Hommes/femmes, balle au centre

Le Bobillot
79 rue Bobillot , 75013
noisette 2€ 10 (pot de lait contre sourire)
saumur 3€ (chips contre 2 sourires)



-Il fait bon pour Février hein?
-Ah bah ça, comme vous dites hein. On va la payer c’t’histoire.
-Samedi, ça passe de 16 à 6 degrés!
-Mmmh. La nature elle est... bah elle est comme les gens hein, au fond.
-Y a même la grippe du poulet.
-Bah oui et puis celle des gens aussi.
-Ouais...
-...ouais

Après m’être promenée dans le petit coin de la rue du Moulin au Pré, après m’être extasiée sur la sensation en plein Paris, de marcher en plein Trouville, je retrouve la ville, fidèle à elle même, au Bobillot. Au 79, face à l’église.
Austère et un peu cracra.
Ici, l’eau on n’aime pas ça.
A Londres, il peut vous arriver de commander un thé dans un pub. Si vous n’aimez pas la bière par exemple, et que vous avez déjà goûté leur café… Il suffit d’avoir le courage de ses opinions et de se moquer des regards mitraillettes.
Ici, si vous commandez, mettons, un Perrier-rondelle, vous avez tout intérêt à avoir confiance en vous. Il se trouve que vous venez de prononcer les 2 mots tabous du Bobillot.
Maintenant ils flottent dans l’air, le temps est suspendu, un silence de mort.
Tout le monde l’observe, en coin, la fille bizarre qui boit pas d’alcool.
Le serveur, en traînant des pieds, pose, du bout des doigts, sa commande sur la table mais ne va meme pas jusqu’à décapsuler la bouteille et la laisse se dépatouiller avec l'ouvre-bouteille sans aucun scrupule.
Quand elle avale sa première gorgée (si elle n’est pas partie en courant avant), la tension est à son comble. Hitchcock en serait vert. On entend la pomme d’Adam descendre pour déglutir et quand elle remonte, tous se détournent d’elle avec un mépris semblant dire : “Pffff, irrécupérable”. Ils ne la regarderont plus jamais ensuite. Après avoir été choquante et indésirable, elle est sans odeur, sans couleur. Transparente comme son eau gazeuse.

Mireille, au bar, relance l’ambiance en payant sa tournée. Elle fait passer ses longs cheveux de droite à gauche, de gauche à droite, remplissant l’espace du parfum camomille de son shampooing.
Tous les autres, des hommes, avec leurs muscles, leurs passés et leurs gloires, hôchent la tête comme pour acquiescer. Pourtant elle n’a posé aucune question.
Elle a très envie de parler, de vider son sac. En fait, ces jours-ci, ça va pas fort fort. Sa vie sentimentale est au plus bas alors elle s’étale en jérémiades sans écouter personne. De toutes manières ils répètent tous “oh mais Mimi, ça va passer, quoi. Te bile pas” Ca ressemble davantage à une censure qu’à des conseils; sous entendu “tu veux pas la boucler deux secondes qu’on entende un peu les résultats sportifs?”
“Si les hommes pensent que les femmes sont compliquées, alors c’est simple: c’est que les hommes sont bêtes et les femmes trop subtiles. Elles sont absolument, ab-so-lu-ment pas du tout compliquées, elles sont joueuses c’est tout.”
“Peut-être, mais alors elles sont mauvaises perdantes!” lance le patron sortant des toilettes tout en reboutonnant sa baguette.
“Sacrement mauvaises perdantes les pisseuses!”
Ils en rient encore quand je vais régler à la caisse; la Mireille, honteuse et confuse, m’invite d’un geste de la main: la noisette, c’est pour elle, et elle chuchote “solidarité féminine” appuyé par un clin d'oeil tout plein de longs cils.
Je ne sais absolument pas de quoi elle est solidaire, mais sans aucun doute, elle est fé-mi-ni-ne.


-maispastrop-

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