Je voulais prendre un taxi,


je voulais vraiment, impossible de m'imaginer marcher les 15 prochaines minutes pour tomber sur des balourds en rut tout en me faisant des ampoules. Ca tombait bien, y'avait pile poil un chauffeur disponible. Il était accompagné: à sa droite, il y avait une amie. Ils m'ont raconté qu'elle terminait au moment où il commençait, tout ça au même endroit et que donc, ils avaient pris l'habitude de passer sa première heure à lui et sa dernière à elle, dans la voiture, à s'échanger leur commentaires composés de la journée passée et à venir.
Ca m'a renvoyée un tas d'années en avant et au moment précis où je me remémorais mes après-midi au café avec mes collègues de lycée, la fille à la place du mort m'a offert une photo: une photo de mariage, une vraie d'époque, un noir et sépia blanc sale, une mariée engoncée, une famille à dot, un sourire de circonstance. On sent presque l'odeur du voile et du buffet, naphtaline.

J'ai des amis d'enfance, j'en ai quelques uns, juste ce qu'il faut.
Si je me penche sur la question, et allons-y, j'ai pas peur du vide, alors je peux jurer - sur la tête de ma mère que j'aime par dessus tout- que mes amis d'enfance, je les aime par dessus tout, presque autant que ma mère.
Ils ont un gout et une odeur, quand je les retrouve, c'est moi que j'arrête de perdre; les mots coulent, les gestes sont évidents, les choses retrouvent leur place, y'a ma main sur son épaule, leur regard dans mon passé, ta mimique que j'ai calquée et l'évidence est évidente. Pire qu'à demi-mot on se comprend: dans le silence, nous nous parlons.

Alors, pourquoi est ce que je n'arrive plus à avoir le quotidien d'avant avec vous. A l'époque, nos rendez-vous étaient réguliers comme un métronome, on n'avait même pas rendez-vous, en réalité, on était là, c'était comme ça. Dans les pattes les uns des autres, à se croche-patter joyeusement. Evident, encore une fois.
Alors, pourquoi?
Aujourd'hui, vous êtes où? Et moi, moi je suis loin comment de votre vie, de vos habitudes, de vos réflexes?

Vous inquiétez pas: je m'inquiète pas, parce que je sais depuis le dedans de mes tripes que ça ne bougera pas, qu'on pourra toujours, même après dix ans de disette, s'assoir côte à côte au café, regarder les gens passer et penser les mêmes choses, au même moment, se regarder furtivement et savoir que l'autre sait. L'économie de mots et la profusion de sensations, ça a toujours été comme ça dans nos grands moments.

Donc, je ne m'inquiète pas, simplement, je m'interroge. C'est même plutôt vous qui semblez soucieux. Je sais, je sais, j'ai oublié de répondre aux appels, j'ai dit que je venais à l'anniversaire et j'ai envoyé un message d'excuse le lendemain, j'ai rien proposé pendant des mois, j'étais pas là parce que j'étais ailleurs. Vous avez deviné. J'ai rencontré d'autres personnes. Vous avez compris. Des personnes que j'ai aimées très vite, pas comme vous que j'ai mis du temps à accepter. Je les aime encore mais la fulgurance de notre intimité, à laquelle j'ai cru, vraiment, viscéralement, s'est trouvée confrontée à la vraie vie tout à coup. Et j'ai compris qu'il manquait quelque chose à notre soit disant complicité de 10 ans d'amitié: 9 ans 1/2 .

Est ce que c'est ça que j'aime chez eux: qu'ils ne me connaissent pas en étant persuadés du contraire, les laisser faire et jouer à quelqu'un d'autre?
Est ce que c'est ça qui me pèse avec vous: que vous me connaissiez par coeur, et que par le coeur, vous m'aimiez sans que j'aie à vous séduire?

J'ai pas beaucoup de famille, vous êtes celle que je me suis choisie et par là même, il n'y a pas un jour qui ne se passe sans que je ne pense à vous, et, plus précisément, à votre bonheur.

C'est peut-être ça la différence. Avec les autres, j'ai besoin de partager le bonheur.
Avec vous, il me suffit de savoir que vous le vivez.
Mais aujourd'hui, devant cette photo, j'ai envie d'arrêter de m'accommoder de nos milliards de souvenirs et d'en construire d'autres, convaincue que je vous découvrirai encore, que j'aurai tort en croyant tout pouvoir prévoir, que vous serez, encore une fois, digne d'une famille recomposée, celle qui part dans tous les sens mais arrive toujours à la même destination: l'évidence d'être ensemble.


-maispastrop-

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