J'arrive toujours en retardement aux rendez vous.

L'assiduité, c'est pas mon fort.
La régularité, non plus.
Ces mots là, j'aimerais les mixer avec une vodka coca, histoire de voir s'ils font toujours autant les malins.



Tout ce qui pourrait se répéter à heures fixes les mêmes jours de la semaine et tous les mois, à côté de gens qui évoluent au même rythme de fuseau et d'agenda, de manière générale, ça m'effraie; parce que la cadence invariable des vagues quand elle se calque à celle de la vie, n'a pour moi plus rien de naturel et rapproche de la mort plus que de l'existence.
Mener cette vie, ce serait... J'aurais l'impression de faire de l'apnée avec des œillères et un début de surdité, le tout en boitant, tout ça pour me rendre à la guillotine. Une vraie partie de plaisir, en somme.
Personne n'a envie de ça.

D'après moi, l'existence ne naît au monde que dans le désordre, désordre dans lequel elle se démène tant bien que mal et qui l'embarrasse parfois, soit, mais au milieu duquel elle trouve, au détour de bordels et d'imbroglios, des chemins que les lignes irrémédiablement droites évitent.
La fameuse histoire de l'école et des buissons.

Ranger tout ça, ça reviendrait à foutre le souk dans le désordre qui me sert de repère; où que ce soit, tout est à sa place puisque rien n'en n'a vraiment, de place. C'est comme ça que je m'y retrouve.

Ca ne signifie pas que je vis dans un capharnaüm infecté, je n'héberge aucune sorte de souris ou de cafard à la maison, je parle, en fait -puisqu'il faut vous mâcher tout le boulot- davantage de l'intérieur de ma tête que de l'arrangement de ma chambre.
Bien sûr, chez moi, c'est pas vraiment un catalogue de vente de meubles, où la table qui est censée avoir supporté des beuveries resplendit de mille feux, où l'armoire des épices semble sortir de son carton et où, d'ailleurs, les épices viennent d'être mises dans leurs bocaux. Alignés, les bocaux. Parfaitement parallèles au poster Dubo-Dubon-Dubonnet où aucune éclaboussure d'huile n'a trouvé résidence et devant lequel Martineàlacuisine pose après son détartrage et sa mise en pli.

Bien sûr, chez moi, ça ressemble à moi. Et, oui, je retrouve parfois mes clés dans frigo et il m'arrive de littéralement mettre tous mes vêtements sur mon lit pour retrouver LE haut qu'il faut absolument que je porte aujourd'hui. Haut que j'ai oublié au pressing, d'ailleurs. Vous serez bien gentils de me le rappeler.

Bien sûr que c'est comme ça.

Ma mère me disait - les mères disent toujours des grandes phrases, les maternités distribuent un guide pour ça? -
Si tu veux mettre de l'ordre dans ta tête, commence par ranger ton environnement.
Avait-elle raison?
Tu ne peux pas faire le vide dedans si c'est un foutoir pareil dehors.
Avait-elle tort?

Peut-être n'ai je pas envie, pas vraiment envie, que chaque chose soit à sa place et que je sache où est la mienne. Je suis convaincue que c'est en ne sachant pas où je vais aller que je suis assurée d'y arriver. Et puis, je n'ai pas pour autant l'impression de prendre des gros risques, et j’enfreins aucune loi, on va pas m’enfermer pour ça, je m’accorde juste un peu de suspense et d’imprévu, et, en effet, ça demande du temps. Vous savez, ce truc farfelu dont tout le monde manque.



Je m’accorde tout ça parce qu’en fin de compte, on n’est jamais aussi bien servi que par soi m’aime et que j’estime mériter cette fantaisie. Tout en la jugeant éminemment saine.

On nous a fait croire que les horaires et les bouquins rangés en ordre alphabétique nous aideraient. La magnifique arnaque.
Sont arrivés les pointeuses et les licenciements pour retards répétés. Se sont vendues par milliers des armoires compartimentées, coupées dans le bois dont on manque.
Ca n’est pas par goût que les gens rangent.
C’est par ennui: Chais pas quoi faire... tiens, si je classais les vinyles par date d'achat grâce aux factures rangées dans le 4° tiroir? Quand j'aurai fini peut-être que je serai assez fatiguée pour enfin dormir.
C’est par peur: le désordre me rappelle l’infinitésimale chance que j’ai d’éviter la mort, l'ordre m'apaise et ressemble à l'image que je me fais du paradis.
Par névrose: je veux que mes hôtes comprennent que je suis quelqu’un, quelqu’un de bien, on peut pas se payer ma tête. Faut qu’on m’admire. Je gère. Et j'essaie de me convaincre moi-même, ok?
Ou par psychose aussi: si le livre côtoie la lampe qui jouxte le tableau, où va le monde? tout est permis, je m’y retrouve plus, y'a plus de saison. Je veux pas de frivolité, je suis pas fantaisiste, non, je veux être austère-austère-austère, je veux d’ailleurs décider moi-même de l’être pour ne pas avoir à l'apprendre de quelqu'un d'autre.

Bien sur, deux fois par an, j’éprouve un malin plaisir à accoupler les pulls en laine et ceux en cachemire; aligner les livres de poche sous l’étage de ceux qui ne tiennent qu’allongés et que j’ordonne par taille et par épaisseur, par couleur pourquoi pas; trier les bons magazines des mauvais. Jeter, c’est mon hobbie. Mais, garder, et laisser vivre, c’est ma passion.

C’est ce que j’aime voir chez les autres, les zones d’ombre où ils n’ont pas fait le ménage depuis plusieurs printemps, et peut-être même les encourager à ne jamais y toucher, pour qu’ils gardent intact un coin qu’on croit réservé aux vieilleries ou aux peluches qu’on n’ose pas bazarder. On ne connaît jamais aussi bien quelqu'un que quand on a visité son grenier. C’est peut-être à cet endroit là qu’ils me séduisent le plus.



L’autre jour, je repensais - oui parce que j’y avais déjà pensé avant et pas qu’une fois - à ces filles que j’ai entendues me dire, au sujet de leur amoureuxchéridamourtoujours: «J’aime pas quand il m’écoute pas, tout à coup il rêvasse, il est ailleurs et moi, tout ce que j’ai dit, bah il a rien entendu et faut que je répète, ça m'énerve mais ça m'énerve.»




J’ai pas mis le ton, j’ai fait ça simple, mais généralement, c’est teinté d’aigreur, de vraie aigreur, de rancune et de peine.
Je repense à ça. Bon. Je comprends pas.

Précisément, ce que je préfère chez ceux que j’aime, c’est leurs moments d’absence. J’aime qu’ils soient là, attentifs, qu’ils rebondissent, rient, me fassent rire ou je ne sais quoi, et, ainsi, nous sommes deux.
Mais, après le flou dégagé par l’attitude du cancre rêveur qui appelle un «Tu m’écoutes?» et en réponse le «... Hein? Quoi? Attends je ... Répète? » , là, nous aurons été seuls ensemble, seuls à deux. L’intimité extrême, presque obscène.
J’ai vu cette personne partir de notre décor pour rentrer dans sa tête et penser à des choses qui bien souvent sont pétrifiantes de banalité, mais justement, j’ai été avec cette personne quand elle lâchait prise et laissait un détail la ramener à ... cette chanson pas entendue depuis longtemps, et pourquoi d’ailleurs, tiens mais qu’est ce qu’il est devenu ce chanteur, est ce que j’ai un disque de lui, faudrait que je vérifie...

«... Hein? Quoi? Attends je ... Répète? »



Bien entendu, je dis ça parce que leurs éclairs d’égarements sont plus rares que leurs cycles d’attention et que cette rareté leur confère une valeur particulière. Peut-être que si leurs moments d’absence se faisaient plus récurrents que leurs moments d’écoute.... Peut-être que je ne les fréquenterais plus, tout simplement.


J'aime quand ma chambre me réserve la surprise de tomber sur une boîte de bijoux achetés entre 95 et 96 alors que je cherchais un livre que je dois rendre. J’aime tout autant quand un jeune homme me réveille en me proposant un thé et que, après quelques quarts d'heure, estimant que le thé devrait être planté, cueilli et infusé depuis un bail, je m'inquiète de trouver la tasse où le breuvage m'attend pour tomber sur le prometteur en pleine réflexion métaphysique devant une fissure du plafond qu'il n'avait encore jamais remarquée et dont il se demande d'où elle vient et comment la réparer.

Mon thé peut bien attendre, évidemment. Le type est là et ailleurs, tout à moi et pourtant inaccessible.
Il est juste là pour être bu, ce Earl Grey.
Vous n'êtes manifestement pas destinés à être seulement consommés, mais bien davantage à être observés. Et, en conséquence, aimés. En bazar et en pagaille. Dans tous les sens. Aucun thé du monde ne peut rivaliser avec ça.


Mon grand labyrinthe, ok, souvent, je m’y égare, et régulièrement, il en pousse certains à me perdre aussi, mais à la fin, à la toute fin, ça aura l’air goupillé comme sur du papier millimétré, vous verrez; ça prendra sens et forme, ce sera aveuglant d’évidence. Ca fait ça avec toutes les vies, on me l’a juré depuis plein de lits de mort. De loin, les écarts et les accidents s’alignent avec le reste parce qu’avec le recul on admet que tout n’est qu’un grand accident, une suite d’ incartades.
La vieillesse, ça arrondit les angles, et comme, je compte évidemment finir ronde, les angles seront devenus autant de cachettes où j’aurai semé des farces & attrapes et où les revirements à 90° degrés serviront de passe-murailles.

En plus, les biopics, c’est réalisé par des gens qui nettoient leurs maisons avant que la femme de ménage n’arrive. Ce sera nickel chrome. Tout va bien se passer.

-maispastrop-