Ouvrir les volets, fermer les yeux

Il y a ceux qui crèvent la faim.

C’est une expression qu’on utilise pour parler des crève-la-faim sans vraiment être émus, ni concernés. On ne dit pas « les gens qui meurent parce qu’ils sont trop pauvres » par exemple; si on le disait, bah, on le dirait pas. On pourrait pas dire ça sans se sentir absolument concernés, presque responsables.
Enfin, j’espère qu’on ne pourrait pas.

On dit aussi les « nécessiteux » parce que pour parler de nous, on ne dit jamais « j’ai des nécessités ces derniers temps ».
Il y a les crève-la-faim, les orphelins, les nécessiteux, les handicapés, les séropositifs, les femmes battues, les hommes vaincus, les enfants abusés et la banquise qui fond. Les espèces disparaissent, sauf celles du porte-feuille qui pullulent, tranquilou.
Elle magazine consacre toujours deux pages à la misère du monde au milieu de pages mode remplies de fringues aux prix exorbitants et d'opinions plutôt douteuses, glissées l'air de rien dans une chronique littéraire. Et mes amies l'achète.

Il y a tout ça qui se passe dans l’écran et sur le papier du journal, mais je continue de vivre.
La preuve, je respire, je pense, je prends les transports en commun et j’ai même ri ce soir, beaucoup.

C’est lundi et c’est plus possible de savoir tout ça.
Si la semaine recommence, toute neuve, y’a pas de raison pour que moi non. Je voudrais reprendre les 7 jours du bon pied, vierge de tout, parce qu’en fait de connaissances et d’expériences, tout ce qu’il se passe, c’est que ça s'accumule et que j’ai de plus en plus de mal à commander un blanc sec à 4€ avec vue sur clodo. Il faut que j’en commande beaucoup plus pour oublier qu’il est là, avec sa piquette et le froid qui le pique.
Donc, je me ruine. Et je finis par avoir des nécessités.

Finalement, « quelque part », comme dirait ma mère – elle dit souvent ça : « quelque part, je m’en fous » ou « quelque part, je suis révoltée » et je me demande toujours « quelque part, d’accord, mais où ? », elle a beaucoup de quelques parts qui se contredisent gaiement - Finalement, disais-je, à un endroit indéfini, je vis avec cette conscience des autres en n’en tenant pas compte pour un sou.
Et un sou, c’est un sou.
Demandez-leur.

Autour de moi, les gens parlent de préoccupations.

Ok.

Alors j’arrive, pleine de principes, de grandes phrases, plutôt impatiente d’enfin rentrer dans le sujet vif, prête à me lancer dans le débat, cœur et âme, et puis je réalise que les préoccupations sont médiocrement personnelles. Ils se demandent s’ils doivent se marier et quand est-ce qu’il faut faire des enfants.
Si si, c’est bien ça qui les empêche de dormir, les nombrilistes que j’ai pour amis.
Moi ce qui m’empêche de dormir, c’est qu’il existe des insomnies égotistes, bourgeoises, capitalistes, soit - disant capitales.
Je sais pas, je suis personne pour dire ça, mais je suis au moins celle qui ne fait pas de ces maladies judéo chrétiennes des sujets de conversation devant un blanc sec avec un clochard en arrière plan. Parfois, c’est plus possible. Ca me dégoûte. Ca me « berk » de partout.
Je ne voudrais dire que de l’absurde, raconter du cocasse, parce que le reste est une insulte aux autres.
La politesse du désespoir, direz-vous.
Et ?
Pourquoi pas ?
Est ce que c’est vraiment possible de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ne connaîtra pas l’ours blanc ?
Vous venez de lire une phrase tellement politiquement correcte qu’elle en donne la nausée. Soit. Relisez-là. Encore.
Et encore.
Est ce que c’est vraiment humain de s’inquiéter de la marque de la poussette alors que la chair de notre chair ….

Ne vous méprenez pas, c’est bien moi que je conchie le plus violemment dans toute cette mascarade, parce que si vous vous en battez l’œil, alors battez-vous en l’œil, mais moi qui prétends être alarmée, je suis quand même là, à vous écouter parler de couches et de nouvelles baskets et je me trahis. De temps en temps, j’oublie, même. Et j’ai déjà dû aller jusqu’à donner mon opinion sur la couleur de la layette. La vraie moi devrait vous lancer son verre à la gueule et crier au scandale, la vraie moi devrait vous faire assez confiance pour comprendre ça, mais la vraie moi a baissé les bras et ne vous considère que comme des marionnettes ventriloques, à qui elle ne peut pas dire ce genre de conneries, parce que la vraie moi croit que vous seriez cynique, grossiers, obscènes.
Et elle a raison.
Je continue de vous aimer. Très fort. Mais, le lundi, vous êtes le miroir grossissant de tous les défauts que je ne veux pas avoir. Vous êtes mes rides de résignation. Vous êtes mes cernes d’aveuglement. Je vous aime très fort, en vrai. C’est moi que je déteste.



-maispastrop-

1 commentaire:

Marshall Taviani a dit…

Wahou ! Putain dure la reprise de la semaine quand même. La fin est tellement triste, cinglante. Comment peux-tu te détester en écrivant des trucs pareils ?

C'est trop beau, c'est attendrissant, touchant, bourgeois tout plein, mignon !

Moi ma mère elle dit souvent "hauts les coeurs". Quand t'es tout retourné tu peux pas savoir où est le haut mais il doit bien être "quelque part" lui aussi.