Aujourd'hui, je fume les cigarettes jusqu'après le filtre.
Je ne sais pas encore -le saurais-je un jour- si c'est du au fait que je n'en n'ai jamais assez ou au fait que je ne fais pas attention, que je ne me rends pas compte et, c'est possible, que je m'en moque.
Il y a longtemps eu quelqu'un, la plupart du temps quelqu'un de plus grand que moi, pour me dire quand m'arrêter; alors je levais la tête vers cette voix de la raison et, obéissante, je cessais de mâchouiller cette sucette. Je reposais le ballon déjà trop gonflé parce qu'il paraît qu'il m'aurait explosé au visage si j'avais continué. Je ne louchais plus parce que si un coup de vent passait dans le coin, je resterais bloquée à vie avec ces yeux là. Je ne mentais pas -moins- parce que mon nez blablabla. J'étais à vos ordres et conseils.

Aujourd'hui, plus personne ne me dit quand m'arrêter ou pourquoi continuer.

Je ne partais jamais en colonie sans un foulard préalablement parfumé de l'odeur de ma mère.
Il ne suffisait pas de vaporiser le contenu du parfum, c'eut été trop facile, non: il fallait qu'elle se parfume puis qu'elle dorme avec et qu'enfin elle le porte après la douche. Je voulais toutes ses odeurs. Ca n'était pas un doudou comme il paraît qu'on dit, je ne dormais pas avec et, pour être honnête, il ne sortait même pas de ma valise, roulée en boule sous l'armoire qu'on m'avait administrée. J'avais des valises souples, oui, des sacs quoi. Bref.
Il me suffisait de savoir qu'il était là.
Y'a pas mal de choses comme ça, trop surement, trop, indéniablement, dont on se dit qu'elles sont là et voilà, ça nous suffit.

Mais ce foulard me permettait d'être toujours plus ou moins accompagnée dans mes grandes frasques de vacances, il était mon courage, je n'avais plus peur de rencontrer des inconnus quand je pensais à l'odeur qu'il diffusait dans mon sac souple roulé dans la chambre, j'étais alors comme invincible. Je me disais même qu'au pire, si ça se passait mal avec quelqu'un, je pourrais toujours lui prendre la main et lui dire "pardonne moi, nous ne nous sommes pas compris, ou peut-être me suis-je mal exprimée, mais tu vas comprendre, suis moi" et lui faire respirer le foulard en question.
L'occasion ne s'est jamais présentée.
Je remercie le destin chaque jour pour ça.
D'une, j'aurais été bien incapable de formuler la phrase sus mentionnée pour amener la personne à mon foulard. De deux, il y une probabilité tout à fait effrayante pour que la personne eut préféré ne pas venir, ou pire, se soit moquée de moi.
C'est quelque chose dont, très certainement, je ne me serai jamais remise.

Les colonies, c'était invariablement le même manège. Je ne voulais pas y aller et quand la fin approchait, je ne voulais plus rentrer. J'étais trop jeune alors pour réaliser avec quelle régularité absurde j'étais remplie de ces sentiments contradictoires. Je les vivais, point. Passionnément. Aussi effrontée, avant le départ, dans le refus de faire mon sac selon la liste envoyée par la direction de la colonie que têtue, quand il fallait quitter la chambre et monter dans le car.

J'aimais par dessus tout que les grands qui nous accompagnaient alors ne soient pas si "grands" que ça. Ils donnaient des ordres, soit, mais avec la douceur de celui qui n'en est pas convaincu lui-même et qui ne vous en tiendrait pas longtemps rigueur si vous décidiez de désobéir. C'était des moitié de grands. Je réalise aujourd'hui combien c'était des vacances davantage pour eux que pour nous encore. C'est bien connu, les monos, ça fait rien qu'à picoler et à forniquer. Leur colonie était tout aussi dépaysante que la nôtre mais, en plus, on leur donnait de l'argent en échange du plaisir qu'ils prenaient.

Bien sur, ils couvraient notre cou pour pas qu'on prenne froid et nous lançaient des "t'es pas encore couchée qu'est ce que tu fais dans la chambre des garçons à moitié nue avec cette cigarette?" tous paternels. Mais c'était pas bien méchant et, dans le but de ne pas rompre le charme et l'ambiance, on obéissait à leur faux ordres, et dans ce but uniquement.

Après, on s'envoyait des cartes postales. Des lettres auraient représenté trop d'espace vierge à remplir à l'attention de quelqu'un qu'on ne connaissait finalement pas. Et on aimait ces monos jusqu'à ce qu'une prochaine colonie, colo pardon, les efface pour les remplacer par des + mieux, des + récents, + vivants.

On revient chez soi avec des habitudes tout à fait déconcertantes pour une maman célibataire qui essaie désespérément de nous faire comprendre que manger avec des couverts est essentiel dans la vie. On chipote sur son poulet aux amandes, réclamant du ravioli en boîte, et on le mange finalement, son poulet, mais avec les mains; avec une seule main en réalité: l'autre étant toute occupée à dormir sur les genoux. On se tient plus jamais droit. On parle la bouche pleine. Et on dirait que personne ne comprend à quel point c'est ça la vraie vie. Et de toute façon, personne ne nous comprend.
Merde, qu'est ce que c'est dur, la vie, dans ces moments là.

J'ai essayé d'être moniteur. J'ai passé le bafa, haut la main, haut les coeurs, je suis partie dans les cévénnes et j'ai encadré une bande de mioches prépubères pendant 10 jours. J'ai passé les 5 premiers à essayer de m'entendre ave mes "collègues" et les 5 derniers à m'entendre réellement avec mes "mioches".
Merde, qu'est ce que c'est bien, la vie, dans ces moments là.

J'ai gardé le foulard et il a perdu son odeur. Il est quadrillé d'une façon assez particulière. Il est quadrillé de façon 80's dirons nous, mais avec une certaine élégance tout de même. Les tons sont sobres, dans les marrons, les jaunes moutarde, les bleus nuit. Il irait parfaitement avec ma petite robe kaki et mes bottes vintage. Seulement, je ne peux pas le porter. Il doit vivre dans le placard. Autour de mon cou, il me rappellerait que j'ai passé l'âge de prendre un garçon par la main pour lui en faire respirer l'odeur. Et ce n'est pas lui qui me dira d'éteindre ma cigarette quand elle est encore plus dangereuse qu'elle ne l'était déjà avant le filtre. Il n'y a plus personne pour me dire ça. Et les souvenirs d'enfance appartiennent aux greniers.

-maispastrop-

1,2,3, nous n'irons pas au bois.

"Je suis deux", elles se disent. "L'avenir c'est moi", pourquoi pas.
Fières comme des gosses.
Elles arborent leur rondeur comme un trophée; elles l'auraient gagné à la sueur de leur front qu'elles ne se tiendraient pas plus droites. Il n'existerait pas de menton pointé plus précisément vers la résidence de dieu. Et pourtant, n'est ce pas à la sueur de leur cul et de leur cul uniquement qu'elles doivent cette proéminence que tous s'accordent à trouver émouvante, entre le bas des seins et le haut du pubis ?

Ensuite, elles sont mères. Après avoir été les pires emmerdeuses du monde, j'entends. Après avoir pesté dès lors que tous les passagers du bus ne se levaient pas comme un seul homme pour leur laisser une place assise. Après avoir exigé des fraises à la moutarde à 4h4O du matin le 1° mai. Après avoir imposé l'interdiction de fumer à des gens qui n'ont aucune responsabilité dans cette histoire, qui, peut-être même, s'en fichent. Après avoir vomi le matin, et couiner le soir. Après avoir sermonné les autres filles considérées comme "perdues" et avoir tenu à leur faire comprendre, dans un élan de grande générosité, le vrai sens de la vie.
Ensuite, après tout ça, elles sont mères.
Et ça n'arrange rien.

Je croyais qu'être mère signifiait avoir son centre de gravité pour toujours en dehors de soi, se séparer de son nombril en quelques sortes, perdre son équilibre et son oreille interne. Etre inquiète, alerte, aimer tout le monde, s'oublier.
Que nenni.
Pour la plupart (et quand je dis "plupart" je suis polie), être mère signifie avoir désormais deux nombrils, et l'équilibre le plus inflexible de l'histoire de l'humanité; une raison supplémentaire de parler de soi, centraliser l'intérêt, évincer les sujets qui ne concernent pas la procréation ou l'allaitement, tout ramener à ça, à cette banale histoire de donner la vie.

Oui, BANALE.

Ranger vos griffes et vos crocs, tout doux mes mignons.
Banal,je persiste, parce répandu, quotidien et universel, oui, tout le monde fait ça, des enfants; vous venez de là, vous aussi, nous tous. Ca court les rues, les accouchements, les nouveaux nés, et le monde qui s'arrête de tourner parce que ça perd les eaux. Les laboratoires fournisseurs de tests de grossesse ne connaissent même pas la crise, bien au contraire. Moins ça va, plus on enfante. Il semblerait qu'on veuille partager ça avec le maximum de monde. C'est pas radin.

Je croyais qu'être mère ramenait à l'intérieur de soi, affirmait le respect des choses qui vivent et la colère contre ce(ux) qu'on tue.
Que nenni encore. Etre mère semble être un honneur dont on tire une fierté prétentieuse et écrasante; fierté qui éloigne des autres, des souffrances, qui ne relie absolument pas à la grande chaîne de l'humanité. A croire que c'est au prix de longues années de labeur qu'on peut donner la vie. Enfin quoi, un peu de bon sens: comment oublier que c'est simplement en tirant son coup que ça se passe.
Tout le reste devient superflu. Parfois, l'homme même, la moitié du résultat, excusez du peu, se voit tenu à l'écart de cette nouvelle existence faite de talc, de babillages et de petits pots.
C'est le meilleur anti dépresseur abrutissant qui existe tant il exclue de la vie celle qui la donne. Ses pieds ne touchent plus terre, rien ne l'atteint, la faim dans le monde est ce que ça existe seulement vraiment, d'ailleurs? Subitement, tout est beau, acidulé et confortable comme un épisode des bisounours parce que "tout" signifie désormais "le périmètre entourant moi et la chair de ma chair que c'est mes entrailles que pas touche sinon tahar ta gueule à la récré". Je croyais que donner la vie aider à la respecter, la vie.

Il y'a des femmes qui à peine enceintes inscrivent déjà leurs mioches à un cours de danse. Et le meilleur.
Comme si ça ne suffisait pas de décider pour quelqu'un qu'il allait naître, vivoter et mourir, faut aussi s'assurer que les tutus qu'on a déjà achetés seront portés.

Jamais personne, à part ma mère, n'a pris de décision pour moi, dans ma toute petite vie, et jamais je ne prendrai, pour moi, de décision aussi importante que celle que ma mère a prise. Ma mère, un jour, a décidé que moi, là, moi qui écris, j'allais d'une: vivre, de deux: mourir. Ca, c'était couru d'avance, elle pouvait pas dire qu'on l'avait pas prévenue.

Comment lutter, évidemment que je lui dois le respect à vie, je pourrais jamais faire mieux. A moins de faire pareil...........................mais plutôt mourir. Justement.

Ok, on peut déceler sans trop de clairvoyance, comme une agressivité de ma part à l'égard de toutes les génitrices alentour. Je l'admets. Je l'assume. J'ai jamais aimé qu'on décide pour les autres et quand j'ai vu de mes yeux vu que c'était bien souvent pour se sentir vivre soi-même, j'ai arrêté de "pas aimer" pour me mettre à haïr, ça. Haïr ça très fort. Haïr avec de la haine en somme. De la haine qui fait comme de la fumée qui sort des naseaux d'un taureau. Pour schématiser.
En plus, il arrive qu'on impose un tas de choses au nouveau gustave arrivé: des prénoms, des religions, des salopettes bleues, des cuisinettes roses, des opinions et autres poney clubs. Et vous voulez me faire croire que c'est par amour? A d'autres.

En plus,
Les enfants,
En soi,
Je m'en balance pas mal.

Je ne m'émerveille jamais sur un bout de chair fripée aux yeux bouffis simplement parce qu'il sort de l'utérus d'une égocentrique en mal de raison de vivre. Ca ne me concerne pas.
Je m'émerveille si le bout de chair fripée me fait rire quand, après le biberon, l'envie de remplir sa couche lui déforme le visage déjà pas avantagé, virant au rouge dans un rictus d'effort olympique. Et quand le bout de chair fripée m'attrape le petit doigt avec sa mini main toute moche et la serre, et la serre encore, comme si sa vie en dépendait, je frissonne d'émotion, évidemment. Je suis humaine, je ressens des choses avec l'aide de mon émotion.
Mais je ne réserve pas ma béatitude à la marmaille innocente, il n'y a pas de raison, ça marche avec tout le monde. Toi, là, si tu m'attrapais le petit doigt avec ton immense main comme si ta vie en dépendait, je frissonnerais aussi. Je frissonnerais davantage, touchée plus profondément. Parce que toi, tu sais que tu prends des risques à être vulnérable. T'es pas censé avoir envie qu'on te protège avec tes 30 années derrière toi. (T'es un grand maintenant cqfd)

Et pourtant je respecte ça, l'Enfant, comme quelque chose de quasi sacré. C'est bien la raison pour laquelle il m'est tout bonnement impossible d'être d'accord avec des femelles qui ont décidé depuis leurs 15 ans d'en avoir deux, des enfants sacrés. "Oh ouais, moi je veux un garçon et trois ans après, une fille. Et je les appellerai comme çi et comme ça. Et lui, il fera du tennis. Comme toi, chéri. Et elle, je lui mettrais toutes les robes que j'ai gardées dans le grenier".

Comment des gens en manque de vie, de but, de passion et d'amour peuvent avoir le droit de confondre une vie, un humain en somme - c'est à dire quelqu'un qui peut potentiellement être Desproges ou Hitler - et une poupée. Point d'interrogation. Comment parler de quelque chose qui n'existe pas? Décider de son existence, de sa présence, de ses poumons qui s'ouvrent quand il respire. De quel droit et par quelle vanité? Points d'interrogation puissance mille, tiens.

Ok. Vos griffes n'en finissent plus de sortir et vos crocs veulent du sang. Le mien, j'imagine. Soit.

Alors essayons ça: imaginez une couleur que vous ne connaissez pas.

Si vous voulez, dans ma grande mansuétude, je vous accorde 1 minute pour vous y mettre.

Autant de secondes qui vous prouveront qu'on ne peut pas imaginer quelque chose qu'on ne connait pas. Vous mélangerez certainement un kaki improbable avec un fluo trouvé sur un, et un seul tshirt du fin fond du marché de Camden. N'empêche, ces deux couleurs existent bel et bien et le résultat, votre tête ne sait pas pourtant pas le colorier. Alors, on essaie, en pratique. On crée du palpable.
L'enfant, on le fait. Ca pour le coup, c'est fou, absolument magnifique, on pourrait y penser des heures, des années, l'étonnement ne tarirait pas: notre corps, notre sang et notre rapport sexuel, on fait ça: quelqu'un. Quelqu'un qu'on ne connait pas, qu'on n'a jamais vu. Et puis c'est là, minus, rien, ovni dans le ventre. Il grandit, prend ses aises et bien plus vite qu'il n'y parait, il passera des 3 kilos 5 aux 3 grammes 6. On n'aura pas assemblé nos couleurs improbables dans la tête, non, on aura le résultat sur la table à langer. Et on aimera ce résultat au delà du raisonnable. Quoiqu'il fasse et ça, juste parce qu'il vient de nous.

Non, bien, sur, l'être humain n'est pas narcissique, penses-tu, il a simplement trouvé le moyen d'avoir deux nombrils, de dire "je" pour lui et sa progéniture et de laisser une trace.
Quand je meurs, mon enfant continue de vivre, je laisse une trace, je participe.
Soit.
Alors qu'en vérité, on ne "laisse" pas "une trace ". On "abandonne" "quelqu'un".

Mais quand ma mère mourra (et pour ceux qui m'ont déjà lue, ils savent que c'est impossible mais, mettons avec un peu d'imagination, que ça arrive, même si on sait vous et moi que c'est ridicule comme éventualité), quand ma mère mourra, qu'est ce qu'il restera? Qu'est ce qu'il restera d'elle? Il restera moi. Et "rester" est un terme que je refuse catégoriquement. D'autre part, je ne suis pas une trace. Je ne reste pas, je suis là, point.

"Quand je serai mort, j'aurais laissé quelque chose" est une phrase qui devrait être interdite par la loi parce que c'est méchant, bête, réac, préhistorique, historique et ue ça engage une vie, une vraie vie.
Qu'est ce que c'est que ces conneries nom d'un petit bonhomme?

Sans parler du fait qu'en réalité, combien d'entre nous sont réellement capables de mener à bien cette mission? Bien entendu, en réflechissant comme ça, on ne fait jamais rien. Et, encore une fois, il n'est pas question de "rien" mais de "personne".

Je suis pas énervée, c'est pas ce que vous croyez. Je suis un peu véhémente sur le sujet. J'attends d'être contredite, j'attends ça avec une hâte enfantine. Mais à une condition: que ce ne soit pas par des mots, des paroles en l'air; parce que pour ça, ô grands dieux, que vous êtes nombreux à contrer mes arguments et à crier au scandale!
Je veux être contredite par quelqu'un qui ne me trouve pas scandaleuse quand je dis que je-ne-veux-pas-d'enfants, quelqu'un que ça ne dérangera pas, qui n'a rien à me prouver contrairement aux 3/4 d'entre vous que j'aime comme ma propre descendance mais qui transpire le malaise à défendre aussi violemment une "cause" à laquelle vous ne connaissez, pour l'instant, rien. Rien du tout.

L'horloge biologique qu'on me dit.
"Bio" et "Logique" que je rétorque. Oui et ben figurez vous que ça en a soufflé plus d'un.
Il n'y a plus grand chose de nous qui soit encore un tant soit peu animal. Et le fait de se reproduire ne peut plus être excusé par un pseudo compte à rebours caché dans les ovaires de mesdames.
Biologiquement, logiquement, écologiquement, je ne suis pas de celles dont l'approche de la mort décide de la vie de quelqu'un d'autre.
Je dis ça haut et fort, je me suis déjà fait des ennemis avec cette philosophie, qu'importe, je m'en ferais un tshirt s'il le fallait. Je le porterais, en plus.

Vous êtes là, narquois, me considérant moitié bizarre moitié monstrueuse et vous croyez pouvoir piéger toutes les personnes dans mon genre d'un minable "tu verras, tu auras un enfant et tu admettras que j'avais raison" comme si vous en aviez, vous même, déjà un.
Et c'est là que vous signez votre arrêt de bêtise. Vous ne comprenez rien. Rien à rien.
Si je dis je-ne-veux-pas-d'enfant, je sais à quoi je m'expose. C'est, de nos jours presque aussi choquant que de dire: "je boycotte Nike".
Mais, si un jour Nike ne fait plus fabriquer des simples chaussures qui n'ont même pas le pouvoir de changer la vie par des enfants qui travaillent toute la journée dans de la colle pour être payés une misère, alors, oui, peut-être voudrais-je en porter.

De la même manière, si un jour un homme veut un enfant avec moi parce que c'est moi, et moi aussi parce que c'est lui, et pas pour mes rêves de gosses que je n'ai pas eu le temps de réaliser, et pas parce que je ne sais plus comment m'éloigner de la tristesse, la tristesse fondamentale de la vie, et si, l'homme en face de moi refuse catégoriquement l'idée d'adopter un enfant déjà là et qui crie tellement fort depuis son orphelinat qu'on l'entend d'ici et que personne ne devrait pouvoir dormir, et bien alors... après avoir insulté l'homme de ma vie de tous les noms d'oiseaux... oui, j'accueillerai un égoîste de plus à l'intérieur de mon intérieur et pour couronner le tout, je ferai ça de mon mieux. Et peut être lui achéterais-je des Nike pour ses 10ans.
Il décidera comme un grand.

-maispastrop-

Mes pensées, tu les faisais tiennes


C'est pas parce qu'il est mort, non.  C'est parce que tout est revenu.
J'ai tout écouté, d'une traite, et puis en boucle. Il se trouve que c'était dimanche.
Bon, d'habitude, j'm'en fous pas mal du dimanche, mais voilà, ce jour là, c'était vraiment le lendemain du samedi et la veille du lundi et écouter ses mots et ses mélodies, même s'il faisait beau et justement parce qu'il faisait cruellement beau, ça m'a rendue gamine
J'ai pleuré d'abord timidement, honteuse même seule, et cachant mes larmes pour pas qu'on me voie dans le miroir. J'ai pleuré ensuite, plus convaincue, moins pudique, avec quelques bruits d'animal à l'appui, même; des petits couinements dégueulasses, des sons aigus, racleux, avortés. Enfin, j'ai chialé comme une madeleine, si tant est qu'une madeleine ait jamais autant pleuré dans son thé, chialé à chaudes larmes, à froides larmes, à grosses gouttes, à tête dans les mains et nez qui renifle. 
Quand on passe le cap syndical, il y a de fortes chances pour qu'une fois les vannes ouvertes nous prenne l'envie de remplir tous les lacs de France et de Navarre. Je me suis prise au jeu et ça n'en finissait plus et je savais que ça n'en finirait plus et que c'était pas vraiment un jeu et je me doutais de l'animosité que j'aurai pour moi-même le lendemain, face à mes yeux de boxer, bouffis de tristesse et de sommeil. Mais, prise au jeu donc, je jouais goulûment à mouiller mes joues d'une tristesse sans nom, sans but ni fondement.

C'était quand la dernière fois que j'ai chialé comme ça, sans retenue, horriblement honnête?difficile à dire. Quand j'ai perdu ma poupée ou que je suis tombée sur les genoux dans la cour de récré?

J'avais peut-être 13 ans, je sais plus, 14? C'était en Normandie, au cinéma du casino de Trouville, le seul à diffuser autre chose que des films n°2 et 3 d'une série qui, déjà au 1° tour, aurait du être interdit d'exploitation. C'était Le Grand Bleu version longue.
Ah, ça va, je vous entends d'ici pouffer de moquerie et ça ne me fait ni chaud ni froid. 
Donc. 
Je sortais de la séance, je pouvais rien y voir tant mes paupières, gonflées par le liquide lacrymal, avaient empiété sur l'espace normalement réservé à l'ouverture permettant aux yeux de faire leur boulot. A l'aveuglette, d'une main, je tâtonnais pour ne pas me cogner sur les murs qui semblaient s'être tous mis d'accord pour me barrer la route, de l'autre je serrais celle de la femme qui m'a mise au monde, qui se trouvait dans un état relativement semblable au mien. Etat, pour ne pas le nommer, pathétique. 
Je sais pas, ça nous avait pris sans prévenir, c'était arrivé comme l'annonce d'une maladie chez quelqu'un qui est le plus fort d'entre nous, ou comme une envie de pisser. D'un coup d'un seul, la mère et la fille s'étaient transformées en distributeur d'eau salée. Je me souviens, je tendais ma langue pour rattraper mes larmes, je les reprenais, elles étaient à moi et un trop grand nombre d'entre elles tendaient à appartenir au bitume en y atterrissant bruyamment. Mais j'en avais trop. Je ne savais plus qu'en faire. Personne à qui les donner. 
Je me souviens, la femme qui m'a mise au monde n'arrêtait pas de farfouiller dans son sac pour y trouver une  matière suffisamment absorbante pour kidnapper tout ça.
On marchait, on marchait et, alors qu'on aurait du chercher la voiture pour rentrer, on marchait encore avec nos bruit de chialeuses et nos mains dans la main. 
Quand on a réalisé qu'on arrivait à la maison et qu'on avait oublié la voiture et qu'on avait donc fait 30 minutes à pieds sans se parler et à se vider, on s'est regardées, avec ce qu'il nous restait d'yeux, et on a ri, avec ce qu'il nous restait de bonheur. 
On s'est assises sur les marches d'un perron, elle a sorti une cigarette et je ne fumais pas encore mais j'aurais vachement aimé pourtant; ça avait l'air tout à fait opportun comme occupation. Elle a tiré une bouffée immense et m'a demandé "t'as aimé?".
Comme des baudruches on a ri. Comme des baleines. Comme des hyènes. Comme toutes les expressions que vous voudrez réunies. 
Et puis, quand on en a eu fini de rire, j'ai répondu le plus débonnairement possible, encore haletante de notre humour, "mouais bof". Alors on remis ça. Les hyènes, les baudruches et les baleines n'avaient qu'à bien se tenir, on en a réveillé le voisin.
A son "Mais qu'est ce que c'est que ce bordel?" on a répondu qu'on pleurait et ça a semblé être assez convaincant pour qu'il referme ses fenêtres et nous laisse nous gondoler tranquilles.

J'ai pleuré hier aussi. Parce que j'en avais envie, besoin, parce qu'il le fallait, hygiéniquement. J'ai pleuré de fatigue le mois dernier, à bouts de nerfs, ayant enduré toutes les contrariétés possibles et craquant finalement au détour d'un couloir de correspondance, quand un musicien jouait "Because". J'ai pleuré quand j'ai su que je ne t'aimais plus. J'ai pleuré davantage encore quand je me suis demandé si je t'avais jamais aimé. J'ai pleuré dans mon sommeil et peut-être dans le vôtre. J'ai fait ça souvent et j'ai même pas honte; bien au contraire, l'inverse serait obscène; aussi j'assume ce travers. Ca se voit, sur mon visage, ça se voit. Il y a une place toute prête pour accueillir les gouttes des yeux, des sillons accueillants, qui dessinent, sur mes cernes et mes joues, mes chagrins. Juste à côté de la toute nouvelle bouffissure qu'a esquissé l'alcool.  

J'ai écouté et écouté encore. J'en revenais pas de tout connaître par coeur, d'avoir vécu si proche et si longtemps avec ces morceaux, sans les comprendre parfois. Madame rêve d'atomiseurs et puis quoi encore? Annie aimerait pas les sucettes par hasard? Qu'est ce que je saisissais à tout ça moi, je sais pas. Et qu'est ce que j'ai saisi depuis, je sais pas non plus. C'est plutôt dans l'autre sens que se raconte l'histoire et c'est moi qui ai été saisie, prise, enveloppée, emmitouflée, écorchée de tous ces mots. Tiraillée dans la mélopée d'une voix qui hurle et sourit au même moment. Y'en pas des masses des types qui chuchotent leurs cris. 

Et puis que les choses soient claires, je m'en fiche que les gens meurent. C'est pas mon problème et on est trop nombreux de toute façon. Mais, il y en a qui partent avec des bouts de nous alors qu'on n'a même jamais échangé deux mots, et ça c'est assez bouleversant pour ne jamais s'en remettre totalement. C'est la moindre des choses.

C'est pas parce qu'il est mort, c'est parce qu'il était trop vivant. Et nous, pas assez. 

-maispastrop-

Des courants d'air entre nous

Le vent n'est pas mon ami, il décoiffe mes cheveux. Le soleil tient absolument à attaquer mes pupilles fatiguées. Quant à la pluie, elle picote mes oreilles de ses rebonds bruyants sur la toile du parapluie. Il n'y a que l'orage qui sache à peu près s'adresser à moi en des termes civilisés en ce mois de Fevrier. 
Tout est contre moi. Les éléments, et toi. Toi, tu es tout contre. Tout contre moi. Toi, tu fais oublier la pluie et le soleil pour quelques temps, quelques bouts de temps qu'on croirait extensibles et qui sont pourtant délimités, rapides comme l'éclair. 

Plus il passe, le temps, moins je le situe dans l'espace, je ne vois vraiment pas où il veut en venir, à filer parfois aussi vite et à traîner, d'autres fois, indéfiniment. Pour être honnête, j'ai la sale impression qu'il me cherche les poux, ces derniers temps, le temps; il se jouerait de moi que ça ne m'étonnerait pas, mais il fait ça d'une manière qui n'amuse que lui. Il glisse comme du sable entre les mains quand je respire et existe vraiment et s'enlise à traîner la patte dans tous les recoins de mon ennui quand j'ai hâte d'être demain.
Encore heureux, il me permet tout de même de temps en temps de me perdre pour une ou deux minutes; il m'autorise un flottement ésotérique entre deux vapes de volutes bienveillantes et veille à ce que je ne redescende pas trop brutalement sur terre. Comme quand on descendait de la poutre, en EPS, la poutre sur laquelle on avait passé l'heure à piapiater avec les copines de l'injustice de la vie en général et de la beauté du prof de musique en particulier. On en descendait trop vite et alors, la terre remontait de la plante de nos pieds jusqu'à notre nuque en passant par notre colonne vertébrale en nous glaçant les os et le sang. J'ai droit aujourd'hui à un atterrissage plus délicat. 
De mon petit nuage, je descends moins abruptement et je pose mes pieds de leurs bouts d'abord puis de leurs plantes, inquiète de retrouver le cours de la vie. 
Quand je m'échappe vous vivez toujours des choses incroyables. 
Quand je reviens, vos choses incroyables semblent être uniques au point que vous ne pourrez jamais les revivre, et que je ne pourrai jamais les partager avec vous.
C'est pas grave. 
Moi aussi, là haut, je vivais des moments que je ne pourrai non seulement pas revivre à vos côtés mais que je ne pourrais même pas vous faire l'honneur de partager en comptine avec vous, de ces moments qui n'ont ni couleurs ni adjectifs et qui s'évaporent dès lors qu'on tente de les conceptualiser en phrases bien ordonnées. 

Je me perds une ou deux minutes et je retrouve comme l'essence de moi, ce qui fait tourner mon moteur et ce qui coûte aujourd'hui trop cher. Je me requinque, pour faire court. Je recharge de la batterie et regonfle des poumons comme en bord de mer; mais. Mais ça ne fonctionne pas avec vous. Je reviens les joues roses et l'oeil vif, pourtant vous ne voyez pas. 
Parce que vous voyez toujours la même personne, vous ne voyez jamais quand je suis nouvelle, comme au sortir de l'oeuf, après mon toilettage intégral, vous ne voyez pas. 
Mon enthousiasme retombe alors comme l'eau qui déborde comme une folle sous laquelle on coupe le gaz coupable, retombe piteusement, d'un coup, à plat pire qu'une mer d'huile à qui on trouverait assurément davantage d'aspérités. Je suis le lac Léman devant votre aveuglement, et dans ce blanc hypnotisant de ce que ne vous voyez pas de moi, je continue pourtant d'exister comme une Wonder Woman. Dans ce trou noir entre vous et moi qui nous aimons tant, je vous aime davantage encore pour me laisser aussi seule face à moi dans ce que ce moi a de personnel qui ne vous regarde finalement pas. 

Mon nuage jette un oeil chafouin sur la scène, lui qui sait si bien ce que j'ai perdu et gagné, là haut, installée sur ses rondeurs et ses remous; il le cligne, même, son oeil chafouin, l'air de dire "et puis?" comme si rien n'était jamais vraiment important, à part lui.
Je vous regarde ne rien voir et faire toujours les mêmes gestes et je sais que je suis comme vous, aussi, à ne pas savoir quand vous descendez de votre nuage à vous, à ne pas attraper ce moment béni où il est impossible de déterminer si vous êtes plus vulnérables que forts, à ne pas toucher l'endroit vierge de tout prêt pour tout le monde, je suis comme vous. Je vous regarde, je ne vous vois pas, je vous rate et tous nos nuages s'en amusent, quelque part au dessus des orages. 

-maispastrop-