Pommes de terre élevées en fut de chène, mises en friteuse à la propriété de Pompadour.

Cette carte m'ennuie,
avec sa typo sophistiquée, ses majuscules qui n'en finissent plus et ses toutes petites astérisques pour les suppléments foie gras pas petits du tout. Mais, j'ai faim, très faim, alors je m'y colle, je la lis.

Autour de moi, une assemblée sur son 31, on est le 12, ils s'habillent comme ça tous les jours, je suis sûre. Je me demande quels déguisements ils portent pour le réveillon. Je ne les connais pas, c'est la première fois que je les rencontre.
C'était pas prévu, mais tout à l'heure mon téléphone a sonné pendant ma sieste; habituellement, je l'éteins, là, j'ai donc répondu à cette amie -si tant est que je puisse encore la considérer comme telle- qui me proposait d'aller dîner avec des "supers potes" à elles.
Ok, je dis.
Je sors d'une sieste, je vous le rappelle. Pour être plus précise, elle me sort de ma sieste.
J'aurais aussi bien pu dire "vas te faire foutre" mais j'ai dit "ok". Soit.
Elle n'en croit pas ses oreilles, et je réalise alors que cela sous-entend que j'ai dû bien souvent repousser ses invitations, et que j'avais surement une bonne raison de le faire. Du coup, le doute s'empare de moi. Il s'empare de tout mon moi, tout partout mais elle me parle encore, émoustillée par ma docilité, enthousiaste en diable à l'idée de la "super soirée "qu'on va passer. Elle me dit où, quand et qui. Ce que je m'empresse de ne pas enregistrer définitivement pour ne pas changer d'avis en cours de déroute.

Le restaurant est loin, pas que de moi, loin de tout; il est triste à mourir sous ses airs de modernité; morbide avec sa clientèle m'as tu vu. Je respire un grand coup sur la dernière bouffée de cigarette et me lance dans l'arène.
Bonjour, bonsoir, je te présente trucmuche, voilà machine, elle fait ceci, assieds toi là.
Je vais pour me servir un verre du rouge qui trône déjà sur leur table mais on m'en empêche, d'abord, on ôte mon manteau, ensuite on m'installe, après quoi on me sert, et enfin, on m'émaille diamant dans tous les sens. J'ai un peu de mal à leur rendre leurs sourires parfaits, du coup, je ne me force pas et m'empare de la carte, à la place.
Les noms des plats sont à rallonge. On nous sert tout un charabia de ceci émincé à cela accompagné d'une mousse de truc relevé de sauce de bidule le tout sur un lit de charlatan, aussi j'opte pour le bon vieux steak tartare, m'inquiétant tout de même de la qualité des frites qui lui tiendront compagnie. Je les réclame dorées, et "cuites pour de vrai", ce qui me vaut quelques regards réprobateurs mais je ne suis pas à ça près, et après tout, ce ne sont pas eux que je vais manger ni eux qui mangeront mes frites donc chacun sa merde.
Oui parce que, bien souvent, les fameuses frites arrivent dorées, ça oui, mais en les croquant, force est de constater que ce ne sont que de vulgaires purées pannées d'huile. Or, que je sache, il n'y pas écrit, là, marron sur beige "purée pannée de friture d'huile d'olive première pression", bien que, s'ils osaient le faire, ils remporteraient, à n'en pas douter, un franc succès. Il y' a écrit "frites" et c'est tout ce que je demande. Ca et qu'on me resserve un verre. Sans Email Diamant s'il vous plaît. Bon, tant pis, j'accepte le verre tout de même.

Heurk.

Etrange cette sensation de nausée, parallèle à celle de faim orgiaque.
S'entendront-elles? je me demande.


"Oui donc, s'il vous plaît, quitte à ce que ça prenne 5 minutes de plus, faites les cuire pour de vrai ou donnez moi une purée maison." Les regards passent de réprobateurs à inquisiteurs. Mes yeux disent "l'inquisition, je l'emmerde".
Ce diner va être formidable.

Jean-Charles, Maxime et Louis n'ont pas beaucoup de conversation, c'est le moins qu'on puisse dire; à les écouter, j'ai l'impression de consulter le dictionnaires des idées reçues et les archives de méteo france. Je soupire, je crois.
"Jean-Charles, Maxime et Louis", ça aurait pu me mettre un paquet de puces à toutes les oreilles tout de même! Que nenni.
Je suis sympa, je ne donne pas dans le délit de sale prénom, je suis ouverte, j'aime tout le monde et je vais passer une soirée de merde.

Il n'y a déjà plus de vin. (Je bois vite quand je m'ennuie) (Quand je ne m'ennuie pas aussi).
"Il n'y a déjà plus de vin?!" dis je, avec un étonnement surjoué.
Maxime, ou Jean Charles ou l'autre, j'en sais rien, s'empresse de commander une nouvelle bouteille et des coupes de champagne aussi, tant qu'à faire. C'est peut-être soir de fête, qui sait.
Ils parlent, enfin, on dirait que c'est ça qu'ils font, leurs bouches émettent des sons, leurs têtes opinent, leurs sourcils se froncent et je surveille mon portable pour trouver une issue de secours. J'ai envoyé "aide moi ou j'ouvre le gaz je suis à tel restaurant à tel endroit ne pose pas de questions débarque en trombe dis que ma mère est malade ou je ne sais quoi". J'ai ensuite envoyé un second message qui expliquait que c'était pas la peine de prendre l'expression "en trombe" au pied de la lettre, qu'il fallait considérer que je devais, au préalable de la dite trombe, m'envoyer un tartare.

Ils parlent et tout à coup Jean Maxime de Louis-Charles juge le moment opportun pour me complimenter sur ma tenue. "Tu plaisantes?" je rétorque, tout en me disant que plaisanter ne doit pas être sa qualité première.
"Tu plaisantes? j'ai mis le premier truc qui me tombait sous la main, et c'est pas une façon de parler genre: tout ce qui me tombe sous la main c'est toujours une petite robe Chanel et des escarpins Louboutin, non, j'ai mis ce qui me tombait sous la main, c'est à dire ce que j'avais enlevé à la hâte en revenant du boulot pour faire une sieste -maudite sieste- et dont je ne me suis pas préoccupée de savoir si ça plairait à des jeunes hommes à particules dans votre genre".
Il dit rien, mais il respire encore. C'est déjà ça.
Un peu honteuse, je rajoute "Tu as une particule non?"
Embourbée, je rajoute:" J'espère!"
Ah voilà qu'il revit, et quand il va pour me dire de quel baron il descend, les plats arrivent, ce qui m'évite de lui préciser que baron ou marquise, si on descend de quelque chose c'est seulement du singe.

Les plats dont les noms sont extrêmement longs à lire sont souvent incroyablement rapides à s'enfiler. Aussi lorgnent-ils sur leurs 175 grammes de grande cuisine d'on oeil qui les trahit.
Moi, ravie de mes 450 grammes de sang, je goute une frite. Avec les mains.
Le serveur attend mon verdict comme si j'avais commandé un Romanée Conti 1986.
"Parfait" que je dis.
Un sourire, qu'il me fait.

Pendant que je worcestire, que je câpre, que je ketchupe mon boeuf cru, ils attrapent leurs mets, gramme par gramme et tentent de lancer un sujet de conversation. Mon portable ne se manifeste toujours pas, au fait.
Sarkozy, la droite, la gauche, la droite c'est mieux, mais bon la gauche c'est pas mal parfois, la société de consommation, bush, johnny halliday (oui oui), carla bruni, le vin, être sérieux, c'est fini les conneries, c'est ce dont ils discutent. Enfin, disons qu'ils récitent, les uns après les autres, ce qu'ils ont entendu sortir de la bouche de papa, ou de Jean Pierre Pernaut (peut-être est ce la même personne) pas de celle de maman en tout cas parce que c'est ma main qui mange les frites bien cuites que je mettrais à couper pour gager que maman ne s'exprime sur pas grand chose d'autre que... heu...rien. Tout ça en lorgnant sur ma personne qui, je vous le dis tout net, ne moufte pas.
Trop occupée à savourer mon tartare -fameux d'ailleurs- et à le savourer vite.

Mon amie, face à moi, sent bien que je ne passe pas la meilleure super soirée de ma super vie avec ses supers copains, et ses tentatives de m'intégrer dans la conversation par des stratagèmes diplomatiques à la noix n'y changeront rien.

Les plats sont terminés, le vin aussi, c'est le moment, j'imagine, d'entamer le Moet et de trinquer à quelque chose dont je ne soupçonne très certainement pas l'existence, le cac 40, peut-être, que sais-je.

Quand je vais pour tendre ma coupe vers la leur, une main s'en empare brutalement. Une main que mes yeux inspectent, jusqu'au bras, à l'épaule et au reste, histoire de voir à quel insolent elles appartiennent, et qui découvrent mon ami sauveur, mon héros, que dis-je, ma péninsule: la coupe levée, le sourire pas parfait mais étincelant de malice.
Cet ami qui clame "Chérie, prends ton manteau, je te demande en mariage et tu acceptes".

C'est drôle, je ressens encore le chemin que mes lèvres ont parcouru pour dessiner le sourire que cette situation m'a procurée; un sourire rassuré et excité, un sourire reconnaissant et provocateur. Un sourire bipolaire disons.
J'ai attrapé la coupe de Jeancharleslouismaximedebonobo, l'ai faite sonner contre celle de mon complice et d'une traite on a bu ça comme un vulgaire shot de vodka. Bon, c'est moins facile de boire d'un coup d'un seul un alcool à bulles, ça nous a injecté les yeux de sang et de larmes mais on a mis ça sur le compte de l'émotion, et émotifs, on a salué l'assemblée bouché bée yeux hagards. Bref, une assemblée pas à son avantage.

Je ne les connaissais pas, c'était la première fois que je les rencontrais.
La dernière assurément.
J'ai remercié mon bras dessus d'un clin d'oeil encore ému et on est allés se ressembler à dire du mal des gens différents dans un bar qui n'avait pas de cartes, ni de suppléments, mais pas mal de variétés de shots sans bulles.

-maispastrop-

Inconnu, un connu.

Il y'a des gens qu'on aime tout de suite.
Quelque chose dans l'air qui nous rapproche immanquablement et les gestes qui nous parlent, se parlent entre eux; ensuite tout s'enchaîne comme sur les tapis d'une usine bien huilée, et ça fonctionne. Les boulons font leur boulot, les vis et les chenilles s'emboîtent, et je donne dans le champ lexical du bricolage aussi. Je pourrais même dire que le niveau annonce que c'est ok, il est satisfait, tout va bien au niveau du niveau de la mer. Sauf Venise mais ça...

Il y'a ceux qu'on aime pas, assez vite aussi et de manière relativement définitive. Ca passe pas, c'est comme ça, notre peau refuse la leur, c'est animal, épidermique et c'est point barre surtout.

Et il y a des gens qu'on aime plus tard, qu'on n'a pas remarqués au premier abord parce que le premier abord n'a pas réellement eu lieu, qu'on n'a pas les mêmes abords, ni les mêmes bords, ni rien d'évident en commun. Des gens qui ne se sont pas imposés et sur lesquels on tombe, presque au détour d'une rue qu'on prenait par lassitude du quotidien. Et à ce détour, on contourne autre chose à leur rencontre. On détourne peut-être l'habitude de s'acoquiner avec nos semblables par exemple; mais on ne sait pas trop encore.

C'est flou. Brouillon. Brumeux.

On va, à la manière des animaux, se renifler, tenter une approche tout en faisant comprendre qu'on n'est pas du genre docile. On préfère rester sur nos gardes face à cet énergumène. C'est un étranger après tout, n'est-il donc pas "étrange"? On se méfie, tout y allant, mais à reculons.
Et, parfois, l'étrange nous saisit.
Tous les endroits bizarres dans lui, ça comble quelque chose en nous.
Ca ne veut pas dire qu'on se laisse apprivoiser, bien au contraire, à mesure qu'on réalise sa différence, notre méfiance grandit; mais, proportionnellement, notre curiosité aussi. Et cette curiosité se mue en intérêt.
Et cet intérêt alors?
Cet intérêt nous lie.
Nos semblables nous confortent dans ce que nous sommes et nous réconfortent quand nous l'oublions, les étranges différents nous titillent vers ce que, de nous même, nous n'avons pas encore pris la peine d'explorer.
Explorer, c'est bon pour les aventuriers, et l'aventure, j'en suis. Mille fois. J'ai toujours aimé l'idée de découvrir, de, peut-être aller vers quelque chose dont je ne connais ni le nom ni la valeur mais que d'aucuns nommeraient "aboutissement", quel qu'il soit.

Et il fait un peu plus beau alors, sur une autre planête peut-être, mais il fait un peu plus beau quand même. Quelque part. Grâce à ça.


S'il y avait un livre qui expliquait "pourquoi on aime qui et comment", je m'empresserais de ne surtout pas le lire. Ce charme, indéfinissable, qui opère, je ne veux pas en connaître la formule parce que je veux encore- et peut-être toujours- être surprise.

Tiens, t'es pas mon genre, mais je passerais bien ma vie avec toi.

Et, qu'est ce qu'est, mon genre? Je ne veux pas le savoir.
Et qu'est ce qu'est ma vie? Non plus, merci.
Et qui es-tu, toi? Et toi-même?

-maispastrop-