Demain, je continue

Ils arrêtent.
Beaucoup d'entre eux, d'entre nous, des miens. Ils arrêtent et comptent les jours passés sans, cochent parfois les jours sur les calendriers, même.
Je croyais qu'on comptait les jours qu'il nous restait à vivre tandis qu'eux, d'une certaine façon, comptabilisent ceux qu'ils gagnent peut-être.

Le petit fil peine parfois à se séparer de l'emballage, mais quand on s'y prend bien, c'est un de ces gestes gratifiants que j'affectionne tant il est limpide et constructif. En effet, une fois le plastique mis à part, on arrive au vif du sujet, au centre de l'attention, l'objet du désir. On n'a pas fait tout ça pour rien.

Quand je la sors du paquet, le bruit est soyeux. Comme de la soie, oui. De la soie qui se frotterait à une autre soie, mais dans le bon sens du terme, le bon sens du poil, pas celui qui fait grincer des dents. Deux bouts de soie dans la même direction, un accord de mélodie tout à fait pop et élégant.
Quand je l'attrape entre mon index et mon doigt d'honneur, entre ce que je pointe et ce que j'emmerde, elle trouve sa place, elle est comme à la maison. Fais comme chez moi, je lui dis.
D'ailleurs ma maison sent un peu comme elle en fin de semaine, je sais c'est mal, mais il se trouve que c'est comme ça, elle prend son odeur. Un amoureux dort deux nuits de suite sur un de vos oreillers et le tissu de la taie adopte l'odeur de sa nuque. Je passe mon dimanche au lit avec elle, et c'est itou, c'est comme ça, disais-je. Pas autrement. Et quand on dit "c'est comme ça", c'est une manière à peine déguisée de faire comprendre que vos critiques n'y changeront rien et qu'on s'en fout comme de l'an 40, ma gauloise blonde bleue et moi.

Quand je l'amène à ma bouche, mes lèvres se tendent vers elle avec une habitude lassive, comme vers un amant trop connu et dont on ne peut pourtant pas se passer, qui fait toujours, encore, battre le coeur après tant d'années de vie commune.
Déjà, mon sang s'agite, mon coeur l'accompagne, mon organe vital est bien obligé de suivre ma circulation vous me direz. Ou peut-être est-ce l'inverse. Tous les deux sont pourtant d'accord sur un point: c'est pas une bonne fréquentation, cette blonde aux yeux bleus, on court à notre perte, faut arrêter, faut plus la voir, lui refuser l'entrée, quelque chose, mais ne plus l'accueillir et la faire circuler dans les poumons, la gorge, sur la langue, entre les dents, sur le bouts des doigts, ça suffit, merde.
Ca suffit.

Et pourtant.
Regardez comme ça change son fusil d'épaule, tout cet attirail de revendication, dès qu'une carotte rouge clignote sur un trottoir parisien.


J'aime arriver chez mon buraliste et ne pas avoir à prononcer un seul mot; je pourrais même, si je le voulais, garder la musique dans mes oreilles et me contenter de le contenter d'un simple sourire, mais, j'ôte toujours -par politesse- un écouteur et lui souris pendant qu'il attrape déjà mon paquet alors que j'ai à peine fini de dire "bonjour".

Un par jour. Un paquet. Un homme, un film, un verre de vodka, un livre, un rêve, un texte, un plat. Et toutes ces cigarettes de ce seul paquet qui accompagnent l'homme, le film, la vodka, le livre, le texte, le rêve, le plat.
Parfois deux.
Les grands soirs. Deux paquets et généralement une moitié d'homme, je me sens comme la cinémathèque après 9 verres de vodka, où est mon livre, je rêve pas je ronfle, et j'ai rien à écrire d'façon, ou trop de choses; j'ai pas faim mais je mangerais bien 4 bavettes à l'échalotte. Ou toi.
Et toujours ces cigarettes pour témoigner de tout"ça".

Si un jour on me juge extraordinaire au point de mériter une biographie, je voudrais que ce soit mes tiges qui s'en chargent parce qu'elles savent tout de ce que les journalistes et les paparazzis n'auront pas pu attraper, dans la salle de bain le matin ou tard, très-trop tard, presque tôt, au lit. Elles savent tout.
Et elles se gêneront pas pour balancer, elles n'ont pas de scrupule. Elles sont pas là pour ça.

Ils arrêtent tous parce que le temps passe, -oui il fait ça souvent le temps- et que la nicotine commence à essouffler peut-être, à griser le teint ou je ne sais quoi. Quand est ce qu'ils prennent cette bizarre décision, je me demande. Quand ils peinent à monter 6 étages d'un seul souffle? Ou parce qu'il est écrit qu'il faut devenir sérieux, à un moment donné, et faire des enfants par exemple pour fêter ça. Ce qui est, nous sommes d'accord, la pire preuve de sérieux qui existe. Ils arrêtent donc parce qu'ils veulent s'occuper d'eux, non? J'entends par là, prendre soin de leur corps, espérer qu'ils passeront entre les mailles des milliards de filets des millions de cancers, manger bio peut-être, faire du sport, se coucher tôt, tiens, tant qu'on y est, et ne pas mettre les coudes sur la table. Vivre plus longtemps.
Plus longtemps que quoi? Que qui?

Ma Cigarette, je vous le dis tout net, elle a une espérance de vie qui dépasse rarement les 5 minutes et c'est très bien comme ça (bis)(ter). Mais, comme je suis toute à elle et elle, ô combien toute à moi, ce sont les 5 minutes les meilleures de sa vie.
Ca tombe bien, elle n'en n'aura pas d'autres.

Quand j'approche le briquet, elle frétille comme une pimbêche au bal de promo et le bic -noir de préférence- se la joue sobre, une petite flamme et pis, c'est marre, il s'en retourne dans sa poche chérie; C'est pas un mec facile, ce briquet.
Ca crépite, ca "frchit" dans l'univers, ma gauloise blonde bleue se souvient de toutes les fois où je me suis jetée sur elle, frénétique, en sortant d'une séance de cinéma où De Niro fumait de manière obsènement communicative. Quand De Niro fume, l'ingé son devient un génie du détail, un r.p. marlboro, il communique les moindres frétillements du papier, l'ardeur avec laquelle la nicotine râpe la gorge déjà empêtrée de la star d'Hollywood, et la moiteur du filtre qui se décolle de la bouche. Sans parler du moment où la chose est écrabouillée dans un cendrier déjà rempli. Ce son là qui me donne envie de partir de la salle en courant pour absolument mettre ma blonde aux yeux bleux dans mon sang rouge. Il faudrait faire une bande originale des moments de cigarette au cinéma.

Quand j'en suis à la moitié, parfois, je me lasse. Si par malheur, je l'installe dans son panier de cendrier parce que je dois faire quelque chose avec deux mains, quand je reviens vers elle, cette fumée grisâtre m'ennuie, alors, dans un réflexe tout à fait pavlovien, je la fume encore la coquine, mais avec une hâte réservée normalement aux connasses qui s'avèrent décevantes une fois qu'on les a déshabillées. On n'en voulait plus, bon, c'est juste là, alors d'accord, on en veut encore, c'est sous le coude, donc pourquoi pas, mais sans enthousiasme, ne vous emballez pas non plus, on va faire ça rapide, l'air de rien et vite passer à autre chose.

Pourtant, je vous le donne en mille, en deux mille, en... en combien vous voudrez, en chameaux si ça vous arrange, au moment où ma main va pour s'en séparer, quand le cendrier croit voir arriver son quatre heures, non, ma tête en veut encore. Ma tête dit à ma main qu'elle ne veut pas que ça s'arrête comme ça, qu'elle aime encore cette blonde aux yeux bleux, que, non, elle ne veut pas la quitter. C'est pas de cette façon qu'on traite une vieille amie, un peu de respect bon sang. Bon sang nicotiné qui manque d'oxygène.

J'ai pas envie de me préserver. J'imagine que je n'accorde pas beaucoup d'importance aux années. Et pourtant, je les aime toutes, une par une, sur le coup, d'une force herculéenne. Parfois même je les considère au point de les disséquer en mois, pourquoi pas en semaine, et chaque jour est un jour, un vrai jour, le seul.

Arrêter de fumer. J'aurais trop peur de devoir me prendre en main, main à qui ça allait si bien de fumer. Arrêter tout, et peut-être que respirer aussi c'est dangereux. D'ailleurs, dites donc, vivre ça ferait pas mourir par hasard?

Et peut-être que c'est pas grave surtout. Qu'est ce qu'on est, nous, petites crottes, pour vouloir vivre absolument jusqu'à la fin des temps?
La fin des temps, même des miens, je meurs pas d'envie de les vivre.
Vous me raconterez.

-maispastrop-

2 commentaires:

Anonyme a dit…

quelque part , après avoir emballé dans un sac bleu ce livre pour arrêter de fumer qui ami qui me voulait du bien m'avait légué, je voulais te dire merci , merci de m'accorder ces lignes savoureuses pour me laisser aller au doux plaisir de fumer

Ms. Solveig a dit…

Cela me fait penser à un poème que j'avais écrit en août 2007. Personnellement, je ne fume pas ou alors, très occasionnellement (mais les occasions sont trop rares). En ce moment, je carbure au thé et j'en bois beaucoup.
J'ai écrit ce poème avec un point de vue masculin - je me mettais dans la peau d'un homme qui fume des Gauloises blondes... Voire de ces Malbac lights qui rendent patraque !

On s'est rencontré il y a déjà dix ans
Toi et moi, un après-midi, au soleil, sûrement.
Alors, dès que me vient l'envie, je te mets à mes lèvres
Et je t'enflamme. Voilà que commence la fièvre.

Sois mienne ! Endors-moi dans tes nuages.
Sois mienne ! Réveille-moi dans ta clarté
Et dire qu'entre nous deux, la tempête fait rage.
Derrière ton écran, j'irai me cacher.

Abattue par une flamme, je te tire dessus.
Je reste fidèle à toi et tu l'as déjà su.
Je te grille et tu brilles telle une bague dorée
Que je porte à mon doigt. Et toi à mes côtés...

Tu es ma beauté blonde et je suis ton esclave.
Doucement, je souffle ta fumée qui me lave.
Mais à partir de l'instant où je ne peux plus m'étendre
Je te laisse sur le pavé et te réduis en cendres.

Et je sais si bien que vouloir t'abandonner
Ce serait difficile. Dès que j'en ai assez
Je t'écrase et je pars. Difficile de quitter
Cette habitude que j'ai, que tu m'as laissée.

Sois mienne ! Endors-moi dans tes nuages.
Sois mienne ! Réveille-moi dans ta clarté
Et ainsi, je me ruine, à tant et trop t'aimer.
Notre complicité nous brûle et nous rend sages.