1,2,3, nous n'irons pas au bois.

"Je suis deux", elles se disent. "L'avenir c'est moi", pourquoi pas.
Fières comme des gosses.
Elles arborent leur rondeur comme un trophée; elles l'auraient gagné à la sueur de leur front qu'elles ne se tiendraient pas plus droites. Il n'existerait pas de menton pointé plus précisément vers la résidence de dieu. Et pourtant, n'est ce pas à la sueur de leur cul et de leur cul uniquement qu'elles doivent cette proéminence que tous s'accordent à trouver émouvante, entre le bas des seins et le haut du pubis ?

Ensuite, elles sont mères. Après avoir été les pires emmerdeuses du monde, j'entends. Après avoir pesté dès lors que tous les passagers du bus ne se levaient pas comme un seul homme pour leur laisser une place assise. Après avoir exigé des fraises à la moutarde à 4h4O du matin le 1° mai. Après avoir imposé l'interdiction de fumer à des gens qui n'ont aucune responsabilité dans cette histoire, qui, peut-être même, s'en fichent. Après avoir vomi le matin, et couiner le soir. Après avoir sermonné les autres filles considérées comme "perdues" et avoir tenu à leur faire comprendre, dans un élan de grande générosité, le vrai sens de la vie.
Ensuite, après tout ça, elles sont mères.
Et ça n'arrange rien.

Je croyais qu'être mère signifiait avoir son centre de gravité pour toujours en dehors de soi, se séparer de son nombril en quelques sortes, perdre son équilibre et son oreille interne. Etre inquiète, alerte, aimer tout le monde, s'oublier.
Que nenni.
Pour la plupart (et quand je dis "plupart" je suis polie), être mère signifie avoir désormais deux nombrils, et l'équilibre le plus inflexible de l'histoire de l'humanité; une raison supplémentaire de parler de soi, centraliser l'intérêt, évincer les sujets qui ne concernent pas la procréation ou l'allaitement, tout ramener à ça, à cette banale histoire de donner la vie.

Oui, BANALE.

Ranger vos griffes et vos crocs, tout doux mes mignons.
Banal,je persiste, parce répandu, quotidien et universel, oui, tout le monde fait ça, des enfants; vous venez de là, vous aussi, nous tous. Ca court les rues, les accouchements, les nouveaux nés, et le monde qui s'arrête de tourner parce que ça perd les eaux. Les laboratoires fournisseurs de tests de grossesse ne connaissent même pas la crise, bien au contraire. Moins ça va, plus on enfante. Il semblerait qu'on veuille partager ça avec le maximum de monde. C'est pas radin.

Je croyais qu'être mère ramenait à l'intérieur de soi, affirmait le respect des choses qui vivent et la colère contre ce(ux) qu'on tue.
Que nenni encore. Etre mère semble être un honneur dont on tire une fierté prétentieuse et écrasante; fierté qui éloigne des autres, des souffrances, qui ne relie absolument pas à la grande chaîne de l'humanité. A croire que c'est au prix de longues années de labeur qu'on peut donner la vie. Enfin quoi, un peu de bon sens: comment oublier que c'est simplement en tirant son coup que ça se passe.
Tout le reste devient superflu. Parfois, l'homme même, la moitié du résultat, excusez du peu, se voit tenu à l'écart de cette nouvelle existence faite de talc, de babillages et de petits pots.
C'est le meilleur anti dépresseur abrutissant qui existe tant il exclue de la vie celle qui la donne. Ses pieds ne touchent plus terre, rien ne l'atteint, la faim dans le monde est ce que ça existe seulement vraiment, d'ailleurs? Subitement, tout est beau, acidulé et confortable comme un épisode des bisounours parce que "tout" signifie désormais "le périmètre entourant moi et la chair de ma chair que c'est mes entrailles que pas touche sinon tahar ta gueule à la récré". Je croyais que donner la vie aider à la respecter, la vie.

Il y'a des femmes qui à peine enceintes inscrivent déjà leurs mioches à un cours de danse. Et le meilleur.
Comme si ça ne suffisait pas de décider pour quelqu'un qu'il allait naître, vivoter et mourir, faut aussi s'assurer que les tutus qu'on a déjà achetés seront portés.

Jamais personne, à part ma mère, n'a pris de décision pour moi, dans ma toute petite vie, et jamais je ne prendrai, pour moi, de décision aussi importante que celle que ma mère a prise. Ma mère, un jour, a décidé que moi, là, moi qui écris, j'allais d'une: vivre, de deux: mourir. Ca, c'était couru d'avance, elle pouvait pas dire qu'on l'avait pas prévenue.

Comment lutter, évidemment que je lui dois le respect à vie, je pourrais jamais faire mieux. A moins de faire pareil...........................mais plutôt mourir. Justement.

Ok, on peut déceler sans trop de clairvoyance, comme une agressivité de ma part à l'égard de toutes les génitrices alentour. Je l'admets. Je l'assume. J'ai jamais aimé qu'on décide pour les autres et quand j'ai vu de mes yeux vu que c'était bien souvent pour se sentir vivre soi-même, j'ai arrêté de "pas aimer" pour me mettre à haïr, ça. Haïr ça très fort. Haïr avec de la haine en somme. De la haine qui fait comme de la fumée qui sort des naseaux d'un taureau. Pour schématiser.
En plus, il arrive qu'on impose un tas de choses au nouveau gustave arrivé: des prénoms, des religions, des salopettes bleues, des cuisinettes roses, des opinions et autres poney clubs. Et vous voulez me faire croire que c'est par amour? A d'autres.

En plus,
Les enfants,
En soi,
Je m'en balance pas mal.

Je ne m'émerveille jamais sur un bout de chair fripée aux yeux bouffis simplement parce qu'il sort de l'utérus d'une égocentrique en mal de raison de vivre. Ca ne me concerne pas.
Je m'émerveille si le bout de chair fripée me fait rire quand, après le biberon, l'envie de remplir sa couche lui déforme le visage déjà pas avantagé, virant au rouge dans un rictus d'effort olympique. Et quand le bout de chair fripée m'attrape le petit doigt avec sa mini main toute moche et la serre, et la serre encore, comme si sa vie en dépendait, je frissonne d'émotion, évidemment. Je suis humaine, je ressens des choses avec l'aide de mon émotion.
Mais je ne réserve pas ma béatitude à la marmaille innocente, il n'y a pas de raison, ça marche avec tout le monde. Toi, là, si tu m'attrapais le petit doigt avec ton immense main comme si ta vie en dépendait, je frissonnerais aussi. Je frissonnerais davantage, touchée plus profondément. Parce que toi, tu sais que tu prends des risques à être vulnérable. T'es pas censé avoir envie qu'on te protège avec tes 30 années derrière toi. (T'es un grand maintenant cqfd)

Et pourtant je respecte ça, l'Enfant, comme quelque chose de quasi sacré. C'est bien la raison pour laquelle il m'est tout bonnement impossible d'être d'accord avec des femelles qui ont décidé depuis leurs 15 ans d'en avoir deux, des enfants sacrés. "Oh ouais, moi je veux un garçon et trois ans après, une fille. Et je les appellerai comme çi et comme ça. Et lui, il fera du tennis. Comme toi, chéri. Et elle, je lui mettrais toutes les robes que j'ai gardées dans le grenier".

Comment des gens en manque de vie, de but, de passion et d'amour peuvent avoir le droit de confondre une vie, un humain en somme - c'est à dire quelqu'un qui peut potentiellement être Desproges ou Hitler - et une poupée. Point d'interrogation. Comment parler de quelque chose qui n'existe pas? Décider de son existence, de sa présence, de ses poumons qui s'ouvrent quand il respire. De quel droit et par quelle vanité? Points d'interrogation puissance mille, tiens.

Ok. Vos griffes n'en finissent plus de sortir et vos crocs veulent du sang. Le mien, j'imagine. Soit.

Alors essayons ça: imaginez une couleur que vous ne connaissez pas.

Si vous voulez, dans ma grande mansuétude, je vous accorde 1 minute pour vous y mettre.

Autant de secondes qui vous prouveront qu'on ne peut pas imaginer quelque chose qu'on ne connait pas. Vous mélangerez certainement un kaki improbable avec un fluo trouvé sur un, et un seul tshirt du fin fond du marché de Camden. N'empêche, ces deux couleurs existent bel et bien et le résultat, votre tête ne sait pas pourtant pas le colorier. Alors, on essaie, en pratique. On crée du palpable.
L'enfant, on le fait. Ca pour le coup, c'est fou, absolument magnifique, on pourrait y penser des heures, des années, l'étonnement ne tarirait pas: notre corps, notre sang et notre rapport sexuel, on fait ça: quelqu'un. Quelqu'un qu'on ne connait pas, qu'on n'a jamais vu. Et puis c'est là, minus, rien, ovni dans le ventre. Il grandit, prend ses aises et bien plus vite qu'il n'y parait, il passera des 3 kilos 5 aux 3 grammes 6. On n'aura pas assemblé nos couleurs improbables dans la tête, non, on aura le résultat sur la table à langer. Et on aimera ce résultat au delà du raisonnable. Quoiqu'il fasse et ça, juste parce qu'il vient de nous.

Non, bien, sur, l'être humain n'est pas narcissique, penses-tu, il a simplement trouvé le moyen d'avoir deux nombrils, de dire "je" pour lui et sa progéniture et de laisser une trace.
Quand je meurs, mon enfant continue de vivre, je laisse une trace, je participe.
Soit.
Alors qu'en vérité, on ne "laisse" pas "une trace ". On "abandonne" "quelqu'un".

Mais quand ma mère mourra (et pour ceux qui m'ont déjà lue, ils savent que c'est impossible mais, mettons avec un peu d'imagination, que ça arrive, même si on sait vous et moi que c'est ridicule comme éventualité), quand ma mère mourra, qu'est ce qu'il restera? Qu'est ce qu'il restera d'elle? Il restera moi. Et "rester" est un terme que je refuse catégoriquement. D'autre part, je ne suis pas une trace. Je ne reste pas, je suis là, point.

"Quand je serai mort, j'aurais laissé quelque chose" est une phrase qui devrait être interdite par la loi parce que c'est méchant, bête, réac, préhistorique, historique et ue ça engage une vie, une vraie vie.
Qu'est ce que c'est que ces conneries nom d'un petit bonhomme?

Sans parler du fait qu'en réalité, combien d'entre nous sont réellement capables de mener à bien cette mission? Bien entendu, en réflechissant comme ça, on ne fait jamais rien. Et, encore une fois, il n'est pas question de "rien" mais de "personne".

Je suis pas énervée, c'est pas ce que vous croyez. Je suis un peu véhémente sur le sujet. J'attends d'être contredite, j'attends ça avec une hâte enfantine. Mais à une condition: que ce ne soit pas par des mots, des paroles en l'air; parce que pour ça, ô grands dieux, que vous êtes nombreux à contrer mes arguments et à crier au scandale!
Je veux être contredite par quelqu'un qui ne me trouve pas scandaleuse quand je dis que je-ne-veux-pas-d'enfants, quelqu'un que ça ne dérangera pas, qui n'a rien à me prouver contrairement aux 3/4 d'entre vous que j'aime comme ma propre descendance mais qui transpire le malaise à défendre aussi violemment une "cause" à laquelle vous ne connaissez, pour l'instant, rien. Rien du tout.

L'horloge biologique qu'on me dit.
"Bio" et "Logique" que je rétorque. Oui et ben figurez vous que ça en a soufflé plus d'un.
Il n'y a plus grand chose de nous qui soit encore un tant soit peu animal. Et le fait de se reproduire ne peut plus être excusé par un pseudo compte à rebours caché dans les ovaires de mesdames.
Biologiquement, logiquement, écologiquement, je ne suis pas de celles dont l'approche de la mort décide de la vie de quelqu'un d'autre.
Je dis ça haut et fort, je me suis déjà fait des ennemis avec cette philosophie, qu'importe, je m'en ferais un tshirt s'il le fallait. Je le porterais, en plus.

Vous êtes là, narquois, me considérant moitié bizarre moitié monstrueuse et vous croyez pouvoir piéger toutes les personnes dans mon genre d'un minable "tu verras, tu auras un enfant et tu admettras que j'avais raison" comme si vous en aviez, vous même, déjà un.
Et c'est là que vous signez votre arrêt de bêtise. Vous ne comprenez rien. Rien à rien.
Si je dis je-ne-veux-pas-d'enfant, je sais à quoi je m'expose. C'est, de nos jours presque aussi choquant que de dire: "je boycotte Nike".
Mais, si un jour Nike ne fait plus fabriquer des simples chaussures qui n'ont même pas le pouvoir de changer la vie par des enfants qui travaillent toute la journée dans de la colle pour être payés une misère, alors, oui, peut-être voudrais-je en porter.

De la même manière, si un jour un homme veut un enfant avec moi parce que c'est moi, et moi aussi parce que c'est lui, et pas pour mes rêves de gosses que je n'ai pas eu le temps de réaliser, et pas parce que je ne sais plus comment m'éloigner de la tristesse, la tristesse fondamentale de la vie, et si, l'homme en face de moi refuse catégoriquement l'idée d'adopter un enfant déjà là et qui crie tellement fort depuis son orphelinat qu'on l'entend d'ici et que personne ne devrait pouvoir dormir, et bien alors... après avoir insulté l'homme de ma vie de tous les noms d'oiseaux... oui, j'accueillerai un égoîste de plus à l'intérieur de mon intérieur et pour couronner le tout, je ferai ça de mon mieux. Et peut être lui achéterais-je des Nike pour ses 10ans.
Il décidera comme un grand.

-maispastrop-

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"C'est un crime majeur que d'engendrer un être, dont on sait qu'il sera malheureux au moins une fois dans sa vie. Le malheur, même s'il ne dure qu'un instant, c'est le malheur tout entier. Engendrer une solitude parce qu'on ne veut plus être seul, c'est criminel.
"
Thomas Berhard