S'en va-t'en guerre

Le Canon de Tolbiac
Angle de l’avenue d’Italie et de la rue de Tolbiac , 75013
Noisette : 1€90 Verre de bordeaux : 2€40


Comment vous sentez vous aujourd’hui ? En forme, confiant, plein d’amour pour la terre, rempli d’espoir pour les hommes ?
Ha ha, pas d’inquiétude, on va remédier à tout ça très vite.
Comme son nom l’indique, le bistrot n’est pas là pour faire la paix.
Il m’est arrivé d’en ressortir dans un état terrible, me jurant à moi-même de ne jamais enfanter pour ne pas engendrer une possibilité de plus de boire un café au Canon de Tolbiac.
Je rentre. Je cherche une table près des vitres, en trouve une, m’y installe. Jusque-là, tout va bien de banalité.

En posant mes coudes sur la table, je ne sais pas encore que je ne les décollerai qu’au prix d’un effort surhumain. Alors, je propose à un serveur de passer un coup du torchon qui pue sur le formica.
Ce qu’il refuse ; il dit « Non ». Je crois d’abord à la fameuse petite blague du « non » que les serveurs de cette ville affectionnent tant. Puis, au bout d’un petit quart d’heure passé les bras en l’air pour ne pas prendre le risque de m’unir à nouveau avec la crasse des dix dernières années, je décide de migrer sur une nouvelle table à l’allure moins négligée. Je pense que la déclaration de guerre est lancée.
Il me nargue, passe et repasse devant moi sans jamais vouloir prendre ma commande. Dans mes bons jours, j’aurais réagi autrement, j’aurais chargé l’arme et visé à bout portant. Ou, pacifiste, je serais partie sans jamais me retourner. Mais, aujourd’hui, la curiosité me pousse à voir jusqu’où il va pousser.
Je dois donc aller commander mon café au comptoir, et, y retourner quand il est près parce qu’évidemment, il ne me l’apporte pas.
Suivent quelques minutes où j’oublie un peu le ring pour écrire.

Une jeune fille se dirige vers le bar et me sort de mes gribouillages. Elle est belle comme un camion. Elle demande à Mon Serveur où est ce qu’elle peut trouver un arabe dans le coin. Et, lui, d’un ton exaspéré, répond : « Partout ! »
Le patron rit, le cuisinier rit, le client le plus proche hoche la tête en signe d’acquiescement, la jeune Jessica Rabbit semble ne pas savoir si c’est de l’art ou du torchon. Et repart, l’air hébété.
-Bah, ça alors, ses seins doivent la gêner pour y voir clair. Des Arabes, y en a plus ici que dans leur pays !
Ok.
Des fois, on sent qu’une remarque de notre part ne ferait qu’encrer le type dans sa hargne, et que la décision la plus sage reste de ne rien faire et de ne rien dire.
Ceci dit, je m’en fous et lui glisse quand même qu’à son âge, il ne changera sûrement pas d’avis et surtout pas grâce à quelqu’un comme moi, mais qu’il doit savoir que ce genre de propos m’oblige à penser qu’il a un sexe minuscule. Je crois que j’utilise le mot « riquiqui ».Que peut-être, il n’a même pas de sexe du tout, et que point final, je n’ai pas envie de réponse de sa part, d’ailleurs ceci n’est pas une question. Sa mâchoire se désarticule en silence.

Au moment de payer, il essaie de m’entuber en feintant la confusion entre les pièces de 2 et de 1 €. Je le regarde droit dans les yeux, lui tient sa manche de chemise et lui dit « Je suis désolée. Vraiment. Je trouve que personne ne mérite d’être aussi sinistre que vous. Votre vie, ça doit franchement être de la merde. J’espère que vous vous en sortirez. Mais comptez pas sur moi pour vous filer un coup de main. »
L’arène en délire attend le coup d’épée final. Lui aussi semble attendre quelque chose, il stagne, bouche bée, yeux bovins, respiration suspendue. Et pourquoi je ne le plante pas ? Seule Mère Théresa le sait, mais c’était une bonne influence puisque, comme chacun sait, c’est en n’ayant pas besoin de prouver sa victoire que la victoire resplendit.

De temps en temps, quand j’aime cette ville comme un amant très souple, quand je me prends à croire de nouveau que tout va bien se passer, je me jette au Canon de Tolbiac, le temps de me remettre les idées en place. Je préfère garder les pieds sur terre pour ne pas tomber trop souvent de mes petits nuages.
Si quelqu’un mérite de mourir d’une mort lente et douloureuse, comme on dit, c’est lui. Lui et personne d’autre. Je crois, je sais qu’un jour, je l’attacherai à une chaise, lui arracherai les ongles un par un, lui crèverai les yeux, et lui trouerai le corps avant de lâcher un petit lot de rats et de corbeaux sur son corps tremblant. Je sais que ce jour approche. Et alors, le lendemain, sachant la terre débarrassée de cette médiocrité, je pourrai ré envisager l’idée de mettre au monde.

-maispastrop-

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