Comme un sac

Avant hier, l'homme avec qui j'ai dormi s'est couché à 3h22,
et hier, le même homme s'est levé à 8h50. Il a bu deux cafés, en a préparé trois, en a laissé un sur la table à côté de mon lit. J'ai commencé à le boire froid, et puis je me suis rappelé l'existence du micro-ondes.
Combien sommes nous à commencer la journée par les mêmes gestes?
J'éteins cette sonnerie criminelle, je me cogne un peu ça et là, je fais pipi, j'allume le téléphone, j'écoute les messages en préparant le café (ou en le réchauffant), je bois le café en regardant par la fenêtre, je dors encore et déjà, j'ai envie d'une cigarette.

Aujourd'hui, je ne sais pas à quelle heure l'homme d'hier s'est réveillé, ni s'il a préparé le café à une autre demoiselle. Je pense à ça en cherchant un pull que j'ai absolument envie de mettre aujourd'hui, parce qu'il va bien avec le ciel gris vert qui surplombe la ville ce matin. J'y ai pensé en ouvrant les yeux, c'est dire si j'y tiens, mais impossible de mettre la main dessus.
Oui, il y a des choses plus importantes, il y a même des choses tout simplement importantes et ne pas trouver ce pull n'en est pas une. Bah allez dire ça à une fille de 25 ans à peine réveillée.

J'ai l'impression de passer ma vie à chercher quelque chose.
Le plus souvent, dans mon sac.

En 2° position: les briquets et les stylos. Est-il vraiment nécessaire de préciser à quel point cela peut-être urgent comme besoin? J'enrage à farfouiller et quand je trouve, je n'ai plus envie de fumer, ou encore j'ai perdu l'idée que je voulais noter, toute déconcentrée que j'étais à trouver des noms d'oiseau à ce foutu sac. Il arrive aussi qu'une âme bienveillante avance sa main vers ma mine renfrognée et allume un briquet devant moi. Bon. Merci. Mais n'espérez pas que je vous fasse la conversation pour autant, faudrait attendre au moins que mes pulsations d'enervement descendent en dessous de 80. Repassez plus tard.

En 1° position: les clés. Tout en haut du top ten, elles détiennent la place du vainqueur et ne comptent manifestement pas la laisser à n'importe qui. Elles y tiennent, les mauvaises et s'y accrochent vaille que vaille.
Jusqu'à me faire renverser totalement mon sac devant la porte, à bout, exaspérée et prise en flagrante panique par un voisin que j'aime pas. Et vous pensez bien qu'il ne manquera pas de mettre ça sur le compte de la très méchante jeunesse désorganisée ou peut-être sur l'ingurgitation de substances illicites. C'est toujours un voisin que j'aime pas, ça rate jamais.
Ceci dit, il n'y en a qu'un que j'aime. Et comme avec lui, on discute de la pluie et du mauvais temps, je suis toute à mon aise pour trouver le trousseau et ainsi, je ne me rends même pas compte que je les ai, ça y est, et que j'ouvre la porte en lui souhaitant une bonne journée.


Le téléphone me direz-vous. Le téléphone, je ne le comptabilise même pas. Je me préserve de l'ulcère en ayant depuis longtemps abandonné l'idée de le trouver à temps pour répondre.
Il sonne, très bien, qu'il sonne tant qu'il lui plaira de sonner, moi je garde mon sang chaud froid et, incrédule, calme, lance ma main dans la jungle de mon sac à main. C'est même pas pour répondre, c'est pour écouter le message, et pour, peut-être rappeler. (Ma facture du mois dernier ressemblait à un n° de Boeing.)

Il n'y a pas toute ma vie dans mon balluchon, et je n'ai jamais trop adhéré à cette coutume nationale qui consiste à crier au scandale quand un homme regarde dans le sac d'une femme. Je mets bien mes mains dans leurs poches, moi... Il n'y a pas toute ma vie parce que j'en change souvent, pour l'accorder à la tenue du jour. Comme je me lance dans cette occupation vitale à l'heure où je devrais normalement arriver à mon rendez-vous, j'oublie l'essentiel d'aujourd'hui dans le sac d'hier; et ça, tous les jours.

Je fais alors avec ce que j'ai sous la main de mon sac à main, improvisation quotidienne, je retombe sur des carnets à moitié pleins, à moitié blancs, je découvre une adresse que je croyais avoir perdue, et je suis devenue très convaincante avec l'habitude, pour expliquer au monsieur en kaki que, si, si, bien sur que j'ai un abonnement, mais malheureusement il est resté dans le sac en cuir noir avec ma tenue années 60.

Dernièrement, j'ai mis un plus petit sac dans tous les autres sacs. Dans ce subterfuge, je range les têtes de peloton, les clés, le portable, le briquet et le stylo.
Je réponds au téléphone plus souvent, j'arrive de moins en moins en retard. Ah oui, et j'ai supprimé le lait de mon café, fait le deuil de mon inénarrable noisette, la remplaçant par un austère petit noir. Je ne fume plus à jeun, aussi. Et je mets de plus en plus de temps à me remettre tant bien que mal -plutôt mal, d'ailleurs- de mes frasques nocturnes.

Vieillir vous dîtes?

-maispastrop-

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