A la bonne heure

Je respire la joie.

Je souris sans le vouloir. Ma bouche n'en peut plus de s'étendre tout partout sur mon visage. Y'a des fossettes à revendre. Et mes yeux plissent sous le poids de l'extase.

Je ne sais même pas que je suis heureuse, ce qui, d'après moi est LE signe du bonheur.
Le top.
La cerise sur le bord du verre du cocktail.

Et puis, j'ouvre mon agenda. Jusqu'à la semaine dernière, les jours sont remplis de rendez-vous, de déjeuners, de séances de films, d'annotations, de phrases que ceux que j'aime ont prononcées, de trucs-qui-traînent-et-qu'il-faut-vraiment-que-je-fasse. Jusqu'à la semaine dernière. Après, plus rien.
Ce vide me déserte et une peur panique me monte des doigts de pieds déjà bien occupés à s'installer dans une botte étroite.

Je.
Argh.
Nul.

Faut jamais délaisser. Rien ni personne. Je le sais pourtant.
Devant ces trois derniers jours de pages blanches, je réalise que j'ai été, sans m'en rendre compte, tout ce que je déteste; parce que tu me regardes avec des yeux de loup de Tex Avery, parce que la nuit et le jour se sont mélangés dans le lit, parce que j'ai oublié que je n'étais pas de ceux-là, je sais que ça va me revenir comme un boomerang au moment où je m'y attendrai le moins.

Je m'installe à une terrasse chauffée-fumeuse et m'y colle, remontant dans ce qu'il me reste de matière grise pour reconstituer ces dernières 72 heures. Je ne veux rien oublier, jamais.
Au moment où je le vis, y'a rien qui compte davantage que ce que je vis. Au moment où tu vis devant moi, tout peut s'écrouler. Et quand une inconnue me sourit dans la rue sans raison, j'ai envie qu'on se prenne tous la main et qu'on ouvre la cage aux oiseaux.
C'est pas décent d'oublier ça, alors faut l'écrire, laisser un petit mot, quelque chose sur quoi se repencher plus tard, même si c'est avec une sorte de gentil mépris pour la gentille petite conne naive qu'on était, à l'époque.
Faut que ça reste.

Je m'essaie à l'exercice, y'a rien qui vient, finalement je suis vide parce que pleine de sensations et sans vocabulaire pour les décrire.
Si je savais dessiner, je ferais des petits croquis des frissons que ton souffle a dessiné sur ma peau; la lumière qui passe, têtue, obstinée, entre les volets et dessine sur le mur des formes auxquelles on trouve toujours des noms; le moment où l'ordinateur passe miraculeusement d'Iggy Pop à Radiohead et les images que ça lance dans mon sang; le téléphone qui sonne et la main qui repousse les appels de gens que j'aime, pour leur parler plus tard; le chat, enfin, le chat qui veut sa part de bonheur et roule du cul jusqu'au lit où il se glisse, putassier, pour venir ronronner sur mon ventre et me faire mourir d'amour pour ses yeux incroyablement indolents, me convaincre qu'à part ça, y'a pas grand chose de vraiment essentiel; à part la faim joyeuse qui crie dans mon estomac, pile sous son ronron et me pousse à sortir du lit pour trouver deux trois fruits et un reste de pommes de terre amoureusement grillés des deux côtés.
Je dessinerais aussi le moment où il n'y a plus un bruit dans la maison. Les plantes, le chat, toi, moi, la rue, les mots, le mercredi, tout le monde se tait. Je dessinerai ça comme ça:






Quand y'a plus rien à dire, autant se remettre au lit avec une paire de bras et un agenda à remplir.


-maispastrop-

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