On m'a traitée de "spectacle"

Le Café Ménilmontant

143 bd Ménilmontant, 75011
Noisette :2€10

Alors je vous l’accorde d’emblée, il y a plus vivant, plus branché, plus cher, plus festif, plus « plus » dans le coin. Ca, des bars, ça en manque pas autour de la rue Oberkampf. Mais, dois-je le répéter, il est question de café au sens quotidien du terme. Celui où on feuillette son journal, l’œil davantage attiré par l’agitation de la place et la sortie du métro. Pas celui où on va cuver une claque sentimentale ou simplement fêter le fait que, voilà, c’est le week-end, youpi.

C’est joli, pas incroyable, pas la peine d’en faire toute une histoire, c’est joli c’est tout. Il y a une petite guirlande de loupiotes au-dessous du bar et au fond à gauche, quelques affiches, fines et si complices avec le mur qu’on croit d’abord à une peinture ; Brassens et Mistinguett s’y disputent la vedette, admettez qu’on est en bonne compagnie… Un petit coin boissons où je me trouve, près des vitres, deux coins banquettes banquet qui me narguent depuis mon arrivée et dans lesquels je viendrais goûter la copieuse « salade Ménilmontant » un de ces jours ; je la vois se faire engloutir par un client voisin et ça fait couiner mon estomac.

J’ai eu droit au pot de lait sans problème, au verre d’eau sans même le demander et à plusieurs sourires de la serveuse. Ce qui, croyez- moi, n’est pas si évident d’une fille à une autre. (De nos jours, entre parenthèses.)

Chose étonnante, nous sommes douze et cinq écrivent ; c’est la plus grande proportion jamais rencontrée. Imaginez donc quatre-vingts personnes griffonnant à La Coupole ou au Train Bleu un vendredi à 19h30.
Un jeune homme lit, et, pas n’importe quoi, mais n’importe comment. Sexus et Plexus en même temps, jonglant de l’un à l’autre, revenant en arrière ou sautant des pages, assaisonnant le tout de gros rires gras.
Deux jeunes bobofs visionnent des photos de voyage, le Japon en l’occurrence, sur un ordinateur portable. On s’étonne souvent de la manière qu’ont les touristes japonais d’éterniser les panneaux d’indications ou les enseignes commerçantes de Paris, et bien ces deux touristes parisiens ont fait sensiblement la même chose, mais, attention, de manière « ar-ti-sti-que ». Hum.

Et puis, il y a ce jeune homme, un habitué si l’on en croit la familiarité avec laquelle il s’adresse au patron –et le fait que ce dernier ne s’en offusque pas-. Tout au bout, très en face de moi, il me regarde. Enfin, quelle est l’expression pour l’action de regarder quelqu’un sans interruption, les yeux grands et verts, donnant l’impression de bientôt vous transpercer s’il ne détourne pas ses jumelles ?
Il a demandé à une grande vieille –on dit normalement « petite vieille » , mais celle-ci n’a pas du tout laissé les années lui tasser la colonne vertébrale- de bien vouloir se placer à une autre table.
« Sachez que si vous refusiez vous me mettriez dans un embarras sans précédent. » « Et pourquoi don ? » (pas la peine d’écrire le « C », chez ces gens-là, Monsieur, ça ne se prononce pas.) « Et bien, parce que, sans vouloir vous vexer, vous feriez obstacle au plus joli des spectacles qui se déroule devant moi, enfin, derrière vous. »
La grande vieille se retourne, me sourit et hoche la tête façon : « oui, bon, compris, je vous laisse à la jeunesse mes mignons. »

Suis-je sous terre, écarlate, en sueur ?
Ce qui est sûr, c’est que je suis en retard, mes acolytes anonymes m’attendent un peu plus loin, dans un bar du soir, un truc branché avec un concert underground, ou un truc dans le genre, pour cuver une claque sentimentale et se réconforter vu que, bon, youpi, c’est le week-end…

Alors non, je n’ai pas le temps de prendre un verre, jeune homme, mais oui, je parlerai de vous dans mon cahier, promis.


-maispastrop-

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