Quand on prend l'avion, le pays qu'on quitte continue de vivre. (et ça vaut dans les deux sens)

C'était sur un coup de tête.
Pas un coup de tête à une autre tête pour casser le nez d'un voyou qui voudrait voler mon sac, non, un coup de tête de moi toute seule dans le vide, dans l'air, face à personne ni rien sinon l'à venir. Ou à moi-même. Un coup d'accélérateur aussi.

Parce que je travaille, j'ai droit à des congés payés.
Congés. Congés. Congés.
Ok, je répète le mot dans ma tête, et puis à voix haute, et puis à la Antoine Doinel, devant mon miroir qu'il faut absolument que je pense à nettoyer -à croire que je me lave les dents en faisant des claquettes et en chantant: y'a plein de petites éclaboussures blanches de dentifrice agglutinées dessus-.

Mais, ça ne me dit rien, "congés", ça n'évoque pas d'image, de souvenirs, d'espoir, ça ne fait que m'embourber. Congés de quoi, de qui et puis... même si je trouvais la réponse, comment prendre congé de ces réponses?
Devant moi se présente une semaine de sept jours, du début à la fin, j'y échapperai pas, avec le jour de la lune le lundi et celui du seigneur le dimanche, en passant par le vendredi du poisson et le mercredi de ceux qui n'osent pas dire "merde"; une semaine de sept jours qui va demander à être comblée. De congés donc. Et puisqu'on me les paie, je ne peux décemment pas refuser.

Je suis là comme ça, un coude sur la table, la main qui supporte ma joue, les doigts qui pianotent leurs questionnaires sur mon visage et ma jambe qui frétille d'impatience dans l'attente d'une répartie valable. Oui, nous sommes en vacances, mon corps, ma tête et moi; mais , sans mauvais jeu de mots, nous ne sommes pas vacants pour autant, on est tout à fait occupés et remplis et limite débordants. Paris m'inspire un nombre de démarches administratives que je ne peux même pas compter sur tous mes doigts. Et pourtant, j'en ai dix.

Je sais. Je sais, normalement, les gens normaux, ils attendent le jour J de leurs congés payés, ils attendent que ça. Ils zyeutent l'horloge qui, bien sur, pour marquer le coup, s'attarde un peu entre les secondes. Ils frétillent, trépignent et bondissent tout à coup pour se ruer dans un métro qui les déposera à la gare promise vers une terre promue. Plus rien n'a d'importance, ils sont en VACANCES.

"Qu'est ce qu'on va faire de nous" dis-je à ma jambe impatiente, ma main qui pianote et ma tête embrumée, qu'est ce qu'on va faire de nous?
C'est quand je ne sais plus quoi faire que je sollicite le reste de moi, confiante, pour qu'ils répondent avec des gestes quand mon cortex peine à fabriquer des idées; et il se trouve que, quelques fois, ça paie. Ca paie pas mes congés mais ça propose tout de même d'ordonner à ma main de surveiller la météo à venir pour ces interminables jours prochains.
Ca hésite entre le gris et le blanc, les minimales sont minimes et les maximales, lilliputiennes.
Non pas que j'accorde beaucoup d'importance au temps, mais tant qu'à l'avoir pour compagnon, autant qu'il soit de bonne humeur.
J'élargis ma recherche au reste de mon pays. Mon pays c'est la France. Bon.
Je ne vais pas m'étaler sur le problème du réchauffement de la planète là tout de suite, mais, sur le coup, j'y ai pensé beaucoup, ça m'a assombrie davantage encore; j'allais finir par ressembler au cumulonimbus du lendemain.
Comme il n'y a pas de limites avec ce truc, internet, je ne me suis pas gênée, j'ai demandé si en Italie par exemple, le soleil, cette star tant convoitée, daignait se pointer.
De frontières en frontières, je me suis retrouvée à demander la météo de pays aux noms improbables et très chantants, presque pour me rassurer, pour être sûre que, quelque part, au mois de juin, des gens mettaient des lunettes de soleil dans leurs sacs et pas des parapluies.
Sénégal, minimale: 18°, maximale: 34°, précipitations: 0 mm, lever du soleil: 06h40
, coucher du soleil: 19h40.

Ca m'a fait l'effet d'un coup de boule.

Aucune précipitation: parfait pour quelqu'un qui veut prendre son temps.
Un lever du soleil à l'heure à laquelle j'ai trop tendance à me coucher.
Et un coucher du soleil... inversement....bref.
Pourquoi ne pas aller voir si la rose frétille à 6h40 sous 18° tandis qu'aucune pluie ne vient troubler la caresse de l'astre sur ma peau parisienne qui se met au vert?

Subitement, le mot "congés" prend forme.

Oui mais.

Il y a toujours un "mais" et celui çi est de taille: il coute.
Pour aller tâter l'eau de Dakar, on me demandera de sortir de l'argent que je n'ai pas, j'en suis sure, c'est toujours le même refrain, on n'a rien sans rien, on connait la chanson, le lundi au soleil, c'est une chose qu'on ne vivra jamais et compagnie.

Oui mais.

Quand un "mais" rencontre un autre "mais", ça équivaut à rien du tout, ça s'annule, un peu comme en maths je crois. (Ouhla, je ne suis pas sure du tout du tout de ce que j'avance).
On pourrait effacer les 5 dernières lignes, somme toute.

Oui mais, donc, je tombe, aïe, sur une proposition absolument indécente.
Proposition que j'accepte en fille facile, je clique sur "allez hop".
Bam, j'ai un billet. Zou,je fais mon balluchon. Tac tac, je fonce à Orly Sud. Couic, j'oublie de prévenir les gens.

J'oublie pas vraiment, disons que j'omets. Sauf celle qui m'a mise au monde, parce qu'elle m'a mise au monde elle a le droit de savoir toujours où je me situe sur le monde dans lequel elle m'a mise. Bon.

Je ne vais pas dormir, non, parce que le départ a beaucoup plus d'impact quand on le savoure depuis 6 heures; rien à voir avec le lever hagard, le café avalé à gauche, la cigarette qui passe mal à droite, le rer qui va dans quel sens bordel. Non non non.
A 6h30, je suis prête, sur mon perron, l'oeil vif, limite malicieux, le passeport frétillant, Paris déjà jalouse. Hé oui ma vieille, là où je vais, dans dix minutes il fait jour et pas qu'un peu.

N'empêche, même sous un ciel bougon et aussi matinal, t'as une de ces gueule... tu sais comme personne jouer avec facétie sur les façades d'Hausmann, flirter entre le lugubre et le luminescent; l'eau balancée par les éboueurs scintille sous la fin de vie des réverbères, je me dis c'est pas possible, tu triches; au détour d'un feu, tu nous attrapes parce que ton avenue offre une perspective parfaite sur le ciel du mauvais temps à venir. Cherche pas, tu me retiendras pas. Cherche pas, tu pourrais me retenir. Me cherche pas. Laisse moi partir.

Qu'est ce que c'est que tout ce monde qui court dans les correspondances? Dites moi pas que vous allez travailler, là, sans déconner?
Pardon.
Je dis ça la tête baissée.
Pourtant j'ai pas honte.
Mais j'avoue que la dernière fois que j'ai pris le métro à cette heure çi, c'était pour rentrer d'un endroit d'où je venais alors que j'y avais festoyé et que je rentrais pour dormir, oui bon, voilà, c'est dit. Vous, vous partiez travailler. Vous veniez de l'endroit où vous dormiez pour aller pas festoyer du tout. Souvent, je vous croisais le vendredi et pour vous c'était déjà samedi. Souvent, j'étais pas absolument nette. Et vous, impec. Vous me faisiez mal aux yeux tellement vous étiez resplendissants. Je préférais même les plonger dans ceux de mon semblable pour la peine, que j'avais même pas.

Et aujourd'hui. Tout ce que j'ai bu, c'est 4 cafés pour tenir la blanche nuit, je pars pour simplement partir avec cette étrange et pourquoi pas agréable impression de ne venir de nulle part pour aller n'importe où, si le vent me mène là où vont les proverbes, ce sera déjà pas mal.
Vos cernes. J'ai les mêmes.
Dans deux heures, je m'envoie en l'air les chouchouter via une compagnie toute aérienne. Je crâne pas. Mais quand même, vous tous, là, vous donnez un poids conséquent à une simple escapade.
Merci.

Il fait toujours beau au-dessus des nuages, à 300 mètres d'altitude, on est tous égaux. Lui aussi, ses oreilles se bouchent quand on décolle; toi, je te vois bien t'accrocher l'air de rien quand on passe un trou d'air. Nous sommes si peu de choses. Si peu de choses présurisables.

J'ai prévenu personne. Est ce que je vais manquer à quelqu'un. J'ai éteint le portable. Et ce qu'il frétillera comme une cocotte minute quand je le rallumerai.
Se poser ces questions là, c'est refuser de partir complètement.
"Mademoiselle, il faut relever votre tablette, éteindre votre téléphone et attacher votre ceinture s'il vous plaît".
...
Ne pas écrire,
ne pas être joignable,
me protéger d'une éventuelle mort subite subie.

Je suis pas sure d'être prête pour ça, vous savez, j'ai peur dans l'avion et je me fiche absolument de savoir où sont les gilets de sauvetage, j'y crois pas une seconde, c'est fait pour rassurer pas pour sauver, vous le savez aussi. En plus, j'ai pris l'habitude bizarre de serrer la main de la personne qui m'accompagne, à l'atterrissage, pile poil au moment où les roues touchent la piste, on se serre la main; faut que ce soit vraiment au même moment, sans se regarder parce que c'est déjà assez émouvant comme ça, alors à qui je vais serrer la main, moi.

Vous êtes là dans votre uniforme mal taillé, franchement vous êtes pas à votre avantage, vous me parlez technique, je vous réponds sentiments, vous faites votre boulot, je fuis le mien il parait. On n'arrête pas de se rater nous tous.

Mais il fait toujours beau à 300 mètres d'altitude et même si je sais qu'on perdra la course avec le soleil du lundi, ça me ravit de faire un bout de chemin à côté de lui, presque à sa vitesse.

Subitement, le mot "congé" prend fond.

Les aéroports, les départs en général, certaines chansons, quelques livres, deux trois souvenirs... on se rappelle ce qu'on est vraiment et on se demande, alors, pourquoi les gens qui disent nous aimer nous aiment. Là où je vais, d'autres sont allés, mais pour moi c'est la première fois et c'est tout ce qui compte, c'est donc la toute première fois. Pour vous que j'aime, pour vous qui m'aimez peut-être, pour cette hôtesse, pour ce soleil rapide comme la lumière, c'est la première fois.
Et la première fois, c'est sacré, toujours. Je ne laisserai personne dire le contraire.
Jamais.


(......... ici il se passe que, bouleversée par autant de reflexions et de cafés, je m'endors)

(......... ici, il se passe que, entourée de connasses à mioches, je me réveille)

Il paraît qu'on aborde la descente vers l'atterrissage et je me surprends à penser que ce n'était donc pas pour toujours, ce moment de tout remettre en question et en réponse, d'avoir peur d'avant et de penser à l'après; pourtant ça aurait pu continuer, j'avais encore plein de choses à dire mais la vie reprend, la vraie qui fait sortir le passeport et se remémorer l'horaire du bus qu'on doit prendre pour être sure de dormir dans un lit ce soir.
Ce soir?
Je croyais qu'on était le matin, ou hier, et on est déjà ce soir? Alors penser ferait se coucher le soleil en avance? Chouette. Ou zut. Ca dépend.
Les hublots que les passagers découvrent des stores tirés pour dormir à midi proposent une vue alléchante: l'eau; l'eau qui s'en fout pas mal de tout ça. L'eau qui est là, toujours, l'eau qui vaque et qui mouille comme dirait l'autre.
On nous dit la température et l'heure locale pendant que les voisins remettent leurs chaussures et baillent, pâteux. Non, c'est pas le soir. Il est presque encore trop tôt d'ailleurs, le temps de vie que j'ai gagné, je crains fort de le perdre en errance touristique.
Je ne sais absolument pas où je vais ni ce que je vais faire. Pour l'instant, je suis juste remplie de la flatterie que le soleil m'a faite, en m'attendant pour se coucher, son élégance me bouleverse et j'ai hâte de défaire ma ceinture pour m'en aller l'étreindre.

Personne ne m'attend à l'arrivée. Je suis vraiment partie.


-maispastrop-

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