Miss météo

Mmmmh, je l'ai vu et tout de suite, je l'ai aimé.
Adopté. La brèche s.p.a en moi n'a fait ni une ni deux. La faille narquoise non plus.



Il y a des choses, des images, des gens, bref, des machintrucbidulechouette pas toujours chouettes qui inspirent à la fois la tendresse et le cynisme.
Mon p'tit gars, avec ton passif Columbo, ta peau qui pend tout partout et ton air d'autoroute à désarçonner un ministre, tu gagnes une place dans le palmarès des images dont j'hésite toujours à décider si elles m'attendrissent plus qu'elles ne m'amusent.

A l'école, il y avait ce Josselin. Ca me rappelle ça. Josselin. Il était... différent. Il se tenait à l'écart, droit dans ses bottes tout en faisant profil bas, parce qu'il savait qu'aucun des sauvages bien-comme-il-faut ne le raterait. Au premier faux pas, tout le monde lui tombait dessus et il rentrait souvent avec le carnet de correspondance déchiré ou simplement l'air absent de celui qui s'est fait gausser toute la journée.
Moi je l'aimais bien, ce Josselin. J'aimais son prénom, j'aimais ce que ma langue faisait dans ma bouche pour le prononcer et pourtant, je me l'interdisais souvent. J'aimais bien son air. Son air aérien. Il était au dessus de tout ça, et moi j'ai toujours eu envie de fréquenter ceux qui planent loin du quelconque. Mais, dès que j'allais lui parler, il le perdait, son air. Il semblait plutôt étouffer. Peut-être qu'il anticipait sur l'intervention musclée de Benoit, Joachim, Samir et Jean qui débarquaient, s'interféraient entre nous et le moquaient. Ils finissaient par demander pourquoi je lui parlais à ce petit morveux. Alors je disais qu'il n'était pas morveux, qu'il était aérien. Pffff. Ca faisait rien qu'à nourrir leur monstre de méchanceté et ils s'acharnaient davantage encore sur le nuage de douceur de Josselin.
Alors j'ai arrêté de venir le voir, à la récré, pour lui demander s'il avait aimé le poème, ou s'il rentrait dans la rue qui allait vers chez moi.
Pour plus qu'on l'embête.
C'était devenu insupportable qu'on l'embête.
Je me souviens, à la fin du premier trimestre, j'avais demandé à ma mère qu'elle fasse un dîner avec la sienne.; j'avais prétexté que ça pourrait être bien de la recevoir puisqu'elle était parent délégué et, ma mère, soufflée par cet élan studieux, s'était exécutée aussi sec, sans broncher; elle avait sauté sur le téléphone dans la seconde, anxieuse que je change d'avis, ravie de me découvrir concernée par un tel sujet.
Tout ce que je voulais, c'était offrir à ce firmament un terrain neutre, un endroit où personne ne guetterait ses maladresses, un moment où je pourrais aimer ses maladresses sans qu'on me l'interdise.

Ils sont arrivés à l'heure, tirés à 4 épingles et je me rappelle avoir été un peu irritée de constater que sa mère était aussi irréprochable que lui. Secrètement, j'espérais qu'il tenait son originalité d'une vie intérieure propre, personnelle. J'avais pas envie qu'il soit comme ça juste pour faire comme maman.
Mais son air d'être absolument là et quand même ailleurs, les nuages dans ses yeux, ses doigts cripsés autour du bouquet de bégonias..ont eu raison de mon acidité; j'ai pas pu m'en empêcher, j'ai sauté à son cou, j'avais jamais été aussi proche de lui, j'ai sauté à son cou qui sentait l'éclaircie sur toute la Bretagne et j'ai dit quelque chose comme "enfin, on se voit sans ces pestes".
Il a répondu "des pestes?"
"Oui", j'ai fait, "Joachim, Benoit, Samir et tout".
"Mais, c'est des garçons..."
"N'empêche, c'est des pestes"

Je sentais que les mamans, derrière, étaient un tant soit peu dépassées par les événements. Sur le perron, on ressemblait certainement à l'image qu'ont les "adultes" d'un couple extra conjugal qui peut se laisser aller, à l'abri des regards indiscrets, à des débordements habituellement interdits. Je sentais surtout, par dessus tout, que Josselin avait enfin compris qui j'étais. Que mes fréquentations ne faisaient pas de moi une horrible pimbêche, que je ne me définissais pas selon les mêmes codes et dans son regard, j'ai trouvé ce jour là -ça peut paraître absurde, à 14 ans- la confirmation de ce que vers quoi je tendais.
Parfois, quand je sens que je déplais et que je me demande comment m'en sortir, ce regard sort du tiroir et me pousse à simplement m'en foutre, à accepter de ne pas plaire et peut-être même m'en satisfaire.

On est entrés, enfin. J'étais inquiète parce que j'appréhendais leur jugement sur la maison, pour le moins originale, pas conventionnelle pour un sou, pas raccord avec eux, leurs tenues, leur allure, leur décorum, toute la convenance qui suintait de chacun de leurs faits et gestes. Pour ne rien vous cacher, j'étais foutrement inquiète: je voulais que personne ne s'ennuie et tout me poussait à croire que tout le monde allait dire des banalités bienséantes en regardant l'heure, impatients qu'elle affiche le minimum syndical pour enfin déguerpir. Maman a fait l'hôte alors qu'elle n'a jamais aimé ça, les bonnes manières et que je vous débarrasse de votre manteau, oh que ce bouquet est ravissant patati patata. Ils inspiraient ça et j'étais incroyablement reconnaissante à ma mère, qui n'était pas juste une mére mais aussi une femme à mille lieues de toutes ces conneries, de jouer le jeu. Ca a fini par prendre. La sauce et la mayonnaise. Sans la moutarde.
Je me disais que le salon, déconstruit, pas conventionnel, voire franchement brouillon, allait choquer les pupilles de nos convives; pourtant madame Josselin a parlé du Klasen, et, pour en dire du bien. J'ai vu les muscles du visage de ma sainte Marie se détendre. Elles ont ensuite parlé de la petite statuette Niki de St Phalle et j'ai enfin pu m'éclipser avec Josselin, pour lui montrer mes oeuvres à moi, dans ma chambre à moi, au bout de mon couloir à moi.

On est rentrés et j'ai découvert la pièce comme si je la voyais pour la première fois. Je connaissais tout par coeur et pourtant... je ne savais plus si c'était beau, si c'était bien, si ça pouvait lui plaire, qu'est ce qu'il allait en penser. J'étais épouvantée et j''ai essayé de paraître imperturbable. J'ai fendu l'air et foncé vers ce sur quoi j'avais décidé d'aller. Ma collection de cactus.
Je me suis assise et j'ai ouvert la serre, geste sacré, tout en lui tendant un petit tabouret de gosses qu'on était déjà plus; voyant qu'il ne s'y installait pas, je me suis retournée et j'ai découvert, dans ses yeux, la tonalité que j'avais, moi, quand je le regardais dans la cour, seul contre tous. J'ai senti que mon regard était le sien ,celui que j'aimais, nuageux, vaporeux, habité et ça m'a donné la force de lui attraper la main pour qu'il s'installe.

Comme si c'était hier. J'entends encore les mamans rire au bout du couloir et ma voix qui énumère les sortes de cactus. Puis leurs noms. Oui parce que je leur donnais des noms. Et enfin, le dernier, de taille égale mais de moindre allure, il avait la particularité de n'être pourvu que de quelques épines. Même si elles semblaient rédhibitoires, on pouvait finalement l'approcher sans se faire trop mal. Je l'avais nommé.... Comme j'ai pris ma respiration pour le dire! Il me reste encore aujourd'hui un peu de ce souffle là tellement j'en ai rempli mes poumons. Je l'avais nommé.
"Josselin"
"Mais, c'est comme moi, c'est mon prénom"
"... Heu. Bah. Oui"
"Mais tu as appellé toncactus comme moi, tu me connaissais quand tu lui as donné ce prénom?"
"...Heu. Bah. Oui".

La métaphore était minable.
Mais sa main qui a attrapé la mienne, devant ma serre de cactus avec en bruit de fond, les rires de ma mère, ça m'a donné un aperçu du bonheur que je ne lâche jamais vraiment, depuis.

Sa main qui a attrapé la mienne, c'était... Je sais même pas. J'ai cru voir mes cactus sourire, c'est vous dire.
Et peut-être que j'ai pleuré.

On a retrouvé nos mamans, clairement détendues, non sans l'aide de deux bouteilles de Romanée Conti, et pas du tout fatiguées. Moi, j'étais épuisée. J'avais trouvé l'homme de ma vie, mettez vous à ma place, ça met un coup; alors je me suis installée sur les genoux de la Marie et puis...
Le lendemain, je me réveillai dans mon lit et ma première vision fut celle de Josselin, fringuant sous sa serre, crânant sous les rayons de soleil, comme victorieux. C'était le premier jour des vacances et j'avais jamais autant eu envie d'aller à l'école.

Josselin était fils d'ambassadeur.
Après Pâques, à la rentrée, alors que sa chaise était vide et que je me tordais les mains d'impatience, le directeur a fait irruption pendant l'appel, à mon nom, oui, oui, à mon nom à moi. Je m'attendais à voir Josselin dans l'embrasure de la porte, désolé de son retard et à la fois irrémédiablement nonchalant, mais c'était ce gros plein de soupe de directeur. Qui n'y connaissait rien en nuages, en air présurisé ou en cactus qui frappait de son gros poing gras pour annoncer "Josselin X a été contraint de changer d'établissement suite à un déplacement de son père, à l'ambassade des Etats Unis, aussi il ne terminera pas l'année avec vous mais sa famille et lui vous souhaitent une bonne continuation et une résussite pour la fin d'année à venir".
Je n'ai jamais autant détesté quelqu'un. Enfin, cette année là, en tout cas.

Quand j'ai eu 18 ans, j'ai reçu une carte postale, de Dubai. L'écriture était régulière, fine, légérement oblique. Il y avait des mots comme "se revoir", "je pense à toi, souvent, très souvent"et puis une signature "Josselin le cactus".
Mon cactus était mort depuis longtemps, j'avais pleuré sa disparition comme s'il emportait tout avec lui. Je n'avais plus de larmes. J'ai jeté la carte. Et j'ai bu un verre de Romanée Conti avec ma mère avant de la quitter pour un tour du monde avec mon amoureux.


-maispastrop-

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