St Jacques De compost

Depuis ma fenêtre, quand m’arrive le bruit d’un scooter qui passe, la nuit, je suis toute transpirante d’angoisse, d’une angoisse qui n’a pas vraiment de nom, quelque chose que moi même je ne saurais nommer, catégoriser.
C’est certainement du au fait que ce bruit représente pour moi ce qui incarne le mieux la solitude. La solitude de celui sur son deux roues qui rentre ni tôt ni tard après une soirée ni faite ni à faire, et celle de celui à qui parvient le bruit de cette vie tiède.
C’est pas la solitude comme je l’aime, c’est la solitude méchante, qui s’infiltre tout partout et attaque et isole ceux qui ont déjà perdu pied.
Je n'entends pas souvent ce bruit alors qu'il se produit peut-être 20 fois dans une soirée. C'est pour ça que, quand je l'entends, je.
Je ne sais plus, j'ai l'impression qu'elle m'a laissée tomber. Je me penche sur mon balcon pour voir le type se garer, j'attends qu'elle arrive et qu'on parle ensemble de ça, mais, et elle le sait, si j'ai accordé de l'importance à ce bruit, s'il m'a interpellée, c'est qu'elle n'est pas là, c'est qu'on n'en parlera pas ensemble. Elle, elle dirait "condition siné qua non" et par "A+B" sur un ton un peu péremptoire, pour me faire gamberger. Ouais, elle a du tempérament.




reviens
devant
maporte
moijetetrouvepas
malpeignée
tulesaistoiqueyapasdamoursmortes
ninonplusdamoursvivantes
taspaslegoutdumalheurdutout
ilsontriencompris
cestpastoilagarcecestnous
moiaussijailesyeuxcernes
tespaslemiroirdeceuxquiontbesoindetreaiméspourvivre
puisquetuvistoietquetuaimesmêmeceuxquineveulentpasdetoi
accrochetoiàmeshanchesauprintemps
pourquonrouledesmecaniquesensemble
silteplaitreviensdevantmaporte
faismoidesnuitsblanchessoismonplusbeaucollieretmonombre
cestmoiquimecoucheàtesgenoux
silteplaitreviensdevantmaporte
etmemededansmatête



Il n’y a qu’un seul nom commun pour parler de ça et pour l’illustrer, pourtant, deux adjectifs que, en vérité, tout oppose.
Il y a les gens «seuls», et il y a les «solitaires».
























Les premiers qui ont tout à envier aux seconds qui, eux mêmes, éprouvent une sorte de compassion méprisante pour les autres, et les jugent, évidemment.
Maîtres de leur isolement, et avant tout, heureux de cet isolement, ils n’admettent pas que certains semblables en soient les victimes. Ils voient en ces victimes une bêtise naturelle, un manque de curiosité et un affront fait à la Solitude, qu’ils estiment comme l'éternelle maîtresse à séduire, l'insaisissable amoureuse qui leur apprend tant. Qui leur apprend le temps, aussi.

J’ai moi-même du mal à comprendre ceux qui veulent à tout prix être entourés, accompagnés, et qui fuient ce que je n’aurais pas peur de considérer comme la clé. De quoi? De tout, au moins.
Je vois des gens s’étonner du plaisir que je prends à rester chez moi, dans une semi-obscurité éblouissante, pour... rêvasser diront certains, ou simplement être là, consciente de mon corps, de moi, moi dans mon corps et tout ce bordel dans cet appartement, cet appartement dans cette ville, cette ville dans ce pays, cette réalité ô combien concrète qu’un plan large balaye et réduit à la taille d’une mouche au milieu d’autres mouches. Etre là, consciente de tous ces insectes, fourmillants de pensées, allongés dans leurs lit, qui rêvent à la même chose, motivés par la même envie de vivre en grand parce qu’en lien avec tout le monde et ne devant rien à personne. Parce que je ne suis jamais aussi entourée que quand je suis seule, et que je touche à quelque chose qui me dépasse, j’ai souvent peur de réduire mes murs à ceux de mes bars et mes amours à celles de mes fréquentations.

Il est probable que tout cela ne soit compris finalement que par ceux qui partagent déjà mon avis, ce qui est un peu triste, si on y pense. Alors, et bien, n'y pensons pas.

Ca me manque.
Ma solitude me manque.
La télé me parle à moi, carrément, tranquilou, elle me tutoie même parfois parce qu'elle croit savoir ce qu'il me faut comme shampoing. Je l'allume et je coupe le son en même temps que le portable. J'imagine ce que tout le monde dit, eux dans le poste, toi sur mon répondeur. Et, systématiquement, y'a un geste qui s'empare de moi: une main qui cache une oreille et une autre qui cache un oeil, alors que j'ai coupé le son et que je ne vois que moi. Mon geste a manifestement décidé qu'il fallait que je me con-centre davantage. Pas "con" centre comme si j'étais débile, je suis brillante, mais con "centre" comme s'il fallait que je me ramène à une sorte de noyau et d'essence, ouais, rien que ça. C'est pas moi, c'est mes gestes.( Adressez leur votre courrier des lecteurs, si ça vous chante)

Peut-être ai-je tort mais je l’associe à mon équilibre, à l’essence même de ce que je suis et, pour cette raison, la délaisser me nuit. La nuit, je me lasse d’en être éloignée. Je me perds. On peut pas se passer de son ombre, de sa main droite, d’un complice. Si je la perds, tout fout le camp. Tout. Y'a plus de saison ma bonne dame.
Parfois, de nouvelles rencontres associées à un printemps propice aux rendez vous en terrasse me font remplir mon agenda d’apéros et de mariages et de cinémas et d’anniversaires et de dîners et de cafés et de...
«je sais que tu veux aller au parc floral mais tu veux pas passer bruncher à la maison avant?»
«tu brunches? ça te dit, je te rejoins au parc floral pour les concerts tout à l’heure?» « t’es où? t’es au parc floral? j’ai un dîner avec des amis après, tu viens avec moi?»
«il est cool ton dîner? tu fais quoi après? j’ai une fête, ça te tente?»
«je te réveille? je passe te chercher dans une heure et on va faire les soldes?»
«t’as fait les soldes? haaaaan, j’arrive avec une bouteille et tu me montres tes robes, après j’ai un concert de mec qui vont fêter ça autour d’un bon dîner, plus tard, et ils ont un plan fête après»

... et 3 jours ont passé, le temps a filé en conversations dont je suis incapable de me souvenir, en sensations déjà enfouies sous trop de vodka, en réflexions avortées trop vite.
Ma solitude assiste au déroulement des opérations, d’abord amusée, puis assez vite jalouse, inquiète et, pour finir, enfin, vexée, elle claque la porte. Et quand je réalise qu’elle n’est plus là, c’est déjà trop tard; je suis seule, mais seule comme le type sur son scooter. Pas seule comme j’ai toujours aimé l’être, comme ça m’a toujours plu et servi.
Pourtant c’est chez elle, et nulle part ailleurs que les choses se passent. Elle sait tout parce qu’avec elle, tout est possible, tout est brutalement honnête et dénué d’artifices, elle est crue et saignante, elle est franche, elle me met à poil; elle, elle a vraiment envie de vie. Je vous aime mieux quand je vous vois peu, je ne peux pas vous enchaîner, vous n'êtes pas des cigarettes, je veux être absolument avec vous quand je suis face à vous, et je veux être absolument moi. Vous ne m'aimeriez plus non plus, dans le cas contraire, de toute façon. Elle est ma came, mais aussi mon secret beauté et ma recette de grand-mère.



Y’a quelque chose de sacré dans la solitude, dans le respect de la solitude. Et quelque chose d'extrêmement calorique aussi. On veut tout, tout de suite, affamé; parce qu’on sait que tout est possible, on a mille chose à dire et pas assez de temps.
J’ai jamais écrit autrement qu’en jet, qu’en gerbe, qu’en instinct et maintenant que je me suis éloignée d’elle, je vois que ça vient moins, que... c’est pas ça, je suis moins à fleur de moi, ma peau est trop hydratée de crèmes de marques variées, les choses sont plus camouflées, j’ai moins d’élans, je dois sortir de la Vie pour revenir à moi, et ça gâche la vérité qu’est belle qu’à poil.
Pas trop intellectualisée.
Ne pas réfléchir trop fort à l’évident.
Mais le laisser envahir nos tiroirs remplis de principes et de connaissances, les faire s’affronter et finalement cohabiter.
Parce qu’elle est plus forte que nous.

Avec elle, nos préoccupations s’élèvent. Un tout petit peu, si peu.
Les filles changent de priorité, le vernis et le brushing attendront demain. Les hommes touchent enfin à la sérénité de ne pas devoir absolument séduire, et toujours assurer.
C’est le repos du guerrier et pourtant, c’est la guerre aussi, cette solitude. Mais la guerre avec soi-même qui, si elle n’est pas la seule qui compte, est peut-être la plus dure, la plus foncièrement dépouillée et donc catégorique, intransigeante. Ca nous pardonne rien. Ca n’a pas de pitié.
Parce qu'on n’est pas indulgent face à soi-même, on laisse ça aux autres, à ceux qui disent nous aimer.
Nous, on se condamne, on se juge, d'accord, on se fixe quelques sursis , mais avant tout, on se connaît un peu plus. Alors, même sans avoir fait d’études de psychologie, de sociologie, d’amour ou même de paix, j’affirme qu’en sachant être seul, on offre sa chance à la vie et on ouvre la porte à tout et tout le monde.

Y’a plus rien de vraiment effrayant quand on se connaît sinon la peur de, justement, se perdre.

Il y’a ce bruit de scooter, et puis, tout à l’heure, il y avait le bruit de mes talons sur le bitume.
Je me suis demandé si quelqu’un l’entendait, depuis ses fenêtres ouvertes sur cette diva d’été qui n’en finit plus de se faire désirer; si on pensait «quelle tristesse, une fille en talons seule, à cette heure, dans la rue». Il y a des rues à ce point étroites qu’elles renvoient le bruit de nos pas, nous faisant croire qu’une autre fille marche à cette même cadence et, moi la première, je m’imagine une âme esseulée qui aurait préféré rentrer accompagnée, et qui accélère la marche de peur de se faire alpaguer par des esseulés qui ont perdu leur âme. Et qui supposent qu’en vous mimant un cunnilingus avec leur langue embourbée de whisky, ils pourraient arriver à leur faim. Fin.

Là, on se sentirait pas mal "seule-au-monde-bordel-de-merde", et on serait obligée de sourire, en plus.




Mais, ce sont mes pas, mes échos, mes talons. J’ai voulu être seule. J’imagine que quelque part, quelqu’un me plaint, pourtant, ça y est je suis dans moi et j’ai enfin pour ma pomme, les trottoirs de la ville et le spectacle des gens. Gratos. Je croise des vraies personnes seules, vraiment seules parce que quand elles mourront - ce qui, vu leur état, ne saurait tarder - personne ne s’en rendra compte. Et puis, il y a ceux persuadés d’être deux. Ils se tiennent la main pour se le prouver. Ils se taisent quand je les dépasse parce que ça les dépasse, précisément, et que je leur rappelle quand ils priaient pour ne plus être comme moi, seule avec l’écho des talons alors que je prie pour ne jamais être comme eux, seule avec l'écho de la solitude de l'autre.

Il y a ceux qui me le disent, d’une manière plus ou moins élégante.
-Une jeune fille comme vous seule à cette heure ci?
Je les entends un peu après, parce que je parlais déjà dans ma tête avec des idées à la conversation autrement plus passionnante, je me retourne et souris quand même, évasivement. Ils ne répondent rien, parce qu’ils croyaient s’adresser à une femme triste impatiente de compagnie et que, tout à coup, ils ont vu que seule, je l’étais pas le moins du monde. Ni triste ni seule. Qu’en tout cas, je l’étais bien moins qu’eux, réduits à interpeller n’importe quelle passante pour échanger n'importe quoi.

Un scooter m’émeut, mes talons vous interpellent, votre interpellation me nourrit. Le cercle de la vie. Non mais sans rire, sérieux.

Quand j’ai «rendez vous», comme on dit, je rentre rarement seule. Bah, j’ai rendez vous, non? Sinon, quand "on", un groupe de gens, a prévu de se retrouver dans un bar, alors j’arrive toujours après, toujours, parce que j’aime ce moment, latent, flottant où je sais que je vais bientôt parler avec des personnes que j’aime, les toucher, rire avec un peu de chance, mais que je ne suis pas pressée. Et les aiguilles du cadran, vraiment, ont le feu au cul. Je ne me rends pas compte de l'heure déjà dépassée. J’ai tout mon temps.
C’est tout ce que j’ai, le temps.
Ca, et la solitude.

Le temps et la solitude n’ont pas d’âge, ils vivent pour toujours, c’est tout l'intérêt, peut-être le seul. J’aime qu’ils soient mes compagnons, sans sang, sans coeur, sans respiration, l’anatomie est trop faible; j’aime répondre à leur bible et leurs commandements parce que c’est à moi qu’ils servent. D’autres croient en un dieu. Soit. Personnellement, je m'en remets, et me soumets, à cette incertitude et cette puissance du rien, du vide, du tout, du calme avant nos tempêtes.

J’en suis manifestement réduite à parler de ça. Ce dont tout le monde a parlé avant moi, en mieux, en pire, en quoiqu’il en soit, j’en suis réduite aux clichés, moi, déjà si petite.
C’est la solitude dont je veux parler pourtant. Et je sais pas comment.

Celle-là même qui effraie les 3/4 de la population, de la faune, de la flore, tout ce monde là ayant un léger penchant pour les regroupements, la proximité et les voisinages. Je vois bien qu’autour, ça veut être à plusieurs. Je vois bien que c’est compliqué de refuser un rendez vous sans raison particulière. Il faut une raison. Il faudrait, pour ne pas se rendre à un dîner, avancer l’argument d’avoir déjà un autre dîner de prévu. On veut une raison. Il semble impossible de reporter un rendez vous galant avec le simple prétexte de ne pas en avoir envie. Il est indéniable qu’assise à une terrasse de café, les autres pensent pouvoir nous aborder parce que pour eux, on ne fait pas ça, être seule, si c’est pas pour rencontrer des gens. Ca leur semble raisonnable. Que leur répondre?
Faut dire, aussi, qu'il y a tellement de femmes qui croient qu'être seule, c'est être sans homme. Elles donnent des faux espoirs celles là. Aux autres, et à elles. Je regrette parfois cette philosophie parce que, ce sont celles-là mêmes, qui, seules dans leurs chambres imaginaient les plus belles histoire d'amouuuuuur et qui aujourd'hui perdent leur imagination quand elles perdent l'assurance de dormir dans des bras et que l'inquiètude les rend ... lâches.
Y'en a même qui écrivent des chansons à ce sujet, je veux dire, des chansons qui se vendent, des titres qui rentrent dans le top 50.


Des femmes qui touchent au plus profond d'elles mêmes uniquement quand elles ont peur qu'on ne les touche plus, des gens qui ne veulent pas qu'on les touche parce qu'ils se débrouillent très bien tous seuls, des vieux qui crèvent en espérant que leur petite fille leur rende visite au moins une fois avant de, et ceux qui aiment tellement être seuls que ces comportements, chez les autres, les excluent tout naturellement de la mascarade.

Mais c’est ça dont je veux parler. Et je sais pas comment. Parler de la personne qu'on aime pour toujours, avouez que c'est pas commode. Et puis, on dit pas "je t'aime" à sa solitude: on la laisse s'installer, on lui fait de la place, et on entretient l'endroit. C'est tellement plus éreintant que le reste, cette relation-là. Tellement plus sévère.

Jamais on a crée sans être seul, jamais on a aimé, jamais on a inventé et imaginé et tout ce que vous voudrez, sans être seul. Lucky Luke, c'est comment qu'il repart sur fond de coucher de soleil? Avec sa mie et tous ces compères peut-être?
Je me dis parfois que si tout le monde voyait la solitude comme une amie, j’en aurais bien davantage, des amis. Et des vrais. Pas de ceux qui appellent parce que, rentrés chez eux, il faut absolument qu’ils en ressortent. J’aimerais qu’on m’appelle parce qu’on veut me voir moi. Pas parce qu’on refuse de se regarder, soi, en face. J'aime pas trop, finalement, qu'on me donne rendez-vous pour passer le temps. En plus, le temps ne passe pas, il nous regarde élaborer des subterfuges pour le remplir, et puis il reste. C'est nous qui trépassons sous ses yeux amusés.

Je crois que j’ai arrêté d'aimer un garçon pour ça. Il savait pas être seul.

Etre toujours plusieurs, ce serait comme mettre des couches de vie sur des couches de survie sur des couches de vécu sans jamais vivre; et ça empêcherait de ressortir la vieille boîte de lettres, s’installer en coupant le portable et les relire. Si on le fait jamais, alors pourquoi les garder? Pourquoi même les écrire?

L’autre soir, c’est ce que j’ai décidé de faire.

J’ai ouvert le carton et, tout de suite, j’ai senti une sorte d’exclusivité de bien-être, réservée à moi et moi seule simplement parce que je laissais la place et le temps à des émotions sans conséquences, sans résultats immédiats. Un samedi soir à minuit, il y a finalement peu de gens seuls, assis en tailleur dans leur chambre à relire des vieilles lettres rangées dans les mauvaises enveloppes. C’était du luxe pour moi, un moment privilégié, loin de l’agitation à laquelle je me mêle souvent avec entrain. J’ai relu, donc, et sans trop me replonger dans des souvenirs, j’ai senti l’importance, l’urgence de penser à tous ceux qui avaient écrit des lettres, celles que je lisais et les autres, celles qui étaient restées au fond des tiroirs et celles déchirées sous la colère; j'étais dans la force des émotions ressenties mais sans action. Les émotions qui ne viennent pas d’un fait, d’un geste, qui ne découlent pas directement de l’attitude de quelqu’un, là, en face, mais qui naissent de la conscience de ce que les gens vivent, moi au milieu, loin, seule dans ma chambre. J’aime jamais autant les gens qu’à ces moments là.
Il y avait une lettre, une vielle lettre, qui se terminait par le fameux "qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de soi". Et, l'expéditeur avait barré le "doux" pour le remplacer par "rude" puis il avait barré "rude" pour le remplacer par "indispensable". J'avais fini par remplacé tous les autres par lui, du coup, évidemment. Et je repensais à l'incroyable symbiose qu'on avait vécu, tous les 2, pourtant/justement passionnés de solitude.

Peut-être parce que je suis fille unique, peut-être à cause de ça ai-je développé une capacité à me créer des conversations, des amis, des situations imaginaires. Aujourd'hui encore, quand j'ai réussi à être seule complètement pendant environ 3 jours c'est toujours pareil, je touche au divin et donc à l'enfance. J'écoute de la musique, je danse, ça me donne envie de me maquiller d'une façon que je jugerais intolérable pour voir des gens dans la vraie vie, je me fais des coiffures, et, voilà, pile poil, j'ai 10 ans dans ma conscience adulte et ça, accrochez-vous pour me faire démordre de l'idée que c'est pas l'avenir et le meilleur anti rides.

Et puis, un papillon de nuit a jugé utile de s’inviter à ma lonely party. Peut-être cherchait-il de la compagnie. La compagnie de la lampe. Pas être seul, quoi, et pour quoi faire, l’imbécile, il savait même pas.
Panique.
On est si peu de choses, malgré nos jolis principes et nos grandes théories, on est si peu de choses qui tenons à pas beaucoup plus, tout ça brinquebalant sur un fil tendu comme un truc dentaire, prêt à aider mais aussi à rompre.
Les amis dans ma tête ne me fileront aucun coup de main, tout à coup y'a plus personne, c'est du joli, tiens. J’ai maudit mon envie d’être sans personne alors, parce que je ne pouvais plus compter que sur moi-même pour me dépatouiller et, incapable de le faire, j’étais plus rien qu’une angoissée, une mauviette prête à faire appel à n'importe qui; un homme abandonné sur un quai il y a 4 ans, pourquoi pas, juste pour qu’il vienne m’aider aujourd'hui, si personne d’autre ne répondait pour venir m’en débarrasser. Je me suis dit que, bien sur, je ne pouvais pas demander à un ami aviné et enfoui dans un sous sol de Pigalle de venir m’aider, bien sur, je ne pouvais pas. Mais alors à qui? Et, est ce que je n’étais pas seule comme le type sur son scooter tout à coup?
Cette idée m’a révoltée au point que... Comment un papillon pouvait débarquer et tout remettre en question, de quel droit, non mais. Aussi ai-je pris sur moi et j’ai sorti l’aspirateur.
Faut que je sois claire sur ce point: de manière générale, je suis contre la peine de mort. De manière générale, je suis pour les noctambules. Mais les papillons de nuit, ça vient foutre un bordel sans nom dans tous mes principes. Je panique, je ne suis plus moi-même, je pourrais, vraiment hein, je pourrais tuer quelqu’un qui s’amuse à m’en poser un dans les cheveux. (D'accord, «poser un papillon de nuit dans les cheveux de quelqu’un» n’est pas une activité courante, mais les phobies vous font imaginer des trucs déments.)
Les araignées, par exemple, j’aime pas non plus, mais je cale un verre sur elles, un papier au dessous, et je les vire au dessus du balcon depuis mon 6° étage. Elles s’en sortiront, ne vous inquiétez pas. Mais les papillons de nuit...

Ils sont comme ce bruit de scooter, tout compte fait. Ils jouent de leurs talons sur mes murs, mais moi, j'ai pas envie de les prendre dans mes bras, chacun sa merde. Ils sont des Seuls pas Solitaires qui courent à tout prix après une compagnie qui ne veut pas d'eux.
Leur existence est à ce point vide qu’ils cherchent du contact et se collent aux lumières et s’y brûlent jusqu’au lendemain matin où, le jour leur interdisant une quelconque activité, ils iront dormir, crevés, abîmés, en attendant de s’en remettre pour s’y remettre. Ils sont fous. Ils perdent les pédales, nous rentrent dedans, n’ont aucun respect des priorités et en plus, ils font un boucan dégueu quand ils se cognent tout partout. La classe, ils connaissent pas. Sans parler du fait qu’ils sont moches. Poilus, et comme décolorés en comparaison de leurs collègues du jour dont les pigments et les croquis sur leurs ailes méritent le respect ad vitam. Ca et le fait que, eux, ils nous pompent pas l'air.
Ils sont pathétiques, les papillons de nuit. Je ne veux pas d’eux avec moi. Si le type au scooter forçait la porte de mon hall pour me rejoindre dans l’espace restreint de l’ascenseur, je n’en penserais pas moins. Je ne voudrais pas de lui non plus. Je l'aiderais pas. Je le virerais à coups de hurlements et de lancers de sac.
Qu’ils nous foutent la paix avec leur problème de solitude.
Voilà pourquoi je sors l’aspirateur.

Mais, le bruit de ses ailes dans le sac est insurmontable.
Il est pas mort, le bougre, il lutte dans la poussière. C’est peut-être le pire des bruits que j’ai été amenée à entendre. Avec celui des petits bouts de chair du taureau, qui tombent, dans l’arène, sous les applaudissements mous d’un public qui s’en fout, en fait.
La tristesse de leur solitude, la SOLITUDE de leur solitude met tellement en lumière la plénitude de la mienne... Peut-être devrais-je les remercier, finalement. Alors qu’ils me donnent envie de chialer.
Il a fallu que fasse quelque chose pour l'en sortir, c'était soit lui qui taisait le bruit de son refus de mourir soit moi qui partait le temps qu'il agonise. Alors bon.
J'ai du élaborer tout un truc, un truc que je devrais pas raconter si je voulais qu'on ne me considère pas comme folle, un truc que je vais dire, là, pourtant:
Voilà, j'ai ouvert l'aspirateur, fait un gros trou dans le sac et remué le barda tout en veillant à tenir le couvercle assez fermé pour ne pas me prendre Caliméro dans le visage et puis j'ai mis l'appareil sur le balcon, ouvert le couvercle tout en veillant à avoir dégagé le chemin pour vite, vite, rentrer à l'abri et refermer la fenêtre et puis j'ai attendu. Il a mis 5 bonnes minutes mais il est sorti.
Et là, tout ce qu'il a trouvé à faire, ça a été de foncer vers un autre appartement allumé, l'imbécile malheureux. "J'aurais du le laisser crever, tiens" que je me suis dit. "Même pas foutu de tirer une morale d'une expérience, ce con".
Les autres paieront pour lui.

Après le scooter et le papillon de nuit vient la chatte en chaleur.

Ca fait 2 jours qu’elle réclame de se faire foutre, la pauvresse. Elle râle et hurle, sans pudeur, seulement inquiète d’alerter un mâle dans le coin et d’avoir son rapport sexuel au bon moment dans le mois et puis enfanter des minus matous qui crèveront noyés dans une baignoire.
Cette chatte, je l’aime très fort. C'est ce que je pense en l'entendant, je peux pas m'empêcher de l'aimer très fort. Et pourtant ses vocalises n’ont rien d’agréable mais, MAIS, elle est seule à crever, à hurler, à écarter les jambes, elle illustre parfaitement mon propos et elle le fait en temps et en heure, synchro qu’elle est, la chatte, comme une chose réduite aux besoin de ses ovaires. Voilà, précisément où elle touche le vif du sujet. Comme tous les Seuls qui aident les Solitaires à mieux voir encore que la Solitude est bonne pour eux. Elle trouvera son mâle, elle aura sa portée et l'année d'après elle remettra ça. Tout ça en boucle, jusqu'à sa mort.

Faut que je m’y fasse, certains des gens que j’aime sont des animaux et veulent ne pas être seuls, et se collent aux lampes et miaulent pour avoir des enfants.
Les gens seuls hurlent à la gueule du monde, pour qu’on les sauve; les solitaires beuglent à l’intérieur d’eux mêmes parce qu’ils savent que personne ne sauve personne, même pas eux-même.

Mais, être seul, vraiment seul, ici et aujourd’hui, ça n’est pas vraiment possible. Ca conduirait à la folie parce que c’est pas fait pour cette vie. Jeter son téléphone, couper sa connexion internet et ne plus répondre à l’interphone... faut, faut être déjà à moitié fou, non?
On devrait tous le faire, au même titre qu’on décide que tout le monde devrait voyager, essayer des drogues, faire le grand plongeon ou je sais pas quelle connerie, on devrait tous vraiment, vraiment pour de vrai, essayer d’être seuls.
Mais on parie combien, qu’à terme, ça nous serait reproché, qu'on serait même puni pour ça?
Parce qu’il y’aurait toujours un petit abandonné de législateur pour décréter qu’on a été coupable d’attentat à la pudeur et de non assistance à la vie en cours, la vie en danger.
On parie?

Y’a pas moyen d’être tranquille, toujours quelqu’un dont il faut s’occuper quand c’est pas nous-même.

-maispastrop-