Outragée ! Brisée ! Martyrisée ! mais libérée !

Perdue, catapultée, bizutée aussi.
Pointée du doigt, certainement.
Soit. Peu importe.

Dans les trous d'airs, on trouve pas mal d'oxygène, et, toute désemparée qu'on est, accrochée aux accoudoirs, persuadée d'un crash imminent, on atteint une forme de plénitude, là haut dans la tête. La conviction d'être seule. Celle-là libératrice, s'entend.

Je me suis regardée dans mon miroir plus longtemps que d'habitude ce matin. Généralement, c'est pas une occupation qui me passionne, personne n'aime vraiment ça. C'est utilitaire, pratique: se voir pour se brosser les dents; vérifier le reflet qu'on va soumettre au monde avant de partir au travail; bien viser pour mettre le mascara. Ce genre de choses.
Ce matin, pourtant, je me suis regardée comme si j'étais pas moi, pas dans moi, comme si la tête qui pensait n'appartenait pas à celle qui apparaissait, là, un peu abîmée par les excès de la veille et encore endormie.
J'ai surveillé les lignes du visage, et inspecté les rides naissantes, ausculté les petites irrégularités de peau, guetté les ressemblances avec papa-maman. Je me suis trouvé des qualités et des défauts. Je me suis demandé ce que les autres, les gens, les hommes, aimaient et n'aimaient pas sur ce visage. J'ai essayé de le projeter dix ans plus tard.
Je me suis approchée vraiment près de la glace, ça a fait des taches d'eau sur ma chemise collée au bord du lavabo humide; et je me suis dit "c'est toi ça, c'est ce avec quoi tu vivras toujours, quoiqu'il arrive, c'est ta compagnie ad vitam, c'est comme ça et pas autrement".
Je vous l'accorde, c'est loin d'être un scoop. Néanmoins, ça m' a fait l'effet d'une gifle.

Je ne suis pas préoccupée par les anti-rides et les crèmes contour des yeux, peut-être devrais je l'être, les amis avec un E, les amiEs en parlent souvent, "et cette crème", "tu connais ce traitement", "je te conseille vivement ce salon" et tout ça. Mais, ça m'ennuie de m'occuper de moi, je préfère que quelqu'un d'autre s'en charge, ou m'occuper de ce quelqu'un d'autre.
Alors, je vois, ce visage, le mien, et il m'apparaît comme inconnu. Pourtant, c'est la première chose que les inconnus voient.

Les jours ne se ressemblent pas même s'ils se suivent inexorablement, comme dit l'autre, on ne sait pas ce que nous réserve demain qu'est, en plus, un autre jour....alors pourquoi, pourquoi toujours, toujours cette régularité, cette concordance qui offre toujours cette même tête dans le miroir?

Est ce qu'on pourrait pas essayer, pour voir, d'être beaucoup, plein, divers, multiples et surtout, surtout, variés.

Le lundi, début de semaine oblige, je serais affreusement sérieuse. Froide, intraitable, rêche. Catherine Deneuve.
Le mardi, je me laisserais aller à croire que, sans trop d'efforts, je serai toujours au top. Une sorte de Binoche, capable d'enfiler des dessous affriolants avant d'emmener Gaston à l'école.
Le mercredi, jour des enfants, Marilyn évidemment. Parce qu'on s'en occupe, et parce qu'on en est nous-même un.
Le jeudi, le week-end approche, pont entre le jour des mioches et l'arrivée effervescente du vendredi: Anne Bancroft, bien sûr.
Le vendredi: Lauren Baccal; le samedi: Humphrey.
Le dimanche alors, moi, simplement.

Mais les gens, irrémédiablement, ça vous colle des étiquettes; pourtant, chacun sait que ça gratte les étiquettes, on s'en débarrasse le plus vite possible, faut dire aussi qu'ils semblent de mêche pour les positionner aux endroits les plus chatouilleux, les plus sensibles, les plus délicats. A la naissance de la nuque, on peut lire "hautaine". On gratte. Entre les hanches et les cotes, la où la peau est douce comme le cul de bébé, on trouve "allumeuse". On gratte. On gratte à ce point que la peau, vêxée, rougit. En bas du dos, en haut de la cambrure des reins, on découvre "bizarre". C'est intenable tellement ça démange, alors on enlève.

Mais toujours, cette impression étrange d'apparaître sous une seule facette aux yeux des autres quand on s'en connait pourtant nous-même une kyrielle. Kyrielle avec laquelle on s'accommode, autant que faire se peut et qu'on essaie, tant bien que mal, d'accorder aux exigeances de ces messieurs dames.

"Bah, allez, laisse tomber" me souffle Humphrey, "ces made in China, à la pelle, à la masse; ces opinions préconçues, ces clichés, ces moutons, qu'est ce qu'on s'en fout".

Et en plus, on est samedi. Ca promet. Rendez-vous avec moi, demain.

-maispastrop-

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