Si E=M6, par A+B n’égale pas Q, surtout sur Fr.2

Alors comme ça, on veut tout nous expliquer?
L’époque n’est plus à la surprise, on serait blasés, revenus de tout, de l’amour même, il semblerait, puisque France 2 diffuse un soir de semaine à l'heure du dîner, un docu-fiction qui a pour sujet «l’a.m.o.u.r» justement, l’amour et ses dérivés.
On nous propose d’apporter une explication scientifique, biologique, neurologique, logique, hic et j’en passe... au coup de foudre, à l’orgasme, aux papillons on sait où et à la tristesse éprouvée, dieu sait pour quelle raison, quand on trouve une tierce personne dans le lit de notre moitié.
Etre amoureux ne suffirait donc plus, il faudrait maintenant savoir pourquoi.

«Chéri, je t’aime parce que mes neurotransmetteurs fonctionnent correctement et qu’instinctivement, je veux me reproduire, alors comme tu as les qualités physiques que la femme recherche chez l’homme pour son tout petit mioche depuis la nuit des temps, mon sang se recentre à la tombée du jour vers mes parties génitales pour les tenir au chaud, c’est pour ça que j’ai les extrémités froides, et c’est pour ça aussi que quand j’aime, je jouis, tu comprends?»

Ce que je comprends, c’est que j’aimerais beaucoup que tu fermes ta gueule, ça, oui.

J’arrive, je pose mon sac, enlève mes chaussures et les gens dans mon salon, tout bonnement gagas, m’invitent aussi sec à suivre ce qu’on raconte dans le poste. Evidemment, je rechigne parce que s’il y a bien quelque chose que je ne veux pas qu’on m’explique, c’est ce en quoi j’estime que la part de mystère est capitale. On n’explique pas le mystère. On «pas touche» au mystère. Le mystère, si c’est pas mystérieux et incroyablement personnel et rempli de questions et d’infini, alors tout fout l’camp ma bonne dame. Y’a plus d’saison.
Donc:
on ne dissèque pas, on ne définit pas, on ne traduit pas, rien ne doit être élucidé. On n’a pas le droit de mettre tout le monde dans le même moule avec le même costume à ce sujet et, de surcroît, en prime time. Ca devient vulgaire.


Sauf peut-être en période de crise, de chômage, de xénophobie, de pandémie et de dérèglement climatique, c’est vrai.

Alors d’un signe de tête, je décline poliment l’invitation et le couple rit des arguments que j’offre, puisque je les teinte de cynisme et d’entêtement. Ils doivent me trouver rigide. Soit. C’est toujours mieux qu’avec un F. Et puis je me moque du point G des autres, honnêtement.

Pourtant, voilà, je me fige; à mi chemin entre la cuisine et le balcon, au milieu de mon pas rectiligne et décidé, je me fais prendre -si je puis m’exprimer ainsi- par la voix off explicative, et l’illustration d’une érection en infra rouge.
Pendant que ce joli pas de danse organique est réduit à un simple afflux de sang guidé par le besoin de se reproduire, je me rappelle les nombreux ballets de ma vie, réalisant tout à coup que je n’avais jamais su quelle chose en particulier -en plus donc de ce besoin d’enfanter- avait fait se lever leurs drapeaux et se risquer leurs grands écarts sur mes pays à conquérir. Et pourquoi, parfois, je les avais laissés se poser sur ma lune.
Des mots doux, des «t’es tellement ceci» ou «mais ça me tue quand t’es cela», des regards, des sourires interrompus par l’émotion, des frissons au simple contact d’une distance, des distances à la simple idée d’un frisson... ça oui, plein, trop et jamais assez, mais des explications, non. Ca non.
Jamais un homme ne m’a regardée, en commençant à descendre ma bretelle et lever son sexe, et m’a dit «j’ai un afflux sanguin envers tes muqueuses parce que tu dégages de la fécondité».
Et (même si je ne crois pas en lui, je l’invoque pourtant) Dieu soit loué parce que j’aurais débandé pour deux.
Et deux, c’est déjà beaucoup quand on apprend, là, à 20h50 qu’il n’y en a qu’un qui compte, si tant est qu’il compte vraiment puisqu’il n’est finalement que ce que la médecine a voulu qu’il soit.

Mais.

Heu.

Pardon.

Expliquez-moi.
La médecine et ma vie sexuelle, sentimentale, flirtante et badineuse, qu’est ce qu’ils en savent eux, dans leurs bureaux?

Le docu/fiction se transforme vite en fiction de cul. De pseudo cul, j’entends.
On oublie les images de synthèses sur la salive qui, il paraît, afflue quand on s’embrasse, pour laisser place au scénariste et à l’intrigue, si on peut, tous deux, les appeler ainsi. Je remarque que, malgré l’heure, aucune alerte «déconseillé aux moins de 16 ans» n’apparaît. Et, c’est normal puisque la directrice de programmation de France 2 elle-même disait que c’était aussi fait pour les enfants de 10 ans. (Oui j’ai un peu suivi le déroulé de l’histoire ,je ne le cacherais pas plus longtemps).

Les mioches peuvent donc comprendre par où passe l’orgasme, ça tombe bien, eux qui n’étaient jusque là préoccupés que par leur propre satisfaction, on les assomme de celle des autres.
Aucune alerte «déconseillé aux moins de 16 ans», disais je, très certainement parce que tout ce qui est du domaine du plaisir et de l’amour est décortiqué ici comme une vulgaire grenouille de cours de bio. Voilà les testicules, et puis le sang, là: l'espérance de vie, ici: l’accélération du rythme cardiaque... ne laissant aucune place au doute, à l’excitation, la vraie, la sensualité, le raté peut-être, et quelque chose d’un peu sale, de gorge qui râle, et d'indispensable, quelque chose d’indéfinissable et qui, par principe, refuse les qualificatifs... Ils peuvent donc souper devant le programme parce que très vite, les protagonistes du dit documentaire rentrent dans le moule que je refuse parce qu’il me boudine. Comme la robe d’une amie trop sage. Ou trop parfaite aussi. Je m’y sens à l’étroit et puis ça sent le renfermé.

C’est autorisé aux jeunes gens de 10 par ce qu’il se passe..

Sur France 2, à l’heure du repas, quand les familles se réunissent devant l’écran autour de la table pour ne pas se parler dans les yeux, il se passe que:

La femme finit par pleurer sous une porte cochère, interdite, muette, paralysée par tous ces sentiments qui, ouhlala, sont trop forts pour une si petite chose. Evidemment, elle essuie son mascara parce que dans sa grande tristesse, elle n’oublie pas qu’il faut qu’elle soit présentable.


Il se passe que:

Monsieur part avec sa guitare sous le bras. (Oui, Monsieur est musicien...) Fatigué par ces jérémiades et décidé à faire des choses autrement plus importantes comme la mélodie qui changera le cours monde ou lui offrira des groupies par paquets.

Et puis, il se passe qu’ils se marient.

La femme a donc oublié son immense tristesse et l’homme n’a pas changé le sens de rotation de la planète. Les groupies sont rentrées chez elles, le cours du monde aussi.

Ah bon, alors c’est ça, l’homme? C’est ça, la femme? C’est ca «l’homme + la femme» ?
Et dîtes moi, vous qui n’arrêtez pas de parler de progrès, de futur et d’avancées dans tous les sens... on est en quelle année? Je suis perdue.
Je veux dire:
on est dans quel siècle, là?

Dois-je envoyer mon mari chasser le mammouth, lui concocter le plat favori de son enfance ou simplement faire comme si je n’étais pas intéressée par «la chose» tout en lui offrant mon corps étoile-de-mer sur lequel il assouvira son envie de se re-re-re-re-re-re-re-re-re-produire?
Et lui? Lui? il est dans un bourbier autrement plus insurmontable que nous.
Doit-il m’enlacer tout en me dirigeant subrepticement vers le four où la tambouille attend? N’enlever que le bas de mon pyjama quand il a des afflux sanguins? Ou m’aimer uniquement quand je m’éloigne vers un autre meilleur chasseur de mammouths de peur que ce chasseur ne soit mieux fourni que lui et qu’il me protège plus vaillamment de tous les dangers de ce monde impitoyable?




Là, aucune image de synthèse, pas de 3D, aucune interview de m. le scientifique pour nous expliquer ce revirement de situation tout bonnement insensé. ------On ne va quand même pas vous expliquer pourquoi on vous prend pour des imbéciles alors qu’on s’est vendu pendant 2 heures comme des savants qui allaient vous expliquer le mystère. On bosse, nous, pendant que vous attendez que le temps passe, vous, derrière votre tube cathodique désuet, bande de catholiques qui s’ignorent, même pas cap’ de s’offrir de l’écran plasma.-------

Le couple dans mon salon ne moufte pas. Je décide qu’ils adhèrent. Qui ne dit rien consent.

Bien sûr que les enfants de 10 ans peuvent «regarder», eux et tous les autres, ceux encore dans le ventre, tiens, c’est aussi pour eux. Venez venez petits petits, comme on dit aux pigeons au Luxembourg. C’est un programme incroyablement humaniste qui n’est là que pour faire du bien. Pour aider le bonheur qui, comme chacun sait, a besoin de ça, d’aide et de béquilles. D’alibis peut-être. Ceux dans le ventre et ceux pas encore certains, définis, définitifs, et ceux qui attendent dans des labos pour prendre leur essor dans des fécondations in vitro pour les femmes qui, parce qu’elles ne peuvent pas, ne veulent que ça. Et ceux in vico, ceux in silico tant qu’à faire, soyons fous. Bienvenue. France 2 vous a préparé une chambre bien douillette, cachez vous sous les draps.

Ceux in vivo, et ceux in vino, en revanche, c’est moins sur. Ca c’est sur.

Ne faites pas que regarder, petits pigeons chéris, mais écoutez, buvez, imprégnez vous de ça.
Vous n’êtes que des rien, des trucs qui n’ont pas encore de puberté ou de vrai potentiel d’achat mais bientôt vous y viendrez, alors n’oubliez pas:

Faites des enfants. Copulez pour un résultat. Jamais sans raison. Surtout pas pour le plaisir. On vient de vous l’expliquer. Suivez un peu, merde quoi. Votre désir vient de l’envie de faire naître des mini vous qui voudront acheter des plus grandes maisons et avoir des voitures plus chères et faire des enfants plus fébriles excusés par des plus grosses maladies. Le plaisir, non. C’est pour les irresponsables, le plaisir. Alors, voilà, prenez un crédit pour vous payer un 3 pièces. Et si jamais vous oubliez -parent ingrat que vous êtes- de faire passer la bonne parole, ne vous inquiétez pas, on est là, on s’occupera de vous, on vous laissera pas tomber. Et si, follement, vous vous demandez «mais au fait, heu...pourquoi faire?», alors rappelez vous:
Parce que vous êtes comme ça. Tous. Faits, fabriqués, crées comme ça, tous pareils, tous, pour la même vie, tous: famille, enfant, patrie, crédit. Et comptez encore sur nous, bientôt, après l’Odyssée de l’espèce et l’Odyssée de l’amour viendra l’Iliade de l’autruche, soyez patients.



Je suis peut-être un peu énervée. C’est possible.
J’aimerais simplement savoir: pendant ou après ce programme, combien se sont précipités sur leur voisin pour vérifier le battement fou de leurs coeurs pendant que l’érection voulait laisser s’exprimer ses guerriers de spermatozoïdes? Et puis, combien ont finalement enchaîné sur le 2° créneau horaire télé, installés confortablement au fond du canapé, face au programme qui allait expliquer grâce à un vrai reportage de terrain:

«pourquoi les meurtriers sévissent»

et

«combien de viols restent impunis»
?

Il faut que vous ayez peur. Peur de vous sentir seul. Maintenant, il est tard, demain vous travaillez, alors éteignez la télé, mais faites des enfants, faites en plein, sans trop de plaisir, parce que c’est sale, le plaisir. Faites plein, plein , plein d’enfants. Pour ne jamais être seul. Entre autres. Ne jamais avoir le temps de réfléchir, non plus.


Est que «comment et pourquoi tombe-t-on amoureux» n'était qu'un énième programme didactique, comme un sujet sur la guerre, la famine et la fonte de la banquise, que les familles regardent et oublient en se demandant qui veut à nouveau du gratin de pâtes. Ca rentre dans un oeil et ça ressort par l’autre oreille?

Pourquoi et, à cause de qui glisse-ton sur une peau de banane? Est-ce la faute du stewart si on se retrouve dans l’avion à côté d’un ex? Les soirées où on ne veut pas aller et où va finalement doivent-elles être irrémédiablement remplies de types à qui on a fait des Trafalguar? Doit-on toujours se poser des «?» à la place de ceux qui imposent leurs «.»
Tout ça me turlupine.

Je suis certainement très énervée. C’est tout à fait envisageable.
En ce qui concerne «les autres», j’ai arrêté de vouloir convaincre les «téléspectateurs» qu’ils sont, que je suis aussi -puisque c’est d’une manière ou d’une autre ce à quoi on est réduit- de se sentir concernés, ça semblait ne pas les intéresser, tout ça, les enfants qui mourraient de soif là bas pendant qu’ils laissaient couler l’eau ici, leurs baskets à la mode aux pieds pendant que d’autres les fabriquaient à genoux. Soit. Soit. Soit.
Et je dis trois fois «soit» parcqu’une fois ne suffirait pas à traduire le renoncement de mon... renoncement. Devant leur égoïsme.

E.G.O.I.S.M.E. justement.


Et v’là t-i pas qu’on leur sert le sujet le plus personnel, intérieur, confidentiel et singulier qui existe et qu’ils sont tous d’accord pour adhérer à ça, un avis sorti d’une boîte de production qui a senti le filon d’une masse, d’une époque comme ils disent. Et tous de crier au génie à grand renfort de «c’est teeeeeellement çaaaa!» J’accentue les voyelles pour communiquer l’engouement.

Alors, les égoïstes seraient-ils tout bonnement bêtes?

Bêtes à manger du foin?
Bêtes pires que leurs pieds?
Bêtes à recevoir des claques?
Le plaisir et le sexe et l’amour ne seraient-ils juste que des sujets de docus?

Je suis énervée.

Est ce qu’on a dit que, pendant ce qu’ils ont appelé un «rapport sexuel» il arrivait au meilleur d’entre nous de pratiquer des positions qui n’allaient pas dans le sens de la procréation?
Tout les gens qui font l’amour ne veulent pas faire des enfants. J’y mets ma fécondité à couper, mes mains avec.
Si j’aime le sexe de quelqu’un dans ma bouche et le mien dans la sienne, je ne suis pas l’audience sur laquelle vous comptiez vous, France 2?
Et vous, d’ailleurs, vous n’aimez pas avoir un sexe dans la bouche? Au moins pour vous empêcher de dire des conneries plus grande que l’audience que vous allez évidemment avoir, bande de chaîne de télé?
Comment est-il possible aujourd’hui d’accepter qu’on parle de cul sans qu’on parle de légèreté?

Bon, là, je suis pas énervée, je suis pire.

Quand je me suis fait «prendre» par la voix off, je n’ai ressenti aucun bien-être. Ni derrière ni devant. On m’expliquait pourquoi la salive affluait et pourquoi les poils se hérissaient mais on ne m’a pas dit pourquoi le plaisir était irrégulier, surprenant, et une personne à part entière. Imprévisible. Aucun scientifique n’a su dire pourquoi les premiers accords de Radiohead me donnaient envie d’aimer tout le monde, pourquoi tout Bowie me confortait dans l’envie de n’aimer personne. Pourquoi Leonard Cohen prenait un malin plaisir à tout contredire et, pourquoi, pourquoi, moi-même j’essayais de tout oublier dans les bras de quelqu’un qui ne serait pas le père de mes enfants puisque je n’en veux pas. Comment se fait-il que quelqu’un arrive, alors que c’était pas prévu, et que son sourire se goupille salement avec la malice de nos yeux.



Qui a décidé que, quand ce jeune homme m’embrassait ici, ici et pas ailleurs, ça faisait comme Bowie et Radiohead et même Brenda Lee avec un peu de Fante et de Faust tant qu’on y est , tous réunis, tous pas d’accord, mais pas d’accord au même endroit. ?
Et que, moi, je ne savais pas si j’avais plus envie du tout, ou beaucoup trop, de tout.
Qui a décidé que je n’étais pas exceptionnelle, moi et tous ceux qui ont dit que je l’étais. Je suis exceptionnelle. Je le suis pour moi-même, et ça, tous les jours, et c’est la moindre des choses.

Je connais le chiffre d’audience de la dite émission, je le déplore. J’ai rarement déploré quelque chose, c'est le cas aujourd'hui.
Je. Voilà. Là, je déplore. Ca et plein d’autres choses.

Secrètement, -parce que secrètement c’est toujours mieux- j’ose espérer que ceux qui ont explosé le score d’audience de ce DocuL ont ri sous cape et aussi traîné sur Arte, un mois avant; qu’après le «Hitler...connnais pas», ils pensaient comme moi qu’on pouvait trouver, encore, encore, quelque chose d'intéressant à la télé. Il existe des choses un tant soit peu vivantes et vraies, sensorielles, dans cet écran, et, pour le coup, rien à dire, ce programme là, c’était pas que sensoriel, justement. C’était tellement dans la colonne vertébrale reliée à tout le reste jusqu’au bout des petons en passant pas le clitoris que la pornographie pouvait aller se rhabiller. Pour une fois. Elle qui aime tant se promener toute nue.

Je ne saurais trop vous conseiller de prendre le temps de vous pencher sur ces petits bijoux:











-maispastrop-

A s'assoier sur un divan, 5 minutes, avec toi.

Je ne partage pas tellement l'opinion selon laquelle on ne serait que ce que notre enfance et notre éducation ont fait de nous; je la trouve réductrice, grossière et approximative, cette opinon. Ca me fait pester.
Je dis des trucs comme "pffff" ou "rholala" voire "...(soupir)...(grimace)..." dès que quelqu'un, même quelqu'un que j'aime bien, se lance dans de la psychologie de dilettante.

Je suis pas d'accord.

J'aspire, surtout, à être bien davantage. Et il se trouve que j'ai assez confiance en moi pour estimer que si mon corps est constitué à 60% d'eau, mon âme est charpentée à 75% de ce que j'y ai mis.
Beaucoup de ses 75% sont influencés, évidemment, par ma petite enfance, comme on doit dire, et les nombreux traumatismes que les cours de récré ou les boutons d'acnée représentent; mais par la suite - et, plus le temps passe-, ces trois quart de moi ne ressemblent finalement qu'à moi. Le reste, je fais avec.
Je ne peux pas être seulement le résultat de l'accouplement de deux personnes, deux récipients génétiques, deux tuteurs qui m'auraient modelée comme une pâte à ça, être modelée. Parce qu'alors, ils ne seraient eux-mêmes, les deux coupables, que le résultat des quatre autres, au-dessus, dans l'arbre. Et ainsi de suite.
Alors on n'en finirait plus et personne ne serait jamais rien. Or chaque jour, tout nous prouve le contraire.

Mon enfance m'a marquée, sur le front entre autres, d'une jolie cicatrice et, partout ailleurs, de souvenirs mais de grands black out aussi. Avant mes 7 ans, c'est comme si je n'avais pas été là, y'a rien dans mon journal intime, ni moi ni personne, pages blances éblouissantes ou arrachées, même; mémoire en berne comme le drapeau d'un pays en deuil ou le sexe d'un homme qui a trop bu.
D'accord, après ressurgissent les fameuses madeleines et tous les Proust qu'on voyait traîner dans les bibliothèques des maisons de campagnes vendues depuis, qu'on n'a pas lus; il y a les images floues qui débarquent parfois et nous laissent un peu hébétés, sous le choc, comme avides d'encore les frôler.
Ces parenthèses là ne me définissent pas. Elles sont comme des souffles entre deux respirations gardées, un hoquet à dompter, elles ne dessinent pas mes contours, uniquement un mini bout d'une mini part d'un mini noyau de la mini moi. Et chacun sait que les noyaux, ça ne sert à rien sinon à être crachés en visant un endroit ou une personne, qu'on espère, tant qu'à faire, atteindre. Ce genre de choses amuse le commun des mortels, si si, je vous jure.

Peut-être aurait-ce été plus simple, néanmoins, de tout me rappeler et de n'être qu'un cocktail de souvenirs mais ça n'est pas le cas, et il n'y a vraiment pas grand chose, ici bas, de catégoriquement simple.

Je me suis définie malgré, avec, mais aussi, contre tout ça, ce qui était censé être moi. Il y a tout un tas de choses dont je n'ai pas voulu, boudant à l'idée de les intégrer dans ma carte d'identité comme devant un bonbon périmé. D'ailleurs, j'ai jamais aimé les bonbons. Et c'est pas de famille, ça. Comptez leurs caries, vous verrez bien.

Je sais pas trop où je veux en venir. Tout comme je ne sais pas tellement non plus d'où je viens. Et entre temps, je me promène.
Un jour, j'ai vu un psy. J'ai toujours adoré ça, les psys. Il y a quelque chose d'anormalement plus fol dingue chez eux que chez nous, c'est comme les émissions de télé réalité, ça nous rassure. "Ouf, j'en suis pas là, y'a pire, bien pire, bien bien pire que moi". Et on souffle, tout soulagé d'être simplement un peu barge au milieu de gens salement plus attaqués.
Ils travaillent à soigner l'âme, comme des confesseurs modernes, c'est comme ça qu'ils gagnent leur vie alors qu'ils sont peut-être eux-même en perdition et que personne ne leur tendra la main, ou juste un verre. On partage rien avec eux, on déballe, on lance nos trucs, on déverse, on, on, on est seuls face à eux, on s'en fout, pourtant ils sont humains, ils vivent avec leurs-poumons-leurs-coeurs-leur-anatomie-et-leurs-parties-génitales et c'est d'ailleurs tout l'intérêt. Sinon, autant garder son argent et parler à un mur.
Qui s'occupe de savoir, quand il sort de chez son psy, si ce qu'il lui a dit ne l'a pas bouleversé.


Mille fois j'ai rêvé que mon psy décidait de changer de vie après m'avoir dit au revoir. En coupant les ponts et prenant un billet pour le bout du monde. En essayant de retrouver une connaissance de jeunesse avec qui il n'avait jamais fait le premier ni aucun autre pas. En ouvrant le gaz. Mille fois j'ai rêvé ça. J'ai été surprise autant de fois de les voir m'ouvrir, à l'heure derrière la porte, alors que secrètement, j'espérais un bouleversement. Leur mort peut-être même, et alors?

"Mademoiselle, Mr X n'est plus de ce monde, l'enterrement aura lieu tel jour"
"Mademoiselle, Mr X a mis fin à sa carrière de psychanalyste pour enfin se consacrer à son amour du hard rock".
"Mademoiselle, Mr X a connu une mauvaise passe, il a du être interné".
Je considère certainement que ce que je dis est bouleversant pour m'atendre à que ce qu'ils soient bouleversés. Oui. En fait, oui.
Et d'ailleurs, si je ne les considérais pas comme tels, les trucs que je raconte à ce fou qui est passé à côté de sa vie, alors je n'irais pas le voir.

Un jour j'ai vu un psy. Comme je séchais la plupart des cours, comme mes fréquentations se
dirigeaient inéluctablement vers les moins fréquentables, comme mon relevé de notes s'en ressentait, comme la femme qui m'avait mise au monde avait toujours été première de sa classe avec 3 ans d'avance, il a fallu qu'elle s'inquiète pour moi et, du même coup, relègue. C'est comme ça, un jour, les profs, les conseillers d'orientation et les parents rendent leur tablier. Ca c'est ce qu'ils disent, parce que la vérité, c'est qu'ils ne font que le prêter, le tablier.
A quelqu'un de très autorisé.
En l'occurrence, mon premier psy. Il était donc dorénavant en charge d'un bout de tissu à rendre sans tâches de sauce ou d'éclaboussures de tomates. Il devait se douter de tout ça et avait accepté sa mission en connaissance de cause perdue.
C'est parce qu'il connaissait ma mère, et que sa fille était au lycée avec moi (et que, entre parenthèses, il lui aurait fallu beaucoup plus de psys que la terre ne peut supporter) qu'il s'est proposé de me recevoir.

Je me rappelle le premier rendez vous, je m'étais pomponnée. J'allais pas à la boulangerie quand même, faut pas déconner, j'allais raconter ma vie à un type qui avait fait des études pour savoir si elle était comme il faut, ma vie. Alors j'avais rangé mes cheveux dans un chignon très bien elevé et échangé mon tee shirt chanteur de rock bientôt mort d'overdose ou assassiné par sa femme contre une chemise blanche que mon père avait oubliée.
Avec mes manches trop longues et les mèches finalement rebelles qui s'évertuaient à retomber sur mon front en l'honneur de l'icône de t-shirt délaissée plus haut, je vérifiais sur ma main l'étage écrit au stylo bille.
Bon.
Ca a tourné court.

Assez vite, il a vu que j'avais un paquet de trucs à dire alors assez vite il a dit à ma mère que vu le paquet de trucs que j'avais à dire, ce serait bien, mieux, bien mieux, et plus professionnel que je consulte (oui il a dit "consulté" alors que j'avais 15 ans, quand je vous dis qu'ils sont maboules) un collègue qui serait payé. Il en avait justement un à me conseiller.

Ma mère a fait des yeux de merlans frits. Je mets l'expression au pluriel parce que je veux souligner son étonnement qui était énorme. Mais je veux aussi, en passant, souligner le fait que personne n'a vu un merlan se fait frire les yeux.

Elle a même dit:

-Quelqu'un qui serait payé... vous voulez dire... (elle a rougi; je n'étais pas là mais j'y mets ma main au feu même si on n'a jamais vu non plus une personne qui avait tort mettre, pour de vrai, sa main au feu) vous voulez dire... mieux que vous?
-...Mieux que moi? C'est à dire?
-Et bien, mieux, enfin, + que 150 francs la séance? (c'était en francs, j'étais jeune, laissez mes rides tranquilles).
-Mais de quels 150 francs parlez-vous?
-Mmmmh, et bien de ceux que chacune de vos séance vaut. (elle a dit "vaut" au lieu de "coute" parce qu'elle est diplomate et qu'en plus elle a fait des études de sociologie, de pharmacie et de droit et avec 3 ans d'avance, comme je disais plus haut).
-Manon vient gracieusement enfin! de quels 150 francs parlez-vous?

Là, étrangement, ma mère a compris assez vite.
Et, assez vite aussi, elle a comptabilisé le nombre de fois où j'étais allée voir "gracieusement" ce monsieur tout en lui demandant à elle, "grassement", de quoi payer la chose.

Mmmmh, 150 francs multiplié par 8, ça fait mal à l'argent de poche d'une menteuse qui s'achète, grâce à lui, des cigarettes et aussi des cigarettes mais pires. J'ai du rembourser. Du coup, j'ai revendu les cigarettes pires à tous ceux qui n'en connaissaient pas encore précisément le prix.
Mais tout ça a fait que, là haut, dans l'arbre généalogique, on est passé d'un nonchalant et contemporain "Pourquoi ne pas lui faire rencontrer un psy" à l'angoissé "T'as pas un psy? un super psy? un psy vraiment genre heu...ma fille ça va pas là, trouve moi un bon super psy vraiment".

Alors on a trouvé un bon psy-super-vraiment. Les parents ont des répertoires qui débordent de ce genre de contacts.

Ma mère a tenu à lui raconté mes arnaques, et lui, il a tenu a ne pas en entendre trop, de sa bouche à elle. Il a dit "Vous voulez qu'on se voit dans la semaine? Je peux peut-être vous trouver une heure, mercredi, entre 15h et 16h" et ma mère, grâce à ses études, ses trois ans d'avance et le fait qu'elle soit la personne la plus incroyable de la terre, a dit "Merci, non".
Dans ce sens là, pas dans l'autre.

Un jour, j'ai vu ce psy, mais j'étais un peu anxieuse. C'était un jeudi. Ca me contrariait parce que, le jeudi était un jour que j'aimais bien. Il s'articulait autour de pauses, d'heures de trous -comme on s'acharnait à dire hypocritement- et de cours auxquels j'avais décidé depuis longtemps de ne pas me rendre. En fin de journée, j'avais séché la bio pour aller me concentrer au café sur mon rendez-vous à venir. La bio. Non mais franchement. Un cours sur l'anatomie des grenouilles ou la reproduction des humains ne m'aurait vraiment pas aidée, soyons honnêtes.
J'aimais bien aussi le vendredi, je n'étais plus cancre alors mais au premier rang. On finissait la semaine et on commençait tard par le cours de français, mené de main de mapitre par ma mère adoptive. Suivi du cours d'anglais. Suivi du cours d'expression corporelle. Je commençais tout ça par une "cigarette pire" et, à 17h, quand la cloche disait "c'est bon, rentrez chez vous bande de glandeurs", moi, pour une fois, j'aurais pu remettre une tournée avec plaisir.

Je savais plus si c'était un rendez vous ou un pointage. Fallait-il que je montre que j'étais "bien" ou que je laisse le méchant mal s'exprimer sur le divan.
Bon, j'ai sonné, et puis, il a ouvert. Jusque là, j'étais assez déçue, je trouvais que c'était très normal, tout ça. Même les escaliers pour arriver à son 3° étage, étaient d'une normalité effarante. Et puis, il a ouvert.
Bon.

J'ai produit tellement de trucs dans ma tête à son propos que les pensées et les phrases se superposaient là haut. Et, au fait, c'était des trucs/pensées pas super.
En vrac:
il est moche, mal fagoté, il serait pas incroyablement vieux en prime? genre 35 ans, qu'est ce que c'est que ce tableau et ce cadre outrageusement doré?, j'aime pas comme il me sert la main, j'aime pas qu'on me serre la main de toute façon, non mais il pourrait pas mettre la salle d'attente plus loin de l'entrée pendant qu'il y est , tiens c'est qui ce joli truc masculin dans la lointaine salle d'atttente, pourquoi y'a un assemblement de magazines improbables comme Gala et Psychologies, plus rien n'a de sens, c'est déjà mon tour?,oui mais non j'ai envie d'aller à lourdes maintenant que je suis lancée dans les trucs zarbes, où est le joli trucmasculin tiens, je veux voir ma mère, changez moi ce tableau et ce cadre non d'un petit bonhomme.

-Mademoiselle, vous préfèrez que je vous appelle par votre prénom ou que je vous apelle Mademoiselle Troppo, que je vous vouvoie ou que je vous tutoie?
-Ok, heu, je croyais que c'était moi qui posais les questions en fait.
-Quelles questions?
-Bah j'en sais rien, c'est votre boulot. Des trucs genre "comment vous vous sentez est ce que vous etes toujours amoureuse de votre père / vos souvenirs d'enfance occupent-ils beaucoup de place dans vos journées", tout ça tout ça quoi.
-Vos souvenirs d'enfance occupent-ils beaucoup de place dans vos journées?
-Vous me la faites à l'envers là, non?
-Je ne sais pas, vous vous sentez comment?

Un jour je suis allée chez un psy et un autre jour, j'ai lu un livre. C'était incroyablement fort et extrêmement ressemblant. Dans les similitudes et les sensations donc.
J'aurais aimé avoir lu ce livre avant de rencontrer ce psy.

-Pourquoi est ce que je vous la ferais à l'envers?
-Non mais je vous énumère ce que vous pourriez dire et vous reprenez une de mes phrases pour... pfouh, laissez tomber.
-Très bien, vous voulez vous installer sur ce fauteuil Manon?
-Je préfère que vous m'appeliez par mon nom de famille.
-D'accord vous voulez...
-Pas très confortable ce fauteuil. Dans les films ça a l'air plus cool.
-C'est toujours plus cool dans les films.
-Vous avez pas vu Délivrance.
-En effet, non.
-Et vous vous prétendez psy? Vous avez pas vu Délivrance et vous vous prétendez psy?
-Je le regarderai.
-Non non non, hé ho. On va pas partir sur la patiente qui conseille des films à son psy, s'il vous plait.
-Comme vous voudrez.
-Bref.

Son fauteuil, en vrai, n'était pas si mal. Un club, marron, qui avait vécu et dont les accoudoirs commencaient à pelocher, autant dire L.E.P.I.E.D. Je sais pas pourquoi, j'avais envie de critiquer alors j'ai critiqué la première chose qui me tombait sous la main. Non pas que je m'asseye sur ma main, mais vous voyez. De toute façon, les expressions françaises sont à dormir debout. (Que celui qui a déjà dormi debout lève la main qu'il a laissée dans le feu parce qu'il avait donné sa langue au chat qui s'absente quand les souris dansent et déposent des dents sous les oreillers sur lesquels on dort, bien entendu, sur nos deux oreilles, mais alors à grand renfort d'assouplissements).

-En vrai, je vous ai dit que votre fauteuil était pas confortable mais y'a pire.
-Vous vous sentez bien alors?
-Bien, heu. J'irai pas jusque là.
-Vous iriez jusque où?

Je fais une moue bizarre là, et dans ma tête je réponds quand même "jusqu'au bout".
-Attendez, vous allez pas me faire le coup de rebondir sur chacun de mes phrases, si? Non parce que j'en attends un peu plus de vous.
-....Vous attendez...
-ET NE ME DEMANDEZ PAS CE QUE J'ATTENDS DE VOUS.
-Pourquoi pas?
-Parce qu'alors c'est moi qui fais tout le boulot. Et dans ce cas, c'est vous qui me payez à la fin.
Il fait une moue bizarre là. Il doit lui aussi penser à des trucs.

-Ecoutez, je suis là, je sais même pas trop pourquoi. Parce que ma mère s'inquiète + ça m'amuse + on peut parler des heures. Mais si je rentre en disant que vous êtes un gros naze + je me suis pas amusée = vous ne me reverrez plus.
-Qu'est ce que vous attendez de moi?
-...
-Si tant est que vous attendiez quelque chose de moi...
-Oui bah justement...
-Justement?
-J'aimerais, comme je vous ai dit, que vous fassiez pas vos répliques selon mes phrases, ça me déprime quand vous faîtes ça.
-Je ne le ferai plus.

Je sais pas si je le crois, il n'a même pas promis sur la tête de sa mère. Il tripatouille des trucs. J'aime pas quand les gens avec qui on vit, l'air de rien, un peu de complicité, tripatouilllent des trucs qu'on peut pas voir.

-J'aimerais aussi que vous ne tripatouillez pas des trucs que je peux pas voir dans vos tiroirs.
-Pardon mais je suis dans mon bureau et je ... "tripatouille" comme vous dites, ce que je veux, Mademoiselle.
-Ok. C'est vrai. Vous marquez un point. En même temps, j'ai arrêté de compter tellement vous êtes à la masse.
-Ah parce que c'est un match?
-Ah parce que vous croyez que c'est pas ça la vie, un match?
-Et on serait à combien alors?
-J'avais dit de pas reprendre mes phrases pour repartir sur vos astuces pour soit disant me cerner. Mais, puisque vous me le demandez: on est à 1/12.
-Ca n'existe pas.
-Enfin vous prenez position!
-De quoi avez vous peur?
-Ouhla!, vous prenez trop position.
--Vous ne voulez pas me le dire ou vous ne le savez pas?
-... Vous savez, quelles que soient les choses dont j'ai peur, y compris celles dont je n'ai pas connaissance, il y en a une qui m'effraie par dessus-tout. Et vous allez me demandez laquelle.
-Si vous voulez me la confier, oui.

"Confier" est un mot qui sonne agréablement et puis, j'avais décidé depuis mon cours de bio de commencer par ça, donc oui, je me confie.

-Je ne sais pas vraiment si ce que nous faisons là a un sens, et attendez, je vous vois réagir, ne m'interrompez pas, je me fiche que ça ait un sens ou non, mais je me demande si ça un résultat. Et si ça a un résultat, je sais celui que je ne veux pas avoir.
-...
-Je ne veux pas, c'est à dire: je refuse de me connaître complètement. On sait jamais, tel que je vous vois, vous payez pas de mine, mais vous êtes peut-etre un magicien, alors je ne veux pas de tour de magie et ressortir un jour d'ici en sachant exactement pourquoi j'aime être seule quand on m'attend et pourquoi un bruit de scooter dans la rue, la nuit, me plobe plus qu'on ne peut l'imaginer, je ne veux pas savoir si je n'ai pas aimé la façon dont on a changé mes couches culottes et pourquoi le petit moche, dans le coin de la cour me donnait envie de soulever des montagnes dans l'idée de le protéger des méchants garnements. Je sais déjà pourquoi le réchauffement climatique est la plus grande tristesse que j'aie jamais portée et je ne veux pas entendre un de vos adjectifs sur cette sensation, je sais que je pourrai faire mieux, me donner les chances et oublier ce qui est triste et révoltant mais je crois commencer à comprendre pourquoi je n'irai jamais dans cette direction, aussi... aussi, c'est pas vous qui allez faire de tout ça un dossier de patient. Et je compte sur vous, je vous demande de ne pas faire de moi un dessin avec des traits reliés partout expliquant ceci parce que cela.
-...
-J'ai terminé.
-Je.
-Vous êtes pris au dépourvu, là?
-Un peu oui.
-Dites moi pourquoi, vite.
Je veux qu'il reste dans son émotion, ça part vite chez ces gens là.
-D'habitude, les gens viennent parce qu'ils veulent quelque chose qu'ils n'atteignent pas. Or, vous venez de dire tout ce que vous ne vouliez pas.
-...
-Alors, d'accord. Je prends note. Et maintenant, j'aimerais savoir ce que vous voulez.
-Il va falloir qu'on se revoie.
-Ca ne fait pas encore 45 minutes.
-Je préfère reporter le temps qu'il reste à la prochaine fois. Il nous faut du temps à tous les deux pour digérer tout ça.
-rires-
-Je ne prends pas votre rire comme du mépris, j'ai raison?
-Vous avez raison. On se revoit jeudi prochain à la même heure. Et plus longtemps.
-Est ce que ce serait possible de se voir plutôt le vendredi?

Il a dit oui. Les gens formidables disent toujours "oui" quand ils savent l'impact que pourrait avoir leur "non". Les gens formidables disent toujours oui, de manière générale, parce qu'un non de leur part a toujours un impact.



-maispastrop-

Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.

Heureuse sans raison, le bonheur sans prévenir.
La joie, peut-être, plus modestement.
Le bonheur est un grand, un gros mot, il ne faut pas être vulgaire sans raison, ça choque les enfants, les vieux et les oreilles virginales, ce qui est loin d'être mon intention puisque précisément, c'est avec les vierges, les vieux et les enfants que je me sens connectée comme par l'influence du cosmos. Cosmos qui aurait tout à coup décidé que ce serait mon tour, pour un petit moment de manège, de trouver ce bout de ciel beau, de m'émerveiller sur la douceur de vivre au début du mois de mai, d'incroyablement vouloir distribuer ma gaieté, depuis mon balluchon, aux nécessiteux.
Un peu pour vous ma bonne dame.


Ouhla et puis toi, avec cette vilaine tête, il t'en faut pas mal aussi. Prends donc. Mais si, bon sang, prends, je te jure, tu peux décemment pas passer à côté d'une opportunité pareille.

Distribuer à gogo sans compter, insouciante de ce qu'il restera pour moi parce que je m'en fiche: de toute façon, je le produis, je le sécrète, c'est un puits sans fond de sourires et d'accolades fraternelles dont mon corps et mon coeur abondent.

Mais je ne suis pas vraiment moi. Parce que moi je suis vraiment pas comme ça.

On a du poser un filtre sur mes rétines ou installer des oeillères au coin de mes tempes. Je ne me dis pas pour autant que ça ne va pas durer et qu'il faut que j'en profite un maximum avant que le charme ne retombe ou ne se lève, au contraire, sur un autre veinard. C'est le secret de ma joie: le temps glisse sur moi comme s'il n'allait jamais abîmer les fossettes de mes lèvres retroussées sur l'avenir.

Un rien peut me faire basculer de l'autre côté, obscur, et me replonger dans l'austère réalité. Dans le gris qui a envahi le ciel et qui s'accorde avec le zinc des toits de la ville, et mes yeux, peut-être.
Une marche mal anticipée, une porte qu'on me referme au nez, un coup d'oeil à mon compte en banque. Les occasions et les peaux de banane ne manquent pas, mais moi, je compte les manquer, finement, passer à côté d'elles sans faire de bruit ni leur accorder aucune sorte de valeur, les ignorer, en somme. Les ignorer copieusement jusqu'à demain qui n'est qu'un autre jour, il paraît.
Et demain, promis, je ferai la gueule avec vous, dans le métro; je m'énerverai au téléphone contre l'incompétence des conseillers EDF; je pesterai dans la file d'attente du supermarché et me couperai l'index avec l'épluche légumes la où ça saigne diablement qu'on savait même pas qu'on avait autant de vaisseaux hyperactifs, ici. Même s'il faut, pour ce faire, beaucoup de bonne volonté.
Je ferai tout ça, ok, mais demain seulement.
Juré, je serai, comme à mon habitude, exécrable au réveil et pas commode jusqu'à midi. Après quoi, il vaudra mieux ne pas trop m'approcher parce que la faim commencera à me creuser l'humeur. En phase de digestion, j'aurai pas grand chose à dire et ensuite, j'aurai envie de dormir, du coup vos mots insignifiants me fatigueront les oreilles. Vers 18h, étrangement, je ressentirai un début de première satisfaction de la journée à voir tous ces ploucs s'agglutiner dans des wagons suintants pour rentrer dans leur meublé afin de ne pas rater la rediff' d'une série forcément policière. A 20h, enfin, mon premier sourire arrivera avec mon premier verre de vin. Après quoi, soit j'en boierai un 2° et je rentrerai raconter ma vie misérable sur un blog, soit j'en boierai jusqu'à ce que la Bourgogne soit à sec et je me réveillerai -si je me réveille- avec une tête qui conjuguerait magiquement les principaux traits du phoque et ceux de Mickey Rourke, à peu près.


Ce qui n'est pas pour arranger mon humeur, qui, comme je viens de le dire, n'a pourtant pas besoin de ça.
Alors, laissez moi jouer à l'heureuse jusqu'à demain.

D'ici là, veuillez s'il vous plaît ne pas embouteiller la route qu'emprunte mon petit nuage.

Je n'y suis pour personne.

-maispastrop-