L’année de la Chine

Le Coche
124, rue de Tolbiac, 75013
noisette :1€ 95 - verre de Bordeaux: 3€ avec pop corns


J’ai trouvé une bonne alternative au Canon de Tolbiac, et une avec estrade V.I.P. s’il vous plaît. Celle du bord est la meilleure place pour écrire, on peut s’accouder à la rambarde et ainsi:
1) être dans une position confortable,
2) se donner des airs.
Enfin, avec la nuit qui tombe, ça commence à se calmer et c’est pas pour me déplaire, c’était exagéré tout ce monde, j’ai presque fait la queue pour pouvoir rentrer, comme s’ ils avaient découvert LA perle de Paris.
Le dimanche, c’est ambiance Pékin. Je n’avais jamais remarqué que c’était plus difficile de faire abstraction de fous rires en chinois; il m’est impossible de m’inspirer de leurs conversations, je ne peux que me contenter de leurs attitudes, ce qui m’en apprend sûrement davantage que les mots mais me laisse néanmoins sur ma faim.
Je remarque une petite habituée dans le coin, à gauche, calée contre le mur. Je ne dis pas “petite” pour sous-entendre que je lui serais supérieure, je dis “petite” parce qu’elle doit mesurer 1 mètre 50 à tout casser. Elle parait 18 ans mais c’est bien le genre à cacher son jeu et en bien davantage. Y’a des gens comme ça, ils vieillissent tout d’un coup, à la fin.
Les serveurs lui font la bise, certains clients se déplacent pour la saluer; et c’est à ce moment là que son visage s’illumine. Autrement, elle travaille, concentrée en mâchouillant sa règle déjà mal en point. Je me disais que ce devait être des croquis de mode, mais à l’inspection de sa tenue, j’ai revu ma supposition. Vêtue comme un garçon qui aurait emprunté des fringues à son grand frère, lui même très peu soucieux de son apparence.
Maintenant que je sais que ce sont des plans d’architecture, son allure a fière allure, exactement ce qu’il faut.
Sa mâchoire en avant laisse penser qu’elle est butée comme tout, mais son regard est doux, ses ongles rongés. Mon contraire. Elle boit du chocolat par petites gorgées régulières, et , en reposant la tasse, daigne lever les yeux de ses feuilles calques millimétrées; alors, nos regards se croisent. C’est à dire que mon regard attrape son regard et le kidnappe quelques secondes. Quand elle s’en ira, elle fera voler son manteau tout près de moi et je constaterai un détail de taille: elle n’a pas d’odeur.

Le bébé chinois s’ennuie avec la famille, les adultes ont le grand défaut de ne pas passer leur temps à faire des grimaces ou à rigoler, donc il se détroune d’eux et tombe sur moi. Il veut me tripoter les cheveux, j’explique que s’il ne tire pas, on peut trouver un terrain d’entente. Les siens sont raides et noirs, mon opposé, nous nous attirons donc inévitablement. Mes boucles sont un mystère pour ses saucissons de doigts, il en tend une et, me regarde avant de la relacher. Quand elle rebondit et retrouve sa place initiale, il respire le bonheur, j’ai envie de le faire rôtir et de le manger en une seule fois. Je n’ai aucune idée de ce qu’il me raconte mais au moins c’est dit avec le sourire; et puis je doute qu’il connaisse déjà de quoi me vexer.

Au bar, les uns sur les autres, ils sont tous plus rouges les uns que les autres, autant que les tee-shirts des serveurs qui tirent sur le violine.
L’un d’entre eux, violacé et maquillé de petites veines qui ont craqué sous la pression de la bière, me fait plein de sous-entendu avec sa langue. J’hésite.
Lui faire un doigt, le traiter de tous les noms de la terre, lui arracher la moumoute et commander un verre de vin pour le lui lancer au nez. (ce qui se verrait à peine à cause du ton sur ton, et puis… pauvre vin!). Perdre mon sang froid , en somme, et lui offrir ce qu’il cherche.
Tout compte fait, je regarde à travers lui, mon visage ne peut pas être moins expressif, je l’ignore jusqu’à ce qu’il se fatigue, ce qui prendra 55 minutes. J’imagine l’état des muscles de sa bouche, les courbatures qu’il aura demain, et, voilà, j’ai ma revanche.

A part ça, c’est calme. Pas de déchirement amoureux, pas de rumeurs de quartier, peu d’intrigue. Rien de bien extraordinaire, c’est un lieu commun Le Coche; un bar quotidien rempli de gens de tous les jours, spécialement le dimanche.


-maispastrop-

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