supertoparchisympamarché

Je fais des erreurs, tout le temps.
Je suis... Il m'arrive d'être absolument nulle, zéro, ratée.

Elle se dit ça, c'est ça qu'elle se dit en cherchant ses clés, encombrée avec ses sacs de courses de jeune fille célibataire au bout de ses bras frêles et pas assez bronzés. Elle regrette de n'avoir pas été plus autoritaire au travail, plus douce au restaurant, plus compréhensive avec sa mère, plus mieux, plus comme il faut, faudrait, moins nulle.
Ca l'a toujours angoissée les gens au supermarché, qui, devant elle, déposent leur semaine et leur solitude sur le tapis roulant qui amène à l'intraitable caisse; un plat préparé de cabillaud aux petit légumes réduit en matières grasses, une boite de raviolis -même pas de fromage râpé-, un paquet de cotons démaquillants et une bouteille de bière. Peut-être même un produit nettoyant. Ca lui donne envie de pleurer. Ou peut-être de rire, et de proposer à cette abandonnée de venir se joindre à elle. Pourquoi pas.
"Pourquoi moi? Moi c'est déjà beaucoup, oui, c'est ça que je lui dirais si j'ai le courage de l'inviter, il faut se faire des bons petits plats, comme ils disent, et regarder un film de qualité, bien installée sur un canapé douillet en ayant éteint son portable."
- Je prends soin de moi toute seule comme je voudrais qu'un autre prenne soin de moi, c'est comme ça qu'on n'a plus jamais besoin que quiconque prenne soin de soin. Après, on a simplement envie.

Ca fait toute la différence.

Elle est jolie cette fille, malgré ses plats tout prêts, qu'elle va mettre au micro ondes, et ingurgiter sans s'en rendre compte devant une série abrutissante, un truc à la con, fait pour les filles. Les trucs à la con dans le poste de télévision, c'est toujours pour les filles aux plats préparés. Rien n'a vraiment changé. Tout a continué comme dirait l'autre. Elle est jolie, cette fille. Je la prendrais bien dans mes bras.

Pourtant je m'en vais, bien sur. Je suis nulle, je fais des erreurs tout le temps, je me goure. Mes pires erreurs sont surtout des omissions, des non-dit, des incompréhensions et des timidités. C'est dans ce que je ne fais pas que je suis au pire de moi-même.
Elle a vu que je la regardais -je la regardais tellement qu'elle ne pouvait pas ne pas le voir- et elle m'a souri avec dans la plissure de ses lèvres une tendresse et une question, un espoir.
J'ai pas répondu, j'ai filé, comme une voleuse que j'étais d'ailleurs, à lui subtiliser son intimité à force d'ausculter ses achats et de ressentir, à ce spectacle, des choses trop fortes pour qu'elle ne s'en rende pas compte. Je l'ai laissée tomber, lâchement.
Je fais ça tout le temps, on dirait un toc, c'est rageant, j'enrage.

Fatiguée, éreintée, vide, bête et hilare, je me rue au supermarché, dimanche pour succomber à l'envie qui m'est venue au lendemain d'un samedi festif, l'envie de viande rouge, de frites, de salade, de vin élevé en fut de chênes. Un bras me propose de passer en priorité. Je regarde au bout du bras, il y'a un buste, en haut du buste, je regarde aussi, il y a un visage.

-Vous n'avez pas grand chose, vous avez l'air pressé, moi ça me dérange pas, allez y.
-Je vous ai déjà vue.
-...
-Nan je veux dire, je vous ai déjà regardée. Ici. A l'autre caisse. Vous aviez acheté du cabillaud.
-... elle sourit Je. J'étais pas sure que c'était vous.
-... je suis vexée.
-
Non, c'est pas du tout ça. Je veux dire. J'étais pas sure que vous me reconnaitriez.
-... je souris. J'allais vous inviter à la maison vous savez.
-Vous. Vous. M'inviter chez vous? Pourquoi?
-Pourquoi pas?
Tous les clients du Franprix nous scrutent, c'est drôle comme, même quand je vis quelque chose, quelque chose de nouveau, d'étonnant, de détonnant, de fort ou quoi qu'il en soit d'assez captivant pour solliciter toute ma personne, il y a toujours une partie de moi qui sait et regarde ce qu'il se passe autour. Qui sort de la scène comme pour trouver un bon angle de caméra.
-Pourquoi pas, oui. Mais vous ne m'avez pas invitée.
-Non.
-Pourquoi?
-Pourquoi pas?
-Non mais pourquoi?
-Parce que je suis lâche pardi.
Nos condiments, nos légumes, nos bouteilles et nos produits nettoyants se mélangent sur le tapis roulant; tant et si bien qu'on ne sait plus qu'est ce qui est à qui.
-Vous savez, moi aussi je vous avais remarquée.
On fait moitié moitié pour ne pas froisser la caissière déjà assez austère comme ça.

Je lui prends le bras, je l'emmène à la maison. La maison est juste à côté du Franprix alors tout va vite. Je lui fais prendre l'ascenseur. Elle se recoiffe devant le miroir comme si, en haut, elle avait rendez-vous.

On a posé nos sacs dans l'entrée.
Les produits congelés ont fait la gueule, le lendemain, tout décrépis qu'ils étaient.

Mais elle, elle était souriante, fraiche comme un légume frais, pétillante. Je ne l'ai pas entendue se préparer, elle est juste venue m'embrasser le front, avant de partir.
Elle a fait ça: elle a dégagé mon front, poussant mes cheveux sur le côté; ça, je l'ai senti dans un demi-sommeil. Et j'ai senti aussi qu'il se passait du temps entre ce geste et le reste, parce qu'elle me regardait.
J'ai ouvert les yeux. Elle plantait déjà les siens dans mes pupilles effrayées du jour grinçant du matin. Elle a encore attrapé mon bras comme pour me laisser passer au supermarché, j'ai bien aimé être plongée dans ce demi sommeil qui empêche de tout à fait savoir, d'exactement agir.
Je me suis relevée, empatouillée dans ma nuit et j'ai tendu mon front vers elle, front qu'elle a pris entre ses mains en me donnant l'impression qu'elle était la vierge marie. J'étais le petit Jésus. Elle a embrassé la peau au-dessus de mon sourcil gauche pendant que je me demandais s'il me restait du café.

J'étais à moitié assise dans mon lit, impatiente qu'elle parte pour être enfin seule, inquiète qu'elle s'en aille avant de l'avoir vraiment rencontrée et le téléphone a sonné, obéissante, lâche, j'ai répondu.

Je ne l'ai pas vue partir. Elle a laissé ses courses dans l'entrée, à côté des miennes. J'ai diner dehors ce soir là, j'avais pas envie de cuisiner, pas envie de m'occuper de moi, mais seulement de mettre les pieds sous la table. En rentrant, j'ai vérifié que ma boîte aux lettres n'était pas trop remplie de factures tout en sachant qu'elle le serait. Elle l'était, oui da, mais par dessus tout ça, il y avait un petit mot sur un bout de paquet de cigarettes.

"on s'est vouvoyées, alors qu'on a le même âge. je voulais vous dire que je te remercie. tant qu'il m'arrivera des surprises comme hier soir, je peux laisser mes courses décongeler".

Tant que les courses décongèlent dans le couloir, je revis ça, cette scène. Il faudra bien que je les jette. Demain. Je ne connais même pas son prénom. Mais il me restait du café dans les sacs, posés à la hâte dans l'entrée; un petit noir serré à minuit en l'honneur de.

-maispastrop-




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