Renaissance

(feu) Le Grand Amour
1/3 avenue Jean Jaurès 75019
Verre de Merlot : 4€
Eau gazeuse : pourquoi faire ?

Aujourd’hui, le Grand Amour a fait table rase: oublié les poivrots, effacé les tristes sires du petit matin, et pour en arriver là, ça a du lui coûter bonbon. Devant les vitres peintes en blanc - comme le veut la coutume des bars qui ferment pour travaux - je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était l’ultime subterfuge.
D’après moi, à l’intérieur, tout suivait son cours. La vingtaine d’habitués et le patron n’avaient pas bougé, ils étaient là, ivres et tristes, à enchaîner les alcools forts. Simplement, ils ne voulaient plus d’intrus et plus, non plus, de vue sur le vrai monde par la fenêtre. J’étais persuadée que c’était la suprême ligne droite avant la fin, une sorte de suicide collectif éthylique.
Quelle ne fut pas ma surprise donc, ce jour de mai 2006, le premier pour être précise, quand j’ai découvert un Jaurès neuf, fringant, et pas peu fier.
Ceux qui n’ont pas connu celui d’avant ne peuvent pas imaginer le nombre de saloperies que ces murs ont entendu. Tout a été refait, tout, repeint, revu, repensé. C’est aujourd’hui une sorte de café typiquement germanopratin avec une touche américaine dans le bon sens du terme, à savoir, new-yorkaise.
Ils ont posé du plancher et pas n’importe lequel, un de ceux dont on jurerait qu’il a déjà bien vécu. Les chaises sont celles qu’on trouve uniquement dans les salles de cours élémentaire ou dans les appartements labellisés bobo. Les fenêtres sont déguisées de stores qui invitent à se prendre pour Sherlock, en appuyant l’index sur une des tranches, courbant le bois, pour observer la cabine téléphonique d’où Jack l’éventreur appelle sa mémé en la rassurant, « Mais oui, Granny, je prends mes vitamines. ».
Le métal des portes et des vitres a été vieilli, patiné, rouillé, comme s’il était là depuis assez longtemps pour attester de l’existence des existentialistes. Ils ont même installé des poutres. Apparentes tant qu’à faire…
Les radiateurs sont en fer forgé, et les serveurs en sourire figé. Y ‘a de la concurrence avec le café du cinéma, moi je dis. Celui du complexe MK2, à deux minutes d’ici, qui se targue de redonner vie au quartier.
Je parie que les énergumènes des cours Florent, plus haut sur l’avenue Jean Jaurès, vont s’en faire un petit QG d’après-midi pluvieuses et pas studieuses du tout.
Est-il nécessaire de préciser que les clients aussi se sont assagis et ont changé tout autant que le cadre… Je me demande où peuvent bien se cacher les anciens maintenant ? Ils doivent fichtrement pester contre la politique du XIX° qui vise à virer les voyous, les clochards, les dealers et les désolés de Stalingrad. Bientôt, ici, ce sera plus sûr qu’à Saint Michel.

Il pleut sur Paris, donc à priori sur Nantes aussi, et c’est Brel qui pleure dans les enceintes –customisées, bien sûr -.
Je ne suis pas fière quand je comprends que je me sens mieux dans cette nouvelle configuration. L’idéal serait de jouer entre les deux mondes, jongler entre l’ambiance Dr Jekyll et l’autre, parce qu’il n’y a jamais aucune raison assez valable pour renvoyer les plus démunis plus loin, dans des recoins encore plus… encore moins accueillants. Disons qu’à partir de minuit, le Jaurès devrait s’accorder une petite pause, et en coulisses, revêtir son ancien costume d’affreux sale et méchant pour héberger jusqu’au petit matin les âmes et les rêveries des mal - aimés du coin. Chacun son tour, faîtes la queue comme tout le monde ; à 7 heures, on passerait la serpillière sur les dernières plaintes et on reprendrait la mascarade des apparences plus propres, des émissions câblées qui redécorent les appartements, des conversations qui survolent. Et les stores se rouvriraient sur une journée réservée à une clientèle qui est loin de se douter que, cette nuit, l’endroit était rempli de misérables qui donneraient tout pour échanger avec eux les vies, les décors, les amis, les amours et surtout les emmerdes.

-maispastrop-

1 commentaire:

Marshall Taviani a dit…

A la tienne !