Aujourd'hui, je fume les cigarettes jusqu'après le filtre.
Je ne sais pas encore -le saurais-je un jour- si c'est du au fait que je n'en n'ai jamais assez ou au fait que je ne fais pas attention, que je ne me rends pas compte et, c'est possible, que je m'en moque.
Il y a longtemps eu quelqu'un, la plupart du temps quelqu'un de plus grand que moi, pour me dire quand m'arrêter; alors je levais la tête vers cette voix de la raison et, obéissante, je cessais de mâchouiller cette sucette. Je reposais le ballon déjà trop gonflé parce qu'il paraît qu'il m'aurait explosé au visage si j'avais continué. Je ne louchais plus parce que si un coup de vent passait dans le coin, je resterais bloquée à vie avec ces yeux là. Je ne mentais pas -moins- parce que mon nez blablabla. J'étais à vos ordres et conseils.

Aujourd'hui, plus personne ne me dit quand m'arrêter ou pourquoi continuer.

Je ne partais jamais en colonie sans un foulard préalablement parfumé de l'odeur de ma mère.
Il ne suffisait pas de vaporiser le contenu du parfum, c'eut été trop facile, non: il fallait qu'elle se parfume puis qu'elle dorme avec et qu'enfin elle le porte après la douche. Je voulais toutes ses odeurs. Ca n'était pas un doudou comme il paraît qu'on dit, je ne dormais pas avec et, pour être honnête, il ne sortait même pas de ma valise, roulée en boule sous l'armoire qu'on m'avait administrée. J'avais des valises souples, oui, des sacs quoi. Bref.
Il me suffisait de savoir qu'il était là.
Y'a pas mal de choses comme ça, trop surement, trop, indéniablement, dont on se dit qu'elles sont là et voilà, ça nous suffit.

Mais ce foulard me permettait d'être toujours plus ou moins accompagnée dans mes grandes frasques de vacances, il était mon courage, je n'avais plus peur de rencontrer des inconnus quand je pensais à l'odeur qu'il diffusait dans mon sac souple roulé dans la chambre, j'étais alors comme invincible. Je me disais même qu'au pire, si ça se passait mal avec quelqu'un, je pourrais toujours lui prendre la main et lui dire "pardonne moi, nous ne nous sommes pas compris, ou peut-être me suis-je mal exprimée, mais tu vas comprendre, suis moi" et lui faire respirer le foulard en question.
L'occasion ne s'est jamais présentée.
Je remercie le destin chaque jour pour ça.
D'une, j'aurais été bien incapable de formuler la phrase sus mentionnée pour amener la personne à mon foulard. De deux, il y une probabilité tout à fait effrayante pour que la personne eut préféré ne pas venir, ou pire, se soit moquée de moi.
C'est quelque chose dont, très certainement, je ne me serai jamais remise.

Les colonies, c'était invariablement le même manège. Je ne voulais pas y aller et quand la fin approchait, je ne voulais plus rentrer. J'étais trop jeune alors pour réaliser avec quelle régularité absurde j'étais remplie de ces sentiments contradictoires. Je les vivais, point. Passionnément. Aussi effrontée, avant le départ, dans le refus de faire mon sac selon la liste envoyée par la direction de la colonie que têtue, quand il fallait quitter la chambre et monter dans le car.

J'aimais par dessus tout que les grands qui nous accompagnaient alors ne soient pas si "grands" que ça. Ils donnaient des ordres, soit, mais avec la douceur de celui qui n'en est pas convaincu lui-même et qui ne vous en tiendrait pas longtemps rigueur si vous décidiez de désobéir. C'était des moitié de grands. Je réalise aujourd'hui combien c'était des vacances davantage pour eux que pour nous encore. C'est bien connu, les monos, ça fait rien qu'à picoler et à forniquer. Leur colonie était tout aussi dépaysante que la nôtre mais, en plus, on leur donnait de l'argent en échange du plaisir qu'ils prenaient.

Bien sur, ils couvraient notre cou pour pas qu'on prenne froid et nous lançaient des "t'es pas encore couchée qu'est ce que tu fais dans la chambre des garçons à moitié nue avec cette cigarette?" tous paternels. Mais c'était pas bien méchant et, dans le but de ne pas rompre le charme et l'ambiance, on obéissait à leur faux ordres, et dans ce but uniquement.

Après, on s'envoyait des cartes postales. Des lettres auraient représenté trop d'espace vierge à remplir à l'attention de quelqu'un qu'on ne connaissait finalement pas. Et on aimait ces monos jusqu'à ce qu'une prochaine colonie, colo pardon, les efface pour les remplacer par des + mieux, des + récents, + vivants.

On revient chez soi avec des habitudes tout à fait déconcertantes pour une maman célibataire qui essaie désespérément de nous faire comprendre que manger avec des couverts est essentiel dans la vie. On chipote sur son poulet aux amandes, réclamant du ravioli en boîte, et on le mange finalement, son poulet, mais avec les mains; avec une seule main en réalité: l'autre étant toute occupée à dormir sur les genoux. On se tient plus jamais droit. On parle la bouche pleine. Et on dirait que personne ne comprend à quel point c'est ça la vraie vie. Et de toute façon, personne ne nous comprend.
Merde, qu'est ce que c'est dur, la vie, dans ces moments là.

J'ai essayé d'être moniteur. J'ai passé le bafa, haut la main, haut les coeurs, je suis partie dans les cévénnes et j'ai encadré une bande de mioches prépubères pendant 10 jours. J'ai passé les 5 premiers à essayer de m'entendre ave mes "collègues" et les 5 derniers à m'entendre réellement avec mes "mioches".
Merde, qu'est ce que c'est bien, la vie, dans ces moments là.

J'ai gardé le foulard et il a perdu son odeur. Il est quadrillé d'une façon assez particulière. Il est quadrillé de façon 80's dirons nous, mais avec une certaine élégance tout de même. Les tons sont sobres, dans les marrons, les jaunes moutarde, les bleus nuit. Il irait parfaitement avec ma petite robe kaki et mes bottes vintage. Seulement, je ne peux pas le porter. Il doit vivre dans le placard. Autour de mon cou, il me rappellerait que j'ai passé l'âge de prendre un garçon par la main pour lui en faire respirer l'odeur. Et ce n'est pas lui qui me dira d'éteindre ma cigarette quand elle est encore plus dangereuse qu'elle ne l'était déjà avant le filtre. Il n'y a plus personne pour me dire ça. Et les souvenirs d'enfance appartiennent aux greniers.

-maispastrop-

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C. a dit

Je vous lis avec délectation malgré l'heure tardive et la fatigue qui me submerge...
Je me permets une remarque : il est toujours temps de prendre un garçon par la main et l'emmener au grenier respirer des souvenirs qui d'enfouis deviennent partagés...
J'aime ce que vous écrivez et la façon dont vous le faites...
de plus en plus
C.

Tracy Carpet Cleaning a dit…

Hi nice reaading your post