Pommes de terre élevées en fut de chène, mises en friteuse à la propriété de Pompadour.

Cette carte m'ennuie,
avec sa typo sophistiquée, ses majuscules qui n'en finissent plus et ses toutes petites astérisques pour les suppléments foie gras pas petits du tout. Mais, j'ai faim, très faim, alors je m'y colle, je la lis.

Autour de moi, une assemblée sur son 31, on est le 12, ils s'habillent comme ça tous les jours, je suis sûre. Je me demande quels déguisements ils portent pour le réveillon. Je ne les connais pas, c'est la première fois que je les rencontre.
C'était pas prévu, mais tout à l'heure mon téléphone a sonné pendant ma sieste; habituellement, je l'éteins, là, j'ai donc répondu à cette amie -si tant est que je puisse encore la considérer comme telle- qui me proposait d'aller dîner avec des "supers potes" à elles.
Ok, je dis.
Je sors d'une sieste, je vous le rappelle. Pour être plus précise, elle me sort de ma sieste.
J'aurais aussi bien pu dire "vas te faire foutre" mais j'ai dit "ok". Soit.
Elle n'en croit pas ses oreilles, et je réalise alors que cela sous-entend que j'ai dû bien souvent repousser ses invitations, et que j'avais surement une bonne raison de le faire. Du coup, le doute s'empare de moi. Il s'empare de tout mon moi, tout partout mais elle me parle encore, émoustillée par ma docilité, enthousiaste en diable à l'idée de la "super soirée "qu'on va passer. Elle me dit où, quand et qui. Ce que je m'empresse de ne pas enregistrer définitivement pour ne pas changer d'avis en cours de déroute.

Le restaurant est loin, pas que de moi, loin de tout; il est triste à mourir sous ses airs de modernité; morbide avec sa clientèle m'as tu vu. Je respire un grand coup sur la dernière bouffée de cigarette et me lance dans l'arène.
Bonjour, bonsoir, je te présente trucmuche, voilà machine, elle fait ceci, assieds toi là.
Je vais pour me servir un verre du rouge qui trône déjà sur leur table mais on m'en empêche, d'abord, on ôte mon manteau, ensuite on m'installe, après quoi on me sert, et enfin, on m'émaille diamant dans tous les sens. J'ai un peu de mal à leur rendre leurs sourires parfaits, du coup, je ne me force pas et m'empare de la carte, à la place.
Les noms des plats sont à rallonge. On nous sert tout un charabia de ceci émincé à cela accompagné d'une mousse de truc relevé de sauce de bidule le tout sur un lit de charlatan, aussi j'opte pour le bon vieux steak tartare, m'inquiétant tout de même de la qualité des frites qui lui tiendront compagnie. Je les réclame dorées, et "cuites pour de vrai", ce qui me vaut quelques regards réprobateurs mais je ne suis pas à ça près, et après tout, ce ne sont pas eux que je vais manger ni eux qui mangeront mes frites donc chacun sa merde.
Oui parce que, bien souvent, les fameuses frites arrivent dorées, ça oui, mais en les croquant, force est de constater que ce ne sont que de vulgaires purées pannées d'huile. Or, que je sache, il n'y pas écrit, là, marron sur beige "purée pannée de friture d'huile d'olive première pression", bien que, s'ils osaient le faire, ils remporteraient, à n'en pas douter, un franc succès. Il y' a écrit "frites" et c'est tout ce que je demande. Ca et qu'on me resserve un verre. Sans Email Diamant s'il vous plaît. Bon, tant pis, j'accepte le verre tout de même.

Heurk.

Etrange cette sensation de nausée, parallèle à celle de faim orgiaque.
S'entendront-elles? je me demande.


"Oui donc, s'il vous plaît, quitte à ce que ça prenne 5 minutes de plus, faites les cuire pour de vrai ou donnez moi une purée maison." Les regards passent de réprobateurs à inquisiteurs. Mes yeux disent "l'inquisition, je l'emmerde".
Ce diner va être formidable.

Jean-Charles, Maxime et Louis n'ont pas beaucoup de conversation, c'est le moins qu'on puisse dire; à les écouter, j'ai l'impression de consulter le dictionnaires des idées reçues et les archives de méteo france. Je soupire, je crois.
"Jean-Charles, Maxime et Louis", ça aurait pu me mettre un paquet de puces à toutes les oreilles tout de même! Que nenni.
Je suis sympa, je ne donne pas dans le délit de sale prénom, je suis ouverte, j'aime tout le monde et je vais passer une soirée de merde.

Il n'y a déjà plus de vin. (Je bois vite quand je m'ennuie) (Quand je ne m'ennuie pas aussi).
"Il n'y a déjà plus de vin?!" dis je, avec un étonnement surjoué.
Maxime, ou Jean Charles ou l'autre, j'en sais rien, s'empresse de commander une nouvelle bouteille et des coupes de champagne aussi, tant qu'à faire. C'est peut-être soir de fête, qui sait.
Ils parlent, enfin, on dirait que c'est ça qu'ils font, leurs bouches émettent des sons, leurs têtes opinent, leurs sourcils se froncent et je surveille mon portable pour trouver une issue de secours. J'ai envoyé "aide moi ou j'ouvre le gaz je suis à tel restaurant à tel endroit ne pose pas de questions débarque en trombe dis que ma mère est malade ou je ne sais quoi". J'ai ensuite envoyé un second message qui expliquait que c'était pas la peine de prendre l'expression "en trombe" au pied de la lettre, qu'il fallait considérer que je devais, au préalable de la dite trombe, m'envoyer un tartare.

Ils parlent et tout à coup Jean Maxime de Louis-Charles juge le moment opportun pour me complimenter sur ma tenue. "Tu plaisantes?" je rétorque, tout en me disant que plaisanter ne doit pas être sa qualité première.
"Tu plaisantes? j'ai mis le premier truc qui me tombait sous la main, et c'est pas une façon de parler genre: tout ce qui me tombe sous la main c'est toujours une petite robe Chanel et des escarpins Louboutin, non, j'ai mis ce qui me tombait sous la main, c'est à dire ce que j'avais enlevé à la hâte en revenant du boulot pour faire une sieste -maudite sieste- et dont je ne me suis pas préoccupée de savoir si ça plairait à des jeunes hommes à particules dans votre genre".
Il dit rien, mais il respire encore. C'est déjà ça.
Un peu honteuse, je rajoute "Tu as une particule non?"
Embourbée, je rajoute:" J'espère!"
Ah voilà qu'il revit, et quand il va pour me dire de quel baron il descend, les plats arrivent, ce qui m'évite de lui préciser que baron ou marquise, si on descend de quelque chose c'est seulement du singe.

Les plats dont les noms sont extrêmement longs à lire sont souvent incroyablement rapides à s'enfiler. Aussi lorgnent-ils sur leurs 175 grammes de grande cuisine d'on oeil qui les trahit.
Moi, ravie de mes 450 grammes de sang, je goute une frite. Avec les mains.
Le serveur attend mon verdict comme si j'avais commandé un Romanée Conti 1986.
"Parfait" que je dis.
Un sourire, qu'il me fait.

Pendant que je worcestire, que je câpre, que je ketchupe mon boeuf cru, ils attrapent leurs mets, gramme par gramme et tentent de lancer un sujet de conversation. Mon portable ne se manifeste toujours pas, au fait.
Sarkozy, la droite, la gauche, la droite c'est mieux, mais bon la gauche c'est pas mal parfois, la société de consommation, bush, johnny halliday (oui oui), carla bruni, le vin, être sérieux, c'est fini les conneries, c'est ce dont ils discutent. Enfin, disons qu'ils récitent, les uns après les autres, ce qu'ils ont entendu sortir de la bouche de papa, ou de Jean Pierre Pernaut (peut-être est ce la même personne) pas de celle de maman en tout cas parce que c'est ma main qui mange les frites bien cuites que je mettrais à couper pour gager que maman ne s'exprime sur pas grand chose d'autre que... heu...rien. Tout ça en lorgnant sur ma personne qui, je vous le dis tout net, ne moufte pas.
Trop occupée à savourer mon tartare -fameux d'ailleurs- et à le savourer vite.

Mon amie, face à moi, sent bien que je ne passe pas la meilleure super soirée de ma super vie avec ses supers copains, et ses tentatives de m'intégrer dans la conversation par des stratagèmes diplomatiques à la noix n'y changeront rien.

Les plats sont terminés, le vin aussi, c'est le moment, j'imagine, d'entamer le Moet et de trinquer à quelque chose dont je ne soupçonne très certainement pas l'existence, le cac 40, peut-être, que sais-je.

Quand je vais pour tendre ma coupe vers la leur, une main s'en empare brutalement. Une main que mes yeux inspectent, jusqu'au bras, à l'épaule et au reste, histoire de voir à quel insolent elles appartiennent, et qui découvrent mon ami sauveur, mon héros, que dis-je, ma péninsule: la coupe levée, le sourire pas parfait mais étincelant de malice.
Cet ami qui clame "Chérie, prends ton manteau, je te demande en mariage et tu acceptes".

C'est drôle, je ressens encore le chemin que mes lèvres ont parcouru pour dessiner le sourire que cette situation m'a procurée; un sourire rassuré et excité, un sourire reconnaissant et provocateur. Un sourire bipolaire disons.
J'ai attrapé la coupe de Jeancharleslouismaximedebonobo, l'ai faite sonner contre celle de mon complice et d'une traite on a bu ça comme un vulgaire shot de vodka. Bon, c'est moins facile de boire d'un coup d'un seul un alcool à bulles, ça nous a injecté les yeux de sang et de larmes mais on a mis ça sur le compte de l'émotion, et émotifs, on a salué l'assemblée bouché bée yeux hagards. Bref, une assemblée pas à son avantage.

Je ne les connaissais pas, c'était la première fois que je les rencontrais.
La dernière assurément.
J'ai remercié mon bras dessus d'un clin d'oeil encore ému et on est allés se ressembler à dire du mal des gens différents dans un bar qui n'avait pas de cartes, ni de suppléments, mais pas mal de variétés de shots sans bulles.

-maispastrop-

Inconnu, un connu.

Il y'a des gens qu'on aime tout de suite.
Quelque chose dans l'air qui nous rapproche immanquablement et les gestes qui nous parlent, se parlent entre eux; ensuite tout s'enchaîne comme sur les tapis d'une usine bien huilée, et ça fonctionne. Les boulons font leur boulot, les vis et les chenilles s'emboîtent, et je donne dans le champ lexical du bricolage aussi. Je pourrais même dire que le niveau annonce que c'est ok, il est satisfait, tout va bien au niveau du niveau de la mer. Sauf Venise mais ça...

Il y'a ceux qu'on aime pas, assez vite aussi et de manière relativement définitive. Ca passe pas, c'est comme ça, notre peau refuse la leur, c'est animal, épidermique et c'est point barre surtout.

Et il y a des gens qu'on aime plus tard, qu'on n'a pas remarqués au premier abord parce que le premier abord n'a pas réellement eu lieu, qu'on n'a pas les mêmes abords, ni les mêmes bords, ni rien d'évident en commun. Des gens qui ne se sont pas imposés et sur lesquels on tombe, presque au détour d'une rue qu'on prenait par lassitude du quotidien. Et à ce détour, on contourne autre chose à leur rencontre. On détourne peut-être l'habitude de s'acoquiner avec nos semblables par exemple; mais on ne sait pas trop encore.

C'est flou. Brouillon. Brumeux.

On va, à la manière des animaux, se renifler, tenter une approche tout en faisant comprendre qu'on n'est pas du genre docile. On préfère rester sur nos gardes face à cet énergumène. C'est un étranger après tout, n'est-il donc pas "étrange"? On se méfie, tout y allant, mais à reculons.
Et, parfois, l'étrange nous saisit.
Tous les endroits bizarres dans lui, ça comble quelque chose en nous.
Ca ne veut pas dire qu'on se laisse apprivoiser, bien au contraire, à mesure qu'on réalise sa différence, notre méfiance grandit; mais, proportionnellement, notre curiosité aussi. Et cette curiosité se mue en intérêt.
Et cet intérêt alors?
Cet intérêt nous lie.
Nos semblables nous confortent dans ce que nous sommes et nous réconfortent quand nous l'oublions, les étranges différents nous titillent vers ce que, de nous même, nous n'avons pas encore pris la peine d'explorer.
Explorer, c'est bon pour les aventuriers, et l'aventure, j'en suis. Mille fois. J'ai toujours aimé l'idée de découvrir, de, peut-être aller vers quelque chose dont je ne connais ni le nom ni la valeur mais que d'aucuns nommeraient "aboutissement", quel qu'il soit.

Et il fait un peu plus beau alors, sur une autre planête peut-être, mais il fait un peu plus beau quand même. Quelque part. Grâce à ça.


S'il y avait un livre qui expliquait "pourquoi on aime qui et comment", je m'empresserais de ne surtout pas le lire. Ce charme, indéfinissable, qui opère, je ne veux pas en connaître la formule parce que je veux encore- et peut-être toujours- être surprise.

Tiens, t'es pas mon genre, mais je passerais bien ma vie avec toi.

Et, qu'est ce qu'est, mon genre? Je ne veux pas le savoir.
Et qu'est ce qu'est ma vie? Non plus, merci.
Et qui es-tu, toi? Et toi-même?

-maispastrop-

Pour Invalides changez à Opéra, et restez-y.

Aujourd'hui, je sais pas ce qui m'a pris, j'ai été fascinée par le siège du métro tout à coup.
Comme le wagon était désert, j'ai pu observer. J'aime bien faire ça, observer. Je n'avais jamais remarqué la courbe dessinée pour -j'imagine-adopter l'envie d'un déformé par du, de, des, par la vie. Le fauteuil, en soi, la courbe en tout cas, l'ergonomie de cette courbe est émouvante au plus haut point. Une cambrure qu'on réserverait à la mère de nos enfants, ou celle à qui on voudrait en faire, en gros. Là, tout à coup, le siège m'est apparu éminemment sensuel ce qui était plutôt bizarre comme sensation à Marcadet Poissonniers sur les coups de 20h.
Quelqu'un a réfléchi à ça, la manière dont mon dos aimerait se caler après 10 heures de dur labeur. Et il est payé pour.
Peut-être est-ce quelqu'un qui a travaillé dix heures aussi, dans un bureau, avec des gens auxquels ils sourit et avec qui il s'entend, par la force des choses et du temps, peut-être est-ce cette personne qui a décidé de la forme toute séduisante des fauteuils de cette ligne de métro.

Je suis persuadée d'une chose: celui qui a dessiné le fauteuil ne doit pas s'entendre des masses avec celui qui a décidé de l'imprimé et de la matière de ces fauteuils. Si c'est la même personne, j'entends. Si jamais il y en avait un responsable de l'imprimé et un autre responsable de la matière, ils doivent pas aller boire des coups avec celui responsable de la forme. Mais eux deux, ils vont très certainement faire la fermeture des bars ensemble; c'est d'ailleurs là bas qu'ils doivent décider de ce sur quoi, nous, pauvres mortels, allons poser nos fonds de culotte. Si tant est qu'il nous en reste. Des fonds de culotte. Et peut-être même qu'eux aussi s'asseyent sur leurs croisillons criards en faux velours pour se rendre à la prochaine réunion décidant de la tonalité de voix de la dame qui annonce les prochaines stations; une première fois comme si elle nous interrogeait, une seconde et dernière fois comme si, tout réflexion faite, elle nous sommait de descendre. Peut-être même qu'elle nous interpelle. Et qu'elle va pas tarder à nous engueuler. Nan mais sans rire, on dirait ma prof de seconde qui fait l'appel et devant un silence d'église réitère sa question alors qu'il n'y a rien à répondre sinon ma tête endormie. Parfois, quand la fille des enceintes du métro prononce ma station avec une intonation en point d'interrogation, j'ai comme le réflexe de lever la main en criant "présente" pour pas qu'on me fourgue des heures de colle.

Si tout ça:
la forme du fauteuil, ses imprimés, sa matière et l'inflexion de madame "Barbès Rochechouart?"- "Barbès Rochechouart!" sont le fruit d'un seul et même cerveau, je serai gré à quiconque qui le sait de ne pas me le dire. J'ai déjà connaissance de beaucoup trop de choses affligeantes comme ça.

-maispastrop-

Rendez vous page 209

Je prête des livres, parfois.
J'aime qu'ils correspondent un tant soit peu au lecteur alors je ne prends pas tellement de risques et je prête, avec enthousiasme, mais rarement.
J'ai prêté un livre dernièrement, c'était chouette, c'est une expérience que je conseille vivement.

Au fond, je ne prête certainement que les livres qui me ressemblent aux gens qui me parlent pour qu'on s'aime d'une autre manière, qu'on se retrouve à travers quelqu'un qu'on ne connaît pas, nous deux. Il y aura toujours ça entre nous, le livre qu'on aura lu, au travers duquel on se sera aimé.
C'est ce qu'il y a de formidable avec l'idée de prêter un livre.

Oui, je fais écouter des musiques, et en fait, j'emporte souvent des camarades à une exposition, et en plus je bavarde pas mal sur ce qu'il m'arrive de vivre.
Mais quand je prête un livre... je ne sais pas. J'ai possédé la chose, elle m'a accompagnée dans des transports en commun, dans des nuits en solo, au fond d'un sac, sur la table de chevet; il y a des pages que j'ai cornées, d'autres sur lesquelles, peut-être, j'ai pleuré (mais c'est pas sûr parce que je suis pas une mauviette), des phrases soulignées aussi; j'ai développé un attachement à l'objet parce qu'il s'est posé sur mon torse et qu'il a tout suivi de ces derniers mois, il était là, mes derniers Moi. Il avait sa place dans la bibliothèque et peut-être même que j'y jetais un coup d'oeil avant de m'endormir. Et ça, même si ça faisait 2 ans que je ne l'avais pas touché.

Alors, quand je le prête...
Y'a un peu de moi qui part, dans le sac de quelqu'un d'autre. Ses trajets en métro, ses tables de chevet, ses pauses déjeuners, son torse, l'intérieur de sa tête surtout, le dedans de celui qui lit; tout ça, ses moments à cette personne alors que je ne suis pas là mais un peu quand même.
Parce que je me prends à deviner à quel endroit il en est et ce que ça peut lui faire comme frissons. Parce qu'aussi, ils me disent que ça leur fait des frissons sans imaginer ceux qu'ils me procurent en me le disant.

C'est assez intime pour moi de prêter un livre.
C'est plutôt important. J'ai pas envie de me tromper, d'ailleurs je n'ai jamais vraiment pris le risque, je me lance quand je sais que l'essentiel de ce que j'ai aimé dans ces pages et qui me ressemblent sera apprécié en face.

Un jour, y'a quelqu'un qui m'a dit, en m'offrant un livre dans un paquet cadeau et tout, que le dit livre "était pour moi". Ce qui, je ne le cacherais pas davantage m'a un tant soit peu effrayée sur le coup. Ce quelqu'un était important, je l'aimais, c'était une fille avec de l'humour et des traits de visage des années 60, c'est pour dire... Et puis, je n'avais jamais moi-même offert un livre à quelqu'un pour qui j'aurais jugé qu'il était fait pour, et l'envie ne m'avait cependant pas manquée, mais, ça n'était jamais arrivé. Je n'avais encore jamais vécu ça, c'était pour moi un genre d'instant magique réservé aux films.
Aussi, quand j'ai attrapé le cadeau, j'ai senti mes jambes trembler. Et mon coeur avec. (ils font toujours tout de pair ces 3 là).

J'ai eu peur. Peur que non, ça ne soit pas "pour moi". Et j'ai été excitée, comme une adolescente, à l'idée que, oui, peut-être, c'était pour moi. J'ai regardé la personne qui me l'offrait et puis voilà, ça arrive ce genre d'illuminations, après avoir feuilleté les trois premières phrases, j'ai arrêté de faire trembler mes jambes avec ma peur parce que je n'avais plus peur et que je n'avais plus de jambes non plus.

Je l'ai lu en moins de temps qu'il ne faut pour le dire et j'aurais pourtant aimé que ça dure toujours; parce que ce livre était mon ami, mon cher et tendre et qu'il fallait que ça ne s'arrête jamais. Il était en effet fait pour moi. J'ai écrit à l'auteur, d'ailleurs, en lui demandant, s'il vous plaît, de sortir de ma tête parce que ça devenait gênant. Il était fait pour moi au point qu'il ressemblait à celui que j'avais écrit. C'était peut-être égotiste comme fascination, mais c'était fascinant. Aux 3/4, je surveillais, inquiète: je ne voulais pas avancer trop vite, je savais que quand ce serait fini, ce serait fini. Et quand il n'y a plus eu que 5 pages, je me suis tout à coup trouvé un paquet d'occupations m'éloignant de la dernière de couverture. Je voulais pas que ça s'arrête. Je voulais pas qu'on se quitte alors qu'on s'aimait plus que jamais, mieux que personne, je voulais pas en voir la fin.

Et puis.

C'était pas un dimanche, non. C'était un vendredi, en plus.
A cette heure là, mon corps était habitué à encaisser un grand nombre de décibels, un nombre non moins conséquent d'alcool, et un nombre voisin de conversations qu'on n'entend qu'à moitié à cause des décibels et dont on se moque à cause de l'alcool.
Mais ce vendredi là, j'avais rendez-vous. Je savais qu'il fallait que ça arrive alors j'ai choisi un jour où mes amis, mes camarades, mes faux amis et mes rien à foutre s'encanaillaient. Je voulais qu'il se passe quelque chose de festif pour notre séparation, quelque part.
J'ai mis du temps, un temps fou, inimaginable, à tourner la dernière page.
J'avais, au préalable aperçu l'imprimé. Alors je savais qu'il me restait quelque chose comme 15, 16, 17 lignes tout au plus avant que ce soit fini. Avant d'être plus vieille.
Plus remplie, plus touchée, plus dure.

J'aime pas les adieux. Voilà c'est dit. Les trucs qui se terminent, ça me mine.
Lui, il s'en fout, il a écrit son livre, il l'a terminé, il a rompu, divorcé... il fait peut-être du yoyo à l'heure qu'il est. Quand je peine à tourner la page, si ça se trouve, il en entame une autre, le traître.
Alors d'accord, je passe aux derniers mots, l'oeil fébrile, et je ne peux pas, JE NE PEUX PAS, m'empêcher de lire la toute fin. Les mots sur lesquels l'auteur a peut-être passé un mois, et sur lesquels mon Moi trépasse, encore une fois.

Bon, l'oeil fébrile pleure, la belle affaire.

Les plus belles choses, on les voit toujours floues, à cause du liquide lacrymal.
Les dernières lignes, elles étaient floues, belles, lacrymales.

Jamais je ne finirai un livre dans un endroit public.
Est ce qu'on divorce dans le métro?

Un peu de pudeur, merde.




J'ai prêté un roman et c'était chouette; ça m'a donné envie de le relire. Je n'y avais jamais pensé, à ça, le relire. Je croyais que quand c'était fini, bah, c'était la fin.
Je le relis, je le redécouvre. Je n'ai plus peur. Il s'est passé un truc, un machin qui ne porte pas vraiment de nom. Je l'ai prêté à quelqu'un et il me revient comme enorgueilli, à moi, comme vierge.

Si c'est pas formidable.

Tout peut recommencer. Et commencer.

-maispastrop-

Demain, je continue

Ils arrêtent.
Beaucoup d'entre eux, d'entre nous, des miens. Ils arrêtent et comptent les jours passés sans, cochent parfois les jours sur les calendriers, même.
Je croyais qu'on comptait les jours qu'il nous restait à vivre tandis qu'eux, d'une certaine façon, comptabilisent ceux qu'ils gagnent peut-être.

Le petit fil peine parfois à se séparer de l'emballage, mais quand on s'y prend bien, c'est un de ces gestes gratifiants que j'affectionne tant il est limpide et constructif. En effet, une fois le plastique mis à part, on arrive au vif du sujet, au centre de l'attention, l'objet du désir. On n'a pas fait tout ça pour rien.

Quand je la sors du paquet, le bruit est soyeux. Comme de la soie, oui. De la soie qui se frotterait à une autre soie, mais dans le bon sens du terme, le bon sens du poil, pas celui qui fait grincer des dents. Deux bouts de soie dans la même direction, un accord de mélodie tout à fait pop et élégant.
Quand je l'attrape entre mon index et mon doigt d'honneur, entre ce que je pointe et ce que j'emmerde, elle trouve sa place, elle est comme à la maison. Fais comme chez moi, je lui dis.
D'ailleurs ma maison sent un peu comme elle en fin de semaine, je sais c'est mal, mais il se trouve que c'est comme ça, elle prend son odeur. Un amoureux dort deux nuits de suite sur un de vos oreillers et le tissu de la taie adopte l'odeur de sa nuque. Je passe mon dimanche au lit avec elle, et c'est itou, c'est comme ça, disais-je. Pas autrement. Et quand on dit "c'est comme ça", c'est une manière à peine déguisée de faire comprendre que vos critiques n'y changeront rien et qu'on s'en fout comme de l'an 40, ma gauloise blonde bleue et moi.

Quand je l'amène à ma bouche, mes lèvres se tendent vers elle avec une habitude lassive, comme vers un amant trop connu et dont on ne peut pourtant pas se passer, qui fait toujours, encore, battre le coeur après tant d'années de vie commune.
Déjà, mon sang s'agite, mon coeur l'accompagne, mon organe vital est bien obligé de suivre ma circulation vous me direz. Ou peut-être est-ce l'inverse. Tous les deux sont pourtant d'accord sur un point: c'est pas une bonne fréquentation, cette blonde aux yeux bleus, on court à notre perte, faut arrêter, faut plus la voir, lui refuser l'entrée, quelque chose, mais ne plus l'accueillir et la faire circuler dans les poumons, la gorge, sur la langue, entre les dents, sur le bouts des doigts, ça suffit, merde.
Ca suffit.

Et pourtant.
Regardez comme ça change son fusil d'épaule, tout cet attirail de revendication, dès qu'une carotte rouge clignote sur un trottoir parisien.


J'aime arriver chez mon buraliste et ne pas avoir à prononcer un seul mot; je pourrais même, si je le voulais, garder la musique dans mes oreilles et me contenter de le contenter d'un simple sourire, mais, j'ôte toujours -par politesse- un écouteur et lui souris pendant qu'il attrape déjà mon paquet alors que j'ai à peine fini de dire "bonjour".

Un par jour. Un paquet. Un homme, un film, un verre de vodka, un livre, un rêve, un texte, un plat. Et toutes ces cigarettes de ce seul paquet qui accompagnent l'homme, le film, la vodka, le livre, le texte, le rêve, le plat.
Parfois deux.
Les grands soirs. Deux paquets et généralement une moitié d'homme, je me sens comme la cinémathèque après 9 verres de vodka, où est mon livre, je rêve pas je ronfle, et j'ai rien à écrire d'façon, ou trop de choses; j'ai pas faim mais je mangerais bien 4 bavettes à l'échalotte. Ou toi.
Et toujours ces cigarettes pour témoigner de tout"ça".

Si un jour on me juge extraordinaire au point de mériter une biographie, je voudrais que ce soit mes tiges qui s'en chargent parce qu'elles savent tout de ce que les journalistes et les paparazzis n'auront pas pu attraper, dans la salle de bain le matin ou tard, très-trop tard, presque tôt, au lit. Elles savent tout.
Et elles se gêneront pas pour balancer, elles n'ont pas de scrupule. Elles sont pas là pour ça.

Ils arrêtent tous parce que le temps passe, -oui il fait ça souvent le temps- et que la nicotine commence à essouffler peut-être, à griser le teint ou je ne sais quoi. Quand est ce qu'ils prennent cette bizarre décision, je me demande. Quand ils peinent à monter 6 étages d'un seul souffle? Ou parce qu'il est écrit qu'il faut devenir sérieux, à un moment donné, et faire des enfants par exemple pour fêter ça. Ce qui est, nous sommes d'accord, la pire preuve de sérieux qui existe. Ils arrêtent donc parce qu'ils veulent s'occuper d'eux, non? J'entends par là, prendre soin de leur corps, espérer qu'ils passeront entre les mailles des milliards de filets des millions de cancers, manger bio peut-être, faire du sport, se coucher tôt, tiens, tant qu'on y est, et ne pas mettre les coudes sur la table. Vivre plus longtemps.
Plus longtemps que quoi? Que qui?

Ma Cigarette, je vous le dis tout net, elle a une espérance de vie qui dépasse rarement les 5 minutes et c'est très bien comme ça (bis)(ter). Mais, comme je suis toute à elle et elle, ô combien toute à moi, ce sont les 5 minutes les meilleures de sa vie.
Ca tombe bien, elle n'en n'aura pas d'autres.

Quand j'approche le briquet, elle frétille comme une pimbêche au bal de promo et le bic -noir de préférence- se la joue sobre, une petite flamme et pis, c'est marre, il s'en retourne dans sa poche chérie; C'est pas un mec facile, ce briquet.
Ca crépite, ca "frchit" dans l'univers, ma gauloise blonde bleue se souvient de toutes les fois où je me suis jetée sur elle, frénétique, en sortant d'une séance de cinéma où De Niro fumait de manière obsènement communicative. Quand De Niro fume, l'ingé son devient un génie du détail, un r.p. marlboro, il communique les moindres frétillements du papier, l'ardeur avec laquelle la nicotine râpe la gorge déjà empêtrée de la star d'Hollywood, et la moiteur du filtre qui se décolle de la bouche. Sans parler du moment où la chose est écrabouillée dans un cendrier déjà rempli. Ce son là qui me donne envie de partir de la salle en courant pour absolument mettre ma blonde aux yeux bleux dans mon sang rouge. Il faudrait faire une bande originale des moments de cigarette au cinéma.

Quand j'en suis à la moitié, parfois, je me lasse. Si par malheur, je l'installe dans son panier de cendrier parce que je dois faire quelque chose avec deux mains, quand je reviens vers elle, cette fumée grisâtre m'ennuie, alors, dans un réflexe tout à fait pavlovien, je la fume encore la coquine, mais avec une hâte réservée normalement aux connasses qui s'avèrent décevantes une fois qu'on les a déshabillées. On n'en voulait plus, bon, c'est juste là, alors d'accord, on en veut encore, c'est sous le coude, donc pourquoi pas, mais sans enthousiasme, ne vous emballez pas non plus, on va faire ça rapide, l'air de rien et vite passer à autre chose.

Pourtant, je vous le donne en mille, en deux mille, en... en combien vous voudrez, en chameaux si ça vous arrange, au moment où ma main va pour s'en séparer, quand le cendrier croit voir arriver son quatre heures, non, ma tête en veut encore. Ma tête dit à ma main qu'elle ne veut pas que ça s'arrête comme ça, qu'elle aime encore cette blonde aux yeux bleux, que, non, elle ne veut pas la quitter. C'est pas de cette façon qu'on traite une vieille amie, un peu de respect bon sang. Bon sang nicotiné qui manque d'oxygène.

J'ai pas envie de me préserver. J'imagine que je n'accorde pas beaucoup d'importance aux années. Et pourtant, je les aime toutes, une par une, sur le coup, d'une force herculéenne. Parfois même je les considère au point de les disséquer en mois, pourquoi pas en semaine, et chaque jour est un jour, un vrai jour, le seul.

Arrêter de fumer. J'aurais trop peur de devoir me prendre en main, main à qui ça allait si bien de fumer. Arrêter tout, et peut-être que respirer aussi c'est dangereux. D'ailleurs, dites donc, vivre ça ferait pas mourir par hasard?

Et peut-être que c'est pas grave surtout. Qu'est ce qu'on est, nous, petites crottes, pour vouloir vivre absolument jusqu'à la fin des temps?
La fin des temps, même des miens, je meurs pas d'envie de les vivre.
Vous me raconterez.

-maispastrop-

ground me to major mummy

Elle ressemble à rien.

C'est pas une façon de parler.

Elle n'est personne. Il n'y a rien dans mes rétines quand je la vois. Je pourrais la dessiner les yeux fermés et pourtant, il suffit que je les ouvre pour que tout s'évapore; elle n'a plus de contours, de silhouette, le crayon et la feuille se volatilisent avec mon aveuglement. Elle est une valise de souvenirs, elle est des images, des odeurs. Elle est des relents de sentiments et de griefs. Elle est la plus proche et une inconnue.
Elle est un foulard que j'emportais pour ne pas me sentir seule. Et la femme que j'admirais pendant qu'elle allongeait ses cils. Plus que tout, j'aimais les retours de colonies où elle venait me chercher avec la tenue que j'avais plus qu'à la bonne, je lui disais "tu veux pas mettre cette robe?", elle répondait "ah bon? celle-là?", et elle mettait celle là, et c'était comme un rendez vous amoureux. Mon coeur tambourinait à sa recherche, et s'emballait davantage encore quand elle apparaissait au détour de la porte b de l'aéroport. Plus rien n'existait. Ni l'aéroport, ni ma colonie, ni l'amoureux de ma colonie.
Il arrivait même que je lui demande d'imiter Marilyn, la démarche de Marilyn, ce chaloupé typique, cette croupe qui tangue associé à ce regard lointain mais chaleureux; et, alors qu'elle, elle aimait Ava Gardner, elle avait appris le déhanché Monroesque, et pas qu'un peu. Il arrivait même que je ne lui demande pas et qu'elle le fasse. Elle mimait à merveille la starlette qui rebondit sur ses jambes et marche sur une surface qu'on ne peut pas, nous, pauvres mortels, atteindre. Avec cette dégaine, elle arrivait jusqu'à moi et ce que je préférais, c'était que ça l'émerveille, elle. Et qu'elle s'amuse de ça, aussi, pas seulement pour moi, qu'elle s'amuse, elle. C'est comme ça qu'elle était belle, quand elle s'amusait pour elle.
C'est pas que c'était la plus belle, c'était peut-être pas la plus belle, mais c'était la seule.

Elle m'a mise au monde. Finalement, je n'y ai pas souvent pensé, à ça: je suis sortie d'elle.
Non mais quand même.
Non mais merde.
Je suis sortie d'elle. Je viens de son corps, elle m'a fabriquée, crée, donné forme.
Franchement, y' a de quoi trouver pas mal de choses étranges.
C'est de là que je viens, voilà, de l'intérieur de cette femme dont je ne saurai jamais tout. Cette femme qui a eu une vie, qui était une personne avant d'être une mère.
Je suis sortie d'elle. Alors, je lui dois tout et elle aussi et on ne se doit rien et c'est la vie.

Je la regarde, elle est là, vivante, elle respire aussi quand je ne suis pas à ses côtés, elle a ses problèmes, ses bonheurs; elle m'aime. Elle m'aime tout le temps. Elle m'aime d'une manière qui est presque obscène. Personne ne m'aimera jamais comme ça, jamais autant, jamais d'une manière aussi résignée, définitive, confiante, dramatique. Parce qu'elle, elle le sait, quoique je fasse, elle m'aimera. Et moi, je m'en doute.

Il y' a des photos que j'ai trouvées: elle a mon âge sur ces photos et c'est comme irréel, j'ai du mal à croire qu'elle ait pu se faire des brushings pour allez danser le twist ou avoir un gros ventre parce qu'elle était enceinte, être amoureuse, faire l'amour, pleurer et donner quand même des conseils à ce qui était sorti de son ventre. Moi.
Elle était quelqu'un, qui aurait pu être mon amie, faire la bringue avec moi, m'attraper la main sous la table quand personne sauf elle n'a compris que ça allait pas fort, m'engueuler pour que je me resaississe. C'est ce qu'elle est. Elle aurait pu être ma meilleure amie, elle est ma mère et jamais je ne voudrais qu'elle soit ma meilleure amie; les meilleures amies n'existent pas.

Elle sait tout de moi. Elle m'a vue rose avec la couche et beuglante pour avoir mon lait. Elle m'a consolée quand je perdais mes dents, elle m'a laissé croire qu'une connasse de souris allait venir la chercher sous l'oreiller. Ma dent. Elle a joué le jeu de la souris, de l'oreiller, de la connasse. Elle a fait comme toutes les mamans alors qu'elle était une femme. Elle m'a vue rentrer en primaire, excitée. Au collège, anxieuse. Au lycée, rebelle.
Je vois ma vie à travers elle, mais elle? Sa vie? La femme qu'elle est, qu'est ce qu'elle vivait? Est ce qu'elle repensait à sa propre enfance? A sa mère? J'ai toujours vécu avec elle, comment vivait-elle sans moi?

C'est surement pour ça que j'aimais la voir arriver parée à l'aéroport. J'aimais qu'elle soit Elle, et que quand bien même elle s'occupe de moi.

Il y a quelque chose d'assez pratique -vu que j'ai beaucoup de questions à lui poser, quelques réponses aussi- il y cette chose super c'est qu'elle ne mourra jamais. Ca fait qu'on a tout notre temps. Elle ne peut pas mourir, elle est, je veux dire, c'est même pas un super héros, c'est la vie, cette fille; si elle meurt, qu'est ce qu'il resterait? C'est tout bonnement impossible. Sinon, qui m'aimerait vraiment?
Je sais qu'elle partira jamais, essayez pas de me faire croire le contraire parce qu'alors j'essaierai de vous faire manger vos gencives. Il y'a encore trop de choses qu'il faut que je sache, sur elle, sur ce mystère, et il faut aussi qu'elle en apprenne sur moi.
Quelque fois, je me réveille et alors que j'ai même pas bu mon café, j'ai envie de l'appeler, de lui dire que je lui cache beaucoup de choses et que tout ce que je lui cache sont autant d'abcès qui nous éloignent, que, j'ai vraiment pas envie de faire semblant devant elle comme devant un vulgaire employeur. Je ne veux pas tout lui dire, mais je ne veux pas lui faire croire que tout va bien. Tout ne va pas bien madame ma génitrice.
Rien ne va jamais bien et de toute façon tu le sais, alors pourquoi, pourquoi diable espères-tu que ce sera le cas pour moi?
C'est pas moi que j'aime en elle, c'est justement tout ce que je sais et ce que j'imagine de la femme d'avant; celle qui sait que ça ne va jamais absolument bien pour personne et qui arrêtera ce grand cinéma de la maman.
"Maman", je ne fais pas toutes les choses que tu voudrais que je fasse parce que tu penses que ça me sauvera-tu ne les as pas faites non plus-parce que je suis humaine, hey, la preuve, je suis sortie de ta zézétte, maman, tout comme tu es sortie de la chatte de quelqu'un et tu n'étais pas non plus parfaite. Et celle dont tu es sortie non plus. Et personne.
Aussi, je suis faite d'imperfections. Je dors trop, je suis flemmarde, j'aime tout le monde un jour, et puis plus personne le lendemain, je fume trop, je bois plus que de raison, je n'ai pas assez de raison, et je t'aime.

J'ai pas envie d'avoir d'enfants aussi.
Et, en plus, je crois que je suis pointée du doigt par plein d'autres gens pas parfaits sortis de plein d'autres chattes de femmes pas parfaites non plus.

J'aimerais bien lire une lettre que tu aurais écrite à ta mère.
Mais dans une autre vie.

-maispastrop-

supertoparchisympamarché

Je fais des erreurs, tout le temps.
Je suis... Il m'arrive d'être absolument nulle, zéro, ratée.

Elle se dit ça, c'est ça qu'elle se dit en cherchant ses clés, encombrée avec ses sacs de courses de jeune fille célibataire au bout de ses bras frêles et pas assez bronzés. Elle regrette de n'avoir pas été plus autoritaire au travail, plus douce au restaurant, plus compréhensive avec sa mère, plus mieux, plus comme il faut, faudrait, moins nulle.
Ca l'a toujours angoissée les gens au supermarché, qui, devant elle, déposent leur semaine et leur solitude sur le tapis roulant qui amène à l'intraitable caisse; un plat préparé de cabillaud aux petit légumes réduit en matières grasses, une boite de raviolis -même pas de fromage râpé-, un paquet de cotons démaquillants et une bouteille de bière. Peut-être même un produit nettoyant. Ca lui donne envie de pleurer. Ou peut-être de rire, et de proposer à cette abandonnée de venir se joindre à elle. Pourquoi pas.
"Pourquoi moi? Moi c'est déjà beaucoup, oui, c'est ça que je lui dirais si j'ai le courage de l'inviter, il faut se faire des bons petits plats, comme ils disent, et regarder un film de qualité, bien installée sur un canapé douillet en ayant éteint son portable."
- Je prends soin de moi toute seule comme je voudrais qu'un autre prenne soin de moi, c'est comme ça qu'on n'a plus jamais besoin que quiconque prenne soin de soin. Après, on a simplement envie.

Ca fait toute la différence.

Elle est jolie cette fille, malgré ses plats tout prêts, qu'elle va mettre au micro ondes, et ingurgiter sans s'en rendre compte devant une série abrutissante, un truc à la con, fait pour les filles. Les trucs à la con dans le poste de télévision, c'est toujours pour les filles aux plats préparés. Rien n'a vraiment changé. Tout a continué comme dirait l'autre. Elle est jolie, cette fille. Je la prendrais bien dans mes bras.

Pourtant je m'en vais, bien sur. Je suis nulle, je fais des erreurs tout le temps, je me goure. Mes pires erreurs sont surtout des omissions, des non-dit, des incompréhensions et des timidités. C'est dans ce que je ne fais pas que je suis au pire de moi-même.
Elle a vu que je la regardais -je la regardais tellement qu'elle ne pouvait pas ne pas le voir- et elle m'a souri avec dans la plissure de ses lèvres une tendresse et une question, un espoir.
J'ai pas répondu, j'ai filé, comme une voleuse que j'étais d'ailleurs, à lui subtiliser son intimité à force d'ausculter ses achats et de ressentir, à ce spectacle, des choses trop fortes pour qu'elle ne s'en rende pas compte. Je l'ai laissée tomber, lâchement.
Je fais ça tout le temps, on dirait un toc, c'est rageant, j'enrage.

Fatiguée, éreintée, vide, bête et hilare, je me rue au supermarché, dimanche pour succomber à l'envie qui m'est venue au lendemain d'un samedi festif, l'envie de viande rouge, de frites, de salade, de vin élevé en fut de chênes. Un bras me propose de passer en priorité. Je regarde au bout du bras, il y'a un buste, en haut du buste, je regarde aussi, il y a un visage.

-Vous n'avez pas grand chose, vous avez l'air pressé, moi ça me dérange pas, allez y.
-Je vous ai déjà vue.
-...
-Nan je veux dire, je vous ai déjà regardée. Ici. A l'autre caisse. Vous aviez acheté du cabillaud.
-... elle sourit Je. J'étais pas sure que c'était vous.
-... je suis vexée.
-
Non, c'est pas du tout ça. Je veux dire. J'étais pas sure que vous me reconnaitriez.
-... je souris. J'allais vous inviter à la maison vous savez.
-Vous. Vous. M'inviter chez vous? Pourquoi?
-Pourquoi pas?
Tous les clients du Franprix nous scrutent, c'est drôle comme, même quand je vis quelque chose, quelque chose de nouveau, d'étonnant, de détonnant, de fort ou quoi qu'il en soit d'assez captivant pour solliciter toute ma personne, il y a toujours une partie de moi qui sait et regarde ce qu'il se passe autour. Qui sort de la scène comme pour trouver un bon angle de caméra.
-Pourquoi pas, oui. Mais vous ne m'avez pas invitée.
-Non.
-Pourquoi?
-Pourquoi pas?
-Non mais pourquoi?
-Parce que je suis lâche pardi.
Nos condiments, nos légumes, nos bouteilles et nos produits nettoyants se mélangent sur le tapis roulant; tant et si bien qu'on ne sait plus qu'est ce qui est à qui.
-Vous savez, moi aussi je vous avais remarquée.
On fait moitié moitié pour ne pas froisser la caissière déjà assez austère comme ça.

Je lui prends le bras, je l'emmène à la maison. La maison est juste à côté du Franprix alors tout va vite. Je lui fais prendre l'ascenseur. Elle se recoiffe devant le miroir comme si, en haut, elle avait rendez-vous.

On a posé nos sacs dans l'entrée.
Les produits congelés ont fait la gueule, le lendemain, tout décrépis qu'ils étaient.

Mais elle, elle était souriante, fraiche comme un légume frais, pétillante. Je ne l'ai pas entendue se préparer, elle est juste venue m'embrasser le front, avant de partir.
Elle a fait ça: elle a dégagé mon front, poussant mes cheveux sur le côté; ça, je l'ai senti dans un demi-sommeil. Et j'ai senti aussi qu'il se passait du temps entre ce geste et le reste, parce qu'elle me regardait.
J'ai ouvert les yeux. Elle plantait déjà les siens dans mes pupilles effrayées du jour grinçant du matin. Elle a encore attrapé mon bras comme pour me laisser passer au supermarché, j'ai bien aimé être plongée dans ce demi sommeil qui empêche de tout à fait savoir, d'exactement agir.
Je me suis relevée, empatouillée dans ma nuit et j'ai tendu mon front vers elle, front qu'elle a pris entre ses mains en me donnant l'impression qu'elle était la vierge marie. J'étais le petit Jésus. Elle a embrassé la peau au-dessus de mon sourcil gauche pendant que je me demandais s'il me restait du café.

J'étais à moitié assise dans mon lit, impatiente qu'elle parte pour être enfin seule, inquiète qu'elle s'en aille avant de l'avoir vraiment rencontrée et le téléphone a sonné, obéissante, lâche, j'ai répondu.

Je ne l'ai pas vue partir. Elle a laissé ses courses dans l'entrée, à côté des miennes. J'ai diner dehors ce soir là, j'avais pas envie de cuisiner, pas envie de m'occuper de moi, mais seulement de mettre les pieds sous la table. En rentrant, j'ai vérifié que ma boîte aux lettres n'était pas trop remplie de factures tout en sachant qu'elle le serait. Elle l'était, oui da, mais par dessus tout ça, il y avait un petit mot sur un bout de paquet de cigarettes.

"on s'est vouvoyées, alors qu'on a le même âge. je voulais vous dire que je te remercie. tant qu'il m'arrivera des surprises comme hier soir, je peux laisser mes courses décongeler".

Tant que les courses décongèlent dans le couloir, je revis ça, cette scène. Il faudra bien que je les jette. Demain. Je ne connais même pas son prénom. Mais il me restait du café dans les sacs, posés à la hâte dans l'entrée; un petit noir serré à minuit en l'honneur de.

-maispastrop-




Comme un sac

Avant hier, l'homme avec qui j'ai dormi s'est couché à 3h22,
et hier, le même homme s'est levé à 8h50. Il a bu deux cafés, en a préparé trois, en a laissé un sur la table à côté de mon lit. J'ai commencé à le boire froid, et puis je me suis rappelé l'existence du micro-ondes.
Combien sommes nous à commencer la journée par les mêmes gestes?
J'éteins cette sonnerie criminelle, je me cogne un peu ça et là, je fais pipi, j'allume le téléphone, j'écoute les messages en préparant le café (ou en le réchauffant), je bois le café en regardant par la fenêtre, je dors encore et déjà, j'ai envie d'une cigarette.

Aujourd'hui, je ne sais pas à quelle heure l'homme d'hier s'est réveillé, ni s'il a préparé le café à une autre demoiselle. Je pense à ça en cherchant un pull que j'ai absolument envie de mettre aujourd'hui, parce qu'il va bien avec le ciel gris vert qui surplombe la ville ce matin. J'y ai pensé en ouvrant les yeux, c'est dire si j'y tiens, mais impossible de mettre la main dessus.
Oui, il y a des choses plus importantes, il y a même des choses tout simplement importantes et ne pas trouver ce pull n'en est pas une. Bah allez dire ça à une fille de 25 ans à peine réveillée.

J'ai l'impression de passer ma vie à chercher quelque chose.
Le plus souvent, dans mon sac.

En 2° position: les briquets et les stylos. Est-il vraiment nécessaire de préciser à quel point cela peut-être urgent comme besoin? J'enrage à farfouiller et quand je trouve, je n'ai plus envie de fumer, ou encore j'ai perdu l'idée que je voulais noter, toute déconcentrée que j'étais à trouver des noms d'oiseau à ce foutu sac. Il arrive aussi qu'une âme bienveillante avance sa main vers ma mine renfrognée et allume un briquet devant moi. Bon. Merci. Mais n'espérez pas que je vous fasse la conversation pour autant, faudrait attendre au moins que mes pulsations d'enervement descendent en dessous de 80. Repassez plus tard.

En 1° position: les clés. Tout en haut du top ten, elles détiennent la place du vainqueur et ne comptent manifestement pas la laisser à n'importe qui. Elles y tiennent, les mauvaises et s'y accrochent vaille que vaille.
Jusqu'à me faire renverser totalement mon sac devant la porte, à bout, exaspérée et prise en flagrante panique par un voisin que j'aime pas. Et vous pensez bien qu'il ne manquera pas de mettre ça sur le compte de la très méchante jeunesse désorganisée ou peut-être sur l'ingurgitation de substances illicites. C'est toujours un voisin que j'aime pas, ça rate jamais.
Ceci dit, il n'y en a qu'un que j'aime. Et comme avec lui, on discute de la pluie et du mauvais temps, je suis toute à mon aise pour trouver le trousseau et ainsi, je ne me rends même pas compte que je les ai, ça y est, et que j'ouvre la porte en lui souhaitant une bonne journée.


Le téléphone me direz-vous. Le téléphone, je ne le comptabilise même pas. Je me préserve de l'ulcère en ayant depuis longtemps abandonné l'idée de le trouver à temps pour répondre.
Il sonne, très bien, qu'il sonne tant qu'il lui plaira de sonner, moi je garde mon sang chaud froid et, incrédule, calme, lance ma main dans la jungle de mon sac à main. C'est même pas pour répondre, c'est pour écouter le message, et pour, peut-être rappeler. (Ma facture du mois dernier ressemblait à un n° de Boeing.)

Il n'y a pas toute ma vie dans mon balluchon, et je n'ai jamais trop adhéré à cette coutume nationale qui consiste à crier au scandale quand un homme regarde dans le sac d'une femme. Je mets bien mes mains dans leurs poches, moi... Il n'y a pas toute ma vie parce que j'en change souvent, pour l'accorder à la tenue du jour. Comme je me lance dans cette occupation vitale à l'heure où je devrais normalement arriver à mon rendez-vous, j'oublie l'essentiel d'aujourd'hui dans le sac d'hier; et ça, tous les jours.

Je fais alors avec ce que j'ai sous la main de mon sac à main, improvisation quotidienne, je retombe sur des carnets à moitié pleins, à moitié blancs, je découvre une adresse que je croyais avoir perdue, et je suis devenue très convaincante avec l'habitude, pour expliquer au monsieur en kaki que, si, si, bien sur que j'ai un abonnement, mais malheureusement il est resté dans le sac en cuir noir avec ma tenue années 60.

Dernièrement, j'ai mis un plus petit sac dans tous les autres sacs. Dans ce subterfuge, je range les têtes de peloton, les clés, le portable, le briquet et le stylo.
Je réponds au téléphone plus souvent, j'arrive de moins en moins en retard. Ah oui, et j'ai supprimé le lait de mon café, fait le deuil de mon inénarrable noisette, la remplaçant par un austère petit noir. Je ne fume plus à jeun, aussi. Et je mets de plus en plus de temps à me remettre tant bien que mal -plutôt mal, d'ailleurs- de mes frasques nocturnes.

Vieillir vous dîtes?

-maispastrop-

Miss météo

Mmmmh, je l'ai vu et tout de suite, je l'ai aimé.
Adopté. La brèche s.p.a en moi n'a fait ni une ni deux. La faille narquoise non plus.



Il y a des choses, des images, des gens, bref, des machintrucbidulechouette pas toujours chouettes qui inspirent à la fois la tendresse et le cynisme.
Mon p'tit gars, avec ton passif Columbo, ta peau qui pend tout partout et ton air d'autoroute à désarçonner un ministre, tu gagnes une place dans le palmarès des images dont j'hésite toujours à décider si elles m'attendrissent plus qu'elles ne m'amusent.

A l'école, il y avait ce Josselin. Ca me rappelle ça. Josselin. Il était... différent. Il se tenait à l'écart, droit dans ses bottes tout en faisant profil bas, parce qu'il savait qu'aucun des sauvages bien-comme-il-faut ne le raterait. Au premier faux pas, tout le monde lui tombait dessus et il rentrait souvent avec le carnet de correspondance déchiré ou simplement l'air absent de celui qui s'est fait gausser toute la journée.
Moi je l'aimais bien, ce Josselin. J'aimais son prénom, j'aimais ce que ma langue faisait dans ma bouche pour le prononcer et pourtant, je me l'interdisais souvent. J'aimais bien son air. Son air aérien. Il était au dessus de tout ça, et moi j'ai toujours eu envie de fréquenter ceux qui planent loin du quelconque. Mais, dès que j'allais lui parler, il le perdait, son air. Il semblait plutôt étouffer. Peut-être qu'il anticipait sur l'intervention musclée de Benoit, Joachim, Samir et Jean qui débarquaient, s'interféraient entre nous et le moquaient. Ils finissaient par demander pourquoi je lui parlais à ce petit morveux. Alors je disais qu'il n'était pas morveux, qu'il était aérien. Pffff. Ca faisait rien qu'à nourrir leur monstre de méchanceté et ils s'acharnaient davantage encore sur le nuage de douceur de Josselin.
Alors j'ai arrêté de venir le voir, à la récré, pour lui demander s'il avait aimé le poème, ou s'il rentrait dans la rue qui allait vers chez moi.
Pour plus qu'on l'embête.
C'était devenu insupportable qu'on l'embête.
Je me souviens, à la fin du premier trimestre, j'avais demandé à ma mère qu'elle fasse un dîner avec la sienne.; j'avais prétexté que ça pourrait être bien de la recevoir puisqu'elle était parent délégué et, ma mère, soufflée par cet élan studieux, s'était exécutée aussi sec, sans broncher; elle avait sauté sur le téléphone dans la seconde, anxieuse que je change d'avis, ravie de me découvrir concernée par un tel sujet.
Tout ce que je voulais, c'était offrir à ce firmament un terrain neutre, un endroit où personne ne guetterait ses maladresses, un moment où je pourrais aimer ses maladresses sans qu'on me l'interdise.

Ils sont arrivés à l'heure, tirés à 4 épingles et je me rappelle avoir été un peu irritée de constater que sa mère était aussi irréprochable que lui. Secrètement, j'espérais qu'il tenait son originalité d'une vie intérieure propre, personnelle. J'avais pas envie qu'il soit comme ça juste pour faire comme maman.
Mais son air d'être absolument là et quand même ailleurs, les nuages dans ses yeux, ses doigts cripsés autour du bouquet de bégonias..ont eu raison de mon acidité; j'ai pas pu m'en empêcher, j'ai sauté à son cou, j'avais jamais été aussi proche de lui, j'ai sauté à son cou qui sentait l'éclaircie sur toute la Bretagne et j'ai dit quelque chose comme "enfin, on se voit sans ces pestes".
Il a répondu "des pestes?"
"Oui", j'ai fait, "Joachim, Benoit, Samir et tout".
"Mais, c'est des garçons..."
"N'empêche, c'est des pestes"

Je sentais que les mamans, derrière, étaient un tant soit peu dépassées par les événements. Sur le perron, on ressemblait certainement à l'image qu'ont les "adultes" d'un couple extra conjugal qui peut se laisser aller, à l'abri des regards indiscrets, à des débordements habituellement interdits. Je sentais surtout, par dessus tout, que Josselin avait enfin compris qui j'étais. Que mes fréquentations ne faisaient pas de moi une horrible pimbêche, que je ne me définissais pas selon les mêmes codes et dans son regard, j'ai trouvé ce jour là -ça peut paraître absurde, à 14 ans- la confirmation de ce que vers quoi je tendais.
Parfois, quand je sens que je déplais et que je me demande comment m'en sortir, ce regard sort du tiroir et me pousse à simplement m'en foutre, à accepter de ne pas plaire et peut-être même m'en satisfaire.

On est entrés, enfin. J'étais inquiète parce que j'appréhendais leur jugement sur la maison, pour le moins originale, pas conventionnelle pour un sou, pas raccord avec eux, leurs tenues, leur allure, leur décorum, toute la convenance qui suintait de chacun de leurs faits et gestes. Pour ne rien vous cacher, j'étais foutrement inquiète: je voulais que personne ne s'ennuie et tout me poussait à croire que tout le monde allait dire des banalités bienséantes en regardant l'heure, impatients qu'elle affiche le minimum syndical pour enfin déguerpir. Maman a fait l'hôte alors qu'elle n'a jamais aimé ça, les bonnes manières et que je vous débarrasse de votre manteau, oh que ce bouquet est ravissant patati patata. Ils inspiraient ça et j'étais incroyablement reconnaissante à ma mère, qui n'était pas juste une mére mais aussi une femme à mille lieues de toutes ces conneries, de jouer le jeu. Ca a fini par prendre. La sauce et la mayonnaise. Sans la moutarde.
Je me disais que le salon, déconstruit, pas conventionnel, voire franchement brouillon, allait choquer les pupilles de nos convives; pourtant madame Josselin a parlé du Klasen, et, pour en dire du bien. J'ai vu les muscles du visage de ma sainte Marie se détendre. Elles ont ensuite parlé de la petite statuette Niki de St Phalle et j'ai enfin pu m'éclipser avec Josselin, pour lui montrer mes oeuvres à moi, dans ma chambre à moi, au bout de mon couloir à moi.

On est rentrés et j'ai découvert la pièce comme si je la voyais pour la première fois. Je connaissais tout par coeur et pourtant... je ne savais plus si c'était beau, si c'était bien, si ça pouvait lui plaire, qu'est ce qu'il allait en penser. J'étais épouvantée et j''ai essayé de paraître imperturbable. J'ai fendu l'air et foncé vers ce sur quoi j'avais décidé d'aller. Ma collection de cactus.
Je me suis assise et j'ai ouvert la serre, geste sacré, tout en lui tendant un petit tabouret de gosses qu'on était déjà plus; voyant qu'il ne s'y installait pas, je me suis retournée et j'ai découvert, dans ses yeux, la tonalité que j'avais, moi, quand je le regardais dans la cour, seul contre tous. J'ai senti que mon regard était le sien ,celui que j'aimais, nuageux, vaporeux, habité et ça m'a donné la force de lui attraper la main pour qu'il s'installe.

Comme si c'était hier. J'entends encore les mamans rire au bout du couloir et ma voix qui énumère les sortes de cactus. Puis leurs noms. Oui parce que je leur donnais des noms. Et enfin, le dernier, de taille égale mais de moindre allure, il avait la particularité de n'être pourvu que de quelques épines. Même si elles semblaient rédhibitoires, on pouvait finalement l'approcher sans se faire trop mal. Je l'avais nommé.... Comme j'ai pris ma respiration pour le dire! Il me reste encore aujourd'hui un peu de ce souffle là tellement j'en ai rempli mes poumons. Je l'avais nommé.
"Josselin"
"Mais, c'est comme moi, c'est mon prénom"
"... Heu. Bah. Oui"
"Mais tu as appellé toncactus comme moi, tu me connaissais quand tu lui as donné ce prénom?"
"...Heu. Bah. Oui".

La métaphore était minable.
Mais sa main qui a attrapé la mienne, devant ma serre de cactus avec en bruit de fond, les rires de ma mère, ça m'a donné un aperçu du bonheur que je ne lâche jamais vraiment, depuis.

Sa main qui a attrapé la mienne, c'était... Je sais même pas. J'ai cru voir mes cactus sourire, c'est vous dire.
Et peut-être que j'ai pleuré.

On a retrouvé nos mamans, clairement détendues, non sans l'aide de deux bouteilles de Romanée Conti, et pas du tout fatiguées. Moi, j'étais épuisée. J'avais trouvé l'homme de ma vie, mettez vous à ma place, ça met un coup; alors je me suis installée sur les genoux de la Marie et puis...
Le lendemain, je me réveillai dans mon lit et ma première vision fut celle de Josselin, fringuant sous sa serre, crânant sous les rayons de soleil, comme victorieux. C'était le premier jour des vacances et j'avais jamais autant eu envie d'aller à l'école.

Josselin était fils d'ambassadeur.
Après Pâques, à la rentrée, alors que sa chaise était vide et que je me tordais les mains d'impatience, le directeur a fait irruption pendant l'appel, à mon nom, oui, oui, à mon nom à moi. Je m'attendais à voir Josselin dans l'embrasure de la porte, désolé de son retard et à la fois irrémédiablement nonchalant, mais c'était ce gros plein de soupe de directeur. Qui n'y connaissait rien en nuages, en air présurisé ou en cactus qui frappait de son gros poing gras pour annoncer "Josselin X a été contraint de changer d'établissement suite à un déplacement de son père, à l'ambassade des Etats Unis, aussi il ne terminera pas l'année avec vous mais sa famille et lui vous souhaitent une bonne continuation et une résussite pour la fin d'année à venir".
Je n'ai jamais autant détesté quelqu'un. Enfin, cette année là, en tout cas.

Quand j'ai eu 18 ans, j'ai reçu une carte postale, de Dubai. L'écriture était régulière, fine, légérement oblique. Il y avait des mots comme "se revoir", "je pense à toi, souvent, très souvent"et puis une signature "Josselin le cactus".
Mon cactus était mort depuis longtemps, j'avais pleuré sa disparition comme s'il emportait tout avec lui. Je n'avais plus de larmes. J'ai jeté la carte. Et j'ai bu un verre de Romanée Conti avec ma mère avant de la quitter pour un tour du monde avec mon amoureux.


-maispastrop-

Outragée ! Brisée ! Martyrisée ! mais libérée !

Perdue, catapultée, bizutée aussi.
Pointée du doigt, certainement.
Soit. Peu importe.

Dans les trous d'airs, on trouve pas mal d'oxygène, et, toute désemparée qu'on est, accrochée aux accoudoirs, persuadée d'un crash imminent, on atteint une forme de plénitude, là haut dans la tête. La conviction d'être seule. Celle-là libératrice, s'entend.

Je me suis regardée dans mon miroir plus longtemps que d'habitude ce matin. Généralement, c'est pas une occupation qui me passionne, personne n'aime vraiment ça. C'est utilitaire, pratique: se voir pour se brosser les dents; vérifier le reflet qu'on va soumettre au monde avant de partir au travail; bien viser pour mettre le mascara. Ce genre de choses.
Ce matin, pourtant, je me suis regardée comme si j'étais pas moi, pas dans moi, comme si la tête qui pensait n'appartenait pas à celle qui apparaissait, là, un peu abîmée par les excès de la veille et encore endormie.
J'ai surveillé les lignes du visage, et inspecté les rides naissantes, ausculté les petites irrégularités de peau, guetté les ressemblances avec papa-maman. Je me suis trouvé des qualités et des défauts. Je me suis demandé ce que les autres, les gens, les hommes, aimaient et n'aimaient pas sur ce visage. J'ai essayé de le projeter dix ans plus tard.
Je me suis approchée vraiment près de la glace, ça a fait des taches d'eau sur ma chemise collée au bord du lavabo humide; et je me suis dit "c'est toi ça, c'est ce avec quoi tu vivras toujours, quoiqu'il arrive, c'est ta compagnie ad vitam, c'est comme ça et pas autrement".
Je vous l'accorde, c'est loin d'être un scoop. Néanmoins, ça m' a fait l'effet d'une gifle.

Je ne suis pas préoccupée par les anti-rides et les crèmes contour des yeux, peut-être devrais je l'être, les amis avec un E, les amiEs en parlent souvent, "et cette crème", "tu connais ce traitement", "je te conseille vivement ce salon" et tout ça. Mais, ça m'ennuie de m'occuper de moi, je préfère que quelqu'un d'autre s'en charge, ou m'occuper de ce quelqu'un d'autre.
Alors, je vois, ce visage, le mien, et il m'apparaît comme inconnu. Pourtant, c'est la première chose que les inconnus voient.

Les jours ne se ressemblent pas même s'ils se suivent inexorablement, comme dit l'autre, on ne sait pas ce que nous réserve demain qu'est, en plus, un autre jour....alors pourquoi, pourquoi toujours, toujours cette régularité, cette concordance qui offre toujours cette même tête dans le miroir?

Est ce qu'on pourrait pas essayer, pour voir, d'être beaucoup, plein, divers, multiples et surtout, surtout, variés.

Le lundi, début de semaine oblige, je serais affreusement sérieuse. Froide, intraitable, rêche. Catherine Deneuve.
Le mardi, je me laisserais aller à croire que, sans trop d'efforts, je serai toujours au top. Une sorte de Binoche, capable d'enfiler des dessous affriolants avant d'emmener Gaston à l'école.
Le mercredi, jour des enfants, Marilyn évidemment. Parce qu'on s'en occupe, et parce qu'on en est nous-même un.
Le jeudi, le week-end approche, pont entre le jour des mioches et l'arrivée effervescente du vendredi: Anne Bancroft, bien sûr.
Le vendredi: Lauren Baccal; le samedi: Humphrey.
Le dimanche alors, moi, simplement.

Mais les gens, irrémédiablement, ça vous colle des étiquettes; pourtant, chacun sait que ça gratte les étiquettes, on s'en débarrasse le plus vite possible, faut dire aussi qu'ils semblent de mêche pour les positionner aux endroits les plus chatouilleux, les plus sensibles, les plus délicats. A la naissance de la nuque, on peut lire "hautaine". On gratte. Entre les hanches et les cotes, la où la peau est douce comme le cul de bébé, on trouve "allumeuse". On gratte. On gratte à ce point que la peau, vêxée, rougit. En bas du dos, en haut de la cambrure des reins, on découvre "bizarre". C'est intenable tellement ça démange, alors on enlève.

Mais toujours, cette impression étrange d'apparaître sous une seule facette aux yeux des autres quand on s'en connait pourtant nous-même une kyrielle. Kyrielle avec laquelle on s'accommode, autant que faire se peut et qu'on essaie, tant bien que mal, d'accorder aux exigeances de ces messieurs dames.

"Bah, allez, laisse tomber" me souffle Humphrey, "ces made in China, à la pelle, à la masse; ces opinions préconçues, ces clichés, ces moutons, qu'est ce qu'on s'en fout".

Et en plus, on est samedi. Ca promet. Rendez-vous avec moi, demain.

-maispastrop-
Il est là, tout près.
Il fait de la buée sur ma vitre de protection. J'y vois trouble.

Je ne suis pas sûre d'avoir vraiment cherché à me retrouver dans cette situation, je ne crois pas avoir oeuvré dans ce sens, ni calculé quoique ce soit. N'empêche, on y est. Lui, moi, et entre nous, l'espace de rien de tout, à peine de quoi faire rentrer une seconde d'hésitation avant de poser mes lèvres sur les siennes. Il y a une pause dans l'action, il ne se passe plus rien, tout est suspendu, je crois entendre la terre entière retenir sa respiration. Et puis je sens la terre entière me pousser dans le dos pour qu'on n'en parle plus. "Embrassez vous et puis c'est marre" que l'humanité me chuchote.
Oui mais moi, attendez, moi j'aime bien prendre mon temps. Prendre son temps aussi.
J'aime bien avoir un moment pour penser à tout ça, et laisser l'espace entre nous stagner et s'inquiéter de savoir s'il doit ou non disparaître.

C'est drôle, il y a une heure je ne connaissais pas ta maison et maintenant, y'a ton souffle qui se promène sur mon visage. Y'a quelques minutes, je parlais avec un autre et là, ta respiration accélère. J'écris ton nom dans ma tête. On fait connaissance on dirait.
De près, tu es plus grand, la preuve tu prends toute la place.
Tes narines gonflent et dégonflent, tes joues rosissent, ta main attrape mon cou et c'est plus mon cou, c'est mon corps tout entier au bout de tes doigts.
Est ce qu'on vit pour autre chose?
Le sang dans ma nuque rebondit dans la paume de ta main. Tes pupilles frétillent. Les miennes? Aucune idée. Je ne suis même pas sûre d'avoir encore des yeux. On n'est rien que deux anatomies un peu timides. Est ce qu'on vit? Attends, attends, laisse moi encore écrire ton nom dans ma tête, en capitales cette fois, laisse ta main devenir moite en haut de mon dos, dans l'attente de l'autorisation de descendre. Est ce qu'il y a autre chose?

Tu n'es personne, ton numéro vient à peine de rentrer dans mon répertoire et j'aurais pu vivre sans t'avoir rencontré, mais tu es là, et, c'est ainsi, tu participes à l'émerveillement inopiné que nous réservent certains jours bien lunés. C'est vrai, je m'émerveille devant toi, mais c'est pas toi qui m'émerveilles. Ni moi. C'est nous deux en tant que petites fourmis sur la terre au milieu de la semaine de 50 heures; capables encore, capables toujours d'accélérer le rythme cardiaque à l'approche d'un baiser qu'on n'avait pas prévu.
Peut-être que nos bouches, finalement, n'auront rien à se dire. Comme alléchées par un plat inconnu, elles se seront jeté sur le met intrigant, et puis, déçues, repartiront vers la bonne potée habituelle. Peut-être, au contraire, que ma langue ira où aucune n'est allée. Ou alors jamais de cette manière. Ou encore elle ira là où d'autres sont allées et de la même manière, sauf qu'elle te parlera à toi. La même langue. Et que je ne repartirai pas tout de suite, que je dormirai là, et que tu ne me laisseras pas m'installer de l'autre côté du lit. Peut-être que tu es le père de mes enfants, peut-être que t'es un pauvre type, peut-être que je suis une salope qui s'amuse encore, peut-être que je suis une enfant ou que tu me fais penser à mon père. Il y a, dans ces millimètres entre ta bouche et la mienne, des questions qui n'en sont pas vraiment. Il y a des possibles. Un immense terrain de foot de "peut-être" et quelques corners, inévitablement.
Pour tout te dire, je m'en fous pas mal. Je cherche pas de réponses ou de divan de psychanalyste dans cet espace-temps interrompu, je cherche rien, précisément, et c'est bien pour ça que je trouverai tout. Alors ne te précipite pas. Laisse moi encore écrire ton nom dans ma tête. C'est quoi déjà ton nom?
Est ce que tu vis, toi?
Dis, tu m'en voudras pas si je ne te propose pas qu'on fasse notre vie ensemble et qu'on fabrique des petits qui demanderont des baskets à la mode? Je veux pas que tu m'en veuilles. Je veux juste que tu me veuilles, moi. Pas moi, en fait. La petite fourmi, qui au milieu de sa semaine de 50 heures pense à toute la vie avant de t'embrasser. Pas toi. La petite fourmi.

Tu t'impatientes, et, t'es joli quand tu t'impatientes.
Tes lèvres ne sont pas très bien entretenues, ceci dit, j'ai jamais prétendu vouloir embrasser des bouches glossées et préparées depuis le matin, au contraire, j'aime bien qu'elles soient prises à l'improviste, un peu rêches même. Comme tes mains. Oui, j'ai eu le temps de sentir la corne sous ton majeur et ton annulaire quand tu t'es promené sur mes bras. Faudra que je pense à te demander pourquoi, qu'est ce que tu en fais de ces main, mais j'oublierai bien sûr.
Tu t'impatientes tellement que tes lèvres abîmées tremblent, la lèvre du bas en tout cas, elle tressaute, irrégulièrement, même pas au rythme de ton coeur parce que je le sens le rythme de ton coeur. Elle tressaute parce qu'elle sait pas quoi faire. Elle est prise au piège, littéralement, hésite entre se sentir capitale et inutile.
Ca fait seulement quelques secondes que je tiens ma tête reculée de la tienne, que je te jauge sans du tout te juger et déjà, regarde, ton corps est cent, deux cent, mille. Et le mien donc. Tu peux pas m'en vouloir, parce que c'est ça en vrai, la vie, non?
Je veux pas te comparer au premier bain dans l'atlantique au mois de juin, ni au dernier foie gras de février; tu n'es pas cette impression indéfinissable à la rencontre d'une odeur qu'on croyait ne pas connaître et qui, rencontrée au coin d'une rue, ravive des souvenirs essentiels; tu n'arrives pas à la cheville de cette parenthèse enchantée qu'est le moment où le type dit dans les enceintes qu' "on arrive en gare de Lyon" et alors on finit de regrouper nos affaires, de parfaire notre coiffure, partagée entre l'immense mélancolie de l'été passé et la hâte adolescente des retrouvailles à venir sur le quai. Je ne veux pas te dire ça parce que je ne veux pas te mentir; même si je ne te connais pas, j'ai pas envie de te prendre pour un con. Parce que tu n'es pas un con, tu es ma fourmi et tu me réveilles tout ce bordel. Donc, ça n'est pas "ça"mais, on s'en approche, tu sens comme on s'en approche?
Je suis vivante.
Imperceptiblement, tes yeux se plissent à la question que je n'ai pas posée. Personne d'autre que moi ne pourrait l'avoir vu, ce plissement, et pour ça, toi et moi, on est pour toujours quelque chose. Tu sais, un truc. Je sais pas s'il y a un mot, n'en trouvons pas. Même si, tout à l'heure, s'embrasser ne rimera à rien, ou alors à tout, tu es ce quelque chose et c'est pour ça que j'ai reculé ma tête de la tienne, il y a une seconde. On a tous le droit d'être quelque chose, merde, toi comme tout le monde. Et imperceptiblement, tu acquiesces aussi à ça. Tu vois, on est tous pareils, rien que deux anatomies encombrées de deux cortex. Ou l'inverse?
Ca me fait sourire, tu peux pas savoir.
C'est absolument contraire à ce qu'on veut ou qu'on va faire, c'est dans ma tête très loin de mon cul, c'est pas du domaine des sens, du sexe, du tactile, de la peau et de ta main qui n'en finit plus de transpirer au creux de ma nuque entre mes deux cervicales dressées, prêtes; pourtant, tous les petits bouts de moi veulent rassembler les tiens, là.


Le problème, c'est que ce moment est délicieux au point qu'il me donne envie de l'assaisonner de tout ce que j'aime. J'ai envie, quand tu m'embrasseras, d'être plusieurs et que la deuxième moi marche au lever du jour dans une ville qu'elle connaît à peine pendant que la troisième coupera la noix saignante de l'entrecôte à côté des frites dorées et juste à côté, la quatrième se gondolera de rire pour on ne sait quelle blague bidon au point d'en avoir mal aux joues et au ventre alors que la cinquième mettra sa main dans sa culotte dans son coin sans se soucier de la sixième qui allumera une cigarette pour admirer tout ça. Tranquilou, sur son rocking-chair près d'une cheminée en écoutant Radiohead avec un verre de Rhum mariné.
Merde, y'a trop de trucs que j'aime et toi je t'aime pas. C'est maintenant. Vite. Descends ta main, glisse dans mon dos, moi je vérifie que tu es bien là. Tu es là, fichtrement, moi je risque de partir. Tu l'as ton autorisation, t'aurais pas du l'attendre. Dépêche-toi.

-maispastrop-

J'aime bien les inconnus

On est là tous, vivants, on essaie, humains si c'est possible; on est là, on se croise, se toise, se bouscule. J'ai les larmes aux yeux, ça risque de déborder d'un moment à l'autre, et vous ne voyez rien.

Je suis au milieu de vous. Je suis surement le "vous" de quelqu'un d'autre, au milieu de nous.
Je frôle des mains dans les transports en public, et souvent, ça me gêne, je retire la mienne comme si elle avait été salie, et dans ce même élan, j'ai déjà un peu honte de ma réaction.

Quelqu'un m'a sourit tout à l'heure. J'étais dans ma tête, tout au fond, alors je n'ai pas vu. C'est quand c'était tout juste fini que j'ai compris; la bouche déjà reprenait sa position neutre, le pétillement repartait derrière les yeux et j'en voulais encore parce que je voulais qu'on le vive à deux.
Les sourires gratuits, c'est pas tous les jours, alors je le voulais encore, celui-là, lui répondre, qu'on sourit ensemble.


J'ai fixé la jeune fille jusqu'à ce qu'elle me revienne et j'ai étiré mes lèvres, découvert mes dents et plissé mes jeunes pattes d'oie.
Il y a eu quelques secondes suspendues et enfin, elle m'a accompagné.

Il était 9h10, j'étais en retard et dans ses fossettes, j'ai laissé filer ma station.

Tant pis.

On est descendues ensemble, on a marché côte à côte, un instant, à la même cadence et c'est comme si on se connaissait. Et puis la foule l'a engloutie, ou m'a engloutie, nous a séparées.
Et si ça n'est plus elle, ça peut être n'importe qui, au hasard.



J'ai décidé de sourire à tous ceux dont je croiserai le regard, toute la journée. De là tout de suite à ce soir, jusqu'au bout.

C'était un lundi incroyable.

Encore.
J'en veux encore.

-maispastrop-

Ma pépinière, ma pépite.


J’ai connu un homme. J'ai connu cet homme que personne ne comprenait, seulement moi. Moi je le comprenais comme personne. En tout cas, c’est ce qu’il disait et j’aimais le croire alors d'accord, je prenais ça, comme ça, dans la gueule, dans le cœur.
Il parlait de la vie, il la vivait, il riait, il dansait et n’avait pas vraiment besoin de boire pour être soul. J’aimais l’indécision, ou le manque de précision avec lequel il avançait dans la vie. De loin, on aurait pu croire qu’il titubait ; en vrai,en se rapprochant, on comprenait qu’il s’arrêtait sur tout et tous, papillonnait, bifurquait, revenait, hésitait, tournait, repartait.

L’air de rien, tous ces mouvements indécis mis bouts à bouts, ça donnait quelque chose de tout à fait respectable ; et, je dis « respectable » pas seulement en tenant compte de mon unique point de vue, tout le monde était d’accord pour « respectable », même en connaissance de la vraie définition du dictionnaire écrit par des gens très … respectés.
Tous disaient « respectable » y compris ceux qui n’y comprenaient rien. A savoir, la terre entière à part moi. En fait, ils disaient comme moi, ils pensaient comme moi, au sujet de cet homme, parce qu’ils avaient compris que j’étais la seule à savoir.
A avoir compris et accepté qu’il voulait seulement savoir ce que ça faisait d’être libre.

Et puis, c’est toujours comme ça... les histoires jolies mais pas définies, trop floues, la main du sort les juge trop…marginales, alors elle les met à l’épreuve.
Et puis, c’est toujours comme ça... les gens un peu flous, ivres de nature et loin du monde, ses tours et ses 24 heures, ils ne prennent jamais les avertissements de la main du sort au sérieux, ils continuent. Comme si de rien. N’été. C’est des âmes de soleil, de chaleur, ils fleurissent en nous et les graines sont inestimables. Ca pousse dans tous les sens, faut faire de la place pour les nouveaux bourgeons et décider des mauvaises herbes à déraciner et jeter par dessus l’épaule.
Il fait de nous son jardin secret, on est suspendus. Babylone et Paris sont ses couffins, il y dort, les joues roses et le souffle court, pendant qu’on veille sur la tranquillité de son futur. Plus que tout, là, on le réalise: on veut qu’il y arrive.

A quoi ?

Mais, enfin, à tout!

Parce que lui, il peut Tout. Il a tout, dedans ; peut-être est ce pour cela qu’il n’est pas pressé.

Alors la main du sort, hargneuse, véxée aussi de n’avoir pas été prise au sérieux, revient et rase tout.
La chimio des champs de blé dans lesquels on devait tous courir, c’était prévu, on avait dessiné les plans des maisons : rasé. Elle a séché les vignes, mis feu aux pins, arraché les boutures, écrasé le gazon. Y'a plus rien, plus rien. Queud’. Peanuts.

Qualques cacahuètes plus tard, l’apéritif aidant, on est capables de ne plus utiliser de métaphores à la con et de dire dans un élan pulmonaire héroïque « il est mort ». Les autres nous regardent tout rond, à croire qu'on n'a pas le droit de le dire, pourtant oui, il est mort. Je le répète.

Et c’est quand on le prononce qu’il revit, revient, la corolle s'ouvre, les pétales frétillent, les pistils bandent, les pousses verdissent et les racines débordent.


Personne ne le voit mais nous, on le sait, il a fait de nous un terrain fertile alors qu’on se sentait comme une zep depuis qu’il nous avait quittée. Il nous a jeté un sort. Il nous a condamné à savoir que personne ne nous aimera avec autant de déraison, jamais.


Il ne se préoccupait que de moi, tout en n'étant qu'à lui.
Il se fichait pas mal de la mode, des expositions où il fallait aller, même les droits de l’homme, ça lui passait au-dessus, y avait que moi, moi dans son sourire immense et désordonné, rien d'autre que moi.
Comme un chat qui n’a qu’un seul maître sous ses airs de ne pas y toucher.
Son ronron entre mes seins manque à toute ma vie.

-maispastrop-

On n'a pas rendez-vous

Y'a des gens qu'on connaîtra jamais vraiment.

Oui, ça, y'en a même un sacré paquet, mais, je parle là de ceux qu'on pourrait appronfondir, qui sont juste à côté, à portée de coeur, et pourtant, non; c'est comme si le temps manquait pour s'attarder sur eux alors que le matin même on tournait en rond d'ennui. A chaque fois qu'on les croise, il y a des atomes qui crochent, des points qui communient, et quand même le temps qui passe; le temps qu'on n'a pas. C'est pas n'importe qui, ces gens, c'est évident que nos cafés du dimanche ou nos conversations téléphoniques nocturnes couleraient, faciles.

Je repense à ces gens là, je ne peux les ranger ni dans les remords ni dans les regrets, ils sont dans le néant spacio-temporel qui remplit les trous de gruyères de nos agendas, et, en fin de compte, en toute fin, ils comptent. Et pourtant.

Parfois, on n'a même pas leurs numéros pour les joindre dans leurs téléphones, et si on les avait on n'aurait peut-être rien à leur dire; on sait plus trop ce qu'ils font dans la vie, quel âge ils ont, et quand est ce qu'on les a rencontrés déjà.

J'aime bien ces gens-là.

Y'a une légèreté plombante qui me ravit, quelque chose qui, quand on s'y penche, nous mélancolise sur une histoire qu'on n'a pas vécue. Une chanson pas finie.
On aurait pu s'aimer très fort, vous croyez pas? On aurait pu prendre une belle voiture pour enfourcher une nationale et partir en choisissant nos destinations à l'aveuglette. On aurait pu changer le monde, notre monde, toi le mien, moi le tien; et on ne le fait pas. Et on ne le fera surement jamais.

Et, comme disait quelqu'un qui a changé ma vie quand je changeais la sienne, la vie elle est comme elle est. Et puis c'est tout.
Et puis c'est bien.

-maispastrop-

Mi bémol mi dièse et complétement las.

Il était là depuis plusieurs jours et je ne l'avais pas vu.

Il a fallu que, fourrée dans mon sac les pieds hésitants, je trébuche sur lui pour le regarder dans les yeux, voir qu'il était là puisqu'il plantait ses pupilles dans les miennes.

C'est toi. C'est vraiment toi. J'ai l'impression de divaguer. Ca peut pas être toi.

Ce regard me parle et sa bouche dit quelque chose qui me touche: C'est toi, hein, c'est bien toi?

J'avais souvent rendez vous sous la statue d'Odéon, je passais devant lui, on se regardait;
c'était rien qu'un voisin finalement, on parle jamais vraiment aux voisins, on les salue, c'est l'habitude, un petit hochement de tête et c'est marre, on parle jamais vraiment aux voisins sauf quand on peut parler à personne d'autre alors on leur parle trop. On parle jamais vraiment aux voisins mais lui et moi quand on s'est parlés, la terre a arrêté de tourner, je vous le jure, y'a eu un frein d'atmosphère, un ralentissement d'air tout le monde retenait ma respiration et tout était en suspension pendant que nos mots gambadaient au milieu de tout ça. Nos têtes faisaient le tour du monde.

Il jouait du piano sur un Hansen à queue ouvert où tout vibrait et moi avec.
C'est ça qu'il faisait. Et ce jour là, on s'est parlés, en vrai, avec des mots, parce qu'on était tous les deux tristes au même moment je crois. Y'avait un petit bout de nous tout prêt à accueillir l'autre, alors bienvenue, fais comme chez moi. Il m'a invitée sur son tabouret, mes mains ont mimé les siennes, je lui ai dit "ça fait 5 ans que j'ai pas touché un piano, j'y arrive plus" pendant que nos 20 doigts faisaient des merveilles symphoniques.

Les gens ont applaudi. Avec leurs mains ils faisaient des merveilles symphoniques eux aussi.
Je l'ai regardé et je me suis dit que, voilà, c'est lui que j'aurais aimé avoir comme oncle ou comme parrain. Si ça se trouve, je l'ai dit à voix haute.

Il a pas fermé son piano mais il a pris son tabouret sous son bras gauche et moi sous son bras droit, il avait l'air décidé et même s'il ne m'avait pas dit où on allait je me doutais que ce serait au Old Navy, tout en naufrage qu'on était.

C'est toi. C'est vraiment toi. J'ai l'impression de divaguer. Ca peut pas être toi.

Avec la collecte du soir, il nous a arrosé d'alcools forts, francs, directs, et on n'y est pas allés par quatre chemin parce qu'au bout d'un moment, on n'en voyait qu'un seul, et encore, il semblait flou voire double.

Je veux que ça, rencontrer des gens comme toi, des gens qui, à la moitié de leurs vies ont déjà des siècles derrière eux, et qui en plus, vont mourir trop vite. Je veux que ça mais je suis jamais prête, je suis toujours trop vulnérable. Quand tu me racontes ta fille disparue, ton piano cassé par des voyous, ta femme partie avec un riche, mes yeux se remplissent, mes joues ont soif et je suis obligée de regarder ailleurs alors que, toi et moi, faut qu'on se regarde dans les pupilles, derrière, tout au fond.

Le patron s'est assis avec nous, et dans le genre, il en avait des tristesses à raconter. Après, après je sais plus. Après c'est flou. Après j'ai dit que je rentrais et tu m'as dit de venir faire un 4 mains demain. Après, demain, j'avais rendez-vous sous la statue d'Odéon et t'étais pas là parce que des voyous avaient cassé le piano que t'avais laissé pour aller parler de tempête avec moi.

Mon rendez vous m'a demandé pourquoi j'étais ailleurs.
J'ai dit que c'était parce que j'étais pas là, je trouvais ça censé comme réponse.

Il a fallu que, fourrée dans mon sac les pieds hésitants, je trébuche sur lui pour le regarder dans les yeux, voir qu'il était là puisqu'il plantait ses pupilles dans les miennes. C'est toi. C'est moi.
C'est pas possible que ce soit tes yeux qui se mouillent, hé ho, normalement c'est moi qui fait ça, tu me voles la vedette là, je te vois venir.

Je m'assieds à côté de toi sur le tissu que tu as installé sur le trottoir, j'allume ma cigarette avec ton butagaz, je t'en propose une, ton compère a trop bu et il crie, il insulte le monde entier et peut-être qu'il a raison, tu caches tes vêtements élimés, tes ongles noircis, tu renifles, tu t'es pas rasé depuis la nuit des temps, lavé n'en parlons pas. Tu me dis que j'ai pas changé.

Et la preuve, mes yeux se remplissent, encore.

-maispastrop-



A la bonne heure

C'est triste à dire, mais parfois, la joie ça tient à un dixième de sensation.

Quelque chose qui passe, qu'on croit attraper et qui déjà nous échappe, avant même qu'on sache ce que c'est, où, pourquoi et comment le raconter. Parce qu'y a pas de mots pour certaines sensations.
Est ce que tout le monde cherche vraiment le bonheur?

Il parait qu'il vient vers ceux qui y croient très fort.

Moi, je l'ai rencontré, souvent, au coin d'une rue à l'improviste et on avait plein de choses à se dire: je lui faisais pas mal de reproches, le grondant d'être trop retardataire ou trop exclusif ou trop évaporé ou intouchable. J'avais l'impression de parler à une femme fatale. Une de celles qu'on n'a jamais vraiment.
En femme fatale il me répondait par un sourire et je crois même qu'il passait sa main sur ma joue, en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille.

A chaque fois, à chaque fois que j'ai été incroyablement heureuse, j'ai mis un peu de mon bonheur dans une boite que j'ouvre régulièrement avec friandise. Ma boîte est comblée, ça, pour sur. Ma boîte étincelle. Ma boîte m'emmerde.
Au coin de la rue, aussi, je lui dit que, bon, c'est quoi cette manie de venir et de partir avant même que... et puis de revenir alors que... c'est quoi cette manie, bon sang? Cette fois, c'est ma main qu'il prend de la sienne, et qu'il met sur sa joue; la manière dont la forme de ma paume se moule à celle de sa pommette m'émerveille et comme il voit mon émerveillement, il sait que j'ai compris. Donnant donnant.

Si le bonheur me rend heureuse, je dois aussi rendre heureux mon bonheur. On n'a rien sans rien, hein?

Mais quand même, je lui dis -parce que je suis casse pieds- quand même, comment tu décides où aller, qui a tes faveurs, pourquoi lui plutôt qu'elle. Pourquoi moi?
Je viens vers ceux qui croient très fort en moi, qu'il me répond le bougre.
Je lui rétorque qu'il est rien qu'un vulgaire dicton à la con.
Il lance que tout est un dicton, ou espère le devenir et qu'il est pas là pour changer tout ça, simplement pour le rendre plus coloré.

Alors, quand on le croise, le bonheur a toujours le dernier mot. Pas parce qu'on n'a rien à répondre, non, on aurait un paquet de rhétorique à lui servir, mais ce qu'il dit sonne tellement agréablement à l'oreille que c'est sur sa phrase qu'on a envie de s'endormir, pas sur la nôtre.

-maispastrop-

Péages et contraventions

Quand ça va vraiment bien pour la plupart des gens,

ça va certainement très mal pour d'autres. Un petit lot. Caché dans le coin, au piquet, qui attend que la tempête se calme, la tête baissée, que le vent tourne, qui espère que le soleil ne se lève pas toujours du même côté tout en sachant pertinemment qu'il pleut toujours sur les mouillés.
Alors quand ils rentrent trop tôt pendant que tout le monde part pour danser, ils accrochent leurs vestes trempées sur des cintres mous qui déforment les épaules du tissu; et quand ils les revêtent, le matin, essayant d'y croire pour aujourd'hui au moins, ils croisent le miroir. Ils ont l'air piteux, et parce qu'ils ont l'air piteux, ils font pitié, et parce qu'il font pitié, on les oublie.

On les aimait, pourtant, quand ils riaient et faisaient rire, leur compagnie était souvent qualifiée d'indispensable et c'était avec moult bravos et bras grands ouverts qu'on accueillait l'arrivée de ceux qui, on le savait, allaient donner un ton, un charme, une force à ces prochaines heures.

Et puis le bonheur.

Le bonheur fasciste. Le bonheur prison. Le bonheur isoloir, isolant, camisole. Le bonheur mauvais.
Vous restez sur le bas-côté, et alors? S'était-on jamais promis qu'on resterait unis, coute que coute, quand une voiture s'arrêterait?
Faire du stop avec toi, c'était bien, oui, mais c'était rien de plus que du stop; et maintenant, j'avance. J'avance vite et fort vers des murs et des désillusions et je ne te compte pas parmi les passagers, c'est comme ça. Je veux pas que tu me dises la vérité. Je veux pas que tu saches qui je suis. Je ne veux plus me voir dans tes yeux.

L'amitié, dans certaines bouches, ça sonne comme une mode. Quelque chose qui serait d'actualité un jour, que tout le monde voudrait quitte à payer les yeux de la tête de la peau des fesses et qui, le lendemain, ne représenterait rien de plus, rien de mieux, qu'une chemise qu'on ne met plus parce que tout le monde l'a mise et tout le monde en a changé.
L'amitié serait donc consommable, périssable comme des fleurs, comme des bonbons même.
A consommer avant: voir la date ci-dessous.
Comme moi, ma peau, mes os et mon envie.
A consommer au plus vite: avant demain.

Mais.

"Mais" est souvent mon allié, mon meilleur ami, celui qui sait tout "mais" oppose à cette grande vérité quelques exceptions de la vie que je vis.
Mais, peut-être ai-je su m'entourer finalement de chouettes surprises en paquet cadeau. De poupées russes qui réservent étonnement, déception, retrouvailles, relans, demi-tour, réminiscence, régurgitations, symbiose et complicité. Et même qu'on sait pas quand ça s'arrête, qu'elle est où, la toute petite poupée de la toute fin, qu'est ce qu'elle nous réserve; mais qu'on y va quand même et, la plupart du temps, main dans la main.
Mais amis. Mes amis, c'est comme la famille que je me serais choisie: un comme ça, une comme çi, eux par là, toi tout près. Et on rigole pas avec la famille.
Mais peut-être ai-je su m'entourer, finalement, de gens qui avaient compris cette droiture, cette implacable fidélité et qui, soyons fous, la véhiculaient eux-mêmes, avant qu'on s'aime, eux et moi.

C'est bien la raison pour laquelle quand on réalise qu'on a délaissé un de ceux-là pour une autoroute propre, droite, réconfortante puis infranchissable parce qu'en travaux, on revient à la jolie nationale sinueuse, risquée et imprévisible mais fiable. Là. Droite dans ses bottes. Toujours prête.
C'est aussi la raison pour laquelle, quand on réalise qu'on a délaissé notre nationale et qu'elle s'est abîmée, cabossée, habillée de vestes déformées, on voudrait lui construire un tunnel tout droit vers le paradis pour se faire pardonner.
Parce qu' on trouvait qu'elle avait l'air piteuse et qu'elle nous faisait pitié et qu'on l'avait oubliée; et pendant qu'on l'oubliait, elle touchait à quelque chose d'indéfinissable, une pureté, un retour à elle qui la rend.... Même dans l'orage, elle resplendit, regardez, ça saute aux yeux, non? Toute la pluie tombe à pic sur toi. De ta tristesse, tu as crée une force qui te rend.... Qui nous donne des envies d'enfourcher une superbe moto au milieu de tous tes nids de poule, ma poule.

-maispastrop-

Les stigmates de la myopie

C'est presque de la schyzophrénie.
Je ne dors pas, mais je ne suis pas fatiguée. La période est très creuse, mon moral ressemble à une carte météorologique et pourtant...
Ce ne sont pas mes yeux qui sont lourds, c'est ma vue. Ce que je vois pèse une tonne, et moi, je persévère, je continue de me sentir légère et virevoltante.

-maispastrop-