J’ai dit « Excuse moi, je ne t’ai pas…heu », là j’ai rougi, beaucoup, mes joues m’ont tenu chaud pour la journée, j’ai repris « Excusez moi, je ne VOUS ai pas vu. »
Super...
Mais il a souri.
Super.
-Et vous me voyez maintenant ?
- J’avais envie de dire « je ne vois que toi, ..heu.., vous » mais j’ai dit : Maintenant que vous m’avez marché sur les pieds, je ne peux pas trop faire autrement. (Faut que je pense à consulter, cette maladie des gentillesses camouflées en méchancetés, ça peut plus durer).
Il a souri quand même.
On s’est vus ce matin. Cette fois, c’est moi, enthousiaste et gourmande, qui commandais pour deux :
-Deux croissants, deux pains au chocolat, un pain aux raisins, un financier, une brioche et heu…. Vous avez des croissants aux amandes ? alors deux croissants aux amandes. Et aussi, une baguette s’il vous plait.
Je me retourne, il plante ses pupilles dans les miennes.
-Vous faites des provisions pour l’hiver ?
Bon, comme c’est plus l’hiver, j’ai trouvé cette blague assez moyenne et j’ai pas daigné répondre en bonne et due forme ; à la place, j’ai souri, un peu, et d’un seul côté.
On a pris sa commande pendant que j’attendais qu’on emballe ma ration.
- Non non, (il a interrompu le geste de la boulangère) un seul croissant aujourd’hui, s’il vous plait.
Aie. Comme je suis forte en déductions, je comprends qu’il est seul. Et mon cœur se casse. Aie.
Il a attrapé son petit sac ridicule et a sorti le croissant. Y’a le beurre qui a suinté pendant qu’il croquait, et des miettes sont tombées, pas gênées, sur son tee shirt blanc ; j’ai retenu ma main qui partait pour l’en débarrasser.
Il a dit « bon dimanche » et j’ai pas osé répondre « vous aussi », j’ai seulement souri, de l’autre côté.
Tout à l’heure il était à la fenêtre, il fumait, et j’ai décidé de ne pas me cacher. J’ai vu qu’il me voyait, et je me suis demandé ce qu’il faisait, à rentrer aussi sec dans son salon.
Il allait monter le son de sa musique. Bon, c’est là que c’est incroyable. Accrochez-vous bien.
Il écoutait la même chose que moi.
Il écoutait la même chose que moi.
On en était à la même minute du morceau.
On en était à la même minute du morceau.
Mon cœur s’est réparé. J’ai eu plein de bouts d’idées, je voulais lui lancer un livre, ou danser sur notre musique, ou descendre et crier « Allô Viennoiseries, bonsoir » mais ça a sonné à ma porte, et c’était plutôt Allo apéro.
Dans le judas, mes amis étaient beaux, avec tous leurs cernes, toute leur nonchalance, j’avais hâte de leur ouvrir et j’avais pas envie d’avoir hâte, j’avais envie d’être une fille normale, un peu conne, qui fait passer une amourette insignifiante avant des relations vieille de toujours. Mais j’ai pas réussi. J’ai pas réussi.
Le lendemain, j’ai envoyé quelqu’un d’autre à la boulange’, j’étais pas d’attaque pour le regard qui transperce. Le quelqu’un d’autre est revenu en disant « y’a un type juste avant qu’a pris les deux derniers croissants, du coup j’ai pris plein de pain au choc’, ça te va ? »
Et ça m’allait. Ca m’allait incroyablement bien.
J’ai souri des deux côtés.
-maispastrop-
Y’a l’écran de la télé qu’il ne regarde pas qui projette des ombres inquiétantes sur ses murs blancs, pendant qu’il fume à la rambarde, pendant que je me cache, de peur d’être prise en flagrant délit de voyeurisme nocturne.
Je fume alors en même temps que lui, ma cigarette a un meilleur goût.
Y’en a des pépées qui défilent dans son deux pièces parquet poutres cheminée, il ne se prive pas, c’est le moins qu’on puisse dire ; il va même chercher les croissants le matin, la boulangère en met toujours deux dans le petit sac, sans attendre sa commande. C’est là qu’on s’est croisés pour la première fois. On ne s’est pas croisés, en fait, on s’est rentrés dedans. Je passais le pas de la porte tout en farfouillant mon porte-monnaie dans l’espoir d’y trouver un peu de caillasse et il sortait, ,à reculons, en adressant des vœux pour la journée à venir à l’équipe de la boulangerie ; tout ça fait qu’on s’est rendus compte de l’existence de l’autre pile au moment où on regrettait l’existence de l’autre puisqu’il empiétait sur l’espace vital.
-Rho mais merde pouvez pas regardez où vous marchez ?
-Et vous, vous pouvez pas avancer à l’endroit comme tout le monde ?
Après nos critiques, ce sont nos regards qui se croisent. On est tout de suite moins agressifs, ça redescend aussi vite que c’est monté. Je réalise l’odeur de beurre dans les croissants et les grains de beauté qu’il a dans le cou.
On reste dans les yeux l’un de l’autre une bonne minute, ce qui fait 60 secondes, je le précise parce qu’en lisant « une minute », vous pourriez passer à côté de l’aspect cinématographique de la scène. Tandis que 60 secondes, c’est du lourd. Comptez donc, pour voir.
A quand remonte la dernière fois où vous avez regardé quelqu’un dans le blanc des yeux pendant autant de temps ?
Il fallait bien qu’un de nous deux parle, un jour ou l’autre, on n’allait pas rester comme ça éternellement, des clients finiraient par vouloir passer, j’allais bientôt avoir vraiment faim, bref.
J’ai dit « Excuse moi, je ne t’ai pas…heu », là j’ai rougi, beaucoup, mes joues m’ont tenu chaud pour la journée, j’ai repris « Excusez moi, je ne VOUS ai pas vu. »
Super...
Mais il a souri.
Super.
-Et vous me voyez maintenant ?
- J’avais envie de dire « je ne vois que toi, ..heu.., vous » mais j’ai dit : Maintenant que vous m’avez marché sur les pieds, je ne peux pas trop faire autrement. (Faut que je pense à consulter, cette maladie des gentillesses camouflées en méchancetés, ça peut plus durer).
Il a souri quand même.
On s’est vus ce matin. Cette fois, c’est moi, enthousiaste et gourmande, qui commandais pour deux :
-Deux croissants, deux pains au chocolat, un pain aux raisins, un financier, une brioche et heu…. Vous avez des croissants aux amandes ? alors deux croissants aux amandes. Et aussi, une baguette s’il vous plait.
Je me retourne, il plante ses pupilles dans les miennes.
-Vous faites des provisions pour l’hiver ?
Bon, comme c’est plus l’hiver, j’ai trouvé cette blague assez moyenne et j’ai pas daigné répondre en bonne et due forme ; à la place, j’ai souri, un peu, et d’un seul côté.
On a pris sa commande pendant que j’attendais qu’on emballe ma ration.
- Non non, (il a interrompu le geste de la boulangère) un seul croissant aujourd’hui, s’il vous plait.
Aie. Comme je suis forte en déductions, je comprends qu’il est seul. Et mon cœur se casse. Aie.
Il a attrapé son petit sac ridicule et a sorti le croissant. Y’a le beurre qui a suinté pendant qu’il croquait, et des miettes sont tombées, pas gênées, sur son tee shirt blanc ; j’ai retenu ma main qui partait pour l’en débarrasser.
Il a dit « bon dimanche » et j’ai pas osé répondre « vous aussi », j’ai seulement souri, de l’autre côté.
Tout à l’heure il était à la fenêtre, il fumait, et j’ai décidé de ne pas me cacher. J’ai vu qu’il me voyait, et je me suis demandé ce qu’il faisait, à rentrer aussi sec dans son salon.
Il allait monter le son de sa musique. Bon, c’est là que c’est incroyable. Accrochez-vous bien.
Il écoutait la même chose que moi.
Il écoutait la même chose que moi.
On en était à la même minute du morceau.
On en était à la même minute du morceau.
Mon cœur s’est réparé. J’ai eu plein de bouts d’idées, je voulais lui lancer un livre, ou danser sur notre musique, ou descendre et crier « Allô Viennoiseries, bonsoir » mais ça a sonné à ma porte, et c’était plutôt Allo apéro.
Dans le judas, mes amis étaient beaux, avec tous leurs cernes, toute leur nonchalance, j’avais hâte de leur ouvrir et j’avais pas envie d’avoir hâte, j’avais envie d’être une fille normale, un peu conne, qui fait passer une amourette insignifiante avant des relations vieille de toujours. Mais j’ai pas réussi. J’ai pas réussi.
Le lendemain, j’ai envoyé quelqu’un d’autre à la boulange’, j’étais pas d’attaque pour le regard qui transperce. Le quelqu’un d’autre est revenu en disant « y’a un type juste avant qu’a pris les deux derniers croissants, du coup j’ai pris plein de pain au choc’, ça te va ? »
Et ça m’allait. Ca m’allait incroyablement bien.
J’ai souri des deux côtés.
-maispastrop-
Galeries Lafayette
Ils avaient pourtant dit que le Printemps, c'était le 21.
Du haut de mon mètre 64, j'ai vu aucun bourgeons, moi, aucun soleil, pas d'amoureux transis non plus qui se baladent sous les platanes qui bourgeonnent -pas- ; tout ce qu'il se passe c'est qu'il pleut. Mon lierre est content mais c'est à peu près le seul.
Je comptais pourtant pas mal sur la météo pour me trouver des occupations, m'imposer des activités essentielles comme descendre mes gros pulls à la cave avant d'aller prendre l'apéro en terrasse.
Tout ce qu'il se passe c'est qu'il pleut.
Ceci dit, je m'en fiche pas mal, du temps qu'il fait. Mes humeurs, coriaces, ont besoin de bien plus qu'un éclaircissement pour s'alléger de leurs boulets, mais c'est les autres, ça leur pèse. Ils attendent ça, le beau temps, la brise et les jambes nues, avec tellement d'impatience que, quand ça ne vient pas, ils boudent et ruminent.
Les saisons, ça va ça vient, c'est ça que je leur dis, mais ma plaidoirie remporte un succès plutôt léger, si vous voyez ce que je veux dire. Pourtant, oui, les saisons, ça va ça vient, c'est bien vrai, l'amour aussi, et vous avec; y' a que le temps qui reste, qui continue, fidèle.
Alors faut pas se miner mes mignons.
J'aimerais bien mettre du beau temps dans votre humeur, mais en fait j'ai pas envie.
A la place, je fais des listes, j'énumère les choses, je classe l'intérieur de ma tête. Puisque "printemps", alors "grand nettoyage", allons y. Décidons déjà de ce qui nous ferait plaisir, pour mieux y accéder.
Pfiouh.
J'aimerais:
-que le grand nettoyage de printemps de ma tête soit déjà fait
-que les bourgeons bourgeonnent parce que, merde, c'est tout ce qu'on leur demande
-que le couple de corbeaux du mois de mai revienne sur mon balcon avec ses parades amoureuses et ses chansons gothiques
-que mes voisins partent en vacances et m'autorisent des apéros bruyants sur le balcon
J'aimerais pas:
-que tout ça soit à cause du réchauffement de la planète
-qu'on nous bassine avec mai 68, alors qu'en mai 08, c'est pire et pourtant, il se passe rien
-qu'il pleuve pile poil au moment où j'ai tout bien installé mon livre, mon café, mon transat et éteint mon téléphone
-qu'avec le mois de Juin, arrivent les touristes en short vert pomme qui vous mettent le doigt dans l'oeil pour pointer la Tour Eiffel
Bon. Les listes, c'est pas toujours miraculeux; on s'attend, une fois qu'on a terminé, à ce que tout se fasse tout seul. Et puis, bon, autant vous le dire tout de suite, en fait, non, rien ne se fait tout seul, jamais. A part la moisissure sur le pain de mie qu'on a oublié au fond d'un tiroir.
-maispastrop-
Du haut de mon mètre 64, j'ai vu aucun bourgeons, moi, aucun soleil, pas d'amoureux transis non plus qui se baladent sous les platanes qui bourgeonnent -pas- ; tout ce qu'il se passe c'est qu'il pleut. Mon lierre est content mais c'est à peu près le seul.
Je comptais pourtant pas mal sur la météo pour me trouver des occupations, m'imposer des activités essentielles comme descendre mes gros pulls à la cave avant d'aller prendre l'apéro en terrasse.
Tout ce qu'il se passe c'est qu'il pleut.
Ceci dit, je m'en fiche pas mal, du temps qu'il fait. Mes humeurs, coriaces, ont besoin de bien plus qu'un éclaircissement pour s'alléger de leurs boulets, mais c'est les autres, ça leur pèse. Ils attendent ça, le beau temps, la brise et les jambes nues, avec tellement d'impatience que, quand ça ne vient pas, ils boudent et ruminent.
Les saisons, ça va ça vient, c'est ça que je leur dis, mais ma plaidoirie remporte un succès plutôt léger, si vous voyez ce que je veux dire. Pourtant, oui, les saisons, ça va ça vient, c'est bien vrai, l'amour aussi, et vous avec; y' a que le temps qui reste, qui continue, fidèle.
Alors faut pas se miner mes mignons.
J'aimerais bien mettre du beau temps dans votre humeur, mais en fait j'ai pas envie.
A la place, je fais des listes, j'énumère les choses, je classe l'intérieur de ma tête. Puisque "printemps", alors "grand nettoyage", allons y. Décidons déjà de ce qui nous ferait plaisir, pour mieux y accéder.
Pfiouh.
J'aimerais:
-que le grand nettoyage de printemps de ma tête soit déjà fait
-que les bourgeons bourgeonnent parce que, merde, c'est tout ce qu'on leur demande
-que le couple de corbeaux du mois de mai revienne sur mon balcon avec ses parades amoureuses et ses chansons gothiques
-que mes voisins partent en vacances et m'autorisent des apéros bruyants sur le balcon
J'aimerais pas:
-que tout ça soit à cause du réchauffement de la planète
-qu'on nous bassine avec mai 68, alors qu'en mai 08, c'est pire et pourtant, il se passe rien
-qu'il pleuve pile poil au moment où j'ai tout bien installé mon livre, mon café, mon transat et éteint mon téléphone
-qu'avec le mois de Juin, arrivent les touristes en short vert pomme qui vous mettent le doigt dans l'oeil pour pointer la Tour Eiffel
Bon. Les listes, c'est pas toujours miraculeux; on s'attend, une fois qu'on a terminé, à ce que tout se fasse tout seul. Et puis, bon, autant vous le dire tout de suite, en fait, non, rien ne se fait tout seul, jamais. A part la moisissure sur le pain de mie qu'on a oublié au fond d'un tiroir.
-maispastrop-
A la bonne heure
Je respire la joie.
Je souris sans le vouloir. Ma bouche n'en peut plus de s'étendre tout partout sur mon visage. Y'a des fossettes à revendre. Et mes yeux plissent sous le poids de l'extase.
Je ne sais même pas que je suis heureuse, ce qui, d'après moi est LE signe du bonheur.
Le top.
La cerise sur le bord du verre du cocktail.
Et puis, j'ouvre mon agenda. Jusqu'à la semaine dernière, les jours sont remplis de rendez-vous, de déjeuners, de séances de films, d'annotations, de phrases que ceux que j'aime ont prononcées, de trucs-qui-traînent-et-qu'il-faut-vraiment-que-je-fasse. Jusqu'à la semaine dernière. Après, plus rien.
Ce vide me déserte et une peur panique me monte des doigts de pieds déjà bien occupés à s'installer dans une botte étroite.
Je.
Argh.
Nul.
Faut jamais délaisser. Rien ni personne. Je le sais pourtant.
Devant ces trois derniers jours de pages blanches, je réalise que j'ai été, sans m'en rendre compte, tout ce que je déteste; parce que tu me regardes avec des yeux de loup de Tex Avery, parce que la nuit et le jour se sont mélangés dans le lit, parce que j'ai oublié que je n'étais pas de ceux-là, je sais que ça va me revenir comme un boomerang au moment où je m'y attendrai le moins.
Je m'installe à une terrasse chauffée-fumeuse et m'y colle, remontant dans ce qu'il me reste de matière grise pour reconstituer ces dernières 72 heures. Je ne veux rien oublier, jamais.
Au moment où je le vis, y'a rien qui compte davantage que ce que je vis. Au moment où tu vis devant moi, tout peut s'écrouler. Et quand une inconnue me sourit dans la rue sans raison, j'ai envie qu'on se prenne tous la main et qu'on ouvre la cage aux oiseaux.
C'est pas décent d'oublier ça, alors faut l'écrire, laisser un petit mot, quelque chose sur quoi se repencher plus tard, même si c'est avec une sorte de gentil mépris pour la gentille petite conne naive qu'on était, à l'époque.
Faut que ça reste.
Je m'essaie à l'exercice, y'a rien qui vient, finalement je suis vide parce que pleine de sensations et sans vocabulaire pour les décrire.
Si je savais dessiner, je ferais des petits croquis des frissons que ton souffle a dessiné sur ma peau; la lumière qui passe, têtue, obstinée, entre les volets et dessine sur le mur des formes auxquelles on trouve toujours des noms; le moment où l'ordinateur passe miraculeusement d'Iggy Pop à Radiohead et les images que ça lance dans mon sang; le téléphone qui sonne et la main qui repousse les appels de gens que j'aime, pour leur parler plus tard; le chat, enfin, le chat qui veut sa part de bonheur et roule du cul jusqu'au lit où il se glisse, putassier, pour venir ronronner sur mon ventre et me faire mourir d'amour pour ses yeux incroyablement indolents, me convaincre qu'à part ça, y'a pas grand chose de vraiment essentiel; à part la faim joyeuse qui crie dans mon estomac, pile sous son ronron et me pousse à sortir du lit pour trouver deux trois fruits et un reste de pommes de terre amoureusement grillés des deux côtés.
Je dessinerais aussi le moment où il n'y a plus un bruit dans la maison. Les plantes, le chat, toi, moi, la rue, les mots, le mercredi, tout le monde se tait. Je dessinerai ça comme ça:
Quand y'a plus rien à dire, autant se remettre au lit avec une paire de bras et un agenda à remplir.
-maispastrop-
Je souris sans le vouloir. Ma bouche n'en peut plus de s'étendre tout partout sur mon visage. Y'a des fossettes à revendre. Et mes yeux plissent sous le poids de l'extase.
Je ne sais même pas que je suis heureuse, ce qui, d'après moi est LE signe du bonheur.
Le top.
La cerise sur le bord du verre du cocktail.
Et puis, j'ouvre mon agenda. Jusqu'à la semaine dernière, les jours sont remplis de rendez-vous, de déjeuners, de séances de films, d'annotations, de phrases que ceux que j'aime ont prononcées, de trucs-qui-traînent-et-qu'il-faut-vraiment-que-je-fasse. Jusqu'à la semaine dernière. Après, plus rien.
Ce vide me déserte et une peur panique me monte des doigts de pieds déjà bien occupés à s'installer dans une botte étroite.
Je.
Argh.
Nul.
Faut jamais délaisser. Rien ni personne. Je le sais pourtant.
Devant ces trois derniers jours de pages blanches, je réalise que j'ai été, sans m'en rendre compte, tout ce que je déteste; parce que tu me regardes avec des yeux de loup de Tex Avery, parce que la nuit et le jour se sont mélangés dans le lit, parce que j'ai oublié que je n'étais pas de ceux-là, je sais que ça va me revenir comme un boomerang au moment où je m'y attendrai le moins.
Je m'installe à une terrasse chauffée-fumeuse et m'y colle, remontant dans ce qu'il me reste de matière grise pour reconstituer ces dernières 72 heures. Je ne veux rien oublier, jamais.
Au moment où je le vis, y'a rien qui compte davantage que ce que je vis. Au moment où tu vis devant moi, tout peut s'écrouler. Et quand une inconnue me sourit dans la rue sans raison, j'ai envie qu'on se prenne tous la main et qu'on ouvre la cage aux oiseaux.
C'est pas décent d'oublier ça, alors faut l'écrire, laisser un petit mot, quelque chose sur quoi se repencher plus tard, même si c'est avec une sorte de gentil mépris pour la gentille petite conne naive qu'on était, à l'époque.
Faut que ça reste.
Je m'essaie à l'exercice, y'a rien qui vient, finalement je suis vide parce que pleine de sensations et sans vocabulaire pour les décrire.
Si je savais dessiner, je ferais des petits croquis des frissons que ton souffle a dessiné sur ma peau; la lumière qui passe, têtue, obstinée, entre les volets et dessine sur le mur des formes auxquelles on trouve toujours des noms; le moment où l'ordinateur passe miraculeusement d'Iggy Pop à Radiohead et les images que ça lance dans mon sang; le téléphone qui sonne et la main qui repousse les appels de gens que j'aime, pour leur parler plus tard; le chat, enfin, le chat qui veut sa part de bonheur et roule du cul jusqu'au lit où il se glisse, putassier, pour venir ronronner sur mon ventre et me faire mourir d'amour pour ses yeux incroyablement indolents, me convaincre qu'à part ça, y'a pas grand chose de vraiment essentiel; à part la faim joyeuse qui crie dans mon estomac, pile sous son ronron et me pousse à sortir du lit pour trouver deux trois fruits et un reste de pommes de terre amoureusement grillés des deux côtés.
Je dessinerais aussi le moment où il n'y a plus un bruit dans la maison. Les plantes, le chat, toi, moi, la rue, les mots, le mercredi, tout le monde se tait. Je dessinerai ça comme ça:
Quand y'a plus rien à dire, autant se remettre au lit avec une paire de bras et un agenda à remplir.
-maispastrop-
Ouvrir les volets, fermer les yeux
Il y a ceux qui crèvent la faim.
C’est une expression qu’on utilise pour parler des crève-la-faim sans vraiment être émus, ni concernés. On ne dit pas « les gens qui meurent parce qu’ils sont trop pauvres » par exemple; si on le disait, bah, on le dirait pas. On pourrait pas dire ça sans se sentir absolument concernés, presque responsables.
Enfin, j’espère qu’on ne pourrait pas.
On dit aussi les « nécessiteux » parce que pour parler de nous, on ne dit jamais « j’ai des nécessités ces derniers temps ».
Il y a les crève-la-faim, les orphelins, les nécessiteux, les handicapés, les séropositifs, les femmes battues, les hommes vaincus, les enfants abusés et la banquise qui fond. Les espèces disparaissent, sauf celles du porte-feuille qui pullulent, tranquilou.
Elle magazine consacre toujours deux pages à la misère du monde au milieu de pages mode remplies de fringues aux prix exorbitants et d'opinions plutôt douteuses, glissées l'air de rien dans une chronique littéraire. Et mes amies l'achète.
Il y a tout ça qui se passe dans l’écran et sur le papier du journal, mais je continue de vivre.
La preuve, je respire, je pense, je prends les transports en commun et j’ai même ri ce soir, beaucoup.
C’est lundi et c’est plus possible de savoir tout ça.
Si la semaine recommence, toute neuve, y’a pas de raison pour que moi non. Je voudrais reprendre les 7 jours du bon pied, vierge de tout, parce qu’en fait de connaissances et d’expériences, tout ce qu’il se passe, c’est que ça s'accumule et que j’ai de plus en plus de mal à commander un blanc sec à 4€ avec vue sur clodo. Il faut que j’en commande beaucoup plus pour oublier qu’il est là, avec sa piquette et le froid qui le pique.
Donc, je me ruine. Et je finis par avoir des nécessités.
Finalement, « quelque part », comme dirait ma mère – elle dit souvent ça : « quelque part, je m’en fous » ou « quelque part, je suis révoltée » et je me demande toujours « quelque part, d’accord, mais où ? », elle a beaucoup de quelques parts qui se contredisent gaiement - Finalement, disais-je, à un endroit indéfini, je vis avec cette conscience des autres en n’en tenant pas compte pour un sou.
Et un sou, c’est un sou.
Demandez-leur.
Autour de moi, les gens parlent de préoccupations.
Ok.
Alors j’arrive, pleine de principes, de grandes phrases, plutôt impatiente d’enfin rentrer dans le sujet vif, prête à me lancer dans le débat, cœur et âme, et puis je réalise que les préoccupations sont médiocrement personnelles. Ils se demandent s’ils doivent se marier et quand est-ce qu’il faut faire des enfants.
Si si, c’est bien ça qui les empêche de dormir, les nombrilistes que j’ai pour amis.
Moi ce qui m’empêche de dormir, c’est qu’il existe des insomnies égotistes, bourgeoises, capitalistes, soit - disant capitales.
Je sais pas, je suis personne pour dire ça, mais je suis au moins celle qui ne fait pas de ces maladies judéo chrétiennes des sujets de conversation devant un blanc sec avec un clochard en arrière plan. Parfois, c’est plus possible. Ca me dégoûte. Ca me « berk » de partout.
Je ne voudrais dire que de l’absurde, raconter du cocasse, parce que le reste est une insulte aux autres.
La politesse du désespoir, direz-vous.
Et ?
Pourquoi pas ?
Est ce que c’est vraiment possible de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ne connaîtra pas l’ours blanc ?
Vous venez de lire une phrase tellement politiquement correcte qu’elle en donne la nausée. Soit. Relisez-là. Encore.
Et encore.
Est ce que c’est vraiment humain de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ….
Ne vous méprenez pas, c’est bien moi que je conchie le plus violemment dans toute cette mascarade, parce que si vous vous en battez l’œil, alors battez-vous en l’œil, mais moi qui prétends être alarmée, je suis quand même là, à vous écouter parler de couches et de nouvelles baskets et je me trahis. De temps en temps, j’oublie, même. Et j’ai déjà dû aller jusqu’à donner mon opinion sur la couleur de la layette. La vraie moi devrait vous lancer son verre à la gueule et crier au scandale, la vraie moi devrait vous faire assez confiance pour comprendre ça, mais la vraie moi a baissé les bras et ne vous considère que comme des marionnettes ventriloques, à qui elle ne peut pas dire ce genre de conneries, parce que la vraie moi croit que vous seriez cynique, grossiers, obscènes.
Et elle a raison.
Je continue de vous aimer. Très fort. Mais, le lundi, vous êtes le miroir grossissant de tous les défauts que je ne veux pas avoir. Vous êtes mes rides de résignation. Vous êtes mes cernes d’aveuglement. Je vous aime très fort, en vrai. C’est moi que je déteste.
-maispastrop-
C’est une expression qu’on utilise pour parler des crève-la-faim sans vraiment être émus, ni concernés. On ne dit pas « les gens qui meurent parce qu’ils sont trop pauvres » par exemple; si on le disait, bah, on le dirait pas. On pourrait pas dire ça sans se sentir absolument concernés, presque responsables.
Enfin, j’espère qu’on ne pourrait pas.
On dit aussi les « nécessiteux » parce que pour parler de nous, on ne dit jamais « j’ai des nécessités ces derniers temps ».
Il y a les crève-la-faim, les orphelins, les nécessiteux, les handicapés, les séropositifs, les femmes battues, les hommes vaincus, les enfants abusés et la banquise qui fond. Les espèces disparaissent, sauf celles du porte-feuille qui pullulent, tranquilou.
Elle magazine consacre toujours deux pages à la misère du monde au milieu de pages mode remplies de fringues aux prix exorbitants et d'opinions plutôt douteuses, glissées l'air de rien dans une chronique littéraire. Et mes amies l'achète.
Il y a tout ça qui se passe dans l’écran et sur le papier du journal, mais je continue de vivre.
La preuve, je respire, je pense, je prends les transports en commun et j’ai même ri ce soir, beaucoup.
C’est lundi et c’est plus possible de savoir tout ça.
Si la semaine recommence, toute neuve, y’a pas de raison pour que moi non. Je voudrais reprendre les 7 jours du bon pied, vierge de tout, parce qu’en fait de connaissances et d’expériences, tout ce qu’il se passe, c’est que ça s'accumule et que j’ai de plus en plus de mal à commander un blanc sec à 4€ avec vue sur clodo. Il faut que j’en commande beaucoup plus pour oublier qu’il est là, avec sa piquette et le froid qui le pique.
Donc, je me ruine. Et je finis par avoir des nécessités.
Finalement, « quelque part », comme dirait ma mère – elle dit souvent ça : « quelque part, je m’en fous » ou « quelque part, je suis révoltée » et je me demande toujours « quelque part, d’accord, mais où ? », elle a beaucoup de quelques parts qui se contredisent gaiement - Finalement, disais-je, à un endroit indéfini, je vis avec cette conscience des autres en n’en tenant pas compte pour un sou.
Et un sou, c’est un sou.
Demandez-leur.
Autour de moi, les gens parlent de préoccupations.
Ok.
Alors j’arrive, pleine de principes, de grandes phrases, plutôt impatiente d’enfin rentrer dans le sujet vif, prête à me lancer dans le débat, cœur et âme, et puis je réalise que les préoccupations sont médiocrement personnelles. Ils se demandent s’ils doivent se marier et quand est-ce qu’il faut faire des enfants.
Si si, c’est bien ça qui les empêche de dormir, les nombrilistes que j’ai pour amis.
Moi ce qui m’empêche de dormir, c’est qu’il existe des insomnies égotistes, bourgeoises, capitalistes, soit - disant capitales.
Je sais pas, je suis personne pour dire ça, mais je suis au moins celle qui ne fait pas de ces maladies judéo chrétiennes des sujets de conversation devant un blanc sec avec un clochard en arrière plan. Parfois, c’est plus possible. Ca me dégoûte. Ca me « berk » de partout.
Je ne voudrais dire que de l’absurde, raconter du cocasse, parce que le reste est une insulte aux autres.
La politesse du désespoir, direz-vous.
Et ?
Pourquoi pas ?
Est ce que c’est vraiment possible de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ne connaîtra pas l’ours blanc ?
Vous venez de lire une phrase tellement politiquement correcte qu’elle en donne la nausée. Soit. Relisez-là. Encore.
Et encore.
Est ce que c’est vraiment humain de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ….
Ne vous méprenez pas, c’est bien moi que je conchie le plus violemment dans toute cette mascarade, parce que si vous vous en battez l’œil, alors battez-vous en l’œil, mais moi qui prétends être alarmée, je suis quand même là, à vous écouter parler de couches et de nouvelles baskets et je me trahis. De temps en temps, j’oublie, même. Et j’ai déjà dû aller jusqu’à donner mon opinion sur la couleur de la layette. La vraie moi devrait vous lancer son verre à la gueule et crier au scandale, la vraie moi devrait vous faire assez confiance pour comprendre ça, mais la vraie moi a baissé les bras et ne vous considère que comme des marionnettes ventriloques, à qui elle ne peut pas dire ce genre de conneries, parce que la vraie moi croit que vous seriez cynique, grossiers, obscènes.
Et elle a raison.
Je continue de vous aimer. Très fort. Mais, le lundi, vous êtes le miroir grossissant de tous les défauts que je ne veux pas avoir. Vous êtes mes rides de résignation. Vous êtes mes cernes d’aveuglement. Je vous aime très fort, en vrai. C’est moi que je déteste.
-maispastrop-
Nuit blanche et pleine lune
Il a fait nuit pendant 72 heures.
J'avais terriblement envie d'oublier le Tibet, le départ de mon amie et les messages du banquier.
J'ai semé ici et là, au gré du vent, à l'endroit où les gens de bonne compagnie proposaient d'aller.
Une partie de moi répétait sans cesse "va-te-coucher-pose-ce-verre-dis-au-revoir" mais sa voix portait pas assez; ça me faisait doucement rigoler.
Y'a des jours comme ça où on a envie, besoin, de persévérer, jamais abandonner.
"Je vais tous les allonger" c'est ça que je répondais à la partie de moi qui organisait une manif dans l'arrière de ma tête. Et, en effet, je vous ai tous bordés.
Fatigués avant moi.
Moi jamais fatiguée ce soir-là.
Je cherchais certainement à vivre seule ce moment précis, une petite dizaine de minutes où il ne fait ni jour ni nuit, où les travailleurs croisent les fêtards, où on ne sait plus trop si on doit dire bonjour ou bonsoir au taxi.
L'avenue de l'Opéra n'en avait rien à carrer, fidèle à elle-même, elle tenait ses immeubles droits dans leurs bottes, alignés dans une perspective très mélodieuse, qui amène à poser les yeux sur l'opéra, rutilant, fier lui aussi.
Est ce qu'il n'y a que moi qui croule sous le poids de l'heure? je leur demande.
Je me frotte les yeux, ça fait certainement dégueuler le mascara, et je cligne.
C'est pas mal quand même ici, y'a pas à dire. Elle est vraiment pas mal, cette ville de mon coeur.
J'aime bien ça, être remplie de gratitude et d'amour quand il n'y a personne à qui le donner.
Ca fabrique des moments que je range dans des tiroirs de ma tête et que je me plais à ouvrir quand il me manque de la compagnie et du souffle.
-maispastrop-
J'avais terriblement envie d'oublier le Tibet, le départ de mon amie et les messages du banquier.
J'ai semé ici et là, au gré du vent, à l'endroit où les gens de bonne compagnie proposaient d'aller.
Une partie de moi répétait sans cesse "va-te-coucher-pose-ce-verre-dis-au-revoir" mais sa voix portait pas assez; ça me faisait doucement rigoler.
Y'a des jours comme ça où on a envie, besoin, de persévérer, jamais abandonner.
"Je vais tous les allonger" c'est ça que je répondais à la partie de moi qui organisait une manif dans l'arrière de ma tête. Et, en effet, je vous ai tous bordés.
Fatigués avant moi.
Moi jamais fatiguée ce soir-là.
Je cherchais certainement à vivre seule ce moment précis, une petite dizaine de minutes où il ne fait ni jour ni nuit, où les travailleurs croisent les fêtards, où on ne sait plus trop si on doit dire bonjour ou bonsoir au taxi.
L'avenue de l'Opéra n'en avait rien à carrer, fidèle à elle-même, elle tenait ses immeubles droits dans leurs bottes, alignés dans une perspective très mélodieuse, qui amène à poser les yeux sur l'opéra, rutilant, fier lui aussi.
Est ce qu'il n'y a que moi qui croule sous le poids de l'heure? je leur demande.
Je me frotte les yeux, ça fait certainement dégueuler le mascara, et je cligne.
C'est pas mal quand même ici, y'a pas à dire. Elle est vraiment pas mal, cette ville de mon coeur.
J'aime bien ça, être remplie de gratitude et d'amour quand il n'y a personne à qui le donner.
Ca fabrique des moments que je range dans des tiroirs de ma tête et que je me plais à ouvrir quand il me manque de la compagnie et du souffle.
-maispastrop-
Percolateur Blues
Un peu d'histoires de cafés maintenant.
Parce que ce sont de vieux amis, de ceux-là qui ne m'ont jamais laissée tomber, qui savaient instinctivement quand j'avais le moral dans les chaussettes et qui ont toujours mis beaucoup de passion à me le remonter mi cuisse.
C'est chez eux que j'ai commencé à regarder le monde vivre et à me sentir étrangement spectatrice, c'est chez eux que j'ai cru pouvoir le changer, le monde, grâce à un stylo et une feuille.
Je leur dois beaucoup.
Je leur dois bien ça, en tout cas, un hommage noir sur blanc.
Parce que ce sont de vieux amis, de ceux-là qui ne m'ont jamais laissée tomber, qui savaient instinctivement quand j'avais le moral dans les chaussettes et qui ont toujours mis beaucoup de passion à me le remonter mi cuisse.
C'est chez eux que j'ai commencé à regarder le monde vivre et à me sentir étrangement spectatrice, c'est chez eux que j'ai cru pouvoir le changer, le monde, grâce à un stylo et une feuille.
Je leur dois beaucoup.
Je leur dois bien ça, en tout cas, un hommage noir sur blanc.
De Compostelle
Le Saint-Jacques
71 rue Saint Jacques 75005
Noisette: 1€90
Jambon-beurre:2€80
Une petite terrasse déborde sur le trottoir mouillé, 2 tables minuscules et 3 chaises. De quoi mettre l’eau à la bouche. Voilà le Saint Jacques, au milieu de la rue, presque au croisement de la rue des Écoles.
Je viens de me rayer les yeux à cause des feuilles et des poussières qui volent, d’éternuer très exactement à 12 reprises, d’ouvrir et de fermer mon parapluie une vingtaine de fois aussi vite que si ma vie en dépendait. Tout ça en un temps record: 15 minutes. C’est fou comme la vie peut être intense tout à coup.
Bref, je mérite bien une petite pause.
C’est étroit et tout en longueur, je me place au bord, juste avant la terrasse.
Une enceinte me sert Eminem dans son intégralité, alors au bout d’un moment, evidemment, ça me fait lever les yeux. Qui se posent à 2 mètres et quelques du sol, sur une étagère. Elle présente une sacrée collection ; des emballages - pour certains limités - de bouteilles en tout genre. J&B, Chivas Régal, Glendfiddich, Ardbeg, Glenfarclas, bon bref, et plein d’autres. Une soixantaine environ. Amusant, et ça donne un peu de gueule. Parce que sinon, c’est assez classique, genre troquet de province avec une touche désuète.
Ça sent les habitués à plein nez, d’ailleurs je dois être la seule « nouvelle ». Dans la salle du fond, une dizaine de bons vivants comme à la maison ; ils parlent de tout et leurs mots se chevauchent. Je ne les comprends pas mais c’est convivial et alcoolisé. Ils étaient là hier, et le seront encore demain, j’y mets ma main à couper. (la gauche, quand meme)
Quelques étudiants squattent les rares tables (4) de la première salle, ils causent “droit” ; et au bar, des piliers, comme d’habitude.
Tellement accoutumés à la présence du barman qu’ils n’ont plus besoin de parler. Entre « bonjour, ça va ? » et « salut, à plus tard », rien que des silences et des regards.
Les filles, en revanche, se font plus causantes ; il est beaucoup question de ragots et le serveur, débonnaire, écoute sans rien dire. Ça a l’air de convenir à tout le monde comme ça.
On pourrait croire qu’il ne l’entend pas. Si on faisait un gros plan sur son visage, sans le son, on ne verrait qu’une scène typique de serveur qui s’applique à faire du café, ranger des tasses, nettoyer des verres. Avec un peu de recul et de son, une femme de 50 ans entre dans le plan ; elle boit une bière et lui raconte la vie des commerçants du coin avec un accent irlandais. Il paraîtrait que le patron d’un cinéma des Écoles a quitté sa femme sur un coup de tête, il y a deux jours, pour s’enticher d’un jeune transsexuel. Et aussi, une voisine de l’immeuble d’en face se ballade tous les soirs nue devant ses fenêtres, de 22h à 23 h. « Elle se cherche un mari hein, ah ça c’est sûr ».
La vue est étroite. Mais charmante. On est bien ici. Cosy. Les montres prennent leur temps, pas un mot plus haut que l’autre. On peut laisser notre sac sur la table et aller aux toilettes, vous voyez ce que je veux dire. Chacun aura spontanément un regard bienveillant dessus.
Personnellement, j’entortille une mèche de cheveux autour de mon index, pendant qu’un jeune se triture les vilaines peaux des doigts, pendant qu’une dame gribouille sur son agenda….
On est assuré de ne trouver aucun touriste, mais des étudiants Erasmus ça oui, à la pêle-mêle même. Quelques regards coquins mais aucune drague insistante.
Être ici me donne envie de lire le journal, d’écrire une longue lettre à une amie d’Italie et ensuite, d’aller au cinéma rue des Écoles. Être ici me donne envie de faire partie de cette vie de quartier, de faire mon marché et de retrouver mon vieux pote, un peu en avance, accoudé au bar. Être ici me fait du bien et me regonfle d’amour pour Paris.
La pluie tombe à l’horizontale, contre les paroles un peu lancinantes de Marshall Mathers, ça tombe bien. Tous les types du bar se tournent vers la gauche, il faut bien commenter ce sale temps. Et déjà le soleil revient, les voisins se mettent au balcon, Amy Winehouse prend la relève, la machine à café reprend le chagrin…
Et je décide à l’instant précis ou j’écris « précis » que si, un jour, je dois retrouver un homme que j’ai connu, élu “de ma vie” puis perdu de vue, alors je fixerai mon rendez-vous au Saint-Jacques.
-maispastrop-
71 rue Saint Jacques 75005
Noisette: 1€90
Jambon-beurre:2€80
Une petite terrasse déborde sur le trottoir mouillé, 2 tables minuscules et 3 chaises. De quoi mettre l’eau à la bouche. Voilà le Saint Jacques, au milieu de la rue, presque au croisement de la rue des Écoles.
Je viens de me rayer les yeux à cause des feuilles et des poussières qui volent, d’éternuer très exactement à 12 reprises, d’ouvrir et de fermer mon parapluie une vingtaine de fois aussi vite que si ma vie en dépendait. Tout ça en un temps record: 15 minutes. C’est fou comme la vie peut être intense tout à coup.
Bref, je mérite bien une petite pause.
C’est étroit et tout en longueur, je me place au bord, juste avant la terrasse.
Une enceinte me sert Eminem dans son intégralité, alors au bout d’un moment, evidemment, ça me fait lever les yeux. Qui se posent à 2 mètres et quelques du sol, sur une étagère. Elle présente une sacrée collection ; des emballages - pour certains limités - de bouteilles en tout genre. J&B, Chivas Régal, Glendfiddich, Ardbeg, Glenfarclas, bon bref, et plein d’autres. Une soixantaine environ. Amusant, et ça donne un peu de gueule. Parce que sinon, c’est assez classique, genre troquet de province avec une touche désuète.
Ça sent les habitués à plein nez, d’ailleurs je dois être la seule « nouvelle ». Dans la salle du fond, une dizaine de bons vivants comme à la maison ; ils parlent de tout et leurs mots se chevauchent. Je ne les comprends pas mais c’est convivial et alcoolisé. Ils étaient là hier, et le seront encore demain, j’y mets ma main à couper. (la gauche, quand meme)
Quelques étudiants squattent les rares tables (4) de la première salle, ils causent “droit” ; et au bar, des piliers, comme d’habitude.
Tellement accoutumés à la présence du barman qu’ils n’ont plus besoin de parler. Entre « bonjour, ça va ? » et « salut, à plus tard », rien que des silences et des regards.
Les filles, en revanche, se font plus causantes ; il est beaucoup question de ragots et le serveur, débonnaire, écoute sans rien dire. Ça a l’air de convenir à tout le monde comme ça.
On pourrait croire qu’il ne l’entend pas. Si on faisait un gros plan sur son visage, sans le son, on ne verrait qu’une scène typique de serveur qui s’applique à faire du café, ranger des tasses, nettoyer des verres. Avec un peu de recul et de son, une femme de 50 ans entre dans le plan ; elle boit une bière et lui raconte la vie des commerçants du coin avec un accent irlandais. Il paraîtrait que le patron d’un cinéma des Écoles a quitté sa femme sur un coup de tête, il y a deux jours, pour s’enticher d’un jeune transsexuel. Et aussi, une voisine de l’immeuble d’en face se ballade tous les soirs nue devant ses fenêtres, de 22h à 23 h. « Elle se cherche un mari hein, ah ça c’est sûr ».
La vue est étroite. Mais charmante. On est bien ici. Cosy. Les montres prennent leur temps, pas un mot plus haut que l’autre. On peut laisser notre sac sur la table et aller aux toilettes, vous voyez ce que je veux dire. Chacun aura spontanément un regard bienveillant dessus.
Personnellement, j’entortille une mèche de cheveux autour de mon index, pendant qu’un jeune se triture les vilaines peaux des doigts, pendant qu’une dame gribouille sur son agenda….
On est assuré de ne trouver aucun touriste, mais des étudiants Erasmus ça oui, à la pêle-mêle même. Quelques regards coquins mais aucune drague insistante.
Être ici me donne envie de lire le journal, d’écrire une longue lettre à une amie d’Italie et ensuite, d’aller au cinéma rue des Écoles. Être ici me donne envie de faire partie de cette vie de quartier, de faire mon marché et de retrouver mon vieux pote, un peu en avance, accoudé au bar. Être ici me fait du bien et me regonfle d’amour pour Paris.
La pluie tombe à l’horizontale, contre les paroles un peu lancinantes de Marshall Mathers, ça tombe bien. Tous les types du bar se tournent vers la gauche, il faut bien commenter ce sale temps. Et déjà le soleil revient, les voisins se mettent au balcon, Amy Winehouse prend la relève, la machine à café reprend le chagrin…
Et je décide à l’instant précis ou j’écris « précis » que si, un jour, je dois retrouver un homme que j’ai connu, élu “de ma vie” puis perdu de vue, alors je fixerai mon rendez-vous au Saint-Jacques.
-maispastrop-
On m'a traitée de "spectacle"
Le Café Ménilmontant
143 bd Ménilmontant, 75011
Noisette :2€10
Alors je vous l’accorde d’emblée, il y a plus vivant, plus branché, plus cher, plus festif, plus « plus » dans le coin. Ca, des bars, ça en manque pas autour de la rue Oberkampf. Mais, dois-je le répéter, il est question de café au sens quotidien du terme. Celui où on feuillette son journal, l’œil davantage attiré par l’agitation de la place et la sortie du métro. Pas celui où on va cuver une claque sentimentale ou simplement fêter le fait que, voilà, c’est le week-end, youpi.
C’est joli, pas incroyable, pas la peine d’en faire toute une histoire, c’est joli c’est tout. Il y a une petite guirlande de loupiotes au-dessous du bar et au fond à gauche, quelques affiches, fines et si complices avec le mur qu’on croit d’abord à une peinture ; Brassens et Mistinguett s’y disputent la vedette, admettez qu’on est en bonne compagnie… Un petit coin boissons où je me trouve, près des vitres, deux coins banquettes banquet qui me narguent depuis mon arrivée et dans lesquels je viendrais goûter la copieuse « salade Ménilmontant » un de ces jours ; je la vois se faire engloutir par un client voisin et ça fait couiner mon estomac.
J’ai eu droit au pot de lait sans problème, au verre d’eau sans même le demander et à plusieurs sourires de la serveuse. Ce qui, croyez- moi, n’est pas si évident d’une fille à une autre. (De nos jours, entre parenthèses.)
Chose étonnante, nous sommes douze et cinq écrivent ; c’est la plus grande proportion jamais rencontrée. Imaginez donc quatre-vingts personnes griffonnant à La Coupole ou au Train Bleu un vendredi à 19h30.
Un jeune homme lit, et, pas n’importe quoi, mais n’importe comment. Sexus et Plexus en même temps, jonglant de l’un à l’autre, revenant en arrière ou sautant des pages, assaisonnant le tout de gros rires gras.
Deux jeunes bobofs visionnent des photos de voyage, le Japon en l’occurrence, sur un ordinateur portable. On s’étonne souvent de la manière qu’ont les touristes japonais d’éterniser les panneaux d’indications ou les enseignes commerçantes de Paris, et bien ces deux touristes parisiens ont fait sensiblement la même chose, mais, attention, de manière « ar-ti-sti-que ». Hum.
Et puis, il y a ce jeune homme, un habitué si l’on en croit la familiarité avec laquelle il s’adresse au patron –et le fait que ce dernier ne s’en offusque pas-. Tout au bout, très en face de moi, il me regarde. Enfin, quelle est l’expression pour l’action de regarder quelqu’un sans interruption, les yeux grands et verts, donnant l’impression de bientôt vous transpercer s’il ne détourne pas ses jumelles ?
Il a demandé à une grande vieille –on dit normalement « petite vieille » , mais celle-ci n’a pas du tout laissé les années lui tasser la colonne vertébrale- de bien vouloir se placer à une autre table.
« Sachez que si vous refusiez vous me mettriez dans un embarras sans précédent. » « Et pourquoi don ? » (pas la peine d’écrire le « C », chez ces gens-là, Monsieur, ça ne se prononce pas.) « Et bien, parce que, sans vouloir vous vexer, vous feriez obstacle au plus joli des spectacles qui se déroule devant moi, enfin, derrière vous. »
La grande vieille se retourne, me sourit et hoche la tête façon : « oui, bon, compris, je vous laisse à la jeunesse mes mignons. »
Suis-je sous terre, écarlate, en sueur ?
Ce qui est sûr, c’est que je suis en retard, mes acolytes anonymes m’attendent un peu plus loin, dans un bar du soir, un truc branché avec un concert underground, ou un truc dans le genre, pour cuver une claque sentimentale et se réconforter vu que, bon, youpi, c’est le week-end…
Alors non, je n’ai pas le temps de prendre un verre, jeune homme, mais oui, je parlerai de vous dans mon cahier, promis.
-maispastrop-
143 bd Ménilmontant, 75011
Noisette :2€10
Alors je vous l’accorde d’emblée, il y a plus vivant, plus branché, plus cher, plus festif, plus « plus » dans le coin. Ca, des bars, ça en manque pas autour de la rue Oberkampf. Mais, dois-je le répéter, il est question de café au sens quotidien du terme. Celui où on feuillette son journal, l’œil davantage attiré par l’agitation de la place et la sortie du métro. Pas celui où on va cuver une claque sentimentale ou simplement fêter le fait que, voilà, c’est le week-end, youpi.
C’est joli, pas incroyable, pas la peine d’en faire toute une histoire, c’est joli c’est tout. Il y a une petite guirlande de loupiotes au-dessous du bar et au fond à gauche, quelques affiches, fines et si complices avec le mur qu’on croit d’abord à une peinture ; Brassens et Mistinguett s’y disputent la vedette, admettez qu’on est en bonne compagnie… Un petit coin boissons où je me trouve, près des vitres, deux coins banquettes banquet qui me narguent depuis mon arrivée et dans lesquels je viendrais goûter la copieuse « salade Ménilmontant » un de ces jours ; je la vois se faire engloutir par un client voisin et ça fait couiner mon estomac.
J’ai eu droit au pot de lait sans problème, au verre d’eau sans même le demander et à plusieurs sourires de la serveuse. Ce qui, croyez- moi, n’est pas si évident d’une fille à une autre. (De nos jours, entre parenthèses.)
Chose étonnante, nous sommes douze et cinq écrivent ; c’est la plus grande proportion jamais rencontrée. Imaginez donc quatre-vingts personnes griffonnant à La Coupole ou au Train Bleu un vendredi à 19h30.
Un jeune homme lit, et, pas n’importe quoi, mais n’importe comment. Sexus et Plexus en même temps, jonglant de l’un à l’autre, revenant en arrière ou sautant des pages, assaisonnant le tout de gros rires gras.
Deux jeunes bobofs visionnent des photos de voyage, le Japon en l’occurrence, sur un ordinateur portable. On s’étonne souvent de la manière qu’ont les touristes japonais d’éterniser les panneaux d’indications ou les enseignes commerçantes de Paris, et bien ces deux touristes parisiens ont fait sensiblement la même chose, mais, attention, de manière « ar-ti-sti-que ». Hum.
Et puis, il y a ce jeune homme, un habitué si l’on en croit la familiarité avec laquelle il s’adresse au patron –et le fait que ce dernier ne s’en offusque pas-. Tout au bout, très en face de moi, il me regarde. Enfin, quelle est l’expression pour l’action de regarder quelqu’un sans interruption, les yeux grands et verts, donnant l’impression de bientôt vous transpercer s’il ne détourne pas ses jumelles ?
Il a demandé à une grande vieille –on dit normalement « petite vieille » , mais celle-ci n’a pas du tout laissé les années lui tasser la colonne vertébrale- de bien vouloir se placer à une autre table.
« Sachez que si vous refusiez vous me mettriez dans un embarras sans précédent. » « Et pourquoi don ? » (pas la peine d’écrire le « C », chez ces gens-là, Monsieur, ça ne se prononce pas.) « Et bien, parce que, sans vouloir vous vexer, vous feriez obstacle au plus joli des spectacles qui se déroule devant moi, enfin, derrière vous. »
La grande vieille se retourne, me sourit et hoche la tête façon : « oui, bon, compris, je vous laisse à la jeunesse mes mignons. »
Suis-je sous terre, écarlate, en sueur ?
Ce qui est sûr, c’est que je suis en retard, mes acolytes anonymes m’attendent un peu plus loin, dans un bar du soir, un truc branché avec un concert underground, ou un truc dans le genre, pour cuver une claque sentimentale et se réconforter vu que, bon, youpi, c’est le week-end…
Alors non, je n’ai pas le temps de prendre un verre, jeune homme, mais oui, je parlerai de vous dans mon cahier, promis.
-maispastrop-
Renaissance
(feu) Le Grand Amour
1/3 avenue Jean Jaurès 75019
Verre de Merlot : 4€
Eau gazeuse : pourquoi faire ?
Aujourd’hui, le Grand Amour a fait table rase: oublié les poivrots, effacé les tristes sires du petit matin, et pour en arriver là, ça a du lui coûter bonbon. Devant les vitres peintes en blanc - comme le veut la coutume des bars qui ferment pour travaux - je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était l’ultime subterfuge.
D’après moi, à l’intérieur, tout suivait son cours. La vingtaine d’habitués et le patron n’avaient pas bougé, ils étaient là, ivres et tristes, à enchaîner les alcools forts. Simplement, ils ne voulaient plus d’intrus et plus, non plus, de vue sur le vrai monde par la fenêtre. J’étais persuadée que c’était la suprême ligne droite avant la fin, une sorte de suicide collectif éthylique.
Quelle ne fut pas ma surprise donc, ce jour de mai 2006, le premier pour être précise, quand j’ai découvert un Jaurès neuf, fringant, et pas peu fier.
Ceux qui n’ont pas connu celui d’avant ne peuvent pas imaginer le nombre de saloperies que ces murs ont entendu. Tout a été refait, tout, repeint, revu, repensé. C’est aujourd’hui une sorte de café typiquement germanopratin avec une touche américaine dans le bon sens du terme, à savoir, new-yorkaise.
Ils ont posé du plancher et pas n’importe lequel, un de ceux dont on jurerait qu’il a déjà bien vécu. Les chaises sont celles qu’on trouve uniquement dans les salles de cours élémentaire ou dans les appartements labellisés bobo. Les fenêtres sont déguisées de stores qui invitent à se prendre pour Sherlock, en appuyant l’index sur une des tranches, courbant le bois, pour observer la cabine téléphonique d’où Jack l’éventreur appelle sa mémé en la rassurant, « Mais oui, Granny, je prends mes vitamines. ».
Le métal des portes et des vitres a été vieilli, patiné, rouillé, comme s’il était là depuis assez longtemps pour attester de l’existence des existentialistes. Ils ont même installé des poutres. Apparentes tant qu’à faire…
Les radiateurs sont en fer forgé, et les serveurs en sourire figé. Y ‘a de la concurrence avec le café du cinéma, moi je dis. Celui du complexe MK2, à deux minutes d’ici, qui se targue de redonner vie au quartier.
Je parie que les énergumènes des cours Florent, plus haut sur l’avenue Jean Jaurès, vont s’en faire un petit QG d’après-midi pluvieuses et pas studieuses du tout.
Est-il nécessaire de préciser que les clients aussi se sont assagis et ont changé tout autant que le cadre… Je me demande où peuvent bien se cacher les anciens maintenant ? Ils doivent fichtrement pester contre la politique du XIX° qui vise à virer les voyous, les clochards, les dealers et les désolés de Stalingrad. Bientôt, ici, ce sera plus sûr qu’à Saint Michel.
Il pleut sur Paris, donc à priori sur Nantes aussi, et c’est Brel qui pleure dans les enceintes –customisées, bien sûr -.
Je ne suis pas fière quand je comprends que je me sens mieux dans cette nouvelle configuration. L’idéal serait de jouer entre les deux mondes, jongler entre l’ambiance Dr Jekyll et l’autre, parce qu’il n’y a jamais aucune raison assez valable pour renvoyer les plus démunis plus loin, dans des recoins encore plus… encore moins accueillants. Disons qu’à partir de minuit, le Jaurès devrait s’accorder une petite pause, et en coulisses, revêtir son ancien costume d’affreux sale et méchant pour héberger jusqu’au petit matin les âmes et les rêveries des mal - aimés du coin. Chacun son tour, faîtes la queue comme tout le monde ; à 7 heures, on passerait la serpillière sur les dernières plaintes et on reprendrait la mascarade des apparences plus propres, des émissions câblées qui redécorent les appartements, des conversations qui survolent. Et les stores se rouvriraient sur une journée réservée à une clientèle qui est loin de se douter que, cette nuit, l’endroit était rempli de misérables qui donneraient tout pour échanger avec eux les vies, les décors, les amis, les amours et surtout les emmerdes.
-maispastrop-
1/3 avenue Jean Jaurès 75019
Verre de Merlot : 4€
Eau gazeuse : pourquoi faire ?
Aujourd’hui, le Grand Amour a fait table rase: oublié les poivrots, effacé les tristes sires du petit matin, et pour en arriver là, ça a du lui coûter bonbon. Devant les vitres peintes en blanc - comme le veut la coutume des bars qui ferment pour travaux - je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était l’ultime subterfuge.
D’après moi, à l’intérieur, tout suivait son cours. La vingtaine d’habitués et le patron n’avaient pas bougé, ils étaient là, ivres et tristes, à enchaîner les alcools forts. Simplement, ils ne voulaient plus d’intrus et plus, non plus, de vue sur le vrai monde par la fenêtre. J’étais persuadée que c’était la suprême ligne droite avant la fin, une sorte de suicide collectif éthylique.
Quelle ne fut pas ma surprise donc, ce jour de mai 2006, le premier pour être précise, quand j’ai découvert un Jaurès neuf, fringant, et pas peu fier.
Ceux qui n’ont pas connu celui d’avant ne peuvent pas imaginer le nombre de saloperies que ces murs ont entendu. Tout a été refait, tout, repeint, revu, repensé. C’est aujourd’hui une sorte de café typiquement germanopratin avec une touche américaine dans le bon sens du terme, à savoir, new-yorkaise.
Ils ont posé du plancher et pas n’importe lequel, un de ceux dont on jurerait qu’il a déjà bien vécu. Les chaises sont celles qu’on trouve uniquement dans les salles de cours élémentaire ou dans les appartements labellisés bobo. Les fenêtres sont déguisées de stores qui invitent à se prendre pour Sherlock, en appuyant l’index sur une des tranches, courbant le bois, pour observer la cabine téléphonique d’où Jack l’éventreur appelle sa mémé en la rassurant, « Mais oui, Granny, je prends mes vitamines. ».
Le métal des portes et des vitres a été vieilli, patiné, rouillé, comme s’il était là depuis assez longtemps pour attester de l’existence des existentialistes. Ils ont même installé des poutres. Apparentes tant qu’à faire…
Les radiateurs sont en fer forgé, et les serveurs en sourire figé. Y ‘a de la concurrence avec le café du cinéma, moi je dis. Celui du complexe MK2, à deux minutes d’ici, qui se targue de redonner vie au quartier.
Je parie que les énergumènes des cours Florent, plus haut sur l’avenue Jean Jaurès, vont s’en faire un petit QG d’après-midi pluvieuses et pas studieuses du tout.
Est-il nécessaire de préciser que les clients aussi se sont assagis et ont changé tout autant que le cadre… Je me demande où peuvent bien se cacher les anciens maintenant ? Ils doivent fichtrement pester contre la politique du XIX° qui vise à virer les voyous, les clochards, les dealers et les désolés de Stalingrad. Bientôt, ici, ce sera plus sûr qu’à Saint Michel.
Il pleut sur Paris, donc à priori sur Nantes aussi, et c’est Brel qui pleure dans les enceintes –customisées, bien sûr -.
Je ne suis pas fière quand je comprends que je me sens mieux dans cette nouvelle configuration. L’idéal serait de jouer entre les deux mondes, jongler entre l’ambiance Dr Jekyll et l’autre, parce qu’il n’y a jamais aucune raison assez valable pour renvoyer les plus démunis plus loin, dans des recoins encore plus… encore moins accueillants. Disons qu’à partir de minuit, le Jaurès devrait s’accorder une petite pause, et en coulisses, revêtir son ancien costume d’affreux sale et méchant pour héberger jusqu’au petit matin les âmes et les rêveries des mal - aimés du coin. Chacun son tour, faîtes la queue comme tout le monde ; à 7 heures, on passerait la serpillière sur les dernières plaintes et on reprendrait la mascarade des apparences plus propres, des émissions câblées qui redécorent les appartements, des conversations qui survolent. Et les stores se rouvriraient sur une journée réservée à une clientèle qui est loin de se douter que, cette nuit, l’endroit était rempli de misérables qui donneraient tout pour échanger avec eux les vies, les décors, les amis, les amours et surtout les emmerdes.
-maispastrop-
La jungle
Le Jaurès
1/3 avenue Jean Jaurès, 75019
Verre de Merlot : 3€
Paquet de cigarettes : à voir
Tiens, mais… Ca n’aurait pas changé radicalement ici ?
Si, si.
Ah, c’est bien ce que je me disais.
Au regard de ce que c’était « avant », ils ont même carrément retourné leurs vestes.
Et, qu’est ce que c’était avant ?
Le Grand Amour : un repère de sacrés piliers. Ou, un sacré repère de piliers. Tout dépend du point de vue, de la focale, du temps de pause accordé à l’un ou à l’autre, au lieu ou aux personnages. Les personnages ayant disparu, intéressons-nous plutôt à l’endroit.
Donc : un sacré repère de sacrés piliers.
Quand je passais devant, j’apercevais des silhouettes difformes et courbées, toutes agglutinées au comptoir, délaissant la salle derrière eux. Ils regardaient vers le bas, leurs pieds semblaient captivants. Les plus vaillants d’entre eux poussaient jusqu’à lever la tête vers la chaîne de sport non-stop qui coulait, privée de son, du bocal vétuste et mal fixé à une étagère elle-même plutôt bancale, hésitante, indécise. Certainement mécontente.
Le patron ne donnait pas l’exemple, bien au contraire, c’est lui qui épongeait le plus. Il avait une tête de… enfin, une combinaison de têtes d’un évadé de prison , d’un héroïnomane, d’un ancien boxeur et d’un bougon contemporain. Bougon bien sûr, malheureux aussi. Faut dire que ses journées devaient toutes se ressembler tristement ; quant à ses soirées, avec tout ce qu’il s’envoyait, il ne s’en souvenait sûrement pas les lendemains.
Une fois je m’y étais aventurée pour me dégoter un paquet de nicotine de secours. Un lundi soir, à l’heure où les buralistes dorment profondément.
A mon premier pas, ils se sont retournés comme un seul homme –pour ceux d’entre eux qui n’étaient pas effondrés sur le zinc- et leurs yeux m’ont déshabillée crûment.
Je ne pouvais pas faire marche arrière ; il en allait de ma réputation dans le quartier. Alors j’ai évité leurs regards comme autant de boules de pétanques indésirables sur le chemin qui mène au but, et j’ai planté mes yeux directement dans le cochonnet, responsable des lieux, responsable devant dieu.
Hep patron !
Bien sûr, nous eûmes des orages. Mes éclairs arrivaient à bon port mais ne suffisaient pas à les faire taire, à faire ravaler leurs blagues graveleuses et granuleuses, désagréables comme du gravier qu’on trouve entre les orteils en été.
Mr le patron a dit qu’il avait des cigarettes, oui, mais qu’il n’était pas certain de vouloir les vendre. J’ai dit « c’est toi qui vois », débonnaire. Mais je l’ai vouvoyé.
Il a posé le paquet sur le comptoir avec une ambiance de défi partout autour. Je trouvais ça un chouia exagéré, je ne voyais pas où était l’enjeu, c’était quand même pas ses couilles qu’il mettait en gage. Je me sentais comme une hypothèque.
Et puis, comme le maître d’une cérémonie ringarde, il s’est senti obligé de faire rire l’assemblée et a annoncé le prix, prix qui sonnait davantage comme un âge. J’ai dit « heu… » et j’ai tout de suite après trouvé que c’était léger comme rhétorique. C’est pourquoi j’ai ajouté « A ce prix-là, elles font rire au moins ? »
Un jeune homme, qui, d’après moi avait un avenir autre que celui de suicidé du foie, a ri de toutes ses dents. Ce devait être le seul à en avoir autant. Il a bougonné quelque chose comme:
« l’a du caractère hein, d’l’esprit même… et l’a pas peur la p’tite, allez… c’est pour moi ! ».
C’est pour toi quoi ? Moi ?
J’ai tout à coup réalisé que, si par mégarde ou disons, par malheur, l’un d’entre eux, l’un ou l’autre, voire plus d’un, voulaient délester ma personne du peu de fraîcheur qui lui restait, j’étais cuite.
C’était sûr, j’allais y rester. Ma vie commençait son défilé.
Mais, « c’est pour moi » signifiait, vous vous en serez douté, « c’est moi qui vais régler les Camel de cette fille, et au vrai prix, celui des autochtones, pas celui des touristes ». Il a posé 5€ sur le bar et m’a tendu le paquet ; je sentais venir le « bah ? même pas un petit remerciement avec la langue ? » mais, encore une fois, j’avais romancé trop vite. C’était pas Tarantino à la caméra mais mon ange gardien aux commandes : le grand seigneur m’a raccompagnée à la porte en me conseillant de ne plus m’aventurer dans ce genre de couloirs diaboliques après minuit, Cendrillon.
Merci.
J’avais gagné sur toute la ligne alors. Mes tiges étaient là et je n’avais pas eu à payer pour, ni en nature, ni en sauvage et, j’étais certainement la seule bestiole de sexe féminin à m’être présentée, la tête haute, devant les animaux les plus vils d’un Lafontaine sous ecstasy.
-maispastrop-
1/3 avenue Jean Jaurès, 75019
Verre de Merlot : 3€
Paquet de cigarettes : à voir
Tiens, mais… Ca n’aurait pas changé radicalement ici ?
Si, si.
Ah, c’est bien ce que je me disais.
Au regard de ce que c’était « avant », ils ont même carrément retourné leurs vestes.
Et, qu’est ce que c’était avant ?
Le Grand Amour : un repère de sacrés piliers. Ou, un sacré repère de piliers. Tout dépend du point de vue, de la focale, du temps de pause accordé à l’un ou à l’autre, au lieu ou aux personnages. Les personnages ayant disparu, intéressons-nous plutôt à l’endroit.
Donc : un sacré repère de sacrés piliers.
Quand je passais devant, j’apercevais des silhouettes difformes et courbées, toutes agglutinées au comptoir, délaissant la salle derrière eux. Ils regardaient vers le bas, leurs pieds semblaient captivants. Les plus vaillants d’entre eux poussaient jusqu’à lever la tête vers la chaîne de sport non-stop qui coulait, privée de son, du bocal vétuste et mal fixé à une étagère elle-même plutôt bancale, hésitante, indécise. Certainement mécontente.
Le patron ne donnait pas l’exemple, bien au contraire, c’est lui qui épongeait le plus. Il avait une tête de… enfin, une combinaison de têtes d’un évadé de prison , d’un héroïnomane, d’un ancien boxeur et d’un bougon contemporain. Bougon bien sûr, malheureux aussi. Faut dire que ses journées devaient toutes se ressembler tristement ; quant à ses soirées, avec tout ce qu’il s’envoyait, il ne s’en souvenait sûrement pas les lendemains.
Une fois je m’y étais aventurée pour me dégoter un paquet de nicotine de secours. Un lundi soir, à l’heure où les buralistes dorment profondément.
A mon premier pas, ils se sont retournés comme un seul homme –pour ceux d’entre eux qui n’étaient pas effondrés sur le zinc- et leurs yeux m’ont déshabillée crûment.
Je ne pouvais pas faire marche arrière ; il en allait de ma réputation dans le quartier. Alors j’ai évité leurs regards comme autant de boules de pétanques indésirables sur le chemin qui mène au but, et j’ai planté mes yeux directement dans le cochonnet, responsable des lieux, responsable devant dieu.
Hep patron !
Bien sûr, nous eûmes des orages. Mes éclairs arrivaient à bon port mais ne suffisaient pas à les faire taire, à faire ravaler leurs blagues graveleuses et granuleuses, désagréables comme du gravier qu’on trouve entre les orteils en été.
Mr le patron a dit qu’il avait des cigarettes, oui, mais qu’il n’était pas certain de vouloir les vendre. J’ai dit « c’est toi qui vois », débonnaire. Mais je l’ai vouvoyé.
Il a posé le paquet sur le comptoir avec une ambiance de défi partout autour. Je trouvais ça un chouia exagéré, je ne voyais pas où était l’enjeu, c’était quand même pas ses couilles qu’il mettait en gage. Je me sentais comme une hypothèque.
Et puis, comme le maître d’une cérémonie ringarde, il s’est senti obligé de faire rire l’assemblée et a annoncé le prix, prix qui sonnait davantage comme un âge. J’ai dit « heu… » et j’ai tout de suite après trouvé que c’était léger comme rhétorique. C’est pourquoi j’ai ajouté « A ce prix-là, elles font rire au moins ? »
Un jeune homme, qui, d’après moi avait un avenir autre que celui de suicidé du foie, a ri de toutes ses dents. Ce devait être le seul à en avoir autant. Il a bougonné quelque chose comme:
« l’a du caractère hein, d’l’esprit même… et l’a pas peur la p’tite, allez… c’est pour moi ! ».
C’est pour toi quoi ? Moi ?
J’ai tout à coup réalisé que, si par mégarde ou disons, par malheur, l’un d’entre eux, l’un ou l’autre, voire plus d’un, voulaient délester ma personne du peu de fraîcheur qui lui restait, j’étais cuite.
C’était sûr, j’allais y rester. Ma vie commençait son défilé.
Mais, « c’est pour moi » signifiait, vous vous en serez douté, « c’est moi qui vais régler les Camel de cette fille, et au vrai prix, celui des autochtones, pas celui des touristes ». Il a posé 5€ sur le bar et m’a tendu le paquet ; je sentais venir le « bah ? même pas un petit remerciement avec la langue ? » mais, encore une fois, j’avais romancé trop vite. C’était pas Tarantino à la caméra mais mon ange gardien aux commandes : le grand seigneur m’a raccompagnée à la porte en me conseillant de ne plus m’aventurer dans ce genre de couloirs diaboliques après minuit, Cendrillon.
Merci.
J’avais gagné sur toute la ligne alors. Mes tiges étaient là et je n’avais pas eu à payer pour, ni en nature, ni en sauvage et, j’étais certainement la seule bestiole de sexe féminin à m’être présentée, la tête haute, devant les animaux les plus vils d’un Lafontaine sous ecstasy.
-maispastrop-
La comédie humaine
La Liberté
angle E. Quinet/rue de la Gaieté, 75014
expresso:2€30
pression:3€90
supplément crème fraîche: 1€
-Alors? Qu’est c'qu'i s' passe?
-Bah il se passe que je me demande si la noisette est servie avec le petit pot de lait à part...
-Parce que c’est vous, heu non, (il rit) parce que c’est moi, ça peut se faire.
-Alors voilà. Faisons-le.
-Et sinon, ça va?
-Bien, et vous-même?
-Ça peut t’aller (il insiste sur la liaison).
Alors lui, je l’aime bien, il rentre illico dans mon top ten des serveurs. En 5ème position, tiens.
Au moins, ici, le dimanche, on trouve l’essentiel. A savoir: un tabac, ouvert jusqu’à 20h. Un café donc, grand et rempli. Quelques sex-shops et la vue sur une Jaguar type E.
On se croirait dans un bar de gare, je te jure. C’est immense, les gens n’ont rien à voir les uns avec les autres, ça circule en acceléré et des clients qui se parlent comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis un mois. N’importe comment, dans tous les sens, dans toutes les langues. Comme s’ils devaient se séparer pour cause de voyage professionnel.
Quelques glandus remplissent des cartes postales, mais sinon ça va.
Je suis la seule fille non accompagnée et là-bas, à l’extrème droite de mon champ de vision, un trentenaire a remarqué ce statut.
Quand j’ai commencé d’écrire, il a sorti un minuscule bloc notes, un crayon de papier riquiqui et il gratte un mot. Me regarde. Trois mots. Me regarde. Une phrase. Me regarde. S’il veut me faire comprendre que je suis sa source, il m’emmerde. Et puis j’aime que les gens écrivent à l’encre, sinon, ça s’en va avec le temps.
Une fausse blonde aux racines noires séduit un grand dadais au pantalon trop court, avec les cheveux. Elle le séduit avec les cheveux, pour de vrai.. Elle les tripatouille sans pudeur, et que je les tortille, et que je me caresse la joue avec, et elle...mais oui, c’est qu’elle mordille une mèche!
Quelques minutes plus tard, parce qu’elle aura glissé son pied vers l’entrejambe du désiré (découvrant un peu plus ses chaussettes Mickey), un jus d’abricot ne résistant plus, se jettera du haut de la table ( qui ne fera rien pour le retenir, j’en conviens ), pour atterrir sur le pantalon côtelé beige du voisin. La pulpe s’incruste dans les nervures du velours et y trouve son bonheur. Voisin qui était au téléphone, il disait “mais je te jure, je suis avec mes potes, y a pas de filles” sur un ton fatigué Quand le contact entre le jus et sa jambe se fait enfin, il lâche “aaaaah” ou “aahahh”; ce qui a pour conséquence le raccrochage immédiat de son interlocutrice.
Le type à gauche, qui n’a rien suivi de cette scène puisqu’il lui tourne le dos, me dit “Vous savez à qui vous ressemblez?” Ce à quoi, étonnamment, je ne trouve rien à répondre. Ou bien si, je lui réponds: “ ...”.
“A Emmanuelle Béart” qu’il me dit, l’ordure. Je le prends assez mal, de profil, elle n’est qu’une paire de lèvres et puis je suis pas un objet sexuel, merde.
Du coup, je lui sers une moue que j’espère rédhibitoire et me tourne de l’autre côté.
Mon pot de lait semble vouloir me faire comprendre quelque chose, instinctivement, je l’attrape. Au fond, une toute petite araignée que je m’empresse de sauver. Tandis qu’elle se sèche sur ma sous -tasse, je remarque un panneau au départ de la rue qui signale: “ RUE DE LA GAIETÉ, LA RUE DES THÉÂTRES”
Une mini carte les situe et répertorie:7, y en a.
Et pourtant non: 8. Ici, à La Liberté, le meilleur et le moins cher, où pour 2,60€, j’assiste à une vingtaine de saynètes simultanées, plus croquignolettes les unes que les autres, tout en étant moi-même l’actrice du spectacle d’un autre.
-maispastrop-
angle E. Quinet/rue de la Gaieté, 75014
expresso:2€30
pression:3€90
supplément crème fraîche: 1€
-Alors? Qu’est c'qu'i s' passe?
-Bah il se passe que je me demande si la noisette est servie avec le petit pot de lait à part...
-Parce que c’est vous, heu non, (il rit) parce que c’est moi, ça peut se faire.
-Alors voilà. Faisons-le.
-Et sinon, ça va?
-Bien, et vous-même?
-Ça peut t’aller (il insiste sur la liaison).
Alors lui, je l’aime bien, il rentre illico dans mon top ten des serveurs. En 5ème position, tiens.
Au moins, ici, le dimanche, on trouve l’essentiel. A savoir: un tabac, ouvert jusqu’à 20h. Un café donc, grand et rempli. Quelques sex-shops et la vue sur une Jaguar type E.
On se croirait dans un bar de gare, je te jure. C’est immense, les gens n’ont rien à voir les uns avec les autres, ça circule en acceléré et des clients qui se parlent comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis un mois. N’importe comment, dans tous les sens, dans toutes les langues. Comme s’ils devaient se séparer pour cause de voyage professionnel.
Quelques glandus remplissent des cartes postales, mais sinon ça va.
Je suis la seule fille non accompagnée et là-bas, à l’extrème droite de mon champ de vision, un trentenaire a remarqué ce statut.
Quand j’ai commencé d’écrire, il a sorti un minuscule bloc notes, un crayon de papier riquiqui et il gratte un mot. Me regarde. Trois mots. Me regarde. Une phrase. Me regarde. S’il veut me faire comprendre que je suis sa source, il m’emmerde. Et puis j’aime que les gens écrivent à l’encre, sinon, ça s’en va avec le temps.
Une fausse blonde aux racines noires séduit un grand dadais au pantalon trop court, avec les cheveux. Elle le séduit avec les cheveux, pour de vrai.. Elle les tripatouille sans pudeur, et que je les tortille, et que je me caresse la joue avec, et elle...mais oui, c’est qu’elle mordille une mèche!
Quelques minutes plus tard, parce qu’elle aura glissé son pied vers l’entrejambe du désiré (découvrant un peu plus ses chaussettes Mickey), un jus d’abricot ne résistant plus, se jettera du haut de la table ( qui ne fera rien pour le retenir, j’en conviens ), pour atterrir sur le pantalon côtelé beige du voisin. La pulpe s’incruste dans les nervures du velours et y trouve son bonheur. Voisin qui était au téléphone, il disait “mais je te jure, je suis avec mes potes, y a pas de filles” sur un ton fatigué Quand le contact entre le jus et sa jambe se fait enfin, il lâche “aaaaah” ou “aahahh”; ce qui a pour conséquence le raccrochage immédiat de son interlocutrice.
Le type à gauche, qui n’a rien suivi de cette scène puisqu’il lui tourne le dos, me dit “Vous savez à qui vous ressemblez?” Ce à quoi, étonnamment, je ne trouve rien à répondre. Ou bien si, je lui réponds: “ ...”.
“A Emmanuelle Béart” qu’il me dit, l’ordure. Je le prends assez mal, de profil, elle n’est qu’une paire de lèvres et puis je suis pas un objet sexuel, merde.
Du coup, je lui sers une moue que j’espère rédhibitoire et me tourne de l’autre côté.
Mon pot de lait semble vouloir me faire comprendre quelque chose, instinctivement, je l’attrape. Au fond, une toute petite araignée que je m’empresse de sauver. Tandis qu’elle se sèche sur ma sous -tasse, je remarque un panneau au départ de la rue qui signale: “ RUE DE LA GAIETÉ, LA RUE DES THÉÂTRES”
Une mini carte les situe et répertorie:7, y en a.
Et pourtant non: 8. Ici, à La Liberté, le meilleur et le moins cher, où pour 2,60€, j’assiste à une vingtaine de saynètes simultanées, plus croquignolettes les unes que les autres, tout en étant moi-même l’actrice du spectacle d’un autre.
-maispastrop-
Des ailes pour voler
L’Entracte
75 av. des Gobelins, 75013
Noisette: 2€ - Viandox: 3€40 - Avocat aux crevettes: 5€
Je ne comprends pas bien: vendredi soir et personne au cinéma, personne dans les cafés et aucune circulation.
Ils sont tous chez Léon le belge.
Alors voilà, nous on se rebelle. A l’Entracte, on fait de la résistance en salle; alignés derrière les vitres, on se gausse.
4 Marocains sont en pleine conversation et je ne comprends rien exceptés les 2 ou 3 adverbes par phrase qu’ils disent en français. Ça me renseigne très peu, je crois comprendre le sujet ( les moules frites ) mais les subtilités m’échappent et j’enrage parce qu’ils rient énormément.
Entre eux et moi: la petite famille dans le pétrin. Parce que Camille a 6 ans, elle exige maintenant toute la vérité sur la vie. Et ce avec une fermeté exemplaire.
Par exemple, c’est vrai ça, pourquoi qu’y a personne au milieu du café?
- Sûrement parce que les gens préfèrent avoir vue sur la rue.
-Mais pourquoi les gens i préfèrent voir la rue?
-Parce que c’est plus joli...
-Pourquoi ils viennent dans le café alors?
-Parce qu’il fait un peu froid et (anticipant), il fait froid parce que c’est l’hiver. Et après l’hiver y a ...?
-Moi je pose pas des questions débiles comme ça. Le Printemps.
Le père, qui s’était tu jusque là, intervient d’un “Oooooh” faussement outré et fait les gros yeux. Alors Camille éclate de rire et ça durera exactement 8 minutes.
Après ces 480 secondes de bonheur, elle commence à se calmer et reprend son souffle avec encore quelques hoquets pertubateurs.
Au bar, un client se réveille d’un roupillon éthylique. Il a la marque du pull sur la joue, les rainures de l’acrylique sont comme des griffures dans la barbe de deux jours.
Il se confie à un ami imaginaire.
On pourrait l’entendre à condition que tout le monde se taise, qu’on enlève le son du match de foot, de Gilbert Bécaud, que la machine à café chuchote. Je m’approche, bien décidée à endosser le rôle de la confidente et j’arrive en cours de sa route.
(Sinueuse, la route.)
-Et c’est pour ça qu’elle m’a quitté. J’ai déserté. Mais le travail il me rendra pas Annie. Maintenant l’enfer commence.
Il me raconte.
Son histoire est celle de tout le monde. Elle appartient aux comptoirs et aux gueules de bois.
Alors je lui chante Manu et ses copains qui reviennent mais j’ai oublié la moitié des paroles. Il chante aussi, on invente des refrains; voilà qu’on braille, qu’on beugle. On s’égosille, ils ont tous droit a la vue sur nos luettes tremblantes.
Il rit, pleure, me prend dans ses bras, passe derrière le comptoir pour augmenter le volume de mes amis-mes amours-ses emmerdes, m’offre des kirs, re-pleure, re-rit, m'appelle annie sans s'en rendre compte, tout ça à la vitesse lumière.
Il demande au patron: “Z’auriez pas des sets de papier en table? Mais c’est pour la bonne cause hein! Je vais faire une surprise à mon amie.”
Il les découpe.
“Z’auriez pas aussi du scotch? Mais pas celui en bouteille hein! C'est pour faire une surprise à mon amie. ”
On rit pendant 480 secondes.
Il les assemble et dit “Fermez les yeux.”
Tournis
“ Voilà. Ouvrez les yeux.”
J’ai deux ailes dans le dos et un sourire de publicité.
“Z’êtes mon ange gardien.”
Je me sens légère comme vous savez quoi.
Quand je reviens du miroir, il s’est endormi à nouveau, sur l’autre joue et l’autre bras, d'autres tristesses aussi; le patron a l’air navré pourtant il n’y a pas de quoi, merci. “Demain, il se rappellera de rien” qu’il me dit, mauvais.
C’est pour ça que j’enlève une des ailes, la plie et la lui glisse dans la main après y avoir écrit “Vous z’aussi”.
-maispastrop-
75 av. des Gobelins, 75013
Noisette: 2€ - Viandox: 3€40 - Avocat aux crevettes: 5€
Je ne comprends pas bien: vendredi soir et personne au cinéma, personne dans les cafés et aucune circulation.
Ils sont tous chez Léon le belge.
Alors voilà, nous on se rebelle. A l’Entracte, on fait de la résistance en salle; alignés derrière les vitres, on se gausse.
4 Marocains sont en pleine conversation et je ne comprends rien exceptés les 2 ou 3 adverbes par phrase qu’ils disent en français. Ça me renseigne très peu, je crois comprendre le sujet ( les moules frites ) mais les subtilités m’échappent et j’enrage parce qu’ils rient énormément.
Entre eux et moi: la petite famille dans le pétrin. Parce que Camille a 6 ans, elle exige maintenant toute la vérité sur la vie. Et ce avec une fermeté exemplaire.
Par exemple, c’est vrai ça, pourquoi qu’y a personne au milieu du café?
- Sûrement parce que les gens préfèrent avoir vue sur la rue.
-Mais pourquoi les gens i préfèrent voir la rue?
-Parce que c’est plus joli...
-Pourquoi ils viennent dans le café alors?
-Parce qu’il fait un peu froid et (anticipant), il fait froid parce que c’est l’hiver. Et après l’hiver y a ...?
-Moi je pose pas des questions débiles comme ça. Le Printemps.
Le père, qui s’était tu jusque là, intervient d’un “Oooooh” faussement outré et fait les gros yeux. Alors Camille éclate de rire et ça durera exactement 8 minutes.
Après ces 480 secondes de bonheur, elle commence à se calmer et reprend son souffle avec encore quelques hoquets pertubateurs.
Au bar, un client se réveille d’un roupillon éthylique. Il a la marque du pull sur la joue, les rainures de l’acrylique sont comme des griffures dans la barbe de deux jours.
Il se confie à un ami imaginaire.
On pourrait l’entendre à condition que tout le monde se taise, qu’on enlève le son du match de foot, de Gilbert Bécaud, que la machine à café chuchote. Je m’approche, bien décidée à endosser le rôle de la confidente et j’arrive en cours de sa route.
(Sinueuse, la route.)
-Et c’est pour ça qu’elle m’a quitté. J’ai déserté. Mais le travail il me rendra pas Annie. Maintenant l’enfer commence.
Il me raconte.
Son histoire est celle de tout le monde. Elle appartient aux comptoirs et aux gueules de bois.
Alors je lui chante Manu et ses copains qui reviennent mais j’ai oublié la moitié des paroles. Il chante aussi, on invente des refrains; voilà qu’on braille, qu’on beugle. On s’égosille, ils ont tous droit a la vue sur nos luettes tremblantes.
Il rit, pleure, me prend dans ses bras, passe derrière le comptoir pour augmenter le volume de mes amis-mes amours-ses emmerdes, m’offre des kirs, re-pleure, re-rit, m'appelle annie sans s'en rendre compte, tout ça à la vitesse lumière.
Il demande au patron: “Z’auriez pas des sets de papier en table? Mais c’est pour la bonne cause hein! Je vais faire une surprise à mon amie.”
Il les découpe.
“Z’auriez pas aussi du scotch? Mais pas celui en bouteille hein! C'est pour faire une surprise à mon amie. ”
On rit pendant 480 secondes.
Il les assemble et dit “Fermez les yeux.”
Tournis
“ Voilà. Ouvrez les yeux.”
J’ai deux ailes dans le dos et un sourire de publicité.
“Z’êtes mon ange gardien.”
Je me sens légère comme vous savez quoi.
Quand je reviens du miroir, il s’est endormi à nouveau, sur l’autre joue et l’autre bras, d'autres tristesses aussi; le patron a l’air navré pourtant il n’y a pas de quoi, merci. “Demain, il se rappellera de rien” qu’il me dit, mauvais.
C’est pour ça que j’enlève une des ailes, la plie et la lui glisse dans la main après y avoir écrit “Vous z’aussi”.
-maispastrop-
Hommes/femmes, balle au centre
Le Bobillot
79 rue Bobillot , 75013
noisette 2€ 10 (pot de lait contre sourire)
saumur 3€ (chips contre 2 sourires)
-Il fait bon pour Février hein?
-Ah bah ça, comme vous dites hein. On va la payer c’t’histoire.
-Samedi, ça passe de 16 à 6 degrés!
-Mmmh. La nature elle est... bah elle est comme les gens hein, au fond.
-Y a même la grippe du poulet.
-Bah oui et puis celle des gens aussi.
-Ouais...
-...ouais
Après m’être promenée dans le petit coin de la rue du Moulin au Pré, après m’être extasiée sur la sensation en plein Paris, de marcher en plein Trouville, je retrouve la ville, fidèle à elle même, au Bobillot. Au 79, face à l’église.
Austère et un peu cracra.
Ici, l’eau on n’aime pas ça.
A Londres, il peut vous arriver de commander un thé dans un pub. Si vous n’aimez pas la bière par exemple, et que vous avez déjà goûté leur café… Il suffit d’avoir le courage de ses opinions et de se moquer des regards mitraillettes.
Ici, si vous commandez, mettons, un Perrier-rondelle, vous avez tout intérêt à avoir confiance en vous. Il se trouve que vous venez de prononcer les 2 mots tabous du Bobillot.
Maintenant ils flottent dans l’air, le temps est suspendu, un silence de mort.
Tout le monde l’observe, en coin, la fille bizarre qui boit pas d’alcool.
Le serveur, en traînant des pieds, pose, du bout des doigts, sa commande sur la table mais ne va meme pas jusqu’à décapsuler la bouteille et la laisse se dépatouiller avec l'ouvre-bouteille sans aucun scrupule.
Quand elle avale sa première gorgée (si elle n’est pas partie en courant avant), la tension est à son comble. Hitchcock en serait vert. On entend la pomme d’Adam descendre pour déglutir et quand elle remonte, tous se détournent d’elle avec un mépris semblant dire : “Pffff, irrécupérable”. Ils ne la regarderont plus jamais ensuite. Après avoir été choquante et indésirable, elle est sans odeur, sans couleur. Transparente comme son eau gazeuse.
Mireille, au bar, relance l’ambiance en payant sa tournée. Elle fait passer ses longs cheveux de droite à gauche, de gauche à droite, remplissant l’espace du parfum camomille de son shampooing.
Tous les autres, des hommes, avec leurs muscles, leurs passés et leurs gloires, hôchent la tête comme pour acquiescer. Pourtant elle n’a posé aucune question.
Elle a très envie de parler, de vider son sac. En fait, ces jours-ci, ça va pas fort fort. Sa vie sentimentale est au plus bas alors elle s’étale en jérémiades sans écouter personne. De toutes manières ils répètent tous “oh mais Mimi, ça va passer, quoi. Te bile pas” Ca ressemble davantage à une censure qu’à des conseils; sous entendu “tu veux pas la boucler deux secondes qu’on entende un peu les résultats sportifs?”
“Si les hommes pensent que les femmes sont compliquées, alors c’est simple: c’est que les hommes sont bêtes et les femmes trop subtiles. Elles sont absolument, ab-so-lu-ment pas du tout compliquées, elles sont joueuses c’est tout.”
“Peut-être, mais alors elles sont mauvaises perdantes!” lance le patron sortant des toilettes tout en reboutonnant sa baguette.
“Sacrement mauvaises perdantes les pisseuses!”
Ils en rient encore quand je vais régler à la caisse; la Mireille, honteuse et confuse, m’invite d’un geste de la main: la noisette, c’est pour elle, et elle chuchote “solidarité féminine” appuyé par un clin d'oeil tout plein de longs cils.
Je ne sais absolument pas de quoi elle est solidaire, mais sans aucun doute, elle est fé-mi-ni-ne.
-maispastrop-
79 rue Bobillot , 75013
noisette 2€ 10 (pot de lait contre sourire)
saumur 3€ (chips contre 2 sourires)
-Il fait bon pour Février hein?
-Ah bah ça, comme vous dites hein. On va la payer c’t’histoire.
-Samedi, ça passe de 16 à 6 degrés!
-Mmmh. La nature elle est... bah elle est comme les gens hein, au fond.
-Y a même la grippe du poulet.
-Bah oui et puis celle des gens aussi.
-Ouais...
-...ouais
Après m’être promenée dans le petit coin de la rue du Moulin au Pré, après m’être extasiée sur la sensation en plein Paris, de marcher en plein Trouville, je retrouve la ville, fidèle à elle même, au Bobillot. Au 79, face à l’église.
Austère et un peu cracra.
Ici, l’eau on n’aime pas ça.
A Londres, il peut vous arriver de commander un thé dans un pub. Si vous n’aimez pas la bière par exemple, et que vous avez déjà goûté leur café… Il suffit d’avoir le courage de ses opinions et de se moquer des regards mitraillettes.
Ici, si vous commandez, mettons, un Perrier-rondelle, vous avez tout intérêt à avoir confiance en vous. Il se trouve que vous venez de prononcer les 2 mots tabous du Bobillot.
Maintenant ils flottent dans l’air, le temps est suspendu, un silence de mort.
Tout le monde l’observe, en coin, la fille bizarre qui boit pas d’alcool.
Le serveur, en traînant des pieds, pose, du bout des doigts, sa commande sur la table mais ne va meme pas jusqu’à décapsuler la bouteille et la laisse se dépatouiller avec l'ouvre-bouteille sans aucun scrupule.
Quand elle avale sa première gorgée (si elle n’est pas partie en courant avant), la tension est à son comble. Hitchcock en serait vert. On entend la pomme d’Adam descendre pour déglutir et quand elle remonte, tous se détournent d’elle avec un mépris semblant dire : “Pffff, irrécupérable”. Ils ne la regarderont plus jamais ensuite. Après avoir été choquante et indésirable, elle est sans odeur, sans couleur. Transparente comme son eau gazeuse.
Mireille, au bar, relance l’ambiance en payant sa tournée. Elle fait passer ses longs cheveux de droite à gauche, de gauche à droite, remplissant l’espace du parfum camomille de son shampooing.
Tous les autres, des hommes, avec leurs muscles, leurs passés et leurs gloires, hôchent la tête comme pour acquiescer. Pourtant elle n’a posé aucune question.
Elle a très envie de parler, de vider son sac. En fait, ces jours-ci, ça va pas fort fort. Sa vie sentimentale est au plus bas alors elle s’étale en jérémiades sans écouter personne. De toutes manières ils répètent tous “oh mais Mimi, ça va passer, quoi. Te bile pas” Ca ressemble davantage à une censure qu’à des conseils; sous entendu “tu veux pas la boucler deux secondes qu’on entende un peu les résultats sportifs?”
“Si les hommes pensent que les femmes sont compliquées, alors c’est simple: c’est que les hommes sont bêtes et les femmes trop subtiles. Elles sont absolument, ab-so-lu-ment pas du tout compliquées, elles sont joueuses c’est tout.”
“Peut-être, mais alors elles sont mauvaises perdantes!” lance le patron sortant des toilettes tout en reboutonnant sa baguette.
“Sacrement mauvaises perdantes les pisseuses!”
Ils en rient encore quand je vais régler à la caisse; la Mireille, honteuse et confuse, m’invite d’un geste de la main: la noisette, c’est pour elle, et elle chuchote “solidarité féminine” appuyé par un clin d'oeil tout plein de longs cils.
Je ne sais absolument pas de quoi elle est solidaire, mais sans aucun doute, elle est fé-mi-ni-ne.
-maispastrop-
L’année de la Chine
Le Coche
124, rue de Tolbiac, 75013
noisette :1€ 95 - verre de Bordeaux: 3€ avec pop corns
J’ai trouvé une bonne alternative au Canon de Tolbiac, et une avec estrade V.I.P. s’il vous plaît. Celle du bord est la meilleure place pour écrire, on peut s’accouder à la rambarde et ainsi:
1) être dans une position confortable,
2) se donner des airs.
Enfin, avec la nuit qui tombe, ça commence à se calmer et c’est pas pour me déplaire, c’était exagéré tout ce monde, j’ai presque fait la queue pour pouvoir rentrer, comme s’ ils avaient découvert LA perle de Paris.
Le dimanche, c’est ambiance Pékin. Je n’avais jamais remarqué que c’était plus difficile de faire abstraction de fous rires en chinois; il m’est impossible de m’inspirer de leurs conversations, je ne peux que me contenter de leurs attitudes, ce qui m’en apprend sûrement davantage que les mots mais me laisse néanmoins sur ma faim.
Je remarque une petite habituée dans le coin, à gauche, calée contre le mur. Je ne dis pas “petite” pour sous-entendre que je lui serais supérieure, je dis “petite” parce qu’elle doit mesurer 1 mètre 50 à tout casser. Elle parait 18 ans mais c’est bien le genre à cacher son jeu et en bien davantage. Y’a des gens comme ça, ils vieillissent tout d’un coup, à la fin.
Les serveurs lui font la bise, certains clients se déplacent pour la saluer; et c’est à ce moment là que son visage s’illumine. Autrement, elle travaille, concentrée en mâchouillant sa règle déjà mal en point. Je me disais que ce devait être des croquis de mode, mais à l’inspection de sa tenue, j’ai revu ma supposition. Vêtue comme un garçon qui aurait emprunté des fringues à son grand frère, lui même très peu soucieux de son apparence.
Maintenant que je sais que ce sont des plans d’architecture, son allure a fière allure, exactement ce qu’il faut.
Sa mâchoire en avant laisse penser qu’elle est butée comme tout, mais son regard est doux, ses ongles rongés. Mon contraire. Elle boit du chocolat par petites gorgées régulières, et , en reposant la tasse, daigne lever les yeux de ses feuilles calques millimétrées; alors, nos regards se croisent. C’est à dire que mon regard attrape son regard et le kidnappe quelques secondes. Quand elle s’en ira, elle fera voler son manteau tout près de moi et je constaterai un détail de taille: elle n’a pas d’odeur.
Le bébé chinois s’ennuie avec la famille, les adultes ont le grand défaut de ne pas passer leur temps à faire des grimaces ou à rigoler, donc il se détroune d’eux et tombe sur moi. Il veut me tripoter les cheveux, j’explique que s’il ne tire pas, on peut trouver un terrain d’entente. Les siens sont raides et noirs, mon opposé, nous nous attirons donc inévitablement. Mes boucles sont un mystère pour ses saucissons de doigts, il en tend une et, me regarde avant de la relacher. Quand elle rebondit et retrouve sa place initiale, il respire le bonheur, j’ai envie de le faire rôtir et de le manger en une seule fois. Je n’ai aucune idée de ce qu’il me raconte mais au moins c’est dit avec le sourire; et puis je doute qu’il connaisse déjà de quoi me vexer.
Au bar, les uns sur les autres, ils sont tous plus rouges les uns que les autres, autant que les tee-shirts des serveurs qui tirent sur le violine.
L’un d’entre eux, violacé et maquillé de petites veines qui ont craqué sous la pression de la bière, me fait plein de sous-entendu avec sa langue. J’hésite.
Lui faire un doigt, le traiter de tous les noms de la terre, lui arracher la moumoute et commander un verre de vin pour le lui lancer au nez. (ce qui se verrait à peine à cause du ton sur ton, et puis… pauvre vin!). Perdre mon sang froid , en somme, et lui offrir ce qu’il cherche.
Tout compte fait, je regarde à travers lui, mon visage ne peut pas être moins expressif, je l’ignore jusqu’à ce qu’il se fatigue, ce qui prendra 55 minutes. J’imagine l’état des muscles de sa bouche, les courbatures qu’il aura demain, et, voilà, j’ai ma revanche.
A part ça, c’est calme. Pas de déchirement amoureux, pas de rumeurs de quartier, peu d’intrigue. Rien de bien extraordinaire, c’est un lieu commun Le Coche; un bar quotidien rempli de gens de tous les jours, spécialement le dimanche.
-maispastrop-
124, rue de Tolbiac, 75013
noisette :1€ 95 - verre de Bordeaux: 3€ avec pop corns
J’ai trouvé une bonne alternative au Canon de Tolbiac, et une avec estrade V.I.P. s’il vous plaît. Celle du bord est la meilleure place pour écrire, on peut s’accouder à la rambarde et ainsi:
1) être dans une position confortable,
2) se donner des airs.
Enfin, avec la nuit qui tombe, ça commence à se calmer et c’est pas pour me déplaire, c’était exagéré tout ce monde, j’ai presque fait la queue pour pouvoir rentrer, comme s’ ils avaient découvert LA perle de Paris.
Le dimanche, c’est ambiance Pékin. Je n’avais jamais remarqué que c’était plus difficile de faire abstraction de fous rires en chinois; il m’est impossible de m’inspirer de leurs conversations, je ne peux que me contenter de leurs attitudes, ce qui m’en apprend sûrement davantage que les mots mais me laisse néanmoins sur ma faim.
Je remarque une petite habituée dans le coin, à gauche, calée contre le mur. Je ne dis pas “petite” pour sous-entendre que je lui serais supérieure, je dis “petite” parce qu’elle doit mesurer 1 mètre 50 à tout casser. Elle parait 18 ans mais c’est bien le genre à cacher son jeu et en bien davantage. Y’a des gens comme ça, ils vieillissent tout d’un coup, à la fin.
Les serveurs lui font la bise, certains clients se déplacent pour la saluer; et c’est à ce moment là que son visage s’illumine. Autrement, elle travaille, concentrée en mâchouillant sa règle déjà mal en point. Je me disais que ce devait être des croquis de mode, mais à l’inspection de sa tenue, j’ai revu ma supposition. Vêtue comme un garçon qui aurait emprunté des fringues à son grand frère, lui même très peu soucieux de son apparence.
Maintenant que je sais que ce sont des plans d’architecture, son allure a fière allure, exactement ce qu’il faut.
Sa mâchoire en avant laisse penser qu’elle est butée comme tout, mais son regard est doux, ses ongles rongés. Mon contraire. Elle boit du chocolat par petites gorgées régulières, et , en reposant la tasse, daigne lever les yeux de ses feuilles calques millimétrées; alors, nos regards se croisent. C’est à dire que mon regard attrape son regard et le kidnappe quelques secondes. Quand elle s’en ira, elle fera voler son manteau tout près de moi et je constaterai un détail de taille: elle n’a pas d’odeur.
Le bébé chinois s’ennuie avec la famille, les adultes ont le grand défaut de ne pas passer leur temps à faire des grimaces ou à rigoler, donc il se détroune d’eux et tombe sur moi. Il veut me tripoter les cheveux, j’explique que s’il ne tire pas, on peut trouver un terrain d’entente. Les siens sont raides et noirs, mon opposé, nous nous attirons donc inévitablement. Mes boucles sont un mystère pour ses saucissons de doigts, il en tend une et, me regarde avant de la relacher. Quand elle rebondit et retrouve sa place initiale, il respire le bonheur, j’ai envie de le faire rôtir et de le manger en une seule fois. Je n’ai aucune idée de ce qu’il me raconte mais au moins c’est dit avec le sourire; et puis je doute qu’il connaisse déjà de quoi me vexer.
Au bar, les uns sur les autres, ils sont tous plus rouges les uns que les autres, autant que les tee-shirts des serveurs qui tirent sur le violine.
L’un d’entre eux, violacé et maquillé de petites veines qui ont craqué sous la pression de la bière, me fait plein de sous-entendu avec sa langue. J’hésite.
Lui faire un doigt, le traiter de tous les noms de la terre, lui arracher la moumoute et commander un verre de vin pour le lui lancer au nez. (ce qui se verrait à peine à cause du ton sur ton, et puis… pauvre vin!). Perdre mon sang froid , en somme, et lui offrir ce qu’il cherche.
Tout compte fait, je regarde à travers lui, mon visage ne peut pas être moins expressif, je l’ignore jusqu’à ce qu’il se fatigue, ce qui prendra 55 minutes. J’imagine l’état des muscles de sa bouche, les courbatures qu’il aura demain, et, voilà, j’ai ma revanche.
A part ça, c’est calme. Pas de déchirement amoureux, pas de rumeurs de quartier, peu d’intrigue. Rien de bien extraordinaire, c’est un lieu commun Le Coche; un bar quotidien rempli de gens de tous les jours, spécialement le dimanche.
-maispastrop-
S'en va-t'en guerre
Le Canon de Tolbiac
Angle de l’avenue d’Italie et de la rue de Tolbiac , 75013
Noisette : 1€90 Verre de bordeaux : 2€40
Comment vous sentez vous aujourd’hui ? En forme, confiant, plein d’amour pour la terre, rempli d’espoir pour les hommes ?
Ha ha, pas d’inquiétude, on va remédier à tout ça très vite.
Comme son nom l’indique, le bistrot n’est pas là pour faire la paix.
Il m’est arrivé d’en ressortir dans un état terrible, me jurant à moi-même de ne jamais enfanter pour ne pas engendrer une possibilité de plus de boire un café au Canon de Tolbiac.
Je rentre. Je cherche une table près des vitres, en trouve une, m’y installe. Jusque-là, tout va bien de banalité.
En posant mes coudes sur la table, je ne sais pas encore que je ne les décollerai qu’au prix d’un effort surhumain. Alors, je propose à un serveur de passer un coup du torchon qui pue sur le formica.
Ce qu’il refuse ; il dit « Non ». Je crois d’abord à la fameuse petite blague du « non » que les serveurs de cette ville affectionnent tant. Puis, au bout d’un petit quart d’heure passé les bras en l’air pour ne pas prendre le risque de m’unir à nouveau avec la crasse des dix dernières années, je décide de migrer sur une nouvelle table à l’allure moins négligée. Je pense que la déclaration de guerre est lancée.
Il me nargue, passe et repasse devant moi sans jamais vouloir prendre ma commande. Dans mes bons jours, j’aurais réagi autrement, j’aurais chargé l’arme et visé à bout portant. Ou, pacifiste, je serais partie sans jamais me retourner. Mais, aujourd’hui, la curiosité me pousse à voir jusqu’où il va pousser.
Je dois donc aller commander mon café au comptoir, et, y retourner quand il est près parce qu’évidemment, il ne me l’apporte pas.
Suivent quelques minutes où j’oublie un peu le ring pour écrire.
Une jeune fille se dirige vers le bar et me sort de mes gribouillages. Elle est belle comme un camion. Elle demande à Mon Serveur où est ce qu’elle peut trouver un arabe dans le coin. Et, lui, d’un ton exaspéré, répond : « Partout ! »
Le patron rit, le cuisinier rit, le client le plus proche hoche la tête en signe d’acquiescement, la jeune Jessica Rabbit semble ne pas savoir si c’est de l’art ou du torchon. Et repart, l’air hébété.
-Bah, ça alors, ses seins doivent la gêner pour y voir clair. Des Arabes, y en a plus ici que dans leur pays !
Ok.
Des fois, on sent qu’une remarque de notre part ne ferait qu’encrer le type dans sa hargne, et que la décision la plus sage reste de ne rien faire et de ne rien dire.
Ceci dit, je m’en fous et lui glisse quand même qu’à son âge, il ne changera sûrement pas d’avis et surtout pas grâce à quelqu’un comme moi, mais qu’il doit savoir que ce genre de propos m’oblige à penser qu’il a un sexe minuscule. Je crois que j’utilise le mot « riquiqui ».Que peut-être, il n’a même pas de sexe du tout, et que point final, je n’ai pas envie de réponse de sa part, d’ailleurs ceci n’est pas une question. Sa mâchoire se désarticule en silence.
Au moment de payer, il essaie de m’entuber en feintant la confusion entre les pièces de 2 et de 1 €. Je le regarde droit dans les yeux, lui tient sa manche de chemise et lui dit « Je suis désolée. Vraiment. Je trouve que personne ne mérite d’être aussi sinistre que vous. Votre vie, ça doit franchement être de la merde. J’espère que vous vous en sortirez. Mais comptez pas sur moi pour vous filer un coup de main. »
L’arène en délire attend le coup d’épée final. Lui aussi semble attendre quelque chose, il stagne, bouche bée, yeux bovins, respiration suspendue. Et pourquoi je ne le plante pas ? Seule Mère Théresa le sait, mais c’était une bonne influence puisque, comme chacun sait, c’est en n’ayant pas besoin de prouver sa victoire que la victoire resplendit.
De temps en temps, quand j’aime cette ville comme un amant très souple, quand je me prends à croire de nouveau que tout va bien se passer, je me jette au Canon de Tolbiac, le temps de me remettre les idées en place. Je préfère garder les pieds sur terre pour ne pas tomber trop souvent de mes petits nuages.
Si quelqu’un mérite de mourir d’une mort lente et douloureuse, comme on dit, c’est lui. Lui et personne d’autre. Je crois, je sais qu’un jour, je l’attacherai à une chaise, lui arracherai les ongles un par un, lui crèverai les yeux, et lui trouerai le corps avant de lâcher un petit lot de rats et de corbeaux sur son corps tremblant. Je sais que ce jour approche. Et alors, le lendemain, sachant la terre débarrassée de cette médiocrité, je pourrai ré envisager l’idée de mettre au monde.
-maispastrop-
Angle de l’avenue d’Italie et de la rue de Tolbiac , 75013
Noisette : 1€90 Verre de bordeaux : 2€40
Comment vous sentez vous aujourd’hui ? En forme, confiant, plein d’amour pour la terre, rempli d’espoir pour les hommes ?
Ha ha, pas d’inquiétude, on va remédier à tout ça très vite.
Comme son nom l’indique, le bistrot n’est pas là pour faire la paix.
Il m’est arrivé d’en ressortir dans un état terrible, me jurant à moi-même de ne jamais enfanter pour ne pas engendrer une possibilité de plus de boire un café au Canon de Tolbiac.
Je rentre. Je cherche une table près des vitres, en trouve une, m’y installe. Jusque-là, tout va bien de banalité.
En posant mes coudes sur la table, je ne sais pas encore que je ne les décollerai qu’au prix d’un effort surhumain. Alors, je propose à un serveur de passer un coup du torchon qui pue sur le formica.
Ce qu’il refuse ; il dit « Non ». Je crois d’abord à la fameuse petite blague du « non » que les serveurs de cette ville affectionnent tant. Puis, au bout d’un petit quart d’heure passé les bras en l’air pour ne pas prendre le risque de m’unir à nouveau avec la crasse des dix dernières années, je décide de migrer sur une nouvelle table à l’allure moins négligée. Je pense que la déclaration de guerre est lancée.
Il me nargue, passe et repasse devant moi sans jamais vouloir prendre ma commande. Dans mes bons jours, j’aurais réagi autrement, j’aurais chargé l’arme et visé à bout portant. Ou, pacifiste, je serais partie sans jamais me retourner. Mais, aujourd’hui, la curiosité me pousse à voir jusqu’où il va pousser.
Je dois donc aller commander mon café au comptoir, et, y retourner quand il est près parce qu’évidemment, il ne me l’apporte pas.
Suivent quelques minutes où j’oublie un peu le ring pour écrire.
Une jeune fille se dirige vers le bar et me sort de mes gribouillages. Elle est belle comme un camion. Elle demande à Mon Serveur où est ce qu’elle peut trouver un arabe dans le coin. Et, lui, d’un ton exaspéré, répond : « Partout ! »
Le patron rit, le cuisinier rit, le client le plus proche hoche la tête en signe d’acquiescement, la jeune Jessica Rabbit semble ne pas savoir si c’est de l’art ou du torchon. Et repart, l’air hébété.
-Bah, ça alors, ses seins doivent la gêner pour y voir clair. Des Arabes, y en a plus ici que dans leur pays !
Ok.
Des fois, on sent qu’une remarque de notre part ne ferait qu’encrer le type dans sa hargne, et que la décision la plus sage reste de ne rien faire et de ne rien dire.
Ceci dit, je m’en fous et lui glisse quand même qu’à son âge, il ne changera sûrement pas d’avis et surtout pas grâce à quelqu’un comme moi, mais qu’il doit savoir que ce genre de propos m’oblige à penser qu’il a un sexe minuscule. Je crois que j’utilise le mot « riquiqui ».Que peut-être, il n’a même pas de sexe du tout, et que point final, je n’ai pas envie de réponse de sa part, d’ailleurs ceci n’est pas une question. Sa mâchoire se désarticule en silence.
Au moment de payer, il essaie de m’entuber en feintant la confusion entre les pièces de 2 et de 1 €. Je le regarde droit dans les yeux, lui tient sa manche de chemise et lui dit « Je suis désolée. Vraiment. Je trouve que personne ne mérite d’être aussi sinistre que vous. Votre vie, ça doit franchement être de la merde. J’espère que vous vous en sortirez. Mais comptez pas sur moi pour vous filer un coup de main. »
L’arène en délire attend le coup d’épée final. Lui aussi semble attendre quelque chose, il stagne, bouche bée, yeux bovins, respiration suspendue. Et pourquoi je ne le plante pas ? Seule Mère Théresa le sait, mais c’était une bonne influence puisque, comme chacun sait, c’est en n’ayant pas besoin de prouver sa victoire que la victoire resplendit.
De temps en temps, quand j’aime cette ville comme un amant très souple, quand je me prends à croire de nouveau que tout va bien se passer, je me jette au Canon de Tolbiac, le temps de me remettre les idées en place. Je préfère garder les pieds sur terre pour ne pas tomber trop souvent de mes petits nuages.
Si quelqu’un mérite de mourir d’une mort lente et douloureuse, comme on dit, c’est lui. Lui et personne d’autre. Je crois, je sais qu’un jour, je l’attacherai à une chaise, lui arracherai les ongles un par un, lui crèverai les yeux, et lui trouerai le corps avant de lâcher un petit lot de rats et de corbeaux sur son corps tremblant. Je sais que ce jour approche. Et alors, le lendemain, sachant la terre débarrassée de cette médiocrité, je pourrai ré envisager l’idée de mettre au monde.
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