ground me to major mummy

Elle ressemble à rien.

C'est pas une façon de parler.

Elle n'est personne. Il n'y a rien dans mes rétines quand je la vois. Je pourrais la dessiner les yeux fermés et pourtant, il suffit que je les ouvre pour que tout s'évapore; elle n'a plus de contours, de silhouette, le crayon et la feuille se volatilisent avec mon aveuglement. Elle est une valise de souvenirs, elle est des images, des odeurs. Elle est des relents de sentiments et de griefs. Elle est la plus proche et une inconnue.
Elle est un foulard que j'emportais pour ne pas me sentir seule. Et la femme que j'admirais pendant qu'elle allongeait ses cils. Plus que tout, j'aimais les retours de colonies où elle venait me chercher avec la tenue que j'avais plus qu'à la bonne, je lui disais "tu veux pas mettre cette robe?", elle répondait "ah bon? celle-là?", et elle mettait celle là, et c'était comme un rendez vous amoureux. Mon coeur tambourinait à sa recherche, et s'emballait davantage encore quand elle apparaissait au détour de la porte b de l'aéroport. Plus rien n'existait. Ni l'aéroport, ni ma colonie, ni l'amoureux de ma colonie.
Il arrivait même que je lui demande d'imiter Marilyn, la démarche de Marilyn, ce chaloupé typique, cette croupe qui tangue associé à ce regard lointain mais chaleureux; et, alors qu'elle, elle aimait Ava Gardner, elle avait appris le déhanché Monroesque, et pas qu'un peu. Il arrivait même que je ne lui demande pas et qu'elle le fasse. Elle mimait à merveille la starlette qui rebondit sur ses jambes et marche sur une surface qu'on ne peut pas, nous, pauvres mortels, atteindre. Avec cette dégaine, elle arrivait jusqu'à moi et ce que je préférais, c'était que ça l'émerveille, elle. Et qu'elle s'amuse de ça, aussi, pas seulement pour moi, qu'elle s'amuse, elle. C'est comme ça qu'elle était belle, quand elle s'amusait pour elle.
C'est pas que c'était la plus belle, c'était peut-être pas la plus belle, mais c'était la seule.

Elle m'a mise au monde. Finalement, je n'y ai pas souvent pensé, à ça: je suis sortie d'elle.
Non mais quand même.
Non mais merde.
Je suis sortie d'elle. Je viens de son corps, elle m'a fabriquée, crée, donné forme.
Franchement, y' a de quoi trouver pas mal de choses étranges.
C'est de là que je viens, voilà, de l'intérieur de cette femme dont je ne saurai jamais tout. Cette femme qui a eu une vie, qui était une personne avant d'être une mère.
Je suis sortie d'elle. Alors, je lui dois tout et elle aussi et on ne se doit rien et c'est la vie.

Je la regarde, elle est là, vivante, elle respire aussi quand je ne suis pas à ses côtés, elle a ses problèmes, ses bonheurs; elle m'aime. Elle m'aime tout le temps. Elle m'aime d'une manière qui est presque obscène. Personne ne m'aimera jamais comme ça, jamais autant, jamais d'une manière aussi résignée, définitive, confiante, dramatique. Parce qu'elle, elle le sait, quoique je fasse, elle m'aimera. Et moi, je m'en doute.

Il y' a des photos que j'ai trouvées: elle a mon âge sur ces photos et c'est comme irréel, j'ai du mal à croire qu'elle ait pu se faire des brushings pour allez danser le twist ou avoir un gros ventre parce qu'elle était enceinte, être amoureuse, faire l'amour, pleurer et donner quand même des conseils à ce qui était sorti de son ventre. Moi.
Elle était quelqu'un, qui aurait pu être mon amie, faire la bringue avec moi, m'attraper la main sous la table quand personne sauf elle n'a compris que ça allait pas fort, m'engueuler pour que je me resaississe. C'est ce qu'elle est. Elle aurait pu être ma meilleure amie, elle est ma mère et jamais je ne voudrais qu'elle soit ma meilleure amie; les meilleures amies n'existent pas.

Elle sait tout de moi. Elle m'a vue rose avec la couche et beuglante pour avoir mon lait. Elle m'a consolée quand je perdais mes dents, elle m'a laissé croire qu'une connasse de souris allait venir la chercher sous l'oreiller. Ma dent. Elle a joué le jeu de la souris, de l'oreiller, de la connasse. Elle a fait comme toutes les mamans alors qu'elle était une femme. Elle m'a vue rentrer en primaire, excitée. Au collège, anxieuse. Au lycée, rebelle.
Je vois ma vie à travers elle, mais elle? Sa vie? La femme qu'elle est, qu'est ce qu'elle vivait? Est ce qu'elle repensait à sa propre enfance? A sa mère? J'ai toujours vécu avec elle, comment vivait-elle sans moi?

C'est surement pour ça que j'aimais la voir arriver parée à l'aéroport. J'aimais qu'elle soit Elle, et que quand bien même elle s'occupe de moi.

Il y a quelque chose d'assez pratique -vu que j'ai beaucoup de questions à lui poser, quelques réponses aussi- il y cette chose super c'est qu'elle ne mourra jamais. Ca fait qu'on a tout notre temps. Elle ne peut pas mourir, elle est, je veux dire, c'est même pas un super héros, c'est la vie, cette fille; si elle meurt, qu'est ce qu'il resterait? C'est tout bonnement impossible. Sinon, qui m'aimerait vraiment?
Je sais qu'elle partira jamais, essayez pas de me faire croire le contraire parce qu'alors j'essaierai de vous faire manger vos gencives. Il y'a encore trop de choses qu'il faut que je sache, sur elle, sur ce mystère, et il faut aussi qu'elle en apprenne sur moi.
Quelque fois, je me réveille et alors que j'ai même pas bu mon café, j'ai envie de l'appeler, de lui dire que je lui cache beaucoup de choses et que tout ce que je lui cache sont autant d'abcès qui nous éloignent, que, j'ai vraiment pas envie de faire semblant devant elle comme devant un vulgaire employeur. Je ne veux pas tout lui dire, mais je ne veux pas lui faire croire que tout va bien. Tout ne va pas bien madame ma génitrice.
Rien ne va jamais bien et de toute façon tu le sais, alors pourquoi, pourquoi diable espères-tu que ce sera le cas pour moi?
C'est pas moi que j'aime en elle, c'est justement tout ce que je sais et ce que j'imagine de la femme d'avant; celle qui sait que ça ne va jamais absolument bien pour personne et qui arrêtera ce grand cinéma de la maman.
"Maman", je ne fais pas toutes les choses que tu voudrais que je fasse parce que tu penses que ça me sauvera-tu ne les as pas faites non plus-parce que je suis humaine, hey, la preuve, je suis sortie de ta zézétte, maman, tout comme tu es sortie de la chatte de quelqu'un et tu n'étais pas non plus parfaite. Et celle dont tu es sortie non plus. Et personne.
Aussi, je suis faite d'imperfections. Je dors trop, je suis flemmarde, j'aime tout le monde un jour, et puis plus personne le lendemain, je fume trop, je bois plus que de raison, je n'ai pas assez de raison, et je t'aime.

J'ai pas envie d'avoir d'enfants aussi.
Et, en plus, je crois que je suis pointée du doigt par plein d'autres gens pas parfaits sortis de plein d'autres chattes de femmes pas parfaites non plus.

J'aimerais bien lire une lettre que tu aurais écrite à ta mère.
Mais dans une autre vie.

-maispastrop-

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