Si E=M6, par A+B n’égale pas Q, surtout sur Fr.2

Alors comme ça, on veut tout nous expliquer?
L’époque n’est plus à la surprise, on serait blasés, revenus de tout, de l’amour même, il semblerait, puisque France 2 diffuse un soir de semaine à l'heure du dîner, un docu-fiction qui a pour sujet «l’a.m.o.u.r» justement, l’amour et ses dérivés.
On nous propose d’apporter une explication scientifique, biologique, neurologique, logique, hic et j’en passe... au coup de foudre, à l’orgasme, aux papillons on sait où et à la tristesse éprouvée, dieu sait pour quelle raison, quand on trouve une tierce personne dans le lit de notre moitié.
Etre amoureux ne suffirait donc plus, il faudrait maintenant savoir pourquoi.

«Chéri, je t’aime parce que mes neurotransmetteurs fonctionnent correctement et qu’instinctivement, je veux me reproduire, alors comme tu as les qualités physiques que la femme recherche chez l’homme pour son tout petit mioche depuis la nuit des temps, mon sang se recentre à la tombée du jour vers mes parties génitales pour les tenir au chaud, c’est pour ça que j’ai les extrémités froides, et c’est pour ça aussi que quand j’aime, je jouis, tu comprends?»

Ce que je comprends, c’est que j’aimerais beaucoup que tu fermes ta gueule, ça, oui.

J’arrive, je pose mon sac, enlève mes chaussures et les gens dans mon salon, tout bonnement gagas, m’invitent aussi sec à suivre ce qu’on raconte dans le poste. Evidemment, je rechigne parce que s’il y a bien quelque chose que je ne veux pas qu’on m’explique, c’est ce en quoi j’estime que la part de mystère est capitale. On n’explique pas le mystère. On «pas touche» au mystère. Le mystère, si c’est pas mystérieux et incroyablement personnel et rempli de questions et d’infini, alors tout fout l’camp ma bonne dame. Y’a plus d’saison.
Donc:
on ne dissèque pas, on ne définit pas, on ne traduit pas, rien ne doit être élucidé. On n’a pas le droit de mettre tout le monde dans le même moule avec le même costume à ce sujet et, de surcroît, en prime time. Ca devient vulgaire.


Sauf peut-être en période de crise, de chômage, de xénophobie, de pandémie et de dérèglement climatique, c’est vrai.

Alors d’un signe de tête, je décline poliment l’invitation et le couple rit des arguments que j’offre, puisque je les teinte de cynisme et d’entêtement. Ils doivent me trouver rigide. Soit. C’est toujours mieux qu’avec un F. Et puis je me moque du point G des autres, honnêtement.

Pourtant, voilà, je me fige; à mi chemin entre la cuisine et le balcon, au milieu de mon pas rectiligne et décidé, je me fais prendre -si je puis m’exprimer ainsi- par la voix off explicative, et l’illustration d’une érection en infra rouge.
Pendant que ce joli pas de danse organique est réduit à un simple afflux de sang guidé par le besoin de se reproduire, je me rappelle les nombreux ballets de ma vie, réalisant tout à coup que je n’avais jamais su quelle chose en particulier -en plus donc de ce besoin d’enfanter- avait fait se lever leurs drapeaux et se risquer leurs grands écarts sur mes pays à conquérir. Et pourquoi, parfois, je les avais laissés se poser sur ma lune.
Des mots doux, des «t’es tellement ceci» ou «mais ça me tue quand t’es cela», des regards, des sourires interrompus par l’émotion, des frissons au simple contact d’une distance, des distances à la simple idée d’un frisson... ça oui, plein, trop et jamais assez, mais des explications, non. Ca non.
Jamais un homme ne m’a regardée, en commençant à descendre ma bretelle et lever son sexe, et m’a dit «j’ai un afflux sanguin envers tes muqueuses parce que tu dégages de la fécondité».
Et (même si je ne crois pas en lui, je l’invoque pourtant) Dieu soit loué parce que j’aurais débandé pour deux.
Et deux, c’est déjà beaucoup quand on apprend, là, à 20h50 qu’il n’y en a qu’un qui compte, si tant est qu’il compte vraiment puisqu’il n’est finalement que ce que la médecine a voulu qu’il soit.

Mais.

Heu.

Pardon.

Expliquez-moi.
La médecine et ma vie sexuelle, sentimentale, flirtante et badineuse, qu’est ce qu’ils en savent eux, dans leurs bureaux?

Le docu/fiction se transforme vite en fiction de cul. De pseudo cul, j’entends.
On oublie les images de synthèses sur la salive qui, il paraît, afflue quand on s’embrasse, pour laisser place au scénariste et à l’intrigue, si on peut, tous deux, les appeler ainsi. Je remarque que, malgré l’heure, aucune alerte «déconseillé aux moins de 16 ans» n’apparaît. Et, c’est normal puisque la directrice de programmation de France 2 elle-même disait que c’était aussi fait pour les enfants de 10 ans. (Oui j’ai un peu suivi le déroulé de l’histoire ,je ne le cacherais pas plus longtemps).

Les mioches peuvent donc comprendre par où passe l’orgasme, ça tombe bien, eux qui n’étaient jusque là préoccupés que par leur propre satisfaction, on les assomme de celle des autres.
Aucune alerte «déconseillé aux moins de 16 ans», disais je, très certainement parce que tout ce qui est du domaine du plaisir et de l’amour est décortiqué ici comme une vulgaire grenouille de cours de bio. Voilà les testicules, et puis le sang, là: l'espérance de vie, ici: l’accélération du rythme cardiaque... ne laissant aucune place au doute, à l’excitation, la vraie, la sensualité, le raté peut-être, et quelque chose d’un peu sale, de gorge qui râle, et d'indispensable, quelque chose d’indéfinissable et qui, par principe, refuse les qualificatifs... Ils peuvent donc souper devant le programme parce que très vite, les protagonistes du dit documentaire rentrent dans le moule que je refuse parce qu’il me boudine. Comme la robe d’une amie trop sage. Ou trop parfaite aussi. Je m’y sens à l’étroit et puis ça sent le renfermé.

C’est autorisé aux jeunes gens de 10 par ce qu’il se passe..

Sur France 2, à l’heure du repas, quand les familles se réunissent devant l’écran autour de la table pour ne pas se parler dans les yeux, il se passe que:

La femme finit par pleurer sous une porte cochère, interdite, muette, paralysée par tous ces sentiments qui, ouhlala, sont trop forts pour une si petite chose. Evidemment, elle essuie son mascara parce que dans sa grande tristesse, elle n’oublie pas qu’il faut qu’elle soit présentable.


Il se passe que:

Monsieur part avec sa guitare sous le bras. (Oui, Monsieur est musicien...) Fatigué par ces jérémiades et décidé à faire des choses autrement plus importantes comme la mélodie qui changera le cours monde ou lui offrira des groupies par paquets.

Et puis, il se passe qu’ils se marient.

La femme a donc oublié son immense tristesse et l’homme n’a pas changé le sens de rotation de la planète. Les groupies sont rentrées chez elles, le cours du monde aussi.

Ah bon, alors c’est ça, l’homme? C’est ça, la femme? C’est ca «l’homme + la femme» ?
Et dîtes moi, vous qui n’arrêtez pas de parler de progrès, de futur et d’avancées dans tous les sens... on est en quelle année? Je suis perdue.
Je veux dire:
on est dans quel siècle, là?

Dois-je envoyer mon mari chasser le mammouth, lui concocter le plat favori de son enfance ou simplement faire comme si je n’étais pas intéressée par «la chose» tout en lui offrant mon corps étoile-de-mer sur lequel il assouvira son envie de se re-re-re-re-re-re-re-re-re-produire?
Et lui? Lui? il est dans un bourbier autrement plus insurmontable que nous.
Doit-il m’enlacer tout en me dirigeant subrepticement vers le four où la tambouille attend? N’enlever que le bas de mon pyjama quand il a des afflux sanguins? Ou m’aimer uniquement quand je m’éloigne vers un autre meilleur chasseur de mammouths de peur que ce chasseur ne soit mieux fourni que lui et qu’il me protège plus vaillamment de tous les dangers de ce monde impitoyable?




Là, aucune image de synthèse, pas de 3D, aucune interview de m. le scientifique pour nous expliquer ce revirement de situation tout bonnement insensé. ------On ne va quand même pas vous expliquer pourquoi on vous prend pour des imbéciles alors qu’on s’est vendu pendant 2 heures comme des savants qui allaient vous expliquer le mystère. On bosse, nous, pendant que vous attendez que le temps passe, vous, derrière votre tube cathodique désuet, bande de catholiques qui s’ignorent, même pas cap’ de s’offrir de l’écran plasma.-------

Le couple dans mon salon ne moufte pas. Je décide qu’ils adhèrent. Qui ne dit rien consent.

Bien sûr que les enfants de 10 ans peuvent «regarder», eux et tous les autres, ceux encore dans le ventre, tiens, c’est aussi pour eux. Venez venez petits petits, comme on dit aux pigeons au Luxembourg. C’est un programme incroyablement humaniste qui n’est là que pour faire du bien. Pour aider le bonheur qui, comme chacun sait, a besoin de ça, d’aide et de béquilles. D’alibis peut-être. Ceux dans le ventre et ceux pas encore certains, définis, définitifs, et ceux qui attendent dans des labos pour prendre leur essor dans des fécondations in vitro pour les femmes qui, parce qu’elles ne peuvent pas, ne veulent que ça. Et ceux in vico, ceux in silico tant qu’à faire, soyons fous. Bienvenue. France 2 vous a préparé une chambre bien douillette, cachez vous sous les draps.

Ceux in vivo, et ceux in vino, en revanche, c’est moins sur. Ca c’est sur.

Ne faites pas que regarder, petits pigeons chéris, mais écoutez, buvez, imprégnez vous de ça.
Vous n’êtes que des rien, des trucs qui n’ont pas encore de puberté ou de vrai potentiel d’achat mais bientôt vous y viendrez, alors n’oubliez pas:

Faites des enfants. Copulez pour un résultat. Jamais sans raison. Surtout pas pour le plaisir. On vient de vous l’expliquer. Suivez un peu, merde quoi. Votre désir vient de l’envie de faire naître des mini vous qui voudront acheter des plus grandes maisons et avoir des voitures plus chères et faire des enfants plus fébriles excusés par des plus grosses maladies. Le plaisir, non. C’est pour les irresponsables, le plaisir. Alors, voilà, prenez un crédit pour vous payer un 3 pièces. Et si jamais vous oubliez -parent ingrat que vous êtes- de faire passer la bonne parole, ne vous inquiétez pas, on est là, on s’occupera de vous, on vous laissera pas tomber. Et si, follement, vous vous demandez «mais au fait, heu...pourquoi faire?», alors rappelez vous:
Parce que vous êtes comme ça. Tous. Faits, fabriqués, crées comme ça, tous pareils, tous, pour la même vie, tous: famille, enfant, patrie, crédit. Et comptez encore sur nous, bientôt, après l’Odyssée de l’espèce et l’Odyssée de l’amour viendra l’Iliade de l’autruche, soyez patients.



Je suis peut-être un peu énervée. C’est possible.
J’aimerais simplement savoir: pendant ou après ce programme, combien se sont précipités sur leur voisin pour vérifier le battement fou de leurs coeurs pendant que l’érection voulait laisser s’exprimer ses guerriers de spermatozoïdes? Et puis, combien ont finalement enchaîné sur le 2° créneau horaire télé, installés confortablement au fond du canapé, face au programme qui allait expliquer grâce à un vrai reportage de terrain:

«pourquoi les meurtriers sévissent»

et

«combien de viols restent impunis»
?

Il faut que vous ayez peur. Peur de vous sentir seul. Maintenant, il est tard, demain vous travaillez, alors éteignez la télé, mais faites des enfants, faites en plein, sans trop de plaisir, parce que c’est sale, le plaisir. Faites plein, plein , plein d’enfants. Pour ne jamais être seul. Entre autres. Ne jamais avoir le temps de réfléchir, non plus.


Est que «comment et pourquoi tombe-t-on amoureux» n'était qu'un énième programme didactique, comme un sujet sur la guerre, la famine et la fonte de la banquise, que les familles regardent et oublient en se demandant qui veut à nouveau du gratin de pâtes. Ca rentre dans un oeil et ça ressort par l’autre oreille?

Pourquoi et, à cause de qui glisse-ton sur une peau de banane? Est-ce la faute du stewart si on se retrouve dans l’avion à côté d’un ex? Les soirées où on ne veut pas aller et où va finalement doivent-elles être irrémédiablement remplies de types à qui on a fait des Trafalguar? Doit-on toujours se poser des «?» à la place de ceux qui imposent leurs «.»
Tout ça me turlupine.

Je suis certainement très énervée. C’est tout à fait envisageable.
En ce qui concerne «les autres», j’ai arrêté de vouloir convaincre les «téléspectateurs» qu’ils sont, que je suis aussi -puisque c’est d’une manière ou d’une autre ce à quoi on est réduit- de se sentir concernés, ça semblait ne pas les intéresser, tout ça, les enfants qui mourraient de soif là bas pendant qu’ils laissaient couler l’eau ici, leurs baskets à la mode aux pieds pendant que d’autres les fabriquaient à genoux. Soit. Soit. Soit.
Et je dis trois fois «soit» parcqu’une fois ne suffirait pas à traduire le renoncement de mon... renoncement. Devant leur égoïsme.

E.G.O.I.S.M.E. justement.


Et v’là t-i pas qu’on leur sert le sujet le plus personnel, intérieur, confidentiel et singulier qui existe et qu’ils sont tous d’accord pour adhérer à ça, un avis sorti d’une boîte de production qui a senti le filon d’une masse, d’une époque comme ils disent. Et tous de crier au génie à grand renfort de «c’est teeeeeellement çaaaa!» J’accentue les voyelles pour communiquer l’engouement.

Alors, les égoïstes seraient-ils tout bonnement bêtes?

Bêtes à manger du foin?
Bêtes pires que leurs pieds?
Bêtes à recevoir des claques?
Le plaisir et le sexe et l’amour ne seraient-ils juste que des sujets de docus?

Je suis énervée.

Est ce qu’on a dit que, pendant ce qu’ils ont appelé un «rapport sexuel» il arrivait au meilleur d’entre nous de pratiquer des positions qui n’allaient pas dans le sens de la procréation?
Tout les gens qui font l’amour ne veulent pas faire des enfants. J’y mets ma fécondité à couper, mes mains avec.
Si j’aime le sexe de quelqu’un dans ma bouche et le mien dans la sienne, je ne suis pas l’audience sur laquelle vous comptiez vous, France 2?
Et vous, d’ailleurs, vous n’aimez pas avoir un sexe dans la bouche? Au moins pour vous empêcher de dire des conneries plus grande que l’audience que vous allez évidemment avoir, bande de chaîne de télé?
Comment est-il possible aujourd’hui d’accepter qu’on parle de cul sans qu’on parle de légèreté?

Bon, là, je suis pas énervée, je suis pire.

Quand je me suis fait «prendre» par la voix off, je n’ai ressenti aucun bien-être. Ni derrière ni devant. On m’expliquait pourquoi la salive affluait et pourquoi les poils se hérissaient mais on ne m’a pas dit pourquoi le plaisir était irrégulier, surprenant, et une personne à part entière. Imprévisible. Aucun scientifique n’a su dire pourquoi les premiers accords de Radiohead me donnaient envie d’aimer tout le monde, pourquoi tout Bowie me confortait dans l’envie de n’aimer personne. Pourquoi Leonard Cohen prenait un malin plaisir à tout contredire et, pourquoi, pourquoi, moi-même j’essayais de tout oublier dans les bras de quelqu’un qui ne serait pas le père de mes enfants puisque je n’en veux pas. Comment se fait-il que quelqu’un arrive, alors que c’était pas prévu, et que son sourire se goupille salement avec la malice de nos yeux.



Qui a décidé que, quand ce jeune homme m’embrassait ici, ici et pas ailleurs, ça faisait comme Bowie et Radiohead et même Brenda Lee avec un peu de Fante et de Faust tant qu’on y est , tous réunis, tous pas d’accord, mais pas d’accord au même endroit. ?
Et que, moi, je ne savais pas si j’avais plus envie du tout, ou beaucoup trop, de tout.
Qui a décidé que je n’étais pas exceptionnelle, moi et tous ceux qui ont dit que je l’étais. Je suis exceptionnelle. Je le suis pour moi-même, et ça, tous les jours, et c’est la moindre des choses.

Je connais le chiffre d’audience de la dite émission, je le déplore. J’ai rarement déploré quelque chose, c'est le cas aujourd'hui.
Je. Voilà. Là, je déplore. Ca et plein d’autres choses.

Secrètement, -parce que secrètement c’est toujours mieux- j’ose espérer que ceux qui ont explosé le score d’audience de ce DocuL ont ri sous cape et aussi traîné sur Arte, un mois avant; qu’après le «Hitler...connnais pas», ils pensaient comme moi qu’on pouvait trouver, encore, encore, quelque chose d'intéressant à la télé. Il existe des choses un tant soit peu vivantes et vraies, sensorielles, dans cet écran, et, pour le coup, rien à dire, ce programme là, c’était pas que sensoriel, justement. C’était tellement dans la colonne vertébrale reliée à tout le reste jusqu’au bout des petons en passant pas le clitoris que la pornographie pouvait aller se rhabiller. Pour une fois. Elle qui aime tant se promener toute nue.

Je ne saurais trop vous conseiller de prendre le temps de vous pencher sur ces petits bijoux:











-maispastrop-

1 commentaire:

Bethsabée a dit…

Deux solutions à considérer pour atténuer, pour un temps, la belle révolte:
-comme moi, ne pas avoir de télévision. Qui regarde consent aussi. ne con-sentons pas, lavons-nous l'esprit, et le con.
-comme moi, pratiquer la sodomie. Ne procréons-pas, ne pro-cons pas, soyons cul-rieux.

Bonne bourre et au revoir.