Quel jour sommes nous? Et d'ailleurs, qui sommes-nous aujourd'hui?

Vers midi, à Paris

La porte cochère, dans un claquement métallique, a fait sursauter ce qu’il me restait de réflexes.
Je suis dehors, je crois. Il fait froid, on dirait. J’ai envie de demander « qui êtes-vous ? » à tout le monde.
Je ne comprends pas trop ce qu’il se passe ; autour, ça gigote, il semble se tramer quelque chose de capital, les passants passent, tous avec le même affolement affolé et j’imagine que je devrais être au courant, m’inquiéter peut-être ; comme ça n’est pas tout à fait le cas, je me sens piteuse à cause de la charge de la société, mais je mets un point d’honneur à ce que ça ne se voie pas.
Je regarde ma montre pour me donner une contenance et me remettre dans le bain, mais je n’ai pas de montre. Ni de bain, tiens. Je décide de fumer une cigarette, du coup. Pour avoir un peu de contenu.
Non plus. Zut. Un sac aussi vide que ma tête.
Bon.

Je suis de celles qui suivent « l’actualité » mais je ne suis pas au courant de la raison pour laquelle la ville fait l’effervescente ce matin. Je ne sais pas. Et je devrais, oui, indéniablement. En toute honnêteté, j’ai un mot d’excuse, signé à la transpiration et aux baisers dans la nuque : je sors d’une nuit de plusieurs jours, voilà. Si on me posait la question, je répondrais que c’est passé trop vite. Tout ce qui passe trop vite mérite qu’on s’y attarde, qu’on prenne le temps.
Le temps, je l’ai pris.
Je l’ai volé même, hop-là.
Et puis, par malchance, ou par habitude, j’ai rallumé l’appareil qui sert à être joignable à n’importe quelle heure pour se dire n’importe quoi. Tout habitué qu’on est d’avoir nos contacts à portée d’appel à tout moment, il suffit de 12 heures de répondeur pour que les proches et la famille alertent les services secrets de notre étrange disparition.
J’aurais jamais du remettre cette fichue technologie en route, les messages croulent, le ton va crescendo, ça finit en pleurs et cris de désespoir ; l’idée de devoir rappeler tous ces gens qui m’aiment, les uns après les autres, pour leur annoncer que je suis toujours vivante me donne envie, en ordre chronologique, de :
- poser cet Ericsson sur un support costaud
- trouver un objet qui répondrait, par exemple, au nom de Marteau
- faire avec cet objet et cet Ericsson ce qui semble évident d’après ce que je viens de raconter si tant est que vous ayez un peu suivi
- enfin, retourner d’où je viens et je ne vous dirai pas où c’est, d’ailleurs.

Mais je ne pouvais plus faire comme si je ne savais pas et déjà la pression faisait son petit effet à la con, alors j’ai rangé mon portable et me suis rhabillée. Il a fallu que la vie normale me rattrape, que je ré-intégre les habitudes des honnêtes gens, ceux qui se nourrissent 3 fois par jour et ont pris un crédit sur 7 ans. Me voilà d’un coup d’un seul catapultée dans la rue, au milieu d’êtres humains qui ont voté pour quelqu’un en qui ils croyaient.
Autant dire des ovnis.
(Entre parenthèses, j’avais toujours autant envie de demander à n’importe quel zazou « qui êtes-vous ? ». Je le ferai, un jour)
Les journaux annonçaient « Trucmuche, notre nouveau président » pendant que j’essayais de savoir quel jour on était et où j’habitais.

« Notre président » ?
Parlez pour vous.
Mon président à moi dort encore, je le sais, le l’ai regardé rêver et ses yeux tintinnabulaient sous les songes bizarres que son inconscient ordonnait quand j’ai refermé la porte, en douceur, soucieuse de ne pas le sortir d’un repos de guerrier plus que mérité.

Mais , alors qu’elle aurait du s’arrêter sur mon bonheur, la vie continue ses petites affaires. Je m’aventure à demander mon chemin au bonhomme qui tient le kiosque alors qu’on sait tous que les bonshommes qui tiennent les kiosques ont en horreur les jeunes filles qui cherchent leur chemin. Je prends des risques, quoi. M’en fous, je suis intouchable, inébranlable, consolidée par une pause espace-temps au milieu du fourbi, une pause pendant laquelle j’ai vécu 6 petites morts et atteint le 7° ciel ou une énième vie de chat. Un truc fou, en somme. Ca fait que je suis toute prête à affronter les bougons dans son genre.
Je ne croyais pas sourire en posant la question, vraiment, je pourrais le jurer, j’ai demandé comment trouver ma rue sans étendre mes lèvres, de parts et d’autres. Pourtant, il me répond avec une extension de bouche. Son sourire me fait sourire. On a l’air fin. Avoir l’air fin nous fait sourire aussi. On a encore plus l’air fin, on sourit encore plus. Ca n’en finit plus.
Il me dit « vous prenez le première à gauche, ensuite vous longez le boulevard, et là, vous regrettez d’avoir refusé mon invitation à déjeuner. Du coup, vous remontez le boulevard en sens inverse, vous revenez et on va déjeuner ensemble pour que vous me racontiez ce qui peut rendre aussi heureux. »

Heu.
Je pense « heu ».

….

Ok.
Je dis « ok ».

-maispastrop-

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C. a dit

Sourire aussi !
Grand !