Mes pensées, tu les faisais tiennes


C'est pas parce qu'il est mort, non.  C'est parce que tout est revenu.
J'ai tout écouté, d'une traite, et puis en boucle. Il se trouve que c'était dimanche.
Bon, d'habitude, j'm'en fous pas mal du dimanche, mais voilà, ce jour là, c'était vraiment le lendemain du samedi et la veille du lundi et écouter ses mots et ses mélodies, même s'il faisait beau et justement parce qu'il faisait cruellement beau, ça m'a rendue gamine
J'ai pleuré d'abord timidement, honteuse même seule, et cachant mes larmes pour pas qu'on me voie dans le miroir. J'ai pleuré ensuite, plus convaincue, moins pudique, avec quelques bruits d'animal à l'appui, même; des petits couinements dégueulasses, des sons aigus, racleux, avortés. Enfin, j'ai chialé comme une madeleine, si tant est qu'une madeleine ait jamais autant pleuré dans son thé, chialé à chaudes larmes, à froides larmes, à grosses gouttes, à tête dans les mains et nez qui renifle. 
Quand on passe le cap syndical, il y a de fortes chances pour qu'une fois les vannes ouvertes nous prenne l'envie de remplir tous les lacs de France et de Navarre. Je me suis prise au jeu et ça n'en finissait plus et je savais que ça n'en finirait plus et que c'était pas vraiment un jeu et je me doutais de l'animosité que j'aurai pour moi-même le lendemain, face à mes yeux de boxer, bouffis de tristesse et de sommeil. Mais, prise au jeu donc, je jouais goulûment à mouiller mes joues d'une tristesse sans nom, sans but ni fondement.

C'était quand la dernière fois que j'ai chialé comme ça, sans retenue, horriblement honnête?difficile à dire. Quand j'ai perdu ma poupée ou que je suis tombée sur les genoux dans la cour de récré?

J'avais peut-être 13 ans, je sais plus, 14? C'était en Normandie, au cinéma du casino de Trouville, le seul à diffuser autre chose que des films n°2 et 3 d'une série qui, déjà au 1° tour, aurait du être interdit d'exploitation. C'était Le Grand Bleu version longue.
Ah, ça va, je vous entends d'ici pouffer de moquerie et ça ne me fait ni chaud ni froid. 
Donc. 
Je sortais de la séance, je pouvais rien y voir tant mes paupières, gonflées par le liquide lacrymal, avaient empiété sur l'espace normalement réservé à l'ouverture permettant aux yeux de faire leur boulot. A l'aveuglette, d'une main, je tâtonnais pour ne pas me cogner sur les murs qui semblaient s'être tous mis d'accord pour me barrer la route, de l'autre je serrais celle de la femme qui m'a mise au monde, qui se trouvait dans un état relativement semblable au mien. Etat, pour ne pas le nommer, pathétique. 
Je sais pas, ça nous avait pris sans prévenir, c'était arrivé comme l'annonce d'une maladie chez quelqu'un qui est le plus fort d'entre nous, ou comme une envie de pisser. D'un coup d'un seul, la mère et la fille s'étaient transformées en distributeur d'eau salée. Je me souviens, je tendais ma langue pour rattraper mes larmes, je les reprenais, elles étaient à moi et un trop grand nombre d'entre elles tendaient à appartenir au bitume en y atterrissant bruyamment. Mais j'en avais trop. Je ne savais plus qu'en faire. Personne à qui les donner. 
Je me souviens, la femme qui m'a mise au monde n'arrêtait pas de farfouiller dans son sac pour y trouver une  matière suffisamment absorbante pour kidnapper tout ça.
On marchait, on marchait et, alors qu'on aurait du chercher la voiture pour rentrer, on marchait encore avec nos bruit de chialeuses et nos mains dans la main. 
Quand on a réalisé qu'on arrivait à la maison et qu'on avait oublié la voiture et qu'on avait donc fait 30 minutes à pieds sans se parler et à se vider, on s'est regardées, avec ce qu'il nous restait d'yeux, et on a ri, avec ce qu'il nous restait de bonheur. 
On s'est assises sur les marches d'un perron, elle a sorti une cigarette et je ne fumais pas encore mais j'aurais vachement aimé pourtant; ça avait l'air tout à fait opportun comme occupation. Elle a tiré une bouffée immense et m'a demandé "t'as aimé?".
Comme des baudruches on a ri. Comme des baleines. Comme des hyènes. Comme toutes les expressions que vous voudrez réunies. 
Et puis, quand on en a eu fini de rire, j'ai répondu le plus débonnairement possible, encore haletante de notre humour, "mouais bof". Alors on remis ça. Les hyènes, les baudruches et les baleines n'avaient qu'à bien se tenir, on en a réveillé le voisin.
A son "Mais qu'est ce que c'est que ce bordel?" on a répondu qu'on pleurait et ça a semblé être assez convaincant pour qu'il referme ses fenêtres et nous laisse nous gondoler tranquilles.

J'ai pleuré hier aussi. Parce que j'en avais envie, besoin, parce qu'il le fallait, hygiéniquement. J'ai pleuré de fatigue le mois dernier, à bouts de nerfs, ayant enduré toutes les contrariétés possibles et craquant finalement au détour d'un couloir de correspondance, quand un musicien jouait "Because". J'ai pleuré quand j'ai su que je ne t'aimais plus. J'ai pleuré davantage encore quand je me suis demandé si je t'avais jamais aimé. J'ai pleuré dans mon sommeil et peut-être dans le vôtre. J'ai fait ça souvent et j'ai même pas honte; bien au contraire, l'inverse serait obscène; aussi j'assume ce travers. Ca se voit, sur mon visage, ça se voit. Il y a une place toute prête pour accueillir les gouttes des yeux, des sillons accueillants, qui dessinent, sur mes cernes et mes joues, mes chagrins. Juste à côté de la toute nouvelle bouffissure qu'a esquissé l'alcool.  

J'ai écouté et écouté encore. J'en revenais pas de tout connaître par coeur, d'avoir vécu si proche et si longtemps avec ces morceaux, sans les comprendre parfois. Madame rêve d'atomiseurs et puis quoi encore? Annie aimerait pas les sucettes par hasard? Qu'est ce que je saisissais à tout ça moi, je sais pas. Et qu'est ce que j'ai saisi depuis, je sais pas non plus. C'est plutôt dans l'autre sens que se raconte l'histoire et c'est moi qui ai été saisie, prise, enveloppée, emmitouflée, écorchée de tous ces mots. Tiraillée dans la mélopée d'une voix qui hurle et sourit au même moment. Y'en pas des masses des types qui chuchotent leurs cris. 

Et puis que les choses soient claires, je m'en fiche que les gens meurent. C'est pas mon problème et on est trop nombreux de toute façon. Mais, il y en a qui partent avec des bouts de nous alors qu'on n'a même jamais échangé deux mots, et ça c'est assez bouleversant pour ne jamais s'en remettre totalement. C'est la moindre des choses.

C'est pas parce qu'il est mort, c'est parce qu'il était trop vivant. Et nous, pas assez. 

-maispastrop-

2 commentaires:

Diego-san a dit…

J'ai envie de dire merci. Parce que je l'aimais infiniment. Et pour "les hommes qui chuchotent leurs cris". C'est tellement magnifiquement ça.

PS : fuck Boys don't cry, moi aussi j'ai chialé (bon, pas pour le Grand Bleu en revanche...)

Anonyme a dit…

J'ai bien fait d'attendre... Saint-Cloud very much pour ces trois textes mademoiselle. Tu écris joli, faut continuer.