En pâmoison

L'époque à laquelle j'aurais voulu m'évanouir

Je n'arrive pas, je ne sais pas me restreindre à un seul et unique choix, et comme choisir c'est exclure, au restaurant j'évite toute la farandole des hésitations. « Je prendrai les deux plats du jour s'il vous plaît. Et s'il ne vous plaît pas. »

Entre Corpus Christi et Albuquerque, mon coeur balance et carambole.
Je ne pars plus.
Et puis j'ai bien trop de choses à tarabiscoter ici-bas à Paris.
Tout changer, par exemple.

Si j'avais pu, si on m'avait posé la question, j'aurais pris une décision pour une fois, et une malicieuse. J'aurais choisi de ne pas atterrir à cette époque. Aéroporc.
La goujaterie du hasard veut qu'on m'ait déposée n'importe où et n'importe quand. Parce que, pardon, mais c'est fichtrement désordonné tout autour et partout voire tout le monde. Et puis, surtout, après l'amour, il est d'augure de fumer une cigarette ; après une dispute, de claquer la porte ; après un choc, d'avancer son rendez-vous chez Monsieur notre psychanalyste.
Alors que, pour de bon, tout ce que je voudrais moi, c'est m'évanouir. Sentir la chamade de mon coeur et comme de la vitesse dans mes veines, rougir un petit peu, porter une main gantée à mon front pâlichon et, polissonne, prendre soin de disposer ma robe correctement avant de défaillir. Je tomberais au ralenti, la soie crisse et non pas les pneus. Autour de moi, un attroupement se forme gentiment. Des badauds, des pantois, des pimbêches évidemment, et le responsable, mufle de mon coeur, qui profite de l'embouteillage pour s'éclipser.

On me réveille grâce à quelques gouttes d'ammoniaque. Les couleurs reviennent sur mes pommettes. La vie reprend son cours de philo de pacotille, et je me jure de ne plus m'amouracher de types en toc.
Le voilà le dilemme : s'évanouir aujourd'hui ? Où, pourquoi et comment ? Nous sommes trop résistants et peu impressionnables. Du moins, nous voudrions le faire croire.
J'aurais voulu la jouer la comédie romantique, et jurer « toujours » et « jamais » dans la même phrase.
Balbutier quelques mots d'amour et bredouiller ou bégayer, peut-être, face à ses compliments. Susurrer deux-trois promesses, brinquebaler mes valises de Vienne à Bruges, de Bruges à Venise, puis babiller devant la chair de ma chair. La Place d'Italie ne suffit plus, les trottoirs sont des marécages et le métro, une mangrove impitoyable. La vue qu'on m'offre n'exalte aucunement mes rêves de grandeur et de grandiose ; les murs se resserrent, je rétrécis et bientôt je suffoque ; je hoquette même de fureur et me voilà ridicule. Au sens sale du terme. J'aurais voulu que l'époque des grandes robes et des faux culs n'en finisse plus.

Les faux culs sont toujours là, objecterez-vous.
Oui, dame, soit, mais pas cousus à mes hanches, simplement pendus au fil de mon téléphone.


En période de crise et de marasme, je farfouille dans mes vies antérieures avec l'espoir de me requinquer pour repartir d'un bon pied bon oeil dans les années 00, mais aucun souvenir n'est assez vivace pour y replonger. Pourtant, comme je m'y baignerais avec délectation. Quelques brasses dans les années folles, un petit fox-trot ; deux bonnes longueurs pendant la Révolution, ma soif de sang rassasiée ; plusieurs papillons à Versailles pendant la Régence « où l'on fit tout excepté pénitence ».
Et partout, m'évanouir. Toujours mieux, toujours plus. Davantage en aventures, j'aurais transmis mon savoir et exercé mon pouvoir. L'évanouissement serait aujourd'hui un art, raffiné et délicat, enseigné dans des écoles de poudre et de taffetas.
Tant pis.

Au diable les bonnes manières. Je m'insurge et, dès demain, je délaisse les insultes et les doigts d'honneur, pour enfin me consacrer à la douce chute de mes illusions dans vos caniveaux.
Voudriez-vous bien jouer le jeu s'il vous plaît ?
Et s'il ne vous plaît pas, je tombe quand même à vos genoux. Regardez, je râle et gémis. Mon jean crisse et freine toute circulation. Je porte une main manucurée à mon front, et espiègle, vous tire le clin d'oeil avant l'impact de mon crâne sur le bitume. Je vous maudis d'avoir bafoué l'honneur d'une femme, d'une mère, d'une pute, de Marilyn Monroe. Et si l'ammoniaque se fait rare, un peu d'eau écarlate fera l'affaire.

-maispastrop-

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C. a dit

Laisserez vous deux bras et une poitrine accueillir votre chute élégante ou vous faut il absolument le bitume du fond du caniveau ?
Et n'arriveriez-vous pas à reprendre vos espris, le rose ne reviendrait-il pas à vos joues et la lumière ne réapparaitrait-elle pas dans vos yeux, si vous reposiez simplement sur des genous amis, un regard serein, clair et bienveillant posé sur votre front... une main pour soutenir la vôtre...
Vous m'avez encore fait vibrer !