Des courants d'air entre nous

Le vent n'est pas mon ami, il décoiffe mes cheveux. Le soleil tient absolument à attaquer mes pupilles fatiguées. Quant à la pluie, elle picote mes oreilles de ses rebonds bruyants sur la toile du parapluie. Il n'y a que l'orage qui sache à peu près s'adresser à moi en des termes civilisés en ce mois de Fevrier. 
Tout est contre moi. Les éléments, et toi. Toi, tu es tout contre. Tout contre moi. Toi, tu fais oublier la pluie et le soleil pour quelques temps, quelques bouts de temps qu'on croirait extensibles et qui sont pourtant délimités, rapides comme l'éclair. 

Plus il passe, le temps, moins je le situe dans l'espace, je ne vois vraiment pas où il veut en venir, à filer parfois aussi vite et à traîner, d'autres fois, indéfiniment. Pour être honnête, j'ai la sale impression qu'il me cherche les poux, ces derniers temps, le temps; il se jouerait de moi que ça ne m'étonnerait pas, mais il fait ça d'une manière qui n'amuse que lui. Il glisse comme du sable entre les mains quand je respire et existe vraiment et s'enlise à traîner la patte dans tous les recoins de mon ennui quand j'ai hâte d'être demain.
Encore heureux, il me permet tout de même de temps en temps de me perdre pour une ou deux minutes; il m'autorise un flottement ésotérique entre deux vapes de volutes bienveillantes et veille à ce que je ne redescende pas trop brutalement sur terre. Comme quand on descendait de la poutre, en EPS, la poutre sur laquelle on avait passé l'heure à piapiater avec les copines de l'injustice de la vie en général et de la beauté du prof de musique en particulier. On en descendait trop vite et alors, la terre remontait de la plante de nos pieds jusqu'à notre nuque en passant par notre colonne vertébrale en nous glaçant les os et le sang. J'ai droit aujourd'hui à un atterrissage plus délicat. 
De mon petit nuage, je descends moins abruptement et je pose mes pieds de leurs bouts d'abord puis de leurs plantes, inquiète de retrouver le cours de la vie. 
Quand je m'échappe vous vivez toujours des choses incroyables. 
Quand je reviens, vos choses incroyables semblent être uniques au point que vous ne pourrez jamais les revivre, et que je ne pourrai jamais les partager avec vous.
C'est pas grave. 
Moi aussi, là haut, je vivais des moments que je ne pourrai non seulement pas revivre à vos côtés mais que je ne pourrais même pas vous faire l'honneur de partager en comptine avec vous, de ces moments qui n'ont ni couleurs ni adjectifs et qui s'évaporent dès lors qu'on tente de les conceptualiser en phrases bien ordonnées. 

Je me perds une ou deux minutes et je retrouve comme l'essence de moi, ce qui fait tourner mon moteur et ce qui coûte aujourd'hui trop cher. Je me requinque, pour faire court. Je recharge de la batterie et regonfle des poumons comme en bord de mer; mais. Mais ça ne fonctionne pas avec vous. Je reviens les joues roses et l'oeil vif, pourtant vous ne voyez pas. 
Parce que vous voyez toujours la même personne, vous ne voyez jamais quand je suis nouvelle, comme au sortir de l'oeuf, après mon toilettage intégral, vous ne voyez pas. 
Mon enthousiasme retombe alors comme l'eau qui déborde comme une folle sous laquelle on coupe le gaz coupable, retombe piteusement, d'un coup, à plat pire qu'une mer d'huile à qui on trouverait assurément davantage d'aspérités. Je suis le lac Léman devant votre aveuglement, et dans ce blanc hypnotisant de ce que ne vous voyez pas de moi, je continue pourtant d'exister comme une Wonder Woman. Dans ce trou noir entre vous et moi qui nous aimons tant, je vous aime davantage encore pour me laisser aussi seule face à moi dans ce que ce moi a de personnel qui ne vous regarde finalement pas. 

Mon nuage jette un oeil chafouin sur la scène, lui qui sait si bien ce que j'ai perdu et gagné, là haut, installée sur ses rondeurs et ses remous; il le cligne, même, son oeil chafouin, l'air de dire "et puis?" comme si rien n'était jamais vraiment important, à part lui.
Je vous regarde ne rien voir et faire toujours les mêmes gestes et je sais que je suis comme vous, aussi, à ne pas savoir quand vous descendez de votre nuage à vous, à ne pas attraper ce moment béni où il est impossible de déterminer si vous êtes plus vulnérables que forts, à ne pas toucher l'endroit vierge de tout prêt pour tout le monde, je suis comme vous. Je vous regarde, je ne vous vois pas, je vous rate et tous nos nuages s'en amusent, quelque part au dessus des orages. 

-maispastrop-



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