De Compostelle

Le Saint-Jacques
71 rue Saint Jacques 75005
Noisette: 1€90
Jambon-beurre:2€80




Une petite terrasse déborde sur le trottoir mouillé, 2 tables minuscules et 3 chaises. De quoi mettre l’eau à la bouche. Voilà le Saint Jacques, au milieu de la rue, presque au croisement de la rue des Écoles.
Je viens de me rayer les yeux à cause des feuilles et des poussières qui volent, d’éternuer très exactement à 12 reprises, d’ouvrir et de fermer mon parapluie une vingtaine de fois aussi vite que si ma vie en dépendait. Tout ça en un temps record: 15 minutes. C’est fou comme la vie peut être intense tout à coup.
Bref, je mérite bien une petite pause.

C’est étroit et tout en longueur, je me place au bord, juste avant la terrasse.
Une enceinte me sert Eminem dans son intégralité, alors au bout d’un moment, evidemment, ça me fait lever les yeux. Qui se posent à 2 mètres et quelques du sol, sur une étagère. Elle présente une sacrée collection ; des emballages - pour certains limités - de bouteilles en tout genre. J&B, Chivas Régal, Glendfiddich, Ardbeg, Glenfarclas, bon bref, et plein d’autres. Une soixantaine environ. Amusant, et ça donne un peu de gueule. Parce que sinon, c’est assez classique, genre troquet de province avec une touche désuète.

Ça sent les habitués à plein nez, d’ailleurs je dois être la seule « nouvelle ». Dans la salle du fond, une dizaine de bons vivants comme à la maison ; ils parlent de tout et leurs mots se chevauchent. Je ne les comprends pas mais c’est convivial et alcoolisé. Ils étaient là hier, et le seront encore demain, j’y mets ma main à couper. (la gauche, quand meme)
Quelques étudiants squattent les rares tables (4) de la première salle, ils causent “droit” ; et au bar, des piliers, comme d’habitude.
Tellement accoutumés à la présence du barman qu’ils n’ont plus besoin de parler. Entre « bonjour, ça va ? » et « salut, à plus tard », rien que des silences et des regards.
Les filles, en revanche, se font plus causantes ; il est beaucoup question de ragots et le serveur, débonnaire, écoute sans rien dire. Ça a l’air de convenir à tout le monde comme ça.
On pourrait croire qu’il ne l’entend pas. Si on faisait un gros plan sur son visage, sans le son, on ne verrait qu’une scène typique de serveur qui s’applique à faire du café, ranger des tasses, nettoyer des verres. Avec un peu de recul et de son, une femme de 50 ans entre dans le plan ; elle boit une bière et lui raconte la vie des commerçants du coin avec un accent irlandais. Il paraîtrait que le patron d’un cinéma des Écoles a quitté sa femme sur un coup de tête, il y a deux jours, pour s’enticher d’un jeune transsexuel. Et aussi, une voisine de l’immeuble d’en face se ballade tous les soirs nue devant ses fenêtres, de 22h à 23 h. « Elle se cherche un mari hein, ah ça c’est sûr ».

La vue est étroite. Mais charmante. On est bien ici. Cosy. Les montres prennent leur temps, pas un mot plus haut que l’autre. On peut laisser notre sac sur la table et aller aux toilettes, vous voyez ce que je veux dire. Chacun aura spontanément un regard bienveillant dessus.
Personnellement, j’entortille une mèche de cheveux autour de mon index, pendant qu’un jeune se triture les vilaines peaux des doigts, pendant qu’une dame gribouille sur son agenda….
On est assuré de ne trouver aucun touriste, mais des étudiants Erasmus ça oui, à la pêle-mêle même. Quelques regards coquins mais aucune drague insistante.
Être ici me donne envie de lire le journal, d’écrire une longue lettre à une amie d’Italie et ensuite, d’aller au cinéma rue des Écoles. Être ici me donne envie de faire partie de cette vie de quartier, de faire mon marché et de retrouver mon vieux pote, un peu en avance, accoudé au bar. Être ici me fait du bien et me regonfle d’amour pour Paris.

La pluie tombe à l’horizontale, contre les paroles un peu lancinantes de Marshall Mathers, ça tombe bien. Tous les types du bar se tournent vers la gauche, il faut bien commenter ce sale temps. Et déjà le soleil revient, les voisins se mettent au balcon, Amy Winehouse prend la relève, la machine à café reprend le chagrin…
Et je décide à l’instant précis ou j’écris « précis » que si, un jour, je dois retrouver un homme que j’ai connu, élu “de ma vie” puis perdu de vue, alors je fixerai mon rendez-vous au Saint-Jacques.


-maispastrop-

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